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Création collective nomade

Access to the English translation: Collective Nomadic Creation

 
 

Création collective nomade

Dans le cadre de la Biennale Hors Norme, Lyon.
15-23 septembre 2023
Aux Grandes voisines,
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon
et Université Lumière Lyon II

Bilan sur les observations des ateliers organisés par
l’Orchestre National Urbain/Cra.p

Comptes-rendus de Joris Cintéro, Jean-Charles François
et
de Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne pour le Cra.p

 

Sommaire :

Partie I : Le projet de l’Orchestre National Urbain « Création collective nomade »
1.1 Le projet de l’Orchestre National Urbain
1.2 Période de préparation du projet
Partie II : Les Grandes Voisines
2.1 Ateliers aux Grandes Voisines
2.2 L’atelier collectif « Laboratoire sonore » aux Grandes Voisines
2.3 Atelier violoncelle peinture aux Grandes Voisines
2.4 Atelier trombone aux Grandes Voisines
Partie III : Le projet au CNSMD de Lyon
3.1 Les réunions dans le cadre du projet
3.2 L’atelier « laboratoire sonore » au CNSMD
3.3 L’atelier Human Beat-Box
3.4 Restitution du travail des ateliers dans la cour du Conservatoire.
3.5 Journée de bilan du projet le 10 octobre au CNSMD de Lyon
Partie IV : Le projet à l’Université « Lumière » Lyon II
4.1 Matinée du 21 septembre à L’Université Lyon II
4.2 Les ateliers à L’Université Lyon II
4.3 L’atelier Laboratoire sonore dans l’amphithéâtre à l’Université Lyon II
4.4 La restitution à l’Université Lumière Lyon II
Partie V : Le cadre esthétique de l’idée de création collective
Conclusion


 

Partie I : Le projet de l’Orchestre National Urbain,
« Création collective nomade »

Dans cet article, nous racontons sur un mode volontairement personnel la manière dont nous avons perçu le déroulement des ateliers organisés par l’Orchestre National Urbain/Cra.p dans le cadre du projet de Création Collective Nomade. Ce projet s’est déroulé du 15 au 21 septembre 2023 dans le cadre de la Biennale Hors Norme 2023, aux Grandes Voisines à Francheville, au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMD) et à l’Université Lumière Lyon II.

Le compte-rendu de Joris Cintéro porte sur la période de préparation du projet et la journée du 15 septembre aux Grandes Voisines. Il décrit sa façon de procéder de la manière suivante :

N’ayant quasiment pas pris de notes ce jour-là (j’y allais explicitement dans l’esprit de participer), le CR suivant s’appuie essentiellement sur mes souvenirs. Ce mode d’écriture m’a justement permis de creuser ces souvenirs, à côté de photos et de vidéos que j’ai pris durant la journée – et qui m’ont également permis de « retrouver » la mémoire.

Celui de Jean-Charles François est basé sur une journée passée au CNSMD de Lyon, le 19 septembre et de deux journées à l’Université Lyon II, les 21 et 22 septembre. Il a été élaboré à partir d’observations (sans participation) et de prises de note.

Dans les deux cas, les comptes-rendus alternent descriptions, contextualisations et bribes d’analyse qui demandent à être approfondies.

Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne, membres de l’Orchestre National Urbain/Cra.p, apportent quelques éléments d’information essentiels à la compréhension de leur démarche.

Les textes sont entrecoupés d’extrait d’une vidéo réalisée par l’équipe de l’Orchestre National Urbain/Cra.p qui contient des interviews de divers participants et des segments du déroulé des ateliers.

1.1    Le Projet de l’Orchestre National Urbain – Cra.p

Jean-Charles François :

Le projet de Création Collective Nomade a été élaboré par Giacomo Spica Capobianco dans le cadre de la Biennale Hors Norme 2023. Giacomo est directeur artistique de l’Orchestre National Urbain et de CRA.P qu’il a créé il y a plus de trente ans. Selon son site « L’équipe du Cra.p a pour objectif d’échanger des savoirs et savoirs-faire dans le domaine des musiques urbaines électro, croiser les esthétiques et les pratiques, susciter les rencontres, inventer des nouvelles formes, créer des chocs artistiques, donner les moyens de s’exprimer » (Cra.p). Le projet a été développé avec les membres de l’Orchestre National Urbain, l’équipe de la FEM [Formation à l’Enseignement de la Musique] du Conservatoire Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMDL – FEM), autour de Karine Hahn, et avec l’artiste plasticien Guy Dallevet pour la Biennale Hors Norme (BHN).
 
La description du projet par ses organisateurs peut se résumer à plusieurs éléments dans un dispositif visant d’une manière générale à amener des publics très diversifiés à travailler ensemble pour produire collectivement de la musique, de la danse et de la peinture :

  • Trois axes de médiation se combinent ici : a) mettre en présence des groupes sociaux très différents ; b) mettre en présence des personnes qualifiées à se nommer « artistes » (étudiants, étudiantes du CNSMD) avec des personnes a priori sans compétences reconnues dans ce domaine ; c) mettre en présence des pratiques dans des domaines artistiques différents (musique, danse, théâtre, arts plastiques, poésie).
  • Les rencontres se basent sur des pratiques artistiques immédiates, faire de la musique, faire de la danse, faire de la peinture. Pour que cette mise en pratique commune n’avantage pas un groupe sur un autre elles sont organisées en sorte que toutes les personnes présentes soient mises devant des tâches qui sont nouvelles pour elles, comme par exemple jouer du trombone alors qu’on n’en a jamais fait l’expérience ou se mettre à danser si on est musicien.
  • Le dispositif est structuré dans une série d’ateliers animés par les membres de l’Orchestre National Urbain :

Sébastien Leborgne (Lucien 16’s), beat box and spoken voice.
Rudy Badstuber Rodriguez, MAO et éléments de percussion.
Selim Penaranda, violoncelle.
Odenson Laurent, trombone.
Sabrina Boukhenous, mouvements corporels.
Clément Bres, batterie.
Giacomo Spica Capobianco, Laboratoire sonore, un atelier regroupant après coup toutes les activités des autres ateliers, dans des perspectives de création collective.
Les ateliers peinture sont animés par Guy Dallevet pour la Biennale Hors Norme.

Le point commun à ces ateliers (sauf pour la peinture) très différents en termes de manipulation de matériaux, est constitué d’une série de codes couleurs définissant des modes de jeu :

a) orange = vent soutenu ;
b) blanc = ralenti graduel ;
c) rouge = rythme répété (trois noires et un soupir) ;
d) marron = 8 pulsations régulières ;
e) noir = arrêt au sol, silence ;
f) bleu = peur, tremblement, énergie ;
g) vert = improvisation libre.

Les diverses mises en pratique des différents ateliers sont toutes basées sur l’exploration de ces codes couleurs.

  • Une autre activité importante initiée par les membres de l’Orchestre National Urbain, c’est l’élaboration personnelle de textes appelés à être parlés (en rythmes précis ou librement) lors de la rencontre sur la scène de tous les éléments des ateliers.
  • Les personnes présentes suivent chaque atelier l’un après l’autre dans des groupes d’une dizaine de personnes. À la suite de cela tout le monde se retrouve dans un ensemble général – Le Laboratoire Sonore – composé de diverses stations : trombone, violoncelle, voix (microphone), batterie, des objets divers suspendus à un portique, 2 stations « electro » (loops, jeu avec les doigts sur un pad), un spicaphone (genre de guitare électrique à une corde construite par Giacomo Spica), un instrument à cordes tendues sur un cadre en métal (dénommé miroir sonore), une guitare électrique posée horizontalement pour être jouée comme un instrument de percussion, un espace pour la danse. Un chef ou une cheffe est désignée parmi les participants pour organiser la performance en montrant au fur et à mesure les cartons de codes couleur. Dans l’esprit de Giacomo, il ne s’agit pas là de « sound painting », celui ou celle qui dirige doit seulement montrer des couleurs et indiquer un niveau sonore général, sans imposer une énergie particulière. L’expérience du dispositif a montré que dans la pratique les personnes qui participent au dispositif (dans et en dehors des membres de l’Orchestre National Urbain) mettent souvent une « énergie particulière » dans la direction – se baisser pour incarner une nuance, jouer à échanger rapidement les cartons, faire en sorte qu’une partie seulement de l’ensemble soit concernée par un carton, etc…).
  • A un moment donné, dans l’institution où se passent les ateliers, une restitution générale du travail réalisé est présentée en présence d’un public extérieur (c’est ce qui s’est passé au CNSMDL à l’issue de deux jours de travail, et à l’Université Lyon II à l’issue de deux journées de travail). A l’université, cette restitution a été suivie d’un concert par l’Orchestre National Urbain.

Le projet lié à la Biennale Hors Norme s’est déroulé dans trois lieux différents :

  1. Les 15 et 16 septembre au Grandes Voisines, à Francheville près de Lyon, qui se décrivent dans leur site comme « un tiers-lieu social et solidaire où il est possible de dormir, manger, travailler, peindre, découvrir une exposition, participer à une chorale… et vivre des rencontres » (Les Grandes Voisines). Ce lieu d’hébergement accueille des réfugiés en attente de régulation. C’est ce public particulier qui a été visé pendant les deux journées de pratique.
  2. Les 18 et 19 septembre au CNSMD de Lyon, dans le cadre du programme de la Formation à l’Enseignement en Musique (FEM). Deux journées d’atelier, occasion d’une rencontre autour de pratiques entre les étudiants de la FEM et les réfugiés hébergés aux Grandes Voisines, avec une présentation publique du travail à la fin de la deuxième journée.
  3. Les 20 et 21 septembre, à l’Université Lumière, Lyon II, ateliers avec les réfugiés et les étudiants de l’université et du conservatoire (sur la base du volontariat) avec une restitution du travail en fin de journée du 21 septembre, suivie le soir d’un concert de l’Orchestre National Urbain.

 

1.2     Période de préparation du projet

Joris Cintéro :

Au moment où j’écris ces lignes, je ne me souviens pas tout à fait clairement des circonstances dans lesquelles on m’a présenté le dispositif pour la première fois. Je me souviens seulement de plusieurs bribes de discussion avec Karine me décrivant un « projet auquel on participe avec le Cra.p » dont la première étape se déroule « à Francheville, dans un centre d’accueil pour réfugiés », et que « les étudiants et les étudiantes ont été tenu·e·s au courant » de longue date. J’ai des souvenirs quant aux objectifs que l’on fixait pour les étudiantes et étudiants à travers un dispositif comme celui-ci, particulièrement aux Grandes-Voisines : rencontre avec une altérité dont nous supposons qu’elle n’est pas fréquente dans l’ordinaire de leur travail de pédagogues, création de moments musicaux pensés pour inviter un public non rompu aux traditions de ladite musique savante occidentale, adaptation dans des circonstances peu propices à l’enseignement artistique et bien entendu, prise de recul sur les enjeux sociaux et politiques de l’enseignement artistique.
 
Quelques jours avant la première séance aux Grandes Voisines [GV], Karine rappelle aux étudiants et aux étudiantes de la formation CA la teneur du projet. Après les avoir interrogés pendant un moment collectif sur la possibilité de se rendre aux Grandes Voisines le vendredi et/ou le samedi, nous nous rendons compte que très peu d’entre elles et eux se trouvent être disponibles pour venir avec nous ces jours-là. C’est le cas d’un seul étudiant en première année (Grégoire), que nous connaissons à ce moment-là, assez mal – la formation n’ayant démarré que depuis une semaine. Le groupe dans sa quasi-totalité nous a fait savoir de leur souhait de pouvoir venir, mais de leur impossibilité à participer à cause d’un manque de temps ou n’ayant pas reçu l’information à temps.
 
Nous soulignons également la nécessité, pour celles et ceux souhaitant venir, d’apporter des instruments qui soient susceptibles d’être manipulés par des enfants – je me souviens d’ailleurs avoir maladroitement insisté là-dessus, laissant penser qu’il ne s’agissait de travailler qu’avec des enfants et que ces derniers seraient particulièrement peu soigneux. Les réponses des étudiant et des étudiantes nous amènent à découvrir que très peu disposent de plusieurs instruments de musique.

 
 

Partie II. La Création collective nomade aux Grandes Voisines

2.1     Ateliers aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

Le samedi 16 septembre 2023, après avoir récupéré une vieille guitare classique chez moi et la harpe électrique de Karine à Villeurbanne, nous nous rendons tous deux aux Grandes Voisines en voiture et arrivons en milieu d’après-midi, aux alentours de 15h30. Karine se gare sur le parking de l’entrée, à deux pas d’une sorte de guérite défraichie (vide ?) permettant de surveiller les allées et venues au centre d’accueil. C’est un peu loin du lieu où se déroulent les ateliers (il faut dire que la signalétique n’était pas très claire et que rien de l’extérieur n’annonce la Biennale Hors-Normes). Après un court appel téléphonique, Giacomo nous fait signe au loin de nous approcher et nous accueille.
 
Je rencontre pour la première fois les membres de l’Orchestre National Urbain, qui sortent alors d’une salle dans laquelle sont entreposés différents instruments. S’ensuit une visite « critique » rapide des lieux en compagnie de Giacomo. Nous découvrons un dédale de pièces, de portes, de couloirs et sommes informés rapidement de l’organisation du lieu. En effet, Giacomo connaît déjà bien l’endroit (l’Orchestre National Urbain est déjà intervenu dans les lieux) et a connu des tensions avec certains des acteurs et actrices qui y travaillent. Au cours de la visite, je comprends assez rapidement qu’il y a des difficultés de communication entre les acteurs (et leurs institutions respectives) quant à la gestion du lieu et qu’une partie des artistes présentes et présents dans le cadre de la Biennale Hors-Normes [BHN] ne sont pas « sur la même longueur d’ondes » que Giacomo.
 
J’ai l’impression d’un lieu labyrinthique qui peine à cacher les stigmates de son ancien usage (hôpital pour personnes âgées). Bien que certains couloirs soient bardés de peintures et d’œuvres en tous genres, que certains points extérieurs laissent percevoir une activité artistique (sculptures etc…), le lieu dégage une certaine froideur (néons, faux-plafond, peintures grisâtres, dalles fendues, etc…) typique des bâtiments administratifs, des maisons de retraite ou encore des hôpitaux. Certaines pièces paraissent un peu glauques et sentent l’humidité – c’est le cas de la salle de concert au rez-de-chaussée du bâtiment, qui se tient en lieu et place de l’ancienne chapelle du bâtiment. Pour ajouter à cette impression, Giacomo ajoutera durant la visite que les tables d’autopsie sont toujours présentes dans les sous-sols du bâtiment. On aperçoit au loin un stade de foot dont on peine à comprendre l’usage dans un hôpital gériatrique et des affiches présentant une installation qui doit s’y tenir. Je suis frappé à ce moment-là par la « valse » des clés qui accompagne cette visite, sensation probablement due à l’agacement dont fait part Giacomo vis-à-vis du fait qu’il soit nécessaire de fermer derrière soi « au cas où », « parce que certains réfugiés n’hésitent pas à se servir » ou parce que le matériel ne peut être surveillé en notre absence (et celle des membres de l’Orchestre National Urbain qui animent les ateliers).
 
Après un tour d’une bonne quinzaine de minutes où nous repérons où se déroulent les différents ateliers nous revenons au point de départ sous la sorte de barnum où l’équipe de l’Orchestre National Urbain nous avait accueilli un peu plus tôt. Il fait assez chaud, et Grégoire, le seul étudiant du CNSMDL ce jour-là, vient d’arriver.
 
Une fois la visite terminée, Giacomo souligne au détour d’une phrase la difficulté majeure de l’après-midi, difficulté que nous ne tardons pas à observer : personne ne s’est inscrit pour participer aux ateliers. Cette situation s’explique d’après lui du fait que les travailleuse et travailleurs sociaux intervenant sur le lieu n’ont pas relayé l’information aux usagers du lieu (en effet on n’a pas vu d’affiches pendant la visite et nous croisons des personnes travaillant sur le lieu qui ne sont pas au courant de la tenue d’ateliers musicaux), manque de communication s’expliquant lui-même par une brouille entre les porteurs de projet de la BHN et l’organisation du lieu – dont on apprendra un peu plus précisément, par la suite, la teneur. C’est donc sans aucun enfant/adulte, en dehors d’Omet – un usager du lieu qui n’est d’ailleurs pas initialement présenté/catégorisé comme un bénéficiaire du dispositif mais plutôt comme un membre à part entière de l’activité – que commence la journée.
 
En l’absence de public, les membres de l’Orchestre National Urbain ne se démontent pas et nous invitent à commencer à jouer, Karine, Grégoire, Omet et moi-même, en leur compagnie dans l’atelier sonore collectif (le laboratoire sonore de Giacomo).

 

2.2    L’atelier collectif « Laboratoire sonore » aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

Giacomo nous présente un atelier musical collectif similaire aux ateliers de groupe qui seront proposés par la suite au CNSMDL et à l’Université Lumière Lyon 2. Il s’agit d’une improvisation collective dirigée par un chef, officiant seulement par le biais d’un jeu de cartons colorés indiquant des intentions musicales particulières devant orienter le groupe improvisateur.
 
L’instrumentarium est le suivant :

– Instruments de « lutherie urbaine » : Spicaphone / Harpe-miroir [amplifiés]
– Instruments électroniques : (Korg monotribe/Kaosspad/Roland SP 404SX/MicroKorg)
– Pédales d’effet (Whammy avec Spicaphone)
– Microphone [amplifié]
– Instruments acoustiques (Caisse claire, guitare électrique, « baguettes chinoises » en guise de baguettes de batterie)

La console et les différents câbles qui permettent l’amplification des instruments ne sont pas utilisés comme moyens de jeu dans le dispositif.
 
Le jeu de cartons comprend 7 couleurs associées aux conventions décrites ci-dessus. À ce jeu de « code-couleur » s’ajoute la possibilité de faire varier le volume sonore du groupe improvisateur en signalant avec la main plus ou moins haute.
 
L’instrumentarium est ce jour-là disposé tout autour du chef ou de la cheffe. L’atelier se déroule dans une grande salle au lino vert, dotée de plusieurs baies vitrées (certaines occultées par des rideaux), donnant directement sur l’extérieur – permettant ainsi aux personnes qui passent de voir (et accessoirement d’entendre) ce qu’il s’y passe. Si elle n’est pas pour ainsi dire centrale dans l’architecture du centre d’accueil, cette salle se trouve néanmoins dans le passage des piétons et des voitures et donne sur plusieurs autres bâtiments – ce qui aura son importance pour la suite de la journée.
 
L’atelier démarre donc par le biais d’une explication de Giacomo qui en présente les différents aspects, mettant notamment l’accent sur le code couleur et les objectifs visés (travailler sur la matière sonore, libérer les éventuelles inhibitions de chacun, créer un espace d’égalité entre musicien·ne·s et non musicien·ne·s, etc…). Étant moi-même impliqué tout au long du dispositif, je ne sais pas tout à fait combien de temps chaque improvisation a duré. La seule chose que je sais c’est que les tours d’improvisation ont cessé une fois que tout le monde avait « cheffé » au moins une fois – certain·e·s répétant l’exercice plusieurs fois.
 
L’atelier débute. Tout le monde semble prendre beaucoup de plaisir à jouer de la sorte. Les remarques des personnes présentes tiennent essentiellement à la difficulté de se remémorer dans l’instant des conventions associées aux cartons colorés (j’ai dû attendre le 4ème ou 5ème tour pour m’aligner « correctement » sur les cartons), aux nuances proposées par le/la cheffe ainsi qu’au plaisir de jouer sur des instruments « exotiques » (la harpe-miroir et le spicaphone particulièrement). Presque chaque « tour » d’atelier se clôt par une discussion sur ce qui vient de se passer, discussion portant essentiellement sur des questions musicales (l’intention des chefs, les nuances etc…). Les premiers ateliers se passent « très bien » dans la mesure où il me semble que la majorité des personnes présentes sont rompues à l’exercice.
 
Durant les improvisations on voit parfois passer des groupes d’adultes, d’enfants, de parents qui pour certains s’approchent discrètement de la salle – feignant pour la plupart ne pas être vus. C’est au gré de ce flux qu’un homme d’une petite quarantaine d’années, accompagné de sa fille d’environ 5 ans se joignent à nous. Assez réservé, il déclare dès le début venir « pour sa fille », qui semble particulièrement heureuse et enjouée au moment où les membres de l’Orchestre National Urbain l’invitent à se joindre à l’improvisation collective. L’enfant participe à plusieurs « tours » d’atelier accompagnée par différentes personnes (qui la mettront sur un fauteuil pour qu’elle puisse jouer sur le Microkorg par exemple ou recadreront son jeu vis-à-vis des cartons colorés) et le père endossera le rôle du chef une fois – en plus de participer à quelques tours d’atelier lui-aussi. D’abord réticent au fait-même de participer (il comptait seulement regarder sa fille), il se joint à nous à la demande de Giacomo et se « détend » peu à peu, sans qu’il témoigne pour autant d’une forme de lâcher prise (que j’interprète par le fait que les participants se prêtent totalement au jeu et qu’ils se trouvent par moments dépassés par celui-ci). Le père et sa fille quittent la pièce après plusieurs tours d’ateliers, visiblement heureux d’y être passés.
 
Une fois la salle fermée nous passons dans la pièce adjacente dans laquelle se tient un atelier d’improvisation au violoncelle et de peinture.

 

2.3    Atelier violoncelle peinture aux Grandes Voisines

 

Karine Hahn, CNSMD de Lyon, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (11’19”- 11’44”)
 

Joris Cintéro :

L’atelier violoncelle-peinture est dirigé par Selim Penaranda (pour le violoncelle) et une personne (pour la peinture) dont j’ai oublié le nom (dont j’apprendrais par la suite qu’elle remplaçait Guy Dallevet, absent ce jour-là). Il se déroule dans une salle, grande mais assez encombrée de cartons, de peintures, de sculptures et d’objets divers.
 
L’organisation de l’atelier est assez simple. On a d’un côté Selim avec 3 violoncelles (un acoustique et deux électriques amplifiés) et de l’autre l’intervenante peinture avec un ensemble de feuilles, de peinture acrylique, de cartons pour l’étaler et de tenues de protection qui sont visiblement usées – la pièce semble utilisée très souvent pour réaliser des activités de ce genre, en témoignent les nombreuses peintures affichées aux murs et les tâches de peinture dans l’évier. Dans le même esprit que les productions qui suivront le reste de la semaine, ce dispositif consiste dans une interaction entre les groupes qui peignent et les groupes qui font du violoncelle. L’atelier se termine par des improvisations individuelles au violoncelle au départ d’un support peint par l’interprète.
 

Lucien 16’s (Sébastien Leborgne) sur les relations musique et peinture, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (3’48”-4’48”)
 
 
L’activité violoncelle dirigée par Selim s’organise toujours de la même manière.

1. Présentation de l’instrument et du dispositif.
2. « Tâtonnement » à l’instrument.
3. Improvisation dirigée avec code couleur. Cette activité nécessite au moins deux personnes
    qui jouent, (dont Selim parfois) et une personne qui dirige.

Selim présente dans un premier temps le violoncelle en jouant quelques notes et soulignant de façon récurrente qu’il n’y a pas de bonne position pour en jouer, que l’essentiel c’est d’être à l’aise en jouant. Dans ce sens, il n’hésite pas à montrer des positions que l’on pourrait qualifier d’hétérodoxes vis-à-vis de la représentation commune du jeu au violoncelle qui est associée à une position dite « classique » (l’instrument se tient entre les jambes, les pieds à terre, le manche de l’instrument reposant sur l’épaule). Il met, à dessein, les pieds sur les bords du violoncelle, montrant qu’il est possible de procéder ainsi pour en jouer. Même chose du côté de l’archet qu’il propose de tenir de plusieurs manières différentes soulignant, comme il le fera plus tard au CNSMDL, que « ça peut se tenir comme une poignée de porte ». Il n’empêche pas, toutefois, les personnes présentes de tenir l’instrument et l’archet de façon « conventionnelle ». Une fois ce « rituel » de présentation accompli, il laisse les participants explorer sur le violoncelle tout en présentant la suite de l’atelier qui consiste en une improvisation avec une autre personne.
 
La personne qui « cheffe » durant l’atelier alterne au fur et à mesure de l’avancement de ce dernier. Le code utilisé est le même que dans l’atelier précédent.
 
De l’autre côté de l’atelier, on trouve la peinture, qui s’organise de façon tout aussi récurrente. L’encadrante présente la tâche à réaliser, c’est-à-dire peindre une toile en s’imprégnant de l’ambiance sonore créée du côté des violoncellistes et ceci à l’aide d’un bout de carton, permettant de réaliser, comme le montre l’encadrante, des formes circulaires pluri-colores. En somme il s’agit de verser quelques gouttes de peinture (une ou plusieurs couleurs) sur la toile, et d’étaler avec le support cartonné la peinture sur une feuille en réalisant des sortes de spirales.
 
Le lien entre les deux parties de l’atelier ne semble pas évident pour tout le monde, en témoignent, lors d’une pause dans le violoncelle où je jette un œil à l’autre partie de l’atelier, certain·e·s peintres ne prêtant aucun cas à la musique (ce qui n’est pas tout le temps vrai puisque les silences trop longs amènent les peintres à parfois gentiment râler de l’absence de musique pour peindre). Je prends quelques photos de l’atelier.
 
L’atelier se termine par une série d’improvisations individuelles sur le violoncelle, réalisées à partir d’un support visuel, c’est-à-dire la peinture réalisée plus tôt dans l’atelier. Personne parmi ceux et celles habitant le lieu ne viendra nous rejoindre durant le dispositif. Nous décidons de faire une pause après une petite heure de travail collectif.
 

Atelier violoncelle et peinture aux Grandes Voisines, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (5’45”-12’28”)
 

 

2.4    Atelier trombone aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

La pause est l’occasion de s’allumer une cigarette, de boire un peu d’eau et de discuter plus généralement des dispositifs proposés et de l’absence de public. Si l’ambiance est très amicale, je sens tout de même une forme de déception chez les membres de l’Orchestre National Urbain. Je me dis aussi à ce moment-là qu’en effet, mobiliser autant de monde sur deux jours pour si peu de public constitue une perte de temps et d’argent considérable. On disserte un peu sur le lieu, ses défauts (on y serait logé par « ethnie ») et sur le fait qu’en dehors de son esthétique hospitalière, on n’y semble pas si mal accueilli que ça. On mentionne l’existence d’un bâtiment dédié aux femmes seules, public difficile à convier aux activités selon Giacomo, ces dernières ayant vécu des parcours migratoires traumatiques. Tout le monde y va de sa petite anecdote, surtout celles et ceux qui connaissent déjà le lieu.
 
L’après-midi avançant, Odenson Laurent, jeune membre de l’Orchestre National Urbain joue quelques notes au trombone. Ces notes ont l’effet d’un appel. Plusieurs enfants se rapprochent, timidement d’abord puis de façon plus directe ensuite. Ils et elles veulent jouer et nous le font savoir. Giacomo et Sébastien se précipitent pour récupérer les trombones qui avaient été entreposés dans une pièce du bâtiment. La scène donne l’impression qu’on est pris de court, le « public » afflue enfin, il s’agirait de ne pas louper le coche.
 
Les étuis des trombones arrivent et sont posés à la va-vite à terre. Le moment est assez intéressant dans la mesure où nous nous mettons toutes et tous (qui ont participé des ateliers précédents) progressivement à « cadrer » cet atelier qui prend forme. Ici on désinfecte les embouchures à l’alcool, là on montre à un enfant comment s’attrape et se tient le trombone, à côté on fait patienter celles et ceux qui attendent leur tour.
 

Atelier de trombone aux Grandes Voisines, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (0’23”-0’56”)
 
Odenson prend la main de l’atelier, parle fort (il faut dire que les enfants sont nombreux et pressés de jouer) et donne à voir comment on souffle dans l’embouchure du trombone. La majorité des enfants y arrivent. Il propose une série d’exercices/jeux où il s’agit d’abord de souffler fort une fois. Les enfants s’exécutent avec succès, rient et réessaient sans attendre l’invitation d’Odenson. Le volume sonore augmente rapidement, les enfants semblent emballés par l’activité. Odenson propose ensuite de jouer avec la coulisse. Certains enfants font tomber la coulisse (il faut dire que dans certains cas, les trombones sont aussi grands que celles et ceux qui les jouent), ce qui entraîne les rires des autres et l’impatience de ceux qui attendent leur tour – certains viennent alors en aide à leurs camarades en tenant la coulisse. Les enfants semblent visiblement très heureux de l’expérience qu’ils viennent de vivre. De nouvelles têtes qui font leur apparition : plusieurs femmes commencent à arriver et certaines se penchent aux balcons pour voir ce qu’il se passe.
 
Rebelote, on nettoie les embouchures, on donne quelques informations aux enfants sur la façon de tenir le trombone (chacun y va un peu de son conseil), on fait patienter celles et ceux qui passeront après, on invite les femmes qui viennent d’arriver à tenter l’expérience. On se partage les rôles pour y arriver : Karine est par exemple invitée à convaincre une habitante des lieux de se joindre à l’exercice, ce qu’elle parvient à faire.
 
Il est intéressant de noter que si en dehors d’Odenson, personne ne « joue » du trombone (du moins personne ne se catégorise comme étant « tromboniste ») tout le monde s’autorise le fait de montrer aux enfants comment on souffle dans l’embouchure, comment réaliser le mouvement des lèvres permettant d’y arriver ou de montrer comment se tient l’instrument – par exemple dans l’entre deux à celles et ceux qui attendent ou directement à celles et ceux qui sont en train de participer à l’atelier.
 
Après plusieurs passages, l’atelier s’arrête et les membres de l’Orchestre National Urbain échangent avec les femmes et les enfants présents pour les prévenir de la journée du lendemain et de la poursuite des ateliers.

 

Photos des Grandes Voisines, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (2’37”-3’33”)
 
 
 

Partie III : le projet de Création Collective Nomade au CNSMD de Lyon

3.1    Les réunions dans le cadre du projet

Jean-Charles François :

Avant de commencer les ateliers de chaque journée, l’équipe de L’Orcherstre National Urbain a l’habitude de se réunir afin de (re-)définir le contenu de la journée à venir, à partir d’un bilan des actions qui ont directement précédées.

Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne :

Premier temps, « Réunion d’équipe » :

Le directeur artistique (Giacomo Spica Capobianco) fait un point avec tous les artistes intervenants de l’Orchestre National Urbain. Ces réunions permettent d’évaluer les ateliers collégialement afin de faire évoluer le projet. Ces moments de discussion permettent d’échanger sur les évolutions, les contraintes, les difficultés rencontrées.

Afin de proposer le programme de la journée, un point préalable est prévu et permet de s’adapter aux situations vécues au jour le jour.

Deuxième temps, « Réunion d’équipe avec les stagiaires » :

Chaque matin un moment de discussion est programmé avec tous les stagiaires.

Ce moment et évidemment important étant donné qu’aucun niveau de sélection n’est requis au préalable, autant sur un plan technique que sur un plan social, les stagiaires vont être sujet à travailler collectivement.
Il est important que les uns aillent vers les autres pour une rencontre plus constructive vers une réflexion de création improbable.

L’intérêt est de faire comprendre au stagiaire qu’il est au service du projet au sein d’une création collective.

Tous les ateliers sont filmés.
Il est important d’avoir un support vidéo de chaque atelier afin que tous les membres de l’équipe de l’Orchestre National Urbain découvrent le travail de l’autre. Cela permet de faire évoluer le projet.

Jean-Charles François :

Par exemple, voici la description d’une telle réunion qui s’est déroulée lors de la deuxième journée d’ateliers au CNSMDL, le matin du 19 septembre 2023. Cette réunion regroupe l’équipe de l’Orchestre National Urbain et celle de la Formation à l’Enseignement de la Musique du CNSMDL.
 
Giacomo fait part des problèmes rencontrés au Centre d’accueil des Grandes Voisines. Il semble que les personnels encadrants du centre n’ont pas très bien organisé la venue du l’Orchestre National Urbain. Apparemment peu d’information a été donnée aux réfugiés, en conséquence il a fallu que les membres de l’orchestre se mettent à jouer dans la cour pour accueillir les personnes qui passaient et les inviter à participer. Ce sont surtout des enfants et les mères de ces enfants qui ont participé. En conséquence seulement un réfugié a pu venir participer aux journées de rencontre au CNSMDL. Giacomo résume les objectifs de la journée qui consiste à la possibilité de se prendre en main à partir d’éléments à travailler qui sont nouveaux pour les étudiants. C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas le droit d’utiliser leur propre instrument. Pour Giacomo, on n’est pas là pour dicter des comportements mais pour se mettre en situation d’une recherche collégiale en vue de se projeter dans des pratiques à faire avec tout public.

 

3.2 L’atelier « laboratoire sonore » au CNSMDL

Jean-Charles François :

La séance du matin du 19 septembre 2023 se déroule dans la salle de musique d’ensemble qui comporte une estrade. Un large espace sur la scène est organisé avec une série de stations instrumentales (instruments traditionnels, simples instruments construits, instruments électroniques, voix amplifiée) comme décrit ci-dessus. Un espace en dehors de cette estrade est réservé à la danse. Les étudiants sont partagés en trois groupes. Ceux ou celles qui ne participent pas à la performance d’un groupe sont assis par terre ou sur des chaises en dehors de ces deux espaces.
 
La séance commence par un échauffement du corps de 10 minutes animé par Sabrina Boukhenous. Elle est membre de l’Orchestre National Urbain, comédienne, directrice d’acteur et technicienne son-lumière. Son rôle dans l’Orchestre est de prendre en charge le corps en mouvement et le spoken word. L’échauffement se déroule dans la bonne humeur et le plaisir de faire : frottements de mains, exercices de respiration, mettre en action les différentes parties du corps, sauter, etc.
 
Concernant le travail d’atelier de Sabrina Boukhenous, voici un extrait d’un atelier qui s’est tenu dans le cadre d’un projet similaire à celui qui est décrit dans ce document: « Du corps aux mouvements, du geste aux sons », Université Lyon III, 2024 :
 

Atelier de Sabrina Boukhenous. Extrait de la vidéo « Du corps aux mouvements, du geste aux sons » (9’30”-10’50”)

 

La première partie du matin (9h20-10h45) se déroule dans la salle d’ensemble, dans la configuration décrite ci-dessus. Les activités expérimentées lors des différents ateliers qui se sont tenus la veille (le 18 septembre) et qui ont été suivis par toutes et tous, sont maintenant regroupées dans un seul ensemble : jeu sur divers instruments, voix amplifiée et corps en mouvement. Il y a trois groupes d’une quinzaine de personnes qui se succèdent sur l’espace de l’estrade et utilisant aussi l’espace de la danse, pour expérimenter des situations avec une personne dirigeant à l’aide des cartons de couleur. Les temps de séquences de performance varient de 2 minutes à 4 minutes. Elles sont suivies à chaque fois d’une courte période (entre 4 et 10 minutes) pour exprimer des réactions, des sentiments ou proposer des actions, parfois soulever des questions importantes. À chaque fois la direction de l’ensemble et les différents rôles changent librement, les danseurs devenant instrumentistes, la voix parlée est assumée par quelqu’un d’autre, etc.
 

Laboratoire sonore au CNSMDL, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (17’25”-18’42”)
 
 
Un des aspects spécifiques du dispositif est la présence des textes écrits lors des ateliers, lus à haute voix à travers le microphone placé sur scène à cet usage. Selon les consignes données par Giacomo, la voix n’a pas à suivre les codes couleur, mais déroule son débit en solo, selon le choix de celle ou celui qui le lit. La difficulté principale est de pouvoir entendre clairement la voix parlée, soit que les protagonistes n’ont pas l’habitude du micro, soit qu’ils manquent d’assurance ou d’énergie, soit encore que le niveau sonore des instruments reste trop fort, le regard porté sur les cartons de couleurs ne permettant peut-être pas une écoute immédiate de ce que font les autres. Giacomo assez tôt dans la séance montre au micro comment la voix doit s’engager plus franchement. Lors de la période de jeu du groupe 3, à un moment donné, il est décidé de ne pas utiliser les codes couleur, mais de se baser uniquement sur la voix avec la nécessité de pouvoir comprendre le texte, la voix devenant le chef d’orchestre. Après avoir essayé cette idée, un court débat a lieu sur des notions d’improvisation : la nécessité de l’écoute, la question des réactions par rapport aux énergies en présence, par rapport aux propositions, l’idée de laisser la place aux autres, notamment au texte. À la fin de cette première partie de matinée, une situation est expérimentée avec 3 personnes à la voix lisant leur texte.
 
La présence des textes, donne à plusieurs reprises l’occasion de soulever la question de l’engagement physique (notamment par Giacomo) et vis-à-vis du sens qu’on met dans le texte. Il est bien sûr très difficile de s’engager de manière immédiate dans une activité qu’on fait pour la première fois, lorsqu’on ne sait pas où cela va mener. Mais la difficulté de l’engagement chez les étudiants provient aussi du fait qu’on n’adhère pas (encore) à quelque chose trop éloigné des valeurs esthétiques qu’on défend au quotidien dans le conservatoire. Les comportements induits par la musique savante européenne écrite sur partition impliquent à la fois un engagement profond des compositeurs dans leurs projets esthétiques, et au contraire un détachement assumé des interprètes appelés à jouer une diversité d’esthétiques. On pourrait dire que dans ce contexte, l’engagement de l’interprète ne se fait qu’au moment de prestation en public, dans une posture où, comme chez les acteurs de théâtre, l’engagement approprié est « joué ». Dans ce contexte, on n’a pas l’habitude de se lancer corps et âme dans n’importe quelle activité sans auparavant avoir pu mener une réflexion à son sujet, l’esthétique n’est donc pas un engagement mais un jeu. L’engagement des interprètes du secteur qu’on appelle « classique » se manifeste surtout vis-à-vis de la manière d’envisager la production sonore et par là, leur identité principale est tournée vers leur instrument ou leur voix. Le corps de l’être humain occidental tend à être déconnecté de la signification, le corps doit construire la signification par le biais de contextes particuliers, avec le risque de ne pas accéder à un état plus fondamental dans lequel le corps assume et croit en sa propre production de signification. Or il existe beaucoup de pratiques musicales (et de danse) où l’engagement des performers n’est pas séparé des conditions de production et où la signification est fondamentale dès le départ, c’est-à-dire à tous les niveaux de compétence. C’est le cas notamment des pratiques musicales de l’Orchestre National Urbain et au sein des actions qu’il mène dans les quartiers défavorisés.
 
Certains étudiants ont décidé d’être présents aux séances, mais de ne pas participer aux pratiques proposées et d’être là en observateurs. C’est une infime minorité, 2 ou 3 parmi la cinquantaine de présents. Giacomo avait bien spécifié qu’il était permis d’avoir cette attitude, qu’il n’y avait pas d’obligation à participer à l’action. Pourtant l’un d’entre eux a rejoint le groupe actif au moment où ont été essayées des improvisations non basées sur les codes couleur et sans la présence d’un chef, en suivant les évolutions d’un texte ou en se laissant influencer par la danse. Il a pris la guitare électrique posée à l’horizontal, l’a accordée selon la norme et s’est mis à la jouer dans la position habituelle du jeu à la guitare.
 
Pour la danse, les termes de « mouvements du corps » sont souvent utilisés pour bien marquer qu’il s’agit d’une part de déplacements libres dans l’espace et d’autre part qu’il n’y a pas une ambition artistique à caractère technique qui empêcherait la participation immédiate de toute personne présente. La danse n’est pas utilisée pendant la première partie du groupe 1, puis petit à petit prend plus d’importance. Très vite on voit la nécessité pour le chef ou cheffe de voir la danse (autant que d’écouter les instruments) pour influencer les décisions de changement de couleur. Avec le groupe 3 (après l’expérimentation de suivre le texte) il est décidé que la musique soit influencée par la danse plutôt que de suivre les codes couleur. Comme dans le cas du texte, cet essai suscite un débat sur les rapports danse-musique : sont abordées les questions de l’imitation en miroir, des conditions de suivi collectif des musiciens, du risque de l’empire d’un domaine artistique sur un autre et de la nécessité d’une communication qui circule. Une idée est proposée : une improvisation où tous ces axes de travail se mélangent.
 
Concernant la présence d’une personne qui dirige avec les cartons de couleur, la pratique effective soulève au fur et à mesure plusieurs questions. Un des aspects importants est qu’à chaque séquence de jeu, il y a une nouvelle personne qui dirige, il n’y a donc pas l’écueil du développement de « spécialistes » de cette activité, et il y a une distribution démocratique des différents rôles. Mais ce dispositif précisément tend à renforcer la représentation générale qu’ont les personnes présentes du pouvoir dominateur du chef d’orchestre. Aussi, ceux et celles qui en assument le rôle, ont tendance à surinvestir le pouvoir qui leur est donné : il ne s’agit pas seulement de montrer des codes couleur et d’indiquer des niveaux d’intensité sonore, il s’agit par des attitudes corporelles exagérées de faire passer des informations aux instrumentistes pour qu’elles soient respectées, on est rapidement dans une situation similaire au « sound painting ». Ce surinvestissement de et sur la personne du chef, résulte dans la domination de l’œil sur l’oreille, avoir à regarder constamment le chef empêche de se concentrer à la fois sur sa propre production et sur l’écoute de la production des autres.
 
La dualité oralité-écriture est un élément très important qui se joue dans le contexte du CNSMD et des formes musicales qui en définissent les contours. Mais l’enjeu paraît tout à fait différent s’agissant de contextes dans lesquels toute personne (quel que soit son niveau de compétences et son origine sociale) peut accéder de manière quasiment immédiate à des pratiques musicales artistiques. Dans ce cas, il convient pour y parvenir de manière convaincante d’inventer des mécanismes très précis. Vers la fin de cette première partie de matinée, Giacomo rappelle le contexte pédagogique du travail en cours : la difficulté est de faire des choses dans des contextes de culture défavorisés, ou dans le cas de la rencontre entre différentes cultures. Comment construire des activités qui dès le début offrent la possibilité de se confronter à des enjeux fondamentaux mais de manière accessible, comment faire construire par celles et ceux qui participent leurs propres situations significatives. L’accès à des comportements actifs priment au début sur toute considération de qualité artistique ou de comportements normalisés. Les codes couleur et la présence d’une personne qui les manipule pour donner une forme à la performance assurent dans tous les contextes un accès rapide à une pratique effective, dans laquelle les enjeux artistiques ne sont pas du tout réglés, mais qui pourtant sont déjà inscrits dans le contenu de l’action.

 

3.3 L’atelier Human Beat-Box

Joris Cintéro :

La journée du 16 septembre (aux grandes Voisines) se clôt par le biais de l’atelier de Sébastien Leborgne (Lucien16), centré sur le Human beat-box. Sébastien est membre de l’Orchestre National Urbain et artiste rap, spoken word.
 
L’atelier se déroule dans une salle à l’intérieur du bâtiment. La salle est particulièrement petite et se trouve dans le passage d’un couloir, en face de plusieurs ascenseurs : il y a un peu de passage.
 
L’atelier mobilise assez peu de matériel : quelques feuilles de papier, une console, un looper, un micro ainsi qu’une enceinte permettant d’amplifier le tout.
 
Sébastien décrit le déroulement de son atelier. Il commence par expliquer le principe du Human beat-box. Pour ce faire, il dessine sur une feuille plusieurs instruments. On voit une grosse caisse, une caisse claire ainsi qu’une cymbale charleston. Il montre directement le son qui peut être associé à chacun des éléments dessinés sur la feuille en les pointant du doigt. Il met ensuite en pratique ce qu’il dit en enregistrant une boucle de beat-box.
 
Par la suite il demande aux participants de l’atelier (qui sont essentiellement des membres de l’Orchestre National Urbain et du CNSMDL) de réaliser une boucle eux-mêmes. Durant les ateliers un groupe de 3 enfants s’arrête pour écouter ce qu’il se passe. Sébastien les invite à essayer à leur tour de produire une boucle avec le looper. Les enfants rient semblent gênés mais s’exécutent néanmoins. Il en profite pour leur demander s’ils sont disponibles le lendemain pour participer à l’atelier. Cet atelier se déroule dans un temps particulièrement limité au regard des précédents, donnant à voir la plasticité du dispositif mis en œuvre par les membres de l’Orchestre National Urbain – ainsi que les difficultés, visiblement, régulières auxquelles se heurte le collectif.

 

Jean-Charles François :

Pendant la deuxième partie de la matinée du 19 septembre (au CNSMDL), j’ai assisté à un atelier de « Human beat-box » animé par Sébastien Leborgne (Lucien 16’s).
 
L’agencement technique du studio au CNSMDL consiste en un micro pour amplifier la voix du soliste, avec une machine qui permet l’échantillonnage des sons produits et la mise en boucle, pour créer des rythmes répétitifs, avec possibilité de superposer les échantillonnages de productions vocales. Plusieurs micros sont à disposition pour pouvoir enregistrer plusieurs voix en même temps.
 
L’introduction par Sébastien définit le contexte de production de rythmes par l’imitation vocale de sons de batterie (beat box) sur lesquels on va pouvoir parler un texte.
 
La première expérimentation concerne l’imitation à la voix de sons de grosse caisse, de charley, de caisse claire, et de les enregistrer pour les mettre en boucle. On crée une boucle sur laquelle les participants peuvent ajouter une autre production vocale pour former une nouvelle boucle.
 
La situation suivante décrite par Sébastien concerne a) l’élaboration d’une boucle rythmique avec 4 vocalistes ; b) puis le placement du texte sur cette structure rythmique. Sébastien dit que les étudiants doivent réaliser cette tâche en complète autonomie, il n’est là que pour répondre à des questions éventuelles. La réalisation de la boucle se fait assez facilement sans qu’il y ait beaucoup de temps pour essayer plusieurs exemples. L’ajout du texte sur la boucle inventée pose plus de problème, car les participants lisent leur texte sans inflexions rythmiques, indépendamment du contenu de la boucle. Sébastien suggère que la boucle qui accompagne le rythme du Human Beat box corresponde au caractère du texte et non l’inverse : « vu que ce texte est un rêve », la boucle doit refléter cette atmosphère.
 
Nouvel essai d’élaboration d’une boucle beat box à cinq voix superposées. Une étudiante dit son texte sur la boucle. Elle tente de faire corresponde son texte au caractère rythmique de la beat box. Sébastien fait remarquer que l’enjeux principal n’est pas de correspondre au rythme de la boucle, mais de « s’imposer sur le rythme ». Le spoken word consiste à ne pas se soumettre au rythme de base, mais d’être guidé par l’émotion juste et vraie. L’étudiante refait la lecture de son texte sur la boucle, mais s’arrête assez vite.
 
Quelqu’un demande s’il est possible de chanter le texte. Réponse de Sébastien : « tu peux faire ce que tu veux ». Une étudiante essaie alors de parler son texte et de le chanter en partie.
 
En observant cet atelier, il apparaît clairement que le problème principal des étudiants du CNSMDL dans ce projet se trouve dans cette activité très nouvelle pour eux et elles d’avoir à écrire un texte et surtout de le parler avec un accompagnement rythmique.
 

Atelier Human beat box au CNSMDL, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes »(13’25”-14’29”)
 

 

3.4 Restitution du travail des ateliers dans la cour du Conservatoire.

Jean-Charles François :

Dans l’après-midi du 19 septembre, une restitution du travail réalisé dans les ateliers a été proposée à l’ensemble de la communauté du CNSMDL, dans la cour intérieure juxtaposant la salle de concert. Un dispositif de diffusion des sons amplifiés avait été installé et l’espace était organisé de manière similaire à ce qu’on avait eu dans la salle de musique d’ensemble, une combinaison regroupée d’instruments autour d’une voix, un espace pour les mouvements de danse et les productions de peinture exposées à même le sol. Le public (peu nombreux en dehors des participants eux-mêmes) était assis sur les marches devant le bâtiment de la salle de concert.
 
Les trois groupes proposent des performances dans lesquelles il y a des musiciens, des danseurs et des « déclameurs » de texte avec souvent un changement de rôle au milieu. Dans l’attitude des performers, il y a un effet de compensation du fait que la production encore trop expérimentale ne correspond pas aux critères d’excellence artistiques en usage au CNSMD. Il s’agit semble-t-il de montrer a) le plaisir de faire une activité non conventionnelle, b) d’accentuer le côté énergique de l’expérience, c) de montrer qu’on est dans une situation de divertissement dans laquelle on peut se contenter de n’être engagé qu’à moitié et d) parfois de faire ressortir le caractère ironique par rapport à cette situation d’inconfort. Il n’y a pourtant aucune agressivité dans ces attitudes vis-à-vis de ce qui a été proposé, mais plutôt un problème de positionnement vis-à-vis de la communauté dans laquelle la restitution est proposée.
 
Dans le groupe 2, un chef très « compositeur » développe une forme qui met en scène des éléments dans une sorte de narration qui permet au texte d’émerger. Grâce à ce savoir-faire « maison », on se rapproche plus de ce qui pourrait éventuellement être accepté par l’institution comme artistiquement valable.
 

Restitution dans la cour du CNSMDL, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (20’35”-22’46”)
 
 
Lors de cette restitution, à un moment donné, une professeure du CNSMD est venue dans la cour pour manifester avec véhémence son désaccord avec ce qui était proposé et notamment le niveau sonore de l’amplification qui l’empêchait de faire cours.
 
En dehors de l’équipe de la FEM, partenaire du projet, aucune représentation de la direction du CNSMD n’était présente lors de cette restitution. Le directeur est pourtant très favorable au développement de ce type de projet.

 

3.5 Journée de bilan du projet le 10 octobre au CNSMD de Lyon

Jean-Charles François :

Une journée de bilan du projet a été organisée au CNSMD de Lyon avec les personnes qui ont participé en tant qu’encadrants du projet et les étudiants de la FEM.

 

A) Réunion de bilan des encadrants de l’Orchestre National Urbain/Cra.p
et du CNSMD de Lyon

La matinée a commencé avec une réunion de l’équipe d’encadrants, pendant que les étudiants et étudiantes se sont réunies séparément dans des petits groupes 4 ou 5 pour préparer ce qu’ils allaient dire lors de la séance générale de retour d’expérience. Étaient présents à la réunion de l’équipe : pour le Cra.p, Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne ; pour le CNSMD Karine Hahn, Joris Cintéro, Guillaume Le Dréau ; et moi-même, Jean-Charles François en tant qu’observateur extérieur pour PaaLabRes.

Voici en vrac les questions posées lors de la réunion :

  1. Quels sont les aspects formatifs du projet pour les étudiants et à travers quelles problématiques ?
  2. Quels sont les enjeux du projet ?
  3. Penser l’après projet : d’autres partenariats avec l’Orchestre National Urbain ou d’autres cadres ?

Les étudiantes et étudiants ont eu à se confronter de manière pratique à des enjeux musicaux pensés dans une continuité avec des contextes sociaux et politiques. Ils et elles ont dû manipuler, fabriquer des sons dans des situations de transversalité et de transdisciplinarité, c’est-à-dire en se confrontant à des matériaux musicaux inconnus, à envisager des pratiques impliquant plusieurs domaines artistiques simultanément, et à rencontrer des cultures différentes de leur environnement social et artistique. Leurs représentations esthétiques ont été remises en question par ces diverses approches. Les aspects pédagogiques du projet étaient centrés sur l’expérimentation de pratiques musicales ouvertes à tous et toutes quelles que soient les capacités, sur l’invention de dispositifs en vue de la rencontre avec l’altérité. Les deux questions essentielles ont été : comment faire faire de la musique ensemble avec tout public ? Et qu’est-ce que c’est exactement de monter un projet dans des lieux et des circonstances déterminés ?
 
Deux réflexions critiques apparaissent dans le cours de cette réunion :

  1. Le problème de la valse des étiquettes prévalentes dans chaque milieu culturel qui classifient une fois pour toute les pratiques, soit pour les porter aux nues, soit plus souvent pour les considérer comme non digne d’intérêt, soit encore pour les rationnaliser pour mieux les contrôler dans l’ordre dominant des choses. Comment dans les rencontres transversales, trans-esthétiques, envisager des situations où une certaine indétermination des matériaux va pourvoir faire émerger des terrains esthétiques nouveaux et communs aux diversités en présence ?
  2. Le problème du tourisme intellectuel et artistique est prévalent aujourd’hui dans beaucoup de programmes d’enseignement supérieur au nom de l’accès à la diversité du monde. Les expériences de cette diversité se multiplient dans le cours d’une formation sans qu’il y ait assez de temps pour approfondir les contours d’une seule situation. L’enrichissement culturel va souvent de pair avec une incompréhension des enjeux majeurs des diverses pratiques. Comment dans des situations de temps limités sortir de cette difficulté ?

L’Orchestre National Urbain a comme cahier des charges le « tutorat », il est ouvert en permanence à des demandes de formation et de développement de projets ou de lieux.

 

B) Bilan avec les étudiantes et étudiants du CNSMD

Chaque groupe d’étudiants présente tour à tour les conclusions de leur réflexion. Le groupe d’étudiantes et étudiants ayant été présent aussi à l’Université Lyon II prendra la parole en dernier. Dans l’ensemble la tonalité des retours est en très grande majorité très positive, les objectifs artistiques, sociaux et politiques d’une telle action sont bien compris et les mises en pratiques ont été vécues de manière significative. Voici les différents éléments qui ont été exprimés :

  1. L’idée de désacraliser l’instrument de musique. L’instrument n’est plus considéré comme une entité spécialisée, mais plutôt comme un objet comme un autre susceptible de produire des sons. L’accès immédiat de tous à la production sonore permet une mise en situation de tous les enjeux présents dans la pratique musicale, que ce soit du côté des techniques de production que des questions artistiques. La nécessité de produire une musique à partir de matériaux qu’on ne maîtrise pas au premier abord permet de sortir des logiques d’expertise et met tous les participants à un niveau égal de compétences. Pour un des étudiants, on est proche des démarches de l’art brut et de Fluxus. Cela devrait permettre les rencontres effectives entre participants d’origine différente. Les instruments bricolés (ou le bricolage des instruments) permettent d’envisager une façon différente de considérer la matière sonore, le timbre, l’utilisation de sons généralement considérés comme étrangers au monde de la musique.
  2. Déclamer un texte avec les instruments. Cet aspect est sans doute l’élément le plus difficile à réaliser pour des spécialistes de musique instrumentale. Le « Human beat-box » est vécu comme l’activité qui suscite le plus l’invention de matières sonores par le biais de simples rythmes.
  3. L’improvisation à partir de consignes simples à réaliser. C’est ce qui rend possible d’être maître de sa propre production. C’est un moyen de s’approprier l’improvisation de manière décomplexée. Cela crée une dynamique de la production immédiate découplée des préoccupations de ne jouer que ce qui est complètement maîtrisé.
  4. Les logiques de l’amplification sont ce qui est le plus mal connu des étudiants du CNSMDL, cette première approche a été très appréciée.
  5. Le rôle de la direction d’orchestre : il faut oser assumer ce rôle pour contrôler la forme générale d’une improvisation, dans les perspectives de construire une composition instantanée. Pour une partie des étudiants/étudiantes, la présence du chef est un obstacle à l’improvisation qui implique une responsabilité individuelle et demande à être abordée de manière moins urgente pour permettre l’établissement de dialogues sans passer par l’autorité du chef ou de la cheffe.
  6. L’idée de faire des choses immédiatement avant toute réflexion est un élément important des pratiques qui ont été proposées. Il y a l’urgence de se mettre à faire des choses sans se poser de questions, de faire ce qu’on ne maîtrise pas encore avant d’envisager les moyens à employer pour y arriver.
  7. Un aspect important du projet est d’encourager la participation du public, comme ce qui s’est passé à la fin du concert de l’Orchestre National Urbain (à l’Université Lyon II) où tout le monde s’est mis à danser dans l’amphithéâtre de l’Université.

Parmi les problèmes soulevés par le projet, certains ont noté une organisation du temps qui a paru parfois trop lente et parfois trop courte. L’ennui ou la frustration est à l’origine d’une certaine fatigue. Il y a une inquiétude au sujet de la notion de « travail », induit par cette situation d’immédiateté du faire qui peut instiller l’idée d’une dévaluation très forte de la notion d’art. Une étudiante fait part de sa frustration devant les niveaux d’amplification trop forts et l’absence de sons consonants, qui résultent en une grande fatigue chez elle. Plusieurs personnes ont noté l’absence de relations entre l’atelier de peinture et la musique.

Le problème de la restitution dans la cour du Conservatoire a fait l’objet d’un vif débat. La situation allait complètement à l’encontre de la culture dominante de l’institution vis-à-vis d’une grande exigence d’excellence dans toute prestation. En plus la restitution utilisait des moyens de production musicale très peu en usage au sein de l’institution, dans un style indéfini par rapport aux contextes en vigueur. Les niveaux d’amplification rendaient impossible d’ignorer cet évènement dans les moindres contours du Conservatoire. Les étudiants étaient donc placés devant l’obligation de faire quelque chose qui allait entrer directement en conflit avec la communauté alentour et qui risquait de les disqualifier. Beaucoup des participants se demandent si cette idée de restitution était vraiment nécessaire à la conduite générale du projet. Les étudiants ont dû faire face aux nombreux commentaires ironiques de leurs collègues présents à la restitution. Une phrase a été retenue à ce sujet : « Les ploucs de la cour ! ». D’autre termes avaient été prononcés comme celui de « dégénérés » aux connotations historiques plus inquiétantes. Une médiation était peut-être nécessaire auprès du public avant la restitution en vue d’expliquer la situation et son contexte pédagogique.
 

Joris Cintéro, CNSMD de Lyon, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (22’50”-23’44”)
 

Dans les réponses apportées par les membres de l’encadrement du projet la nécessité de rendre public une activité peu commune dans les pratiques du Conservatoire reste d’une importance capitale, ce n’est pas une question générale qu’il conviendrait de balayer sous les tapis de l’anonymat, mais quelque chose qui a besoin d’être mise « sur la table » des réflexions actuelles sur l’art et de sa transmission à tous les publics.

Pour Giacomo la restitution au CNSMD n’était pas prévue au départ, mais l’impossibilité d’avoir tous les étudiants présents à Lyon II pour la restitution générale du projet a changé la donne. Il comprend la frustration des personnes présentes au niveau « art », mais il convient de déplacer le problème du côté de la légitimité des activités proposées. Pour lui, la question est de savoir comment les institutions d’enseignement de la musique vont mettre en place des dispositifs en vue d’ouvrir leurs activités à des personnes n’ayant aucun accès aux pratiques. Il fait remarquer que le problème le plus évident dans son travail au sein des diverses institutions dans lesquelles il développe ses projets, c’est l’attitude souvent négative des personnels de l’encadrement, professeurs, animateurs, travailleurs sociaux, etc. Ceux-ci défendent leur pré carré et ont souvent une attitude qui consiste à penser que les personnes placées sous leur autorité doivent se plier à leur propre mode de pensée. S’ils ne sont pas impliqués directement dans le projet, le déroulement du projet est fortement menacé. La connaissance effective d’un projet par l’institution d’accueil dans sa totalité est un élément essentiel pour commencer à faire vivre une idée.

Lorsque les animateurs culturels sont bien disposés envers les projets de l’Orchestre National Urbain, les choses se passent de manières très positives. Voici un exemple d’un commentaire de Khadra Hamyani, aide éducatrice au « Forum Réfugié », lors de la participation de jeunes réfugiés à un projet développé par le Cra.p à l’Université Lyon III en 2024 intitulé « Du Corps aux mouvements, du geste aux sons »:


Khadra Hamyani, extrait de la vidéo « Du corps aux mots, du geste aux sons » (2’37”-5’34”).

Karine Hahn rappelle qu’il y eu d’une part une visite de Giacomo l’année d’avant la réalisation du projet a été l’occasion de présenter en détail les contours et enjeux du projet, d’autre part une page de présentation du projet et de ses objectifs a été distribuée peu de temps avant sa réalisation. Dans un contexte où souvent les personnes impliquées ne comprennent pas de la même manière les termes d’un projet, ou même il peut arriver qu’elles comprennent exactement le contraire de ce qui est proposé, toute médiation semble peu utile pour éviter l’expression conflictuelle. Ce qui compte par contre, c’est l’affirmation par l’action d’une légitimité.
 
Joris Cintéro souligne la difficulté qu’ont les institutions à questionner par des enquêtes leurs propres manières de fonctionner, notamment en matière de recrutement des personnes présentes. La dernière enquête sur la composition sociale des étudiants du CNSMD de Lyon date de 1983[1], elle a montré qu’il y avait la présence de 1% d’enfants d’agriculteurs et 2,8% d’ouvriers, etc.

La question de la restitution s’inscrit dans les divers contextes de difficultés par rapport à l’administration générale des institutions et aux personnes qui y travaillent.
Une étudiante présente à l’Université Lyon II note qu’au début du premier jour, personne n’était présent disposé à travailler avec l’Orchestre National Urbain, il n’y avait pas eu de publicité de la part de l’institution d’accueil, pas de soutien. Il a fallu faire des efforts immenses pour rameuter 5 personnes disposées à s’impliquer.
Pour Giacomo, la résistance de l’Université dans ce projet est évidente, il n’y a pas de professeurs impliqués, rien n’avait été fait pour faciliter les choses. On a l’impression que parce que ça ne coûte pas d’argent, il faut que ça se casse la gueule. Le soir du premier jour se pose la question de savoir s’il convient de continuer le lendemain. La réponse est définitivement qu’il faut absolument continuer, il faut persister et jouer avec la situation.
Pour Joris, 5 ou 6 participants sur 29500 étudiants on est loin du compte dans le domaine de la culture.
 
Sébastien Leborgne décrit en détail le fonctionnement des Grandes Voisines, avec la présence de 415 réfugiés hébergés, beaucoup de femmes et d’enfants.
Karine décrit le démarrage aux Grandes Voisines : tout est prêt à 10 heures du matin, le setup technique est en place, l’équipe prête à travailler, mais personne n’est là pour participer. Mais cette préparation garantit d’être pris au sérieux, l’équipe est là, devant personne, avec le même sérieux que s’il y avait des gens présents. Petit à petit les gens passent par là, ça se met en branle, ça existe, ça marche de toute façon.
 
Dans le courant de l’après-midi, une vidéo de 11 minutes montre de manière fragmentée ce qui s’est passé aux Grandes voisines. Un des segments qui frappe particulièrement est un quatuor de trombones composé de trois enfants et une mère jouant et en même temps évoluant dans des mouvements corporels d’une grande cohérence collective.
 
Dans les diverses réponses aux préoccupations des étudiants par les personnes de l’encadrement du projet, on notera les choses suivantes :

  1. Concernant la question de la nécessité d’un faire immédiat rapidement mis en place, au prix d’un contrôle de qualité, Giacomo souligne que la plupart du temps, les projets qu’il mène dans les différents contextes se déroulent dans des temporalités très limitées, le passage du groupe est souvent éphémère. Ici le faire doit absolument précéder la théorie.
  2. La question du long terme est abordée en mettant l’accent sur l’existence du Cra.p comme centre de pratiques, comme lieu de formation permanente, avec aussi l’objectif de permettre à des personnes issues des quartiers défavorisés d’accéder à des programmes diplômants d’enseignement supérieur.
  3. Le choix des instruments utilisés fonctionne sur deux plans : d’une part, il faut permettre une première approche pratique de jeu sur des instruments réputés pour demander des années de travail ; jouer de manière immédiate du trombone et du violoncelle peut susciter l’envie d’apprendre à jouer ces instruments sérieusement. Et d’autre part donner aussi accès à des matériaux qu’on peut manipuler facilement au premier abord. Giacomo donne l’exemple de la guitare électrique à six cordes qui nécessite de montrer comment on en joue, alors que le « spicaphone », instrument qu’il a construit avec une seule corde donne un accès plus immédiat à une pratique effective.

Au sujet de l’accès de tout public aux pratiques musicales, Giacomo rapporte l’histoire d’une mère, lors d’une performance donnée par son fils, qui pleure en disant « je ne savais pas que mon fils pouvait avoir le droit de faire de la musique ». Dans des pans entiers de population, les gens pensent que l’accès à des pratiques artistiques leur est complètement interdit. La question des droits culturels est essentielle. Karine remarque le manque de lieux ouverts aux pratiques : où sont les espaces existant hors « formations structurées » ou écoles spécialisées dont l’accès est limité ? En dehors du Cra.p, il y a un manque crucial.
 

Photos du projet au CNSMDL, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (13’08-13’56”)
 

 
 

Partie IV : Le projet de Création Collective Nomade
à l’Université Lumière Lyon II

4.1 Matinée du 21 septembre à L’Université Lyon II

Jean-Charles François :

La session du matin du 21 septembre 2023, se déroule au sein de l’Université Lumière Lyon II (sur les quais du Rhône) dans l’espace où sont exposées des œuvres d’art dans le cadre de la Biennale Hors Norme et dans le grand amphithéâtre.
 
Étant donné les difficultés rencontrées aux Grandes voisines, au dernier moment 20 réfugiés adolescents (tous masculins) du Centre d’hébergement du 1er arrondissement de Lyon ont pu venir participer à cette matinée et à la restitution du lendemain en fin d’après-midi. Ils ne pouvaient être là que pendant une heure et demie (10h.-11h.30) étant donné les règles strictes du Centre concernant les repas. Trois étudiantes et un étudiant du CNSMD étaient présents de manière volontaire. Des étudiants de Lyon II et des visiteurs de l’exposition de la BHN pouvaient participer aux ateliers, mais cela a été un phénomène très marginal. Giacomo m’a fait part de ce qui s’était passé la veille (le 20 septembre), où un certain nombre d’étudiants de l’Université Lyon II avaient participé aux ateliers, au gré de leur passage dans la salle d’exposition. Ceci malgré le fait qu’aucune publicité n’avait été faite auprès des étudiants. Leur participation dépendant de leur passage dans l’espace des activités et de leur intérêt éventuel pour ce qui était proposé.
 
C’est un aspect qui arrive souvent aux actions menées par Giacomo et l’Orchestre National Urbain : s’ils sont souvent invités officiellement à développer leurs projets dans une institution, des obstacles ne manquent pas de se manifester de la part des personnels internes à l’institution. Les raisons de ce manque de coopération s’expliquent soit parce que ce qui est proposé vient empiéter sur des prérogatives installées, soit qu’on ne voit pas d’un bon œil la présence de personnes étrangères à l’institution (ou à son public habituel). Dans tous les cas, l’attitude de l’Orchestre National Urbain est de s’installer dans un espace donné et de susciter l’intérêt des personnes qui s’y trouvent ou qui passent par là.
 
Voici les commentaires d’une étudiante de la Formation à l’Enseignement du CNSMD de Lyon qui a participé à un projet similaire de l’Orchestre National Urbain en 2024 à l’Université Lyon III intitulé « Du corps aux mouvements, du geste aux sons »:


Marie Le Guern, étudiante en formation à l’enseignement, CNSMD de Lyon, extrait de la vidéo « Du corps aux mouvements, du geste aux sons » (8’47”-9’07”)
 
 

4.2 Les ateliers

Jean-Charles François :

Étant donné le temps limité par la présence des jeunes réfugiés, l’organisation des ateliers a été limitée à 15 minutes. Cela permettait à 5 groupes de participer à 5 ateliers l’un après l’autre, puis un regroupement général des participants dans l’amphithéâtre de 15 minutes. Cette organisation n’a pas été complètement réalisée dans le temps imparti, chaque groupe n’a participer en fait qu’à 4 ateliers (parmi les 6 proposés) avant la séance dans l’amphithéâtre.
 
6 ateliers proposés étaient (comme au CNSMD):

a. Danse.
b. Violoncelle.
c. Trombone.
d. Beat box.
e. MAO.
f. Laboratoire sonore.
g. Peinture.

 

Ateliers à l’Université Lyon II (MAO, Human beat box, violoncelle, trombone), extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (23’58”-26’10”)
 

Les ateliers se déroulaient dans le grand espace de l’exposition BHN et dans deux espaces adjacents. Le principe était exactement le même que celui décrit plus haut, avec pratique immédiate des matériaux et utilisation des codes couleur. Il s’agit des mêmes mises en situation déjà décrites auparavant, inutile donc de les décrire en détail.
 
Du fait du temps limité et du nombre déséquilibré entre le groupe du Centre d’hébergement et les autres participants, peu d’interactions entre les différents publics ne pouvaient avoir lieu lors de cette matinée. Certains groupes n’étaient composés que de membres du groupe de réfugiés. Dans le cas de l’atelier peinture, j’ai pu observer une situation de deux grandes feuilles de papiers juxtaposées sur lesquelles dessinaient deux groupes complètement séparés : le premier groupe n’était composé que de réfugiés masculins noirs Africains, le deuxième seulement d’étudiantes blanches Françaises.
 
La situation de disponibilité limitée du groupe du Centre d’hébergement demandait absolument que la matinée soit centrée principalement sur l’accueil approprié et l’organisation des activités des réfugiés, les autres participants ayant eu d’autres opportunités de participer dans des temps plus longs à tous les ateliers et situations de performance en grand groupe. De ce point de vue, le dispositif proposé a remporté un très grand succès auprès du public visé. Les réfugiés se sont engagés dans les diverses mises en pratique proposées dans les ateliers avec un grand intérêt et une énergie considérable. Une des forces de l’équipe de l’Orchestre National Urbain/Cra.p est la capacité à s’adapter de manière immédiate à toutes les situations possibles, à faire face aux aléas des réalités techniques, institutionnelles, humaines, à contourner tous les obstacles sans pour autant mettre les personnes dans la situation de ne pas respecter les règles clairement établies et sans compromettre la façon d’envisager leurs propres pratiques.
 

Atelier trombone à l’Université Lyon II, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (26’52”-27’54”)
 

 

4.3 L’atelier « Laboratoire sonore » dans l’amphithéâtre à l’Université Lyon II

Jean-Charles François :

Le regroupement de tout le monde dans l’atelier « Laboratoire sonore » animé par Giacomo Spica Capobianco dans le grand Amphithéâtre, dans une situation tout à fait similaire à celle décrite dans la journée du CNSMDL, a été l’occasion d’observer plusieurs nouveaux phénomènes. Si le système des codes couleur a très bien fonctionné pendant cette matinée comme élément commun à tous les ateliers, son utilisation dans le regroupement des diverses activités dans l’amphithéâtre a été moins évidente. On avait là affaire à des représentations culturelles différentes : on peut spéculer que contrairement aux étudiants du CNSMDL, les jeunes Africains avaient rarement fait l’expérience d’un travail avec un chef d’orchestre. La plupart d’entre eux jouaient sans prendre en compte les indications données par les codes couleur, le plaisir d’une activité très nouvelle les centrait sur leur propre production. Par contre, certains d’entre eux ont éprouvé un grand plaisir à se trouver dans le rôle du chef, dans l’idée de pouvoir en quelque sorte sculpter la pâte sonore. Dans le cas d’un très jeune réfugié qui a dirigé à deux occasions (sur les deux jours), on a pu observer un progrès certain dans sa manière de déterminer la forme de la prestation. Les pratiques visuelles de respect d’une organisation écrite ne sont pas forcément présentes dans les représentations qu’on peut avoir des pratiques musicales. Comment résoudre la rencontre de la diversité des conceptions de la communication orale (aurale) et de sa structuration éventuelle par des représentations visuelles ?
 

Laboratoire sonore à l’Université Lyon II, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (34’55”-35’15”)
 
 
A l’issue de cette matinée, Giacomo invite les réfugiés à revenir le lendemain pour la restitution à 17 heures (ils ne pourront rester au concert de l’Orchestre National Urbain car ils doivent impérativement être rentrés dans le Centre à 20 heures). Giacomo au vu des aspects très positifs de la matinée exprime en privé, l’idée qu’il faut absolument proposer au Centre d’hébergement de continuer à faire un travail régulier avec les jeunes résidents, même si le temps de résidence de toutes personnes dans ces centres reste très limité.
 

Guy Dallevet, Artiste plasticien, « La Sauce Singulière », Biennale Hors Normes, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (26’11”-26’50”)
 

 

4.4 La restitution à l’Université Lumière Lyon II

Jean-Charles François :

La restitution du travail des divers ateliers a eu lieu le 22 septembre à 17 heures, dans le grand amphithéâtre de l’Université « Lumière », Lyon II.
 
La grande majorité des jeunes du Centre d’hébergement sont revenus, mais ils doivent impérativement être de retour avant 20 heures. Les mêmes 3 étudiantes et 1 étudiant du CNSMD sont activement présents. Un nombre indéterminé d’autres participants, étudiants de Lyon II ou visiteurs, observateurs sont aussi là, pas forcément en tant que participants aux performances. L’équipe de l’Orchestre National Urbain est là : Giacomo Spica Capobianco, Lucien 16s, Sabrina Boukhenous, Selim Penaranda, Odenson Laurent et David Marduel. Karine Hahn, Joris Cintero, Noémi Lefebvre et Guillaume Le Dréau sont présents représentant l’équipe de la FEM du CNSMD. Certaines de ces personnes faisant partie de l’encadrement du projet participent aussi de temps en temps aux performances. Guy Dallevet est présent en tant qu’animateur des ateliers de peinture et représentant la Biennale Hors Norme en tant que président de l’association organisatrice La Sauce Singulière.
 
8 groupes différents présentes 8 performances selon la même organisation de stations instrumentales des ateliers regroupés, la présence de chefs et cheffes qui tournent constamment, et le principe des codes couleur.
 
En observant le déroulement de cette restitution, plusieurs questions viennent à l’esprit. On peut se demander si une telle mise en situation devant un public a sa raison d’être ? Et ceci à la suite aussi de la restitution des ateliers dans la cour du CNSMD et de la question de présenter des choses imparfaites en gestation, de se mettre en porte-à-faux par rapport aux exigences du spectacle vivant professionnel. Il y a pourtant des raisons importantes à publier, à rendre compte ce qu’on fait : non seulement l’objectif principal des ateliers est directement lié à une pratique qui n’a de sens que dans une présentation publique, mais l’acte de rendre public une activité donnée détermine qu’elle n’est pas laissée dans le secret des salles d’atelier, qu’elle est offerte au regard critique de tous, il s’agit de mettre cartes sur table. C’est ce qui différencie l’éthique de l’enseignement du service public des possibles dérives sectaires du privé.
 
La restitution n’est pas la simple répétition du travail d’atelier. D’autres enjeux se font jour à cette occasion :

  1. L’idée même de présenter quelque chose en public recentre l’attention des participants sur la nécessité d’un engagement et d’une présence particulière sur scène.
  2. La répétition du même mais dans un contexte différent avec des enjeux plus étoffés change les conditions de la prestation et l’enrichit considérablement.
  3. La situation favorise aussi de manière subtile les rencontres et échanges entre les divers groupes en présence, parce que l’attention des performers est partiellement libérée des contingences purement matérielles.

Restent deux questions liées au dispositif des codes couleur :

  1. Est-ce que la situation d’un ensemble (orchestre ?) dépendant des instructions d’un chef est favorable à l’engagement personnel, ou bien est-elle l’occasion au contraire de se cacher dans la masse ?
  2. Les codes couleur peuvent empêcher la recherche d’autres solutions temporelles et organisationnelles, notamment dans la recherche de continuités de textures et de micro-variations.

Ces questions sont générales et ne s’appliquent peut-être pas de manière immédiate à un projet aussi limité dans le temps et impliquant des groupes aussi radicalement différents.
 
Voici un commentaire d’un jeune réfugié, Bouhé Adama Traoré, qui a participé au projet de l’Orchestre National Urbain en 2024 à l’Université Lyon III:


Bouhé Adama Traoré, extrait de la vidéo « Du corps aux mouvements, du geste aux sons » (21’31”-22’12”)
 

Après la restitution et avant le concert de l’Orchestre National Urbain, un pot a été offert dans la salle d’exposition de la BHN, malheureusement sans la présence des jeunes réfugiés.

 
 

Partie V : Le cadre esthétique de l’idée de création collective

 

Karine Hahn, CNSMDL de Lyon, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (18’43”-20’07”)
 

Jean-Charles François :

L’idée de création collective est au centre du projet de l’Orchestre National Urbain : pour que la création collective puisse devenir une réalité dans les groupes hétérogènes en termes d’origines géographiques, sociales et culturelles, il faut absolument éviter qu’un groupe particulier dicte aux autres ses propres règles et conceptions esthétiques. Il convient plutôt de trouver des contextes dans lesquels les différentes personnes présentes ne puissent pas se baser exclusivement sur leurs pratiques usuelles. Par exemple, les musiciens ou musiciennes accomplies (comme dans le cas des étudiants du CNSMDL) ne doivent pas utiliser leurs propres instruments, afin de se mettre dans une situation d’égalité vis-à-vis de celles et ceux qui n’ont jamais fait de musique. Et pour donner un autre exemple, les personnes issues d’autres sphères géographiques extra-européennes ne doivent pas utiliser des chants ou des modes de jeu provenant de leur propre tradition.
 

Joris Cintéro, CNSMD de Lyon, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (28’50”-30’28”)
 

Joris Cintéro :

Plusieurs remarques peuvent être formulées à ce sujet. Tout d’abord, une première liée aux nombreuses « prises »[2] qu’offre le dispositif[3] aux participants et participantes particulièrement lorsqu’ils et elles n’ont pas l’habitude de jouer de la musique. Dans le cadre d’une intervention comme celle de l’Orchestre National Urbain et dans ces circonstances, on peut considérer que ce qui est prévu initialement, et notamment les ateliers, est constamment mis à l’épreuve[4] de ce qui arrive (des lieux peu adaptés, des personnes déjà présentes réticentes et bien entendu des personnes souhaitant participer quand ça leur chante). À ce titre, ce court moment montre à quel point ce dispositif parvient à surmonter l’« épreuve » de son public. En effet, la nature de l’instrumentarium (qui renvoie difficilement à un « connu » antérieur et aux effets symboliques qu’il peut véhiculer), l’absence de codes esthétiques préalables (qui suppose leur connaissance et/ou leur maîtrise), de manières de faire prescrites (tenir son instrument de telle ou telle manière) et la simplicité d’un code couleur accessible aux personnes voyantes permet à celles et ceux qui participent d’élargir, autant que possible, leur nombre, en cours de route et moyennant seulement la présentation du code couleur. Dans les circonstances d’un lieu où le passage des personnes semble être la norme (en dehors des enfants, peu de personnes semblent stationner à l’extérieur), la plasticité du dispositif constitue sa force principale.
 
Autre remarque, celle du « cadrage » du dispositif par les membres de l’Orchestre National Urbain. Je fais ici l’hypothèse qu’une des conditions de félicité de l’action des membres de cet ensemble repose sur un enjeu majeur de distinction vis-à-vis des autres acteurs en présence. Cet enjeu semble important dans la mesure où, s’il existe véritablement des tensions entre les résidents d’un lieu tel que les Grandes Voisines et les travailleuses et travailleurs sociaux y officiant (comme on l’apprendra à plusieurs reprises pendant la journée), l’Orchestre National Urbain a tout intérêt à marquer sa distance vis-à-vis des dernier.es, et ceci de plusieurs manières. Il m’a semblé, au moins dans les discours et dans les manières d’agir une volonté de se singulariser via le type de « culture » dont il est fait la promotion (qui s’oppose à la chanson française promue par le personnel des Grandes Voisines), dans les manières d’investir les lieux (sans grand succès), dans les manières de s’adresser à autrui (en manifestant une forme de convivialité, qui sans être surjouée, constitue une manière de faire de la totalité des membres de l’Orchestre National Urbain que j’ai pu observer).

Jean-Charles François :

Pourtant, dans l’espace d’exposition de la BHN à l’Université Lyon II, à un moment donné informel du matin s’est déroulé un évènement intéressant :

Était exposée dans cet espace une sculpture sonore fait d’instruments de percussion et d’objets métalliques divers actionnés par un système mécanique automatisé. La sculpture était capable de développer une musique très rythmée d’une durée de 45 minutes sans répétitions de séquences. Un groupe de 5 ou 6 réfugiés s’est placé devant cette sculpture et en même temps que la musique qu’elle déroulait ils se sont mis à chanter et danser des musiques qu’ils connaissaient de leur tradition, pendant une séquence d’une dizaine de minutes.

Cette situation suscite trois commentaires par rapport à l’idée d’éviter ses propres habitudes culturelles dans des perspectives de pouvoir travailler avec n’importe qui d’autres dans l’élaboration collective d’un acte artistique :

  1. Il s’agit d’une situation spontanée qu’il ne faut surtout pas empêcher.
  2. La situation implique la confrontation à égalité de deux pratiques esthétiques différentes (la musique produite par une machine, la musique traditionnelle des réfugiés Africains) pour produire un nouvel objet esthétique qui procède des deux et qui les combinent.
  3. Le principe de situations évitant les pratiques instituées dans différents groupes pour créer un contexte d’égalité devant l’inconfort de l’inconnu s’applique aux rencontres initiales entre groupes hétérogènes, mais n’exclut pas forcément d’autres situations pratiques qui peuvent se développer par la suite.

 

Jean-Charles François, percussionniste, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (31’10”-34’54”)
 
 

Conclusion

Jean-Charles François :

Dans une société de plus en plus fragmentée en microgroupes qui affirment leur identité de manière forte, souvent à travers la disqualification des autres, toute tentative de trouver des médiations entre des univers apparaissant comme incompatibles doit faire face à des difficultés assez considérables. Pourtant la clé de la paix sociale se trouve dans les actions qui mettent en présence dans un même lieu, dans une même temporalité, et dans la même tâche à réaliser, des groupes dont les différences sont radicalement opposées. Dans ce genre de situation, il ne s’agit pas de nier les identités, mais de les ouvrir à la possibilité d’accueillir des personnes extérieures en reconnaissant les termes de leur mode d’existence, de trouver les situations de travail qui réunissent les différences. Il ne s’agit pas non plus de créer des formes artistiques passe-partout, clé en main, qui contenteraient les exigences de tout public, dans un bonheur olympique universel. Il s’agit au contraire de confronter dans des rituels les conflits fondamentaux pour les rendre manifestes et les traiter dans des pratiques communes qui ne prétendent pas les résoudre, mais qui les mettent en jeu (en entrejeu) pacifiquement.
 
Les actions menées durant l’automne 2023 conjointement par le Cra.p et l’Orchestre National Urbain, le département de la FEM au sein du CNSMD de Lyon, et l’Université Lyon II dans le cadre de la Biennale Hors Norme, correspondent tout à fait à cet idéal de faire se rencontrer des mondes différents. Le dispositif imaginé pour y parvenir se base sur trois conditions qui se combinent : premièrement une manière de structurer les pratiques permettant un fonctionnement immédiat commun à toute personne présente : instruments, matériaux, domaines d’action, codes-couleurs ; deuxièmement, cette structuration permet l’ouverture sur une liberté individuelle : improvisation, textes ; et troisièmement les mises en pratique sont conçues en vue de mettre tout le monde sur un plan d’égalité : situations pensées hors des rôles spécialisés, avec l’impossibilité d’utiliser les savoir-faire techniques acquis.
 

Giacomo Spica Capobianco, artiste musicien, directeur artistique du Cra.p, extrait de la vidéo « Biennale Hors Normes » (36’48”-41’10”)
 
 
Ceux et celles qui se lancent effrontément dans l’aventure d’établir des points de rencontre entre des groupes humains qui soigneusement évitent de se côtoyer sont bien téméraires. Ils doivent inventer des moyens de mettre en œuvre des pratiques impliquant la prise en considération d’autrui en évitant toute violence, mais sans édulcorer la réalité des tensions qui sont en jeu. Ils doivent si souvent faire face à l’inertie des professionnels installés et parfois à des refus intolérables. Leur présence admirable dans le paysage culturel et artistique, trop rarement reconnue, est d’une très grande importance.

 

Restitution à l’Université Lyon II, extrait de la vidéo (41’11”-46’10”)
 


1.Antoine Hennion, Les Conservatoires et leurs élèves (avec F. Martinat & J.-P. Vignolle), Paris, Ministère de la Culture/La Documentation française, 1983.

2. Cette notion, empruntée aux sociologues Christian Bessy et Francis Chateauraynaud décrit « la rencontre entre un jeu de catégories et des propriétés matérielles, identifiables par les sens (supposés) communs ou par des instruments d’objectivation » (1992, p.105). Elle est initialement utilisée pour étudier le travail d’estimation des commissaires-priseurs dont la tâche peut être réduite au fait de rechercher des indices permettant d’articuler la perception des propriétés matérielles des objets et l’évaluation de leurs qualités par référence à un espace de circulation – en l’occurrence le marché de l’occasion. Ramenée à la situation dont il est ici question elle permet de comprendre en quoi certaines propriétés matérielles du dispositif (instrumentarium, code couleur, disposition de la salle, qualité des matériaux etc…) favorisent l’engagement des participant·e·s dans le sens où elles ne font pas obstacle à leurs dispositions physiques et perceptives – et qui permet d’expliquer, au moins dans un premier temps, les difficultés que rencontrent les « musicien·ne·s » vis-à-vis de ces mêmes propriétés matérielles.

3. Considérant le dispositif comme un « objet-composé » (Dodier et Stavrianakis, 2018), le terme ne décrit pas seulement ici l’agencement matériel du dispositif mais également le réseau d’individus, de normes et de rôles sociaux qui y sont attachés (les participant·e·s font ainsi partie intégrante du dispositif).

4. Si l’usage du terme « épreuve » peut tout à fait renvoyer à l’usage commun que l’on en fait, je l’utilise ici dans le sens qu’y investit la sociologie dite pragmatique (Lemieux, 2018), qui la définit comme « un moment au cours duquel les personnes font preuve de leurs compétences soit pour agir, soit pour désigner, qualifier, juger ou justifier quelque chose ou quelqu’un » (Nachi, 2015, p.57). Ici, je considère que ce qui est engagé par le dispositif (la crédibilité de l’Orchestre National Urbain, les enjeux artistiques et sociaux portés par les ateliers etc…) est mis à l’épreuve de sa réalisation, même si l’on peut tout autant considérer le dispositif comme une épreuve permettant de (re-) qualifier les individus qui y participent.

 

Références citées :

Bessy, C., & Chateauraynaud, F. (1992). Le savoir-prendre. Enquête sur l’estimation des objets. Techniques & Culture, 20, 105 134. https://doi.org/10.4000/tc.5029

Dodier, N., & Stavrianakis, A. (Éds.). (2018). Les objets composés : Agencements, dispositifs, assemblages. Éditions de l’EHESS.

Antoine Hennion, Les Conservatoires et leurs élèves (avec F. Martinat & J.-P. Vignolle), Paris, Ministère de la Culture/La Documentation française, 1983.

Nachi, M (2015). Introduction à la sociologie pragmatique. Dunod.

Emmanuelle Pépin – Lionel Garcin (English)

Access to the French versions: French

 
 
 

SOUND – listening – GESTURE
in Improvisation

Emmanuelle Pépin, dance and texts,
Lionel Garcin, music

Cefedem AuRA, Lyon, January 24, 2023

 
 

On January 24, 2023, Emmanuelle Pépin and Lionel Garcin presented a lecture/performance at Cefedem AuRA in Lyon, “SOUND – listening – GESTURE in Improvisation”. In 2019, during encounters organized by the Centre Européen Pour l’Improvisation (CEPI European Center For Improvisation) in Valcivières (a village in Haute-Loire), Emmanuelle and Lionel had first presented the idea of a lecture/performance on the relationships between dance and music in improvisation. CEPI was created by the bass player Barre Phillips (1934-2024) to promote periodic encounters between artists involved in improvisation practices. These encounters were at first focused on music, but over time they increasingly welcomed dancers (and sometimes also poets and actors as well).
 
The Cefedem Auvergne-Rhône Alpes is a training center for teaching in music schools and conservatories created by the French Ministry of Culture in 1990. The lecture/performance was part of one of the initiatives developed in this institution, “And you, how do you do it?”, which consists of a performance by visiting artists, followed by a debate with the students aimed at explaining the means deployed to achieve the result observed/heard.
 
The lecture/performance at Cefedem was the second time that Emmanulle Pépin and Lionel Garcin attempted this experimental project of giving an account of research in an artistic act mixing written and improvised texts, along with dance and music. From this event, four documents have been produced for publication in the present PaaLabRes 4th Edition:

  1. The video of the lecture/performance: Video
  2. The text spoken during the lecture/performance: « Spoken » text
  3. The entire text by Emmanuelle Pépin that served as basis to the text spoken during the lecture/performance: SOUND – listening – GESTURE
  4. The transcription of the discussions with the students after the lecture/performance: After the lecture/performance

 

Emmanuelle Pépin is a improvisator-perfomer, researcher and teacher in the movement arts and music.
A long career as a performer, choreographer and teacher has led her to instant composition and performance art.
Associate artist of the artistic and educational development space 7Pépinière with Pierre Vion. See 7Pépinière
She remains nomadic at heart, and the world is her playground. She places the human being at the heart of her artistic and educational approach. She believes deeply in the beauty that each person can carry, and how the language of the body can reveal the being.

Lionel Garcin “is an improvising musician: Sound is his raw material, his clay, his marble block… The saxophone is his instrument. A wind instrument, supposedly. But he knows how to exploit all its sonic facets. The saxophone most often takes him to the jazz side of music; the sounds he draws from his instruments and his very particular rhythms would place him more on the side of the acoustic research dear to contemporary music.”
(J­M Lecarpentier)
See Le Grand Chahut.

Emmanuelle Pépin – Lionel Garcin

Access to ENGLISH

 
 
 

LE SON – l’écoute – LE GESTE
dans l’Improvisation

Emmanuelle Pépin, danse et textes,
Lionel Garcin, musique

Cefedem AuRA, Lyon, le 24 janvier 2023

 
 

Le 24 janvier 2023, Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin ont présenté une conférence/performance au Cefedem AuRA à Lyon intitulée « LE SON – l’écoute – LE GESTE dans l’Improvisation ». En 2019, dans le cadre des rencontres du Centre Européen Pour l’Improvisation (CEPI) à Valcivières (village en Haute-Loire), Emmanuelle et Lionel avaient présenté pour la première fois l’idée d’une conférence/performance centrée sur les relations entre la danse et la musique dans l’improvisation. Le CEPI a été créé par le contrebassiste Barre Phillips (1934-2024) pour promouvoir des rencontres périodiques entre des personnes impliquées dans des pratiques d’improvisation ? Ces rencontres étaient surtout musicales au début, mais au fil du temps, elles ont accueilli aussi de plus en plus des artistes de la danse, de la poésie et du théâtre.
 
Le Cefedem Auvergne-Rhône Alpes est un centre de formation à l’enseignement dans les écoles de musique et conservatoires créé par le ministère de la Culture en 1990. La conférence/performance s’est déroulée dans un des dispositifs développés dans cette institution, « Et vous comment vous faites ? » qui consiste en une performance généralement donnée par des personnes extérieures invitées, suivie d’un débat avec les étudiantes et étudiants en vue d’expliciter les moyens mis en œuvre pour parvenir au résultat qu’on a pu observer/écouter.
 
La conférence/performance au Cefedem était la seconde fois qu’Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin tentaient cet exercice expérimental de rendre compte de la recherche dans un acte artistique mêlant texte écrit et improvisé, danse et musique. Cet évènement à donné lieu à quatre documents que nous publions dans la quatrième édition de PaaLabRes :

  1. La vidéo de la conférence/performance: Vidéo
  2. Le texte qui a été prononcé lors de la conférence/performance : Texte « dit »
  3. Le texte complet d’Emmanuelle Pépin qui a servi de base à celui prononcé durant la conférence/performance : LE SON – l’écoute – LE GESTE
  4. La transcription des dialogues avec les étudiants après la conférence/performance : Dialogues

 

Emmanuelle Pépin est une improvisatrice-performeuse, chercheuse et pédagogue dans les arts du mouvements et de la musique.
Un long chemin en tant qu’interprète et un parcours de chorégraphe et de pédagogue, l’a guidé jusqu’à la composition instantanée et l’art de la performance.
Artiste associée de l’espace de développement artistique et pédagogique 7Pépinière avec Pierre Vion. Voir 7Pépinière
Elle reste nomade dans l’âme et le monde est son territoire de jeu. Elle place l’humain au centre de sa démarche artistique et pédagogique. Elle croit profondément en la beauté que peut porter chaque personne, et comment le langage du corps peut dévoiler l’être.

Lionel Garcin est un musicien improvisateur : « La matière sonore, c’est un peu sa matière première, sa glaise, son bloc de marbre… Son instrument, c’est le saxophone. Un instrument à vent, soi­ disant. Mais dont il sait exploiter toutes les facettes sonores. Certaines, parfois même assez inattendues… Le saxophone l’emmène le plus souvent sur le versant jazz de la musique; les sons qu’il tire de ses instruments et ses rythmiques si particulières le situeraient plutôt du côté des recherches acoustiques chères à la musique contemporaine. »
(J­M Lecarpentier). Voir Le Grand Chahut.

Texte « dit » de la conférence/performance d’Emanuelle Pépin

Acess to the Enlish translation « Spoken » text
Retour à la page d’accueil : Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin

 
 

Texte « dit » de la conférence/performance
par Emmanuelle Pépin

 

LE SON – l’écoute – LE GESTE
Dans l’Improvisation
 
Emmanuelle Pépin, danse et textes, Lionel Garcin, musique
 
Cefedem AuRA, Lyon, le 24 janvier 2023
 

Transcription à partir de la vidéo de la conférence/performance :
Jean-Charles François.

 
 

Vidéo à 8’59”

Le son
Le geste
Danse et musique sont reliés indéniablement.
Plus précisément mouvement et son, ou plutôt musicien et danseur.
Chacun d’eux tire leur origine du corps, d’un corps conscient, d’un corps vivant.
Sons et mouvements jaillissent à partir d’un acte de présence, d’un acte d’écoute.
Tout est là, au creux de soi. À portée.
 
La danse crée du son, naît du son même – un lointain au-dedans de soi, souffle, un battement, un élan vital.
Le son vient d’un instrument qu’une personne joue, il provient du corps, d’un mouvement, le son est mouvement. Mouvement « résonnement » visible.
 
Dans une pièce improvisée, danse et musique jouent ensemble dans le même espace, l’espace invite, l’espace écoute.
 
Il est évident que des composantes comme le rythme, la durée, la texture, les hauteurs, volumes, notes, silence, mélodies, point d’attaque, contre-temps, impact, résonance, arrêt, saccade, pré-mouvement, énergie, pulsation, tempo, sources sonores, propagation, direction du don dans l’espace, partitions, scores, entrées-sorties, superpositions, entrelacements sont des éléments avec le danseur joue. Le musicien aussi.
Le musicien peut aussi accompagner le danseur, le danseur peut accompagner le musicien, musiciens et danseurs peuvent s’accompagner ensemble, ou pas.
 
Attention portée, avec ce regard d’enfant, sur les phénomènes.
 
Contemplation.
 
Qu’est-ce que le son change ?
Qu’est-ce que le geste change ?
Comment l’espace change ?
 
État des lieux.
Le lieu. L’architecture.
Dans le lieu.
 
Imaginaire.
Le temps des mouvements avec lesquels on joue…

 

Vidéo à 15’03”

La danse, c’est l’art du mouvement en silence
La musique, c’est l’art du silence en vibrations audibles
La danse est l’art sonore inaudible
La musique est l’art du mouvement sonore, de la modulation visible et audible en même temps
La danse est l’art du geste de l’écoute
La musique est l’art de l’écriture de l’écoute
La danse est la musique de l’élan intérieur
La musique est la voix de l’élan intérieur
La danse est la calligraphie de l’espace, dessinant et sculptant des paysages invisibles.
La musique est cette respiration large calligraphiant l’air, dansant avec lui, dessinant des paysages sonores et invisibles
La musique s’écrit dans l’espace elle le sculpte
 
La danse, en composition instantanée, c’est comme se laisser vivre par l’espace du vide
 
Danse et musique se situent là
           ensemble, ou plutôt en même temps
sans pour autant « jouer harmonieusement ensemble ».
 
Danse et musique, sons et mouvements, jouent ici de l’évidence
non rationnelle, intuitive, sensible,
imaginaire, poétique,
absurde
 

Vidéo à 19’06”

Le son touche l’espace
La peau est touchée par l’espace
Double mouvement
Toucher
Être touché en même temps
 
La vibration du son voyage dans l’air
La peau, membrane flexible, poreuse qui sépare le monde intérieur, qui le relie au monde extérieur
La peau écoute
reçoit
la température, la lumière, l’humeur
 
Le mouvement déplace l’air,
le frictionne, le traverse, s’appuie sur l’air
 
Le geste transforme l’espace
Le son transforme l’espace
Le son touche l’espace
La peau touche le son
Le son touche la voix
 
C’est physiologique
élasticité, intensité
 
Milliards de petits trous constituent ma peau
 
Dès lors que mon corps est touché
tout le reste est touché
Écouter par la peau est subtile, global, inhérent
Le danseur sait cela
le corps du danseur, le corps aussi du musicien
 

Vidéo à 23’12”

Couches superposées en termes d’espace,
L’écoute est changeante, les pensées bougent
la perception du son est bougée
 
C‘est évident
on n’écoute pas de la même manière
 
 
 
Ma peau écoute, mon oreille écoute
Entonnoir, en forme de spirale qui laisse passer les vibrations
Petits récipients …
En équilibre
ou en déséquilibre…
 
Souffles, battements, pulsations
Le corps à nu, le corps est son, vivant
 
Impact
 
Ligne de son
 
 

Vidéo à 26’10”

Le silence entre les sons
La durée des sons
La durée d’un geste
 
Cette temporalité
 
Sentir, saisir, construire,
déconstruire
imaginer, réinventer
 
Une poétique de l’instant
 
Être là
 
Sous nos yeux
 
Écoutons cet espace, écoutons cet espace sans bouger
assis, debout, dans l’immobilité
Écoutons le phénomène
 
Écoutons notre respiration
Nos battements
Écoutons nos rythmes au milieu des sons de l’espace tout autour
Écoutons l’espace en train d’écouter
Écoutons le tout comme une large partition de sons qui cohabitent ensemble
qui participent ensemble
Notre présence au cœur
 
L’improvisation est l’expérience de la découverte.
Nous découvrons la découverte en même temps que nous nous découvrons. L’improvisation est l’expérience du dévoilement.
 
Une embarquée
Un voyage, une écriture
 
Des migrations de mémoires-vivantielles qui nous deviennent, nous animent, nous ramènent l’ailleurs dans les tissus de nos corps, nous déshabillent et nous rhabillent.
Car n’est-il pas une mise à nue si nue que de se dépouiller de ce qui nous fait, pour nous laisser « porositer » d’un mystère innommable, nous laisser bouger par ce qui échappe, nous saisit ? Nous laisser devenir un autre-soi sans se perdre non plus,
Sans perdre pied, mais toujours en laissant frôler-frolattrer en nous cette folie, cette fantaisie irrationnelle permise ici dans le maintenant de l’écoute large, dans ce jeu d’enfant grand.
 
L’écoute est un acte
 
L’écoute est au milieu
Tout réside dans l’attention portée
 
Le moindre mouvement
Le moindre son proche ou lointain
Au-delà de l’espace-même
 
 

Vidéo à 37’09”

La gravité, squelette, matières spongieuses
Travail sur l’état des vibrations
Le squelette résonne
Les vibrations du son traversent la peau, traversent l’épiderme, glissent sur les fascias, glissent sur les muscles, suivent les stries, les ligaments et les tendons.
Les vibrations descendent ou plutôt voyagent, traversent, se faufilent dans les liquides, la lymphe.
 
Les filaments, les réseaux de communication
Les sons traversent les couches, percutent, sont bousculés, massés.
C’est physiologique
Les articulations laissent passer les informations
Circulation du son, de l’énergie, du mouvement dans les moindres recoins.
 
 

Vidéo à 39’36”

Le corps est touché par le son
 
L’énergie du corps échauffe le corps
La température enfle
La peau transmet à l’air l’énergie du mouvement, le mouvement invisible au-delà du corps
 
Particules
De la matière se dégage de l’air, c’est physique, physiologique
L’air est brassé par le mouvement, par les sons
Sons et mouvements sont reliés indéniablement
 
 

Vidéo à 42’48”

Lignes de son
Danse comme une manifestation dynamique du vide
L’essence du son, l’essence du geste
Le vide immense, chaos phénoménal qui a donné la vie
Colonne vertébrale, oreille, ramifications, articulations
Liberté
L’espace à l’écoute, un lieu d’écoute
Les sons sont entraînés dans un flux, ils jouent dans l’attente joyeuse du mouvement suivant, ils jouent dans les articulations juste le temps de trouver une nouvelle voie
Les liquides, un océan en soi
Des méandres incandescentes, phosphorescentes, lumineuses
L’écoute par les liquides est une écoute mouvante
 
(…)
 
… déséquilibre…
              …écoute…         …maintenant…
           …battements…
                   …pulsations…
 
Le corps…
 
(…)
 
L’espace du rien
   Le sourd retentissement

 
 
 

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Dialogues après la conférence-performance

Access to English translation: After the Lecture/Performance
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Après la conférence-performance
d’Emmanuelle Pépin et de Lionel Garcin

LE SON – l’écoute – LE GESTE
Dans l’Improvisation
 
Cefedem AuRA, le 24 janvier 2023
 
Dialogues avec les étudiants
et
Pour le Cefedem : Philippe Genet, Gwénaël Dubois, Nicolas Sidoroff
Pour PaaLabRes : Jean-Charles François

 

Transcription à partir de l’enregistrement audio :
Samuel Chagnard

 
 

Summary :

1. L’improvisation dans l’instant et par rapport à autrui
2. L’expérience comme préparation à l’improvisation
3. L’improvisation comme écriture
4. Le corps support de l’improvisation
5. Le texte et l’improvisation
6. La technique par/pour l’improvisation
7. Improviser pour apprendre

 

1. L’improvisation dans l’instant et par rapport à autrui

Emanuelle Pépin :

Comme le dit Barre Phillips après un temps d’improvisation : « ben ça y est, c’est fait ! » Ça n’existe qu’une seule fois : c’est le fruit de ce qui s’est passé maintenant, avec vous. Rien n’était prévu, sauf un texte, quelque part, issu du corps… et de notre rencontre ! Merci beaucoup, parce que dans un travail d’improvisation, le public, et son écoute, participent complètement à ce qui se trame, là. Vous êtes vraiment des partenaires. Et même si, parfois, cela peut échapper aux spectateurs, vous êtes des « participateurs », des « particip’acteurs » de ce qui est en train de se passer. Merci beaucoup de m’avoir offert cet espace. Merci à toi, Jean-Charles, et aussi à toute l’équipe du Cefedem.

Nicolas Sidoroff (Cefedem et PaaLabRes) :

Merci. La tradition veut qu’on enchaine avec des questions, à poser à Lionel et Emmanuelle.

Étudiant·e :

La vitesse de réaction de l’une et l’autre aux propositions étant assez impressionnante, est-ce que vous avez des automatismes, comme un jazzman peut avoir des phrases dans son vocabulaire, dans son improvisation ? Par exemple, quand tu fais un appel, est-ce que tu sais que tel son va finir à tel moment ? Est-ce que tu le conscientises ou pas du tout ?

Lionel Garcin :

Il y a du vocabulaire, c’est sûr, et des textures, etc., mais au niveau de la forme, il n’y a pas d’appel : on ne sait pas combien de temps cela va durer, c’est vraiment dans l’instant que ça se joue. Et c’est parce qu’on est dans l’écoute au niveau global et énergétique qu’on est au même endroit. En fait, ce n’est pas qu’on réagit. Peut-être qu’on réagit vite, mais ce n’est pas vraiment ça : c’est plutôt parce qu’on est au même endroit que cela se passe, parce qu’on se comprend.

Emanuelle Pépin :

Sans se comprendre ! On ne comprend rien du tout !

Lionel Garcin:

Sans se comprendre, oui ! On peut être complètement surpris, mais on respire ensemble, il y a une évidence qui nait de l’écoute.

 

2. L’expérience comme préparation à l’improvisation

Jean-Charles François (PaaLabRes) :

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucune préparation entre vous ?

Lionel Garcin:

Si, il y a une préparation : on a mangé ensemble, on a discuté, etc. ! [rires] En fait, il n’y a pas de préparation autre que d’être en connexion.

Emanuelle Pépin :

Après, c’est plus un état de disponibilité pour accueillir ce qui est en train de se manifester dans l’air, dans l’atmosphère. Ça va très vite en fait. C’est justement parce qu’il n’y a pas de préméditation, pas d’attente particulière, qu’il y a une fulgurance. C’est presque à la vitesse de la lumière, ce n’est pas de la réaction. C’est tellement plus vaste : par exemple là, c’est un duo son et mouvement, mais il y a tout l’espace qui va complètement modifier cette relation, qui va faire que le son résonne différemment ici et que le corps va bouger différemment ici. Ce n’est pas une réaction : à un moment donné, c’est être en effet au même endroit d’écoute comme tu le disais. À l’origine c’est cela, un état d’écoute. Après, oui c’est du travail, c’est énormément de travail !

Étudiant·e :

Mais ce n’est pas du temps de répétition ?

Emanuelle Pépin :

Pas du tout de préparation, pas de répétition. On ne répète pas, mais on consacre du temps. On consacre plutôt notre vie à tenter mettre à jour nos techniques, nos outils et les transformations dans le corps selon nos humeurs et notre état. On travaille vraiment sur l’instant : la « composition instantanée », c’est là, et après le « là », c’est trop tard ! Ce laps de temps, si fugace en fait, contient toutes nos expériences. Pour cela, oui, il y a des outils : j’ai travaillé des heures dans des studios de danse, le placement par exemple. J’ai travaillé jusqu’à 8 heures par jour. Maintenant, ce sont encore des heures de travail, mais différentes, comme apprécier la texture et se demander ce que je peux faire avec, déconstruire presque la technique, ce qui m’a formatée, pour tenter de trouver et re-trouver, c’est-à-dire trouver à chaque fois, nouvellement, dans cette fraîcheur-là, comment tout cela arrive, sans surtout vouloir reproduire une forme. Pour répondre à ta question plus précisément, c’est « non ». J’ai une manière de faire, Lionel a une manière de faire, je reconnais sa sonorité, sa patte, son geste artistique, ce que tout cela contient. C’est une signature, on est tous uniques. Il s’agit de la rencontre d’une singularité avec d’autres singularités qui crée quelque chose d’autre, justement, que ce que l’on sait faire. C’est un mélange de connu et d’inconnu, de familier et de complètement étranger. Si tu commences à te dire « je vais faire une arabesque », c’est fichu parce que cela veut dire que tu es dans la pensée : tu prémédites et cela ne fonctionne plus.

Lionel Garcin :

Oui, ce n’est pas du travail de formes préétablies, c’est du travail d’être, au lieu de l’écoute : c’est du lieu de l’écoute que naissent les formes. La pensée est là, pas en tant que productrice, mais en tant que lectrice. On lit les formes qui sont en train d’advenir. Tout le travail qu’il peut y avoir dans la composition de forme est là, mais pas préalablement, il arrive après l’écoute.

Étudiant·e :

De quand date la formation de ce duo ?

Emanuelle Pépin :

C’était lors des Rencontres du CEPI (Centre Européen Pour l’Improvisation) en septembre 2020 à Valcivières dont Jean-Charles a parlé tout à l’heure. À cette occasion, la personne qui accueillait la rencontre m’avait demandé, sachant que j’écrivais, si je n’avais pas quelque chose à proposer. Lionel était là et j’ai proposé une performance avec lui, comme ça, parce qu’on se connaît bien. On peut appeler ça une conférence-performance. Je ne sais pas du tout ce que cela a donné, mais c’est né là-bas, et voilà ! Depuis on n’a jamais retravaillé dessus. Pour aujourd’hui, on s’est seulement vus, on en a parlé et c’est toujours là, c’est dans le corps et dans la communication : hier on a consacré un temps, il faisait d’ailleurs super froid et ce n’était pas dans le corps, mais c’était déjà un acte en soi. C’est aussi ce qui est arrivé aujourd’hui : je ne sais pas du tout ce que ça a donné. Je ne voulais surtout pas savoir ce que cela allait donner. Nous ne voulions pas savoir, parce que, sinon, c’est cuit !

Lionel Garcin :

Mais cela fait 20 ans qu’on se connaît, 15 ou 18 ans qu’on pratique ensemble, pas forcément en duo. Parfois on est 12, ou 20, enfin je ne sais pas. En duo, on a peut-être dû jouer 3 fois, en comptant aujourd’hui.

Emanuelle Pépin :

Tous les deux, 3 ou 4 fois, oui.

 

3. L’improvisation comme écriture

Étudiant·e :

Tout à l’heure, quand cela s’est terminé, vous n’avez eu aucun doute sur le fait que c’était la fin ?

Emanuelle Pépin :

Non! [rires] [à Lionel] Tu as eu des doutes ?

Lionel Garcin :

Non ! Mais la fin, c’est important. Le début, la fin, tout cela, c’est fractal : il y a la grande forme à chaque fois, à chaque souffle, à chaque phrase, chaque période, il y a la naissance et la mort, et l’acceptation de cela qui tisse l’ensemble. Il y a comme une évidence. On peut avoir des doutes parfois, mais aujourd’hui ce n’était pas le cas.

Emanuelle Pépin :

C’est une écriture en fait : c’est une autre forme de composition, mais c’est de la composition, ce n’est pas du n’importe quoi. On ne se lance pas comme ça, en gesticulant, « je peux, il peut, nous pouvons, poutt, poutt ! » — je caricature un peu. Il s’agit d’autre chose. À ce moment-là, c’est une conscience en mouvement. Ce n’est pas une analyse de ce qui est en train de se faire, on n’est pas en train de se dire « ah oui ! là, c’est le début, là, etc. » En étant totalement « avec », on a la conscience du présent, de ce qui s’est passé : les mémoires, au fur et à mesure de la pièce, s’agencent, s’accumulent, créent en soi une organicité de la durée.

Lionel Garcin :

C’est organique, oui.

Emanuelle Pépin :

Il y a une conscience, que j’appelle la contemplation : à un moment donné, notre habilité c’est de pouvoir contempler ce qui est en train de se passer. Créer de l’espace suffisant permet de sentir, écouter, mesurer ce qui est en train de se passer pour avoir cette conscience de l’écriture, mais ce n’est pas intellectuel.

Lionel Garcin :

Non, c’est l’habilité du corps, c’est vivant. En fait, c’est juste simple, juste organique. Comme c’est le vivant, c’est déjà donné.

Étudiant·e :

Même dans l’introduction ! Il y a eu un grand moment de silence, et en fait ça avait déjà commencé. Je ne sais pas comment les autres l’ont perçu, mais chaque petit bruit, chaque petit son… J’ai vu que vous réagissiez à tout : à un moment j’ai bougé mon pied et il y a eu un regard comme s’il y a eu un son. Le plancher a grincé, dans la salle du dessus des tables bougeaient, etc. chaque son prend une importance différente. En tant que spectateur, on se disait « ah, il s’est passé ci, il s’est passé ça, ça a réagi ». C’est vrai que c’est spontané : là on est dans une pièce à un temps T, et c’est déjà passé ! Demain si vous faites dans le même lieu avec le même public, ça sera encore autre chose. J’ai beaucoup aimé le moment de silence au début parce que je trouve que parfois on ne prend pas assez le temps : il y a un public, on doit performer, et point ! Là, le silence, c’était comme pour inviter des enfants « chut, écoutez ! »

Emanuelle Pépin :

C’est prendre en compte, prendre en considération l’espace dans lequel la pièce va avoir lieu. C’est l’espace qui nous « invite à ». L’espace est constitué d’éléments, comme des végétaux en extérieur, ou vous ici en intérieur, qui créent le « décor » entre guillemets. Comme tout se joue à partir de cet acte d’écoute, ce n’est pas une volonté de vouloir à tout prix vous mettre dans une situation d’écoute, mais le silence offre ça — même si le silence, en quelque sorte, n’existe pas parce qu’il y a tout le temps des bruissements, même notre corps est résonnant. Et ça, ça se sent dans l’air. C’est une activité, une « tension vers » et c’est avec ça qu’on crée aussi, ce qui vaut aussi pour l’écriture.

Étudiant·e :

Et dans le choix du costume ? Il me semble que vous n’êtes pas arrivée habillée par hasard. Est-ce que cela fait partie d’une improvisation ? C’est un choix ?

Emanuelle Pépin :

Oui, c’est un choix pratique. Je n’ai pas beaucoup de pantalons avec lesquels je peux, par exemple, faire un mouvement brusque sans le déchirer de devant jusque derrière ! Ça m’est déjà arrivé, donc j’essaie de trouver des matières assez solides. Mais cela dépend : aujourd’hui j’ai deux autres pantalons, mais j’ai vu que le sol aurait pu m’accrocher. Ce n’est pas que j’ai peur pour mon pantalon, mais cela aurait parasité le mouvement, ou alors j’aurais pu en jouer, mais bon…

Lionel Garcin :

J’avais l’impression que le sens de ta question était que ce n’était pas complètement improvisé parce qu’on avait déjà choisi le costume ?

Étudiant·e :

C’est ça. Est-ce que c’était au-delà d’un choix de confort ?

Lionel Garcin :

Moi je ne me suis pas posé la question, je prends un truc que j’ai d’habitude. En même temps, l’improvisation, ce n’est que des choix. Il y a quand même une écriture qui est donnée, l’instrument est une écriture, il a des contraintes, il a des limites. Le corps et l’espace aussi. On écrit avec ce qui est là, on n’est pas dans l’indéfini total, donc ça fait partie de ce qui nous est donné.

Emanuelle Pépin :

Et puis tout dépend de la situation. Là, c’est un travail spécifique avec le son. C’est ce que je disais tout à l’heure, je peux avoir une perception du son au travers de la peau et au travers des tissus du corps. Mais, il y a quand même des matières par-dessus la peau, et si ces matières ne sont pas respirantes, poreuses, ça coupe l’écoute. Une autre fois, j’ai travaillé avec un plasticien qui calligraphiait sur de grands pans de soie sauvage. Je ne le connaissais pas, mais j’avais regardé son travail à l’avance. J’ai donc choisi spécialement un costume qui était dans une fluidité, avec des coloris qui ne venaient pas trop trancher avec sa matière. Oui, il y a des scénographies parfois pour lesquelles j’amène des matériaux, des objets.

Étudiant·e :

Tout à l’heure vous avez parlé de simplicité. Je ne sais pas trop pour la danse, mais musicalement j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de complexité : des souffles continus, des recherches sur les timbres, des sons avec ou sans anche, etc. Est-ce que c’étaient des capacités que tu avais avant ou est-ce que c’est le fait d’être dans la recherche qui t’a amené à aller dans ces cas de figure ?

Lionel Garcin :

C’est peut-être par goût que d’être attiré par cela, mais c’est surtout venu de la pratique. Ce ne sont pas des trucs que j’avais appris avant. Tout ce vocabulaire est né de la pratique de l’improvisation, notamment l’improvisation en orchestre, avec plusieurs musiciens qui jouent d’autres instruments. Il y a l’envie d’aller vers eux, de composer avec eux : tu trouves des thèmes qui s’agencent et toute la mise en jeu du corps fait aussi trouver des choses. C’est donc plutôt l’improvisation qui a nourri ce vocabulaire.

Étudiant·e :

Pour moi, certaines choses me paraissent compliquées, mais ça devient simple en fait, c’est comme ça que vous le voyez ?

Lionel Garcin :

Oui, quand je parle de simplicité, ce n’est pas une complexité de la musique… La simplicité c’est la base, c’est ce sur quoi on est basé dans le corps, comme la simplicité de l’écoute. Après, ce qui se construit dessus, c’est autre chose, oui.

 

4. Le corps support de l’improvisation

Étudiant·e :

J’ai une question pour vous, saxophoniste. En musique, on est un peu éduqué dans une logique de statisme corporel : on ne sait parfois pas trop quoi faire de notre corps sur scène, voire on voudrait même le cacher. Mais vous, vous avez bougé partout, vous étiez en mouvement, vous avez dansé aussi ?

Lionel Garcin :

Non. Je pratique beaucoup avec de la danse donc ça arrive qu’au bout d’un moment on en ait marre de l’instrument, qu’on le lâche pendant trois jours et qu’on ne passe que par le corps. Parce que parfois l’instrument est tellement encombrant ! Quand on veut retrouver cette simplicité de se relier à des choses simples et organiques, l’instrument gène parfois. Il faut tellement de technicité pour retrouver l’organique, qu’on peut développer d’autres techniques qui sont tout de suite organiques : repasser par le corps aide à retrouver cette organicité qu’on essaie de prolonger avec l’instrument. Mais quand je fais des concerts, je ne bouge pas, j’adore être uniquement dans le son, avec le ressenti dans le corps, mais dans le corps immobile, enfin immobile… il faut bien bouger, mais ça ne fait pas la même chose. Aujourd’hui, j’ai pris plus en compte l’espace, mais des fois je vais préférer être plus simple et me focaliser sur la musique.

Étudiant·e

Comme un lâcher-prise ?

Lionel Garcin :

Oui, un lâcher-prise dans le sens qu’une fois qu’on a donné toute sa place à l’espace et au son, on disparaît en tant que personne séparée et on se libère de soi-même en donnant la place au reste. Ça ne dure pas forcément longtemps, mais…

Étudiant·e

Tout ce que vous évoquez là, parler d’espace, de vie, de composer à partir de ce qui est déjà là, du moment présent, j’ai l’impression que c’est lié à des préceptes comme le bouddhisme, le développement personnel, une sorte de sagesse ancestrale. Je voulais savoir si vous aviez infusé un peu dans ces sciences-là parce que le champ lexical du ressenti et des émotions revient souvent. Est-ce que vous vous en nourrissez, ou est-ce que vous avez développé ces sensibilités-là avec le temps ?

Lionel Garcin :

Oui, je pense que c’est relié. Pour moi, les traditions dont tu parles sont aussi dans notre culture dans la poésie, par l’art, même si parfois on l’a peut-être perdu par ailleurs. Je suis venu à la musique parce que, sans le savoir, j’avais un manque de cette dimension-là. J’étais parti pour faire de la recherche académique en sciences quand j’ai rencontré Barre Phillips avec qui j’ai ressenti qu’il y avait une autre dimension qui me manquait. Et puis par le corps aussi, parce que tout cela fonctionne par rapport à des sensations. Dans la danse, ils ont une connaissance phénoménale du corps conscient, donc c’est relié forcément.

Emanuelle Pépin :

Et puis toutes les approches de techniques somatiques. Pour ma part, je ne suis pas allée chercher à l’extérieur de l’institution. Je viens du Conservatoire et du Centre National Chorégraphique, avec une réelle discipline de différentes techniques de danse. À un moment donné, je me sentais limitée dans l’expression du vivant, du geste, de la relation. Quand j’ai rencontré des chorégraphes de la ligne américaine en France qui développaient cette approche-là, je me suis dit « c’est là ! ». C’est par le travail que les choses se sont éclairées. Je lis beaucoup et j’écoute aussi comment les gens fonctionnent. Dans ces pratiques, c’est ce qui est développé, affiné, pour tenter d’aller à la source de l’écoute et de créer l’espace de relation entre notre monde intérieur et le monde extérieur.

Même étudiant·e

Ce qui revient c’est qu’à chaque fois, artistiquement, on a un background et une éducation, et on doit se déformater. Pour aller plus loin, on se dirige toujours vers ces grandes expressions, parce qu’elles sont plus libres et qu’elles permettent de ressentir plus en profondeur, comme une certaine forme de liberté. Beaucoup de musiciens et de danseurs se dirigent vers l’improvisation, parce qu’apparemment ça libère et ça relie à la fois. Est-ce que c’est le chemin de tout le monde ?

Lionel Garcin :

Pour moi, l’improvisation est comme une pratique philosophique et poétique de découverte du réel, par la pratique, reliée à notre histoire et celle des autres civilisations, qui se situe en dehors de la production consumériste de l’industrie artistique. C’est une autre chose.

 

5. Le texte et l’improvisation

Jean-Charles François :

Pourriez-vous dire quelques mots sur le rapport entre le texte et l’improvisation ? Parce que c’est aussi ce qui est intéressant dans cette histoire, la tension entre l’improvisation et un texte prédéterminé : il y a l’intégration de la fixité du texte dans l’improvisation, le texte écrit qu’on lit à un moment donné et le texte en dehors de l’écrit qui est peut-être improvisé. Ce rapport au texte me paraît très intéressant.

Emanuelle Pépin :

Je crois qu’il me faudrait du temps pour répondre. Comme c’est arrivé il y a trois ans, c’est encore tout nouveau et je n’ai pas de distance. Ce que je peux juste dire, c’est que le texte est issu de la pratique et de l’expérience. C’est devenu une forme de partition. Mais en venant ici en voiture, je me disais : « Comment je vais m’y prendre ? Je vais suivre, lire ? » sachant que j’ai du mal à sortir la voix comme ça, dans la performance. Et en fait, j’ai considéré les textes comme une pièce improvisée dans laquelle on pouvait peut-être — cela me rassurait de dire « peut-être » — laisser arriver le mot. C’est comme si, en tout cas dans le mouvement, le texte et les mots étaient tout le temps là.

Lionel Garcin :

Hier, quand tu me lisais le texte, il était clair que cela ne pouvait pas marcher comme ça, juste en le lisant. Même s’il est issu de la pratique, il faudrait l’actualiser au temps présent et qu’il soit réincarné. C’est le fait que tu le réimprovises sur le moment en ayant la base des notes, c’est cela qui se passe.

Emanuelle Pépin :

Oui. En fait, cela n’aurait pas été juste, d’aller le lire.

Lionel Garcin :

Cela serait de l’illustration.

Emanuelle Pépin :

Même si par moment, le geste appelait le mot ou le mot appelait le geste — le geste au sens large : le geste dansé ou sonore.

Lionel Garcin :

Quand j’entends ces phrases, c’est comme si cela me plaçait à un endroit d’écoute, que cela me donnait un éclairage. Peut-être que je n’étais pas en train d’écouter de cette façon-là, mais cela me fait lire ce qui est en train de se passer d’un autre point de vue. Il ne s’agit pas forcément de changer ce qui se passe, mais de le lire d’un autre point de vue. Je ne sais pas si cela va changer le cours des choses, mais cela change la lecture.

Emanuelle Pépin :

Oui, cela change l’écoute, et cela change le son.

 

La technique par/pour l’improvisation

Philippe Genet (Directeur du Cefedem AuRA) :

Je voulais revenir sur le formatage et puis sur la libération. La plupart des étudiants ici, qui enseigneront ou enseignent déjà, se posent la question de la transmission de ces formes de pratique. Parfois, aujourd’hui, pour pouvoir se libérer d’un enseignement académique, on parle beaucoup d’improvisation dans les cours pour pouvoir justement apporter à la fois une forme de liberté et un langage nouveau. Je voulais savoir si vous étiez confrontés parfois à la transmission, à des stages, ou à des cours si vous en avez déjà donné et comment vous pouvez appréhender ce type de démarche. Est-ce qu’il faudrait attendre d’avoir une technique poussée ou est-ce que tout de suite, de façon très intuitive, on peut avoir une approche qui permet peut-être aussi de prendre conscience de son corps, du geste, de l’instrument ? Est-ce que cela ne pourrait pas être une entrée en pratique musicale ou dansée pour de jeunes enfants qui débutent ?

Lionel Garcin :

Oui, cela peut être direct, tout de suite, c’est sûr. Mais on peut aussi se libérer sans faire d’improvisation. Un interprète au sommet de son art n’a pas besoin d’improviser. Je ne sais pas, c’est une large question en fait. Oui, on anime des stages de temps en temps, mais je suis toujours un peu gêné quand cela s’enseigne, comme si c’était une forme qu’on puisse enseigner alors que c’est assez anarchique comme pratique en réalité.

Emanuelle Pépin :

Oui, mais en même temps, il y a énormément d’outils, des portes d’entrée très concrètes. Que ce soit pour les danseurs ou les musiciens, le rapport au corps est déjà quelque chose d’énorme. Et cela représente des heures et des heures de pratique, de travail : on peut rentrer par la conscience du squelette, le rapport à la gravité, les déplacements, l’architecture, se placer à la situation du corps dans l’espace, le geste sonore, le geste du musicien avec son instrument, le corps de l’instrument dans l’espace, le corps de l’instrument avec le musicien, les textures du son, les hauteurs, et effectivement comment le vivre aussi. L’approche du travail d’improvisation consiste à repasser par le corps, mais cela ne veut pas dire qu’on se met à danser.

Lionel Garcin :

Et passer par le non-savoir aussi.

Emanuelle Pépin :

Et ne pas du tout rejeter la technique, au contraire, c’est fabuleux ! Cela dit, quand on a un public de personnes qui n’ont jamais pratiqué la danse, on observe un étonnement, comme un état d’enfant, avec une générosité, sans a priori, un « oser y aller ». Avec même, souvent, beaucoup de maladresse, mais une certaine sensibilité aussi. Parfois, avec des personnes qui arrivent avec un background vraiment très solide, il s’agit de trouver une manière d’aborder différemment son rapport à l’instrument, son rapport à l’espace, son rapport à l’autre, son rapport à l’écriture, comme simplement le prendre d’un autre point de vue. L’improvisation n’est pas forcément une porte pour se libérer.

Lionel Garcin :

On peut s’y enfermer aussi.

Emanuelle Pépin :

Oui, complètement. C’est juste « être là » et cela représente un sacré travail qui passe par les sensations, la perception, la conscience de l’espace, la conscience de comment un son voyage, comment on compose, etc. C’est immense les outils avec lesquels on peut jouer.

Lionel Garcin :

Par rapport à l’enseignement, on retrouve dans le milieu musical de l’improvisation quelque chose qui est très proche dans la structure sociale des sociétés traditionnelles, dans le sens qu’on est tous mélangés, de celui qui débute à celui qui a passé sa vie à en faire, ce qui ne pose pas de problème. Il existe de nombreuses sessions de pratiques collectives où tout le monde est ensemble, comme dans un village où il y a des percussionnistes, les vieux et les jeunes, tous mis ensemble pour trouver un agencement. On apprend aussi comme ça, par la pratique. Il n’y a donc pas forcément besoin d’avoir une technique au départ, elle va se créer aussi. Cette dialectique avec la technique et le savoir constitué est hyper importante. On peut avancer comme ça.

Philippe Genet :

Dans l’enseignement académique, ce n’est pas le cas : on doit d’abord asseoir une technique pour pouvoir ensuite aller plus loin. On voit très bien que l’improvisation arrive à un moment donné, comme une porte qui s’ouvre et qui vous ramène d’un coup à un autre univers, à d’autres espaces. Ma question portait sur le fait de savoir comment on articule cela. Je le dis spécifiquement ici au Cefedem où les questions de pédagogie se posent : comment articule-t-on cette entrée sachant que cela modifie le rapport à l’écrit ? Vous n’aviez aucune partition, seulement du texte par terre. Comment fait-on lorsque l’écrit est déjà très présent dans les pratiques ?

Lionel Garcin :

Cela pose la question du rapport au désir. Pourquoi est-ce qu’il faudrait acquérir d’abord telle ou telle technique ? Par l’improvisation, on se rend compte qu’on est déjà dans une pratique vivante, ou qu’on est dans le réel comme dans un combat en art martial. On est dedans, ce n’est pas une théorie qui mènera à une pratique dans 10 ans. On est confronté au réel. Et quand on sent par exemple qu’on ne peut pas y aller et qu’on n’a pas la technique, c’est à ce moment-là qu’on se tourne vers l’académisme (ou pas). Il faut développer cette technique parce qu’on sent dans le corps qu’on a besoin d’en passer par là parce qu’on est coincé. Donc là, ça peut être quelque chose qui réveille le désir en fait, ou plutôt la nécessité de le faire.

Emanuelle Pépin :

Je travaille beaucoup dans un centre de formation professionnelle des arts du cirque. J’ai été engagée pour donner des cours techniques à la condition que, dans le même temps, je propose des ateliers d’improvisation. Cela se fait ensemble. On le voit très bien, par exemple faire un triple saut périlleux avec les agrès de cirque présente une grande prise de risque en raison du volume, de la masse. Cela nécessite de l’habilité et génère beaucoup de peur en fait : certains ne dépassent pas le fait de se jeter comme ça, en arrière, même si on a un harnais, et du coup vont plutôt faire de la jonglerie. Pourtant, si on fait un travail sur l’état de déséquilibre, aller un petit peu loin dans la chute, sentir le sol, travailler sur la gravité, le rebond et la confiance avec les autres, alors tout d’un coup il sera possible de monter à 4 mètres de haut, sur une petite plateforme et de se jeter en arrière. Alors qu’en passant uniquement par la technique, en visant une figure — on s’appelle ça une figure à exécuter — il y en a beaucoup qui se perdent en cours de route. C’est dommage, parce qu’en fait par d’autres biais, que ce soit dans les sensations, la perception, l’imaginaire ou la créativité, la technique peut être nourrie de toutes ces expériences et permettre de dépasser nos propres capacités de manière insoupçonnée, c’est très net ! Je trouve que dans l’enseignement, dans les formations, c’est assez bien de le mettre tout de suite au même niveau, même si c’est pour approfondir une technique, quelle qu’elle soit, pour la raffiner, la maîtriser, mais aussi avoir une approche plus « ouverte », si on peut l’appeler ainsi.

Nicolas Sidoroff :

J’aurais une intervention à faire sur deux plans :

a. Lors d’une vidéo Ted-talk de 6 minutes, une trapéziste, Adie Delaney, explique comment elle a changé sa méthode d’enseignement du trapèze. Elle explique qu’en général, on dit « tu vas mettre ton pied là, et après il faut que ta main elle grimpe le long de la corde » etc. Or il y a des gens qui ont extrêmement peur, même quand le trapèze est relativement bas : il y a un moment où il faut que tu t’assoies sur la barre, tenir tout seul ce n’est pas du tout si évident que ça. Elle dit qu’elle essaye maintenant d’accompagner le corps progressivement pour inclure les gens dans cet apprentissage-là. Si tu mets trois mois pour oser enlever une main d’une corde, et bien tu prends trois mois, ce n’est pas grave, parce que cela t’apprend à lire les signaux du corps, à avoir un rapport au corps vraiment spécifique et savoir l’écouter. Je le mets en regard avec tout un background de l’école, notamment artistique qui reste hyper excluante : « si tu n’arrives pas à faire ce qu’on te demande, tu te casses ! De toute façon, on n’a pas besoin de beaucoup de musiciens d’orchestre, encore moins de solistes ! » Et si tu ne le comprends pas, on te le fait sentir avec deux ou trois petites évaluations bien cassantes, etc., et alors tu as du mal à recommencer, ou alors tu recommences ailleurs que dans une école artistique. (Je le dis comme ça, mais ce n’est pas ce qu’elle explique !). Je pense que là il y a un rapport à l’école assez intéressant, à creuser, en tout cas d’inclusion des gens dans ce processus-là d’apprentissage.

b. Et le deuxième point c’est au sujet de l’espèce d’idéal que Lionel a présenté avec les rencontres entre des gens très expérimentés, et des gens qui ne le sont pas. J’ai vécu plein de discussions après les sessions d’improvisation dans lesquelles certains participants n’avaient plus envie de bosser ensemble, où les gens s’agaçaient. En réalité, cet espace accueillant que vous avez décrit vis-à-vis du corps, vis-à-vis de l’espace, vis-à-vis de nous, vis-à-vis de vous, est un rapport qui se construit. Ce n’est pas inné et il y a des gens qui sont passés par des écoles qui les ont empêchés de développer ce genre de choses. Comment faire en sorte que dans l’espace qu’on crée, dans la pratique qu’on arrive à créer, les gens pas très outillés puissent trouver des outils, et que les gens un peu plus outillés puissent inclure ces gens ? C’est ce que j’appelle la « participation légitime périphérique », qu’on peut retrouver dans certaines pratiques traditionnelles. Une chercheuse, Jean Lave, l’a mise en évidence dans des tribus africaines sur la fabrication des sacs ou des paniers : on retrouve les experts au centre, qui les font hyper vite, et à côté ceux qui savent un peu moins, qui regardent un peu et qui mettent plus de temps, et après ceux qui savent encore moins, qui regardent… et qui galèrent ! Ce qui n’est pas grave parce qu’en fait les sacs et les paniers sont déjà faits. Et autour tous les gamins circulent, regardent, touchent, etc. et développent un apprentissage périphérique qui devient de plus en plus central. Ce type d’apprentissage n’est pas du tout si évident que ça à mettre en place dans nos sociétés.

Lionel Garcin :

Non, mais ça existe par petites touches.

Nicolas Sidoroff :

Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais qu’il faut y prêter un peu attention pour que cela puisse exister.

 

7. Improviser pour apprendre

Gwénaël Dubois, Enseignant au Cefedem AuRA :

Je voudrais revenir sur le rapport entre interprétation et improvisation, sur la question de la technique aussi, qui est alimentée par l’improvisation, et tout le rapport académique qu’on a au patrimoine. Je pense par exemple au répertoire classique du 19ème, où des compositeurs comme Chopin ou Liszt ont fondé toute la technique pianistique jouée aujourd’hui. Il n’y a pas un endroit dans l’enseignement supérieur où on ne demande pas aux pianistes de jouer une étude de Chopin en concours d’entrée alors qu’en fait ces pièces ont été composées en improvisant. C’est assez intéressant à soulever : les deux volumes d’Études publiées par Chopin avant l’âge de 25 ans ont été construits par l’improvisation. Ces pièces sont effectivement très difficiles à jouer dans une approche où on veut jouer du répertoire. On doit travailler comme si on pouvait arriver à ça, ce qui est extrêmement difficile parce qu’on ne passe pas par les procédés créatifs qu’il a utilisés, dans lesquels sans doute il s’est senti super bien. Il y a le fameux exemple qui a été relevé dans un mémoire d’étudiant au Cefedem : Chopin disait à ses élèves de jouer ses Études « avec facilité » ! alors que ce sont des trucs qui sont horriblement durs. Chaque Étude, comme leur nom l’indique, va se concentrer sur un point particulier. Mais dans l’enseignement aujourd’hui, il me semble qu’on peut peut-être réfléchir à comment est-ce qu’on réaborde le patrimoine d’une façon d’improviser. Comment est-ce qu’on travaille du Mozart, sans jouer du Mozart, mais en l’improvisant, et en essayant d’utiliser la même procédure d’improvisation. L’idée du désir que tu as soulevée est aussi très importante : est-ce qu’il faut partir d’une impro plus ou moins libre, pour voir où cela nous mène, puis quel compositeur on aborde à partir de là ? Il n’y a pas de recette magique, mais il faut vraiment reréfléchir à ces éléments-là. Parce que ces compositeurs qui ont composé des pièces incroyablement dures à jouer qui aujourd’hui enferment dans un académisme un peu minable, en fait, ils improvisaient.

Tout à l’heure tu disais : « si je pense à faire une arabesque, c’est foutu ». On retrouve ça aussi dans l’interprétation : quand on est en train de jouer un truc qui nous pose un peu problème, si on se dit « y a un mi bémol », c’est foutu, on se casse la figure, si on se dit « c’est chaud, ce passage », c’est foutu aussi. En fait, ce n’est pas parce qu’on pense qu’on se plante, mais il y a un peu de cette espèce de fil où il faut lâcher prise, mais pas complètement parce que sinon on n’y arrive plus, on n’a plus conscience de notre corps. Je trouve qu’il y a une dualité qui est assez complexe. Est-ce que c’est un peu ce qui nous réunit, quelle que soit la pratique ? Que ce soit de l’improvisation complètement libre ou de l’académisme complètement académique, j’ai l’impression que finalement, ce qui rassemble les pratiques, c’est cette espèce de fil qu’il faut arriver à lâcher pendant qu’on est en train de jouer. Il y aurait certainement à travailler de ce point de vue-là.

Lionel Garcin :

Ce sont des questionnements super intéressants. Je n’ai pas de réponse, mais ce sont des questionnements que je mets en pratique dans ma pratique même. Concernant ce dont tu parles, ce fil-là, j’ai l’impression que la pensée nous sort du truc en fait. Si elle est là en commentaire, on sort du truc. Ce n’est pas avec le lâcher-prise qu’on sera plus dans son corps, c’est le contraire : c’est quand on est dans son corps qu’on va lâcher prise, lâcher cette façon de commenter. Il faut que la pensée soit là, mais transparente, en tant que lectrice de ce qui se passe, comme une lectrice silencieuse.

Gwénaël Dubois :

D’un point de vue de l’enseignement, je me dis que cela peut s’enseigner, en tout cas se partager. On est en train d’en parler donc c’est bien que cela représente quand même quelque chose de tangible. Peut-être qu’il ne faut pas viser systématiquement des pièces toujours plus dures, mais que cela aiderait à le travailler avec des pièces plus faciles.

Lionel Garcin :

Je ne suis pas interprète, mais à un moment donné j’ai voulu savoir ce que c’était de se sentir interprète. Je n’ai pas fait du saxophone, mais j’ai travaillé des pièces de piano pour rentrer dedans, et j’ai l’impression effectivement que c’est important de ne pas aller vers des choses plus complexes que ce qu’on peut faire, mais au contraire choisir ce qu’on peut appréhender dans son ensemble et creuser les états d’être à partir de cela, avoir un point d’accroche, une pièce, et puis par exemple l’aborder de plein de manières différentes. À partir d’un support qu’on connaît, on peut se concentrer sur l’origine du rythme dans le corps. C’est-à-dire avoir différents niveaux de lecture qu’on peut nommer et se donner la possibilité de creuser la sensation, mais avec une forme définie qu’on connaît de mieux en mieux, plutôt que « ça y est, on l’a mise en place au niveau extérieur, et on passe à une plus difficile ».

Les compositeurs comme Chopin ont créé leur propre technique, par l’improvisation. C’est intéressant d’ouvrir la possibilité d’avoir sa propre individualité, au sein d’un collectif, d’une culture. Par exemple, si je devais jouer les études des trucs que je fais en improvisant, non seulement je n’en serais pas capable, mais surtout je m’emmerderais vraiment !

Gwénaël Dubois :

Dans la même logique, des recherches montrent que les pièces de Czerny, qui sont données à tous les mômes dans les conservatoires, sont initialement des supports pour improviser. Depuis c’est devenu des pièces assez horribles ! Czerny les utilisait comme base d’improvisation en reprenant des motifs et les développant dans plein de combinaisons. C’est un peu comme si tu transformais les techniques de jeu que tu utilises en études pour des étudiants.

Lionel Garcin :

On m’a déjà demandé ! Ça me fait penser à la flûte classique indienne que je suis allé un peu étudier là-bas. C’est hyper codifié, mais c’est étonnant comment ça fonctionne. Il y a justement une forme, là, avec différents niveaux de travail de cette forme : le niveau technique, le niveau émotionnel, le niveau spirituel, etc. Quand on apprend un raga, c’est comme un mode lydien on va dire, mais si on joue un mode lydien, ça ne va pas forcément faire un raga parce qu’il y a des intonations, des augmentations qui font qu’on a la sensation émotionnelle de ce raga. Tout ça est nommé et travaillé et tous les jours c’est refondu. Le jour 1, on va apprendre l’échelle et un ou deux petits motifs, et on a l’impression que le jour 2 on va recommencer ça, et que ça va être la même chose, mais non, le jour 2 est complètement différent, improvisé en fait : le professeur rentre dans une improvisation avec l’élève, à un certain niveau, et lui transmet des petits bouts de phrases. Chaque jour c’est nouveau, ce n’est jamais deux fois le même. Et au bout d’un moment il y a comme un champ qui se crée, un champ mélodique, un champ comme en physique là, qui est clair, mais qui n’est jamais fixé complètement.

Étudiant·e :

Ce que vous faites est quelque chose de difficile à écouter sûrement pour la plupart des gens. Est-ce que vous arrivez à en vivre et que ce genre de performances soit plutôt pérenne ?

Lionel Garcin :

On a essayé de faire la manche avec et ça n’a pas trop marché ! Tu vois, aujourd’hui c’est la deuxième fois qu’on l’a fait en 3 ans, donc…

Même étudiant·e :

Mais vous parliez aussi d’autres groupes…

Lionel Garcin :

Oui, moi je vis plus ou moins de l’improvisation, après je fais parfois aussi d’autres trucs en plus. L’improvisation a très peu de visibilité dans les endroits institutionnels, et donc c’est très souvent de l’underground et des économies pauvres.

Emanuelle Pépin :

Moi je ne dis plus que j’improvise ! Par exemple, je suis programmée dans un musée d’art contemporain, ils savent que je travaille en improvisation, mais… ce n’est pas dit. Évidemment, je suis allée plusieurs fois visiter le musée, j’ai fait plein de recherches, il y aura une trame, mais quoi qu’il en soit, j’improviserai à ce moment-là. Il faut aussi réfléchir à comment ça peut franchir des lieux qui au départ ne programment pas ce qu’on fait. Par exemple je vis de ça depuis plus de 30 ans. Je donne pas mal de workshops et pour moi ça va ensemble, la pédagogie est très nourricière du travail de la création. Quand j’interviens dans des centres de formation professionnelle, c’est par le biais de l’improvisation. Quand je joue avec des groupes, j’improvise. Quand je joue seule, quand je fais des performances, que ce soit dans des musées, des théâtres nationaux, ils ne savent pas forcément que je vais improviser, et quand je le dis, ils ne me croient pas de toute manière ! Après la performance, un grand nombre de fois, on me dit : « mais ça c’était écrit ! » Oui, c’est écrit sur l’instant, mais ça prend des formes à chaque fois différentes.

Lionel Garcin :

Et après, il y a des dispositifs — tu aimes bien ce mot-là — qui font que ça peut passer dans d’autres endroits. Par exemple, je propose un travail autour du chant des oiseaux dans lequel il y a beaucoup d’improvisation, c’est quasiment tout improvisé même. Mais le dispositif fait que c’est comme une écriture, et qu’il y a quelque chose qui attire : on est cinq saxophonistes soprano qui jouons à 20 mètres chacun dans son arbre. En fait, c’est le même travail qu’aujourd’hui avec en plus un travail sur le langage des oiseaux. Donc on peut élargir et développer les pratiques d’improvisation avec plein de dispositifs.

 
 
 

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After the lecture/performance of Emmanuelle Pépin and Lionel Garcin

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After the Lecture/Performance
of Emmanuelle Pépin and Lionel Garcin

SOUND – Listening – GESTURE
in Improvisation
 
Cefedem AuRA, January 24 2023
 
Discussion with the Cefedem students
And
For the Cefedem: Philippe Genet, Gwénaël Dubois, Nicolas Sidoroff
For PaaLabRes: Jean-Charles François
 

Translation from the French by Jean-Charles François

 

Summary :

1. Improvisation in the Instant, and Reacting to Others
2. Experience as Preparation to Improvisation
3. Improvisation as Writing
4. The Body as Support for Improvisation
5. Text and Improvisation
6. Technique through/for Improvisation
7. Learning through Improvisation

 

1. Improvisation in the Instant, and Reacting to Others

Emanuelle Pépin:

As Barre Phillips said after an improvisation: “That’s it, it’s done!” It only exists once: it’s the result of what happened now with you. Nothing was planned, except a text, somewhere, generated by the body… and by our encounter! Thank you very much, because in an improvisation, the audience and its listening, are fully participating to what’s brewing here. You are really partners, and even if, at times – you may not realize it – you are “participators”, “particip’actors” of what’s going on. Thank you to have offered this space. Thank you to you, Jean-Charles, and also to all at Cefedem.

Nicolas Sidoroff (Cefedem and PaaLabRes):

Thank you. As usual, we follow the performance with questions to Lionel and Emmanuelle.

Student:

The speed of reaction to each other’s proposals was quite impressive. Do you have automatisms, as a jazzman can have phrases in his vocabulary within an improvisation? For example, when you make a call, do you know that a given sound will stop at a certain time? Are you conscious of it or not at all?

Lionel Garcin:

For sure, there are vocabularies and textures, and so on, but at the level of the form, there is no call: we don’t know how long it’s going to last, it’s really being decided in the instant. It’s because we’re listening on a global and energetic level, and because we are both in the same space. In fact, we don’t react. Perhaps we react quickly, but it’s not really that: rather it’s happening because we are in the same space, because we understand each other…

Emanuelle Pépin:

… without understanding each other! We don’t understand anything at all!

Lionel Garcin:

Without understanding each other, yes! We can be completely surprised, but we breathe together, there’s an obviousness that comes from listening.

 

2. Experience as Preparation to Improvisation

Jean-Charles François (PaaLabRes):

Does that mean that there’s no preparatory work between you?

Lionel Garcin:

Yes, there is a preparation: we’ve eaten together, discussed things, and so on! [laughs] In fact, there is no preparation other than being connected.

Emanuelle Pépin:

After that, it’s more a question of readiness to welcome what’s being manifested in the air, in the atmosphere. It happens very fast in fact. It’s precisely because there’s no premeditation, no particular expectation that there’s fulgurance. It’s almost at the speed of light, it’s not a reaction. It’s so much wider: for example, here, it’s a duo of sound and movement, but there’s the whole space that’s going to completely modify this relationship, that’s going to make the sound resonate differently here and the body move differently there. It’s not a reaction: at a given moment, it’s a matter of being in the same space of listening, as you said. At the outset that’s what it is, a state of listening. After that, yes, it’s work, it’s an enormous amount of work.

Student:

But it’s not really rehearsal time?

Emanuelle Pépin:

No preparation, no rehearsal. We don’t rehearse, but we do spend time together. Rather, we devote our lives to trying to update our techniques, our tools and transformations in the body according to our moods and state of being. We work really on the instant: “instant composition” it’s here and now, and after that it’s too late! This fleeting lapse of time contains all our experiences. For that, yes, there are tools: I’ve worked for hours in dance studios, on placement for example. I’ve worked up to 8 hours a day. Now, it’s still hours of work, but it’s different, like assessing textures and wondering what I can do with them, almost deconstructing the technique, what has formatted me, to try to find and find again, that is to find each time new ways, in this kind of freshness, how it all comes about, with above all not wanting to reproduce a form. More precisely, the answer to your question is “no.” I have a way of doing things, Lionel has a way of doing things, I recognize his sound, his distinctive touch, his artistic gesture, what all that means in terms of content. It’s a signature, we are all unique. It’s a question of the encounter of a singularity with other singularities that creates something other than our usual knowhow. It’s a mixture of the known and the unknown, the familiar and the completely foreign. If you start by saying to yourself “I’m going to do an arabesque”, it’s over, because that means you’re thinking. If you’re premeditating, it doesn’t work anymore.

Lionel Garcin:

Yes, it’s not a matter of working on pre-established forms, it’s a matter of being in a space of listening: it’s from the space of listening that forms are born. The thinking is there, not as something for producing, but for reading. We read the forms that are in the process of emerging. All the work that goes into composition of the form is there, but not beforehand, it happens after listening.

Student:

When did you start as a duo?

Emanuelle Pépin:

It was during the CEPI Encounters (CEPI: Centre Européen Pour l’Improvisation) in September 2020 in Valcivières, a village in Auvergne, which was mentioned earlier by Jean-Charles. During this event, the person hosting the encounters had asked me, knowing that I was writing, if I could propose something. Lionel was there and I proposed a performance with him, just like that, because we knew each other well. You could call it a lecture-performance. I’ve no idea what came of it, but it was born there, and that’s it! Since then, we never worked again on this project. For today, we just saw each other, we’ve talked about it and it’s still there, it’s in the body and in the communication: yesterday we spent some time together, it was very cold in fact, and it wasn’t in the body, but it was already an act in itself. This is also what happened today: I really don’t know how it went! I certainly didn’t want to know how it would turn out. We didn’t want to know, because if we had, it would have failed!

Lionel Garcin:

But we’ve known each other for 20 years, we’ve been practicing together for 15 or 18 years, not necessarily as a duo. Sometimes there are 12 of us, or 20, I don’t know! As a duo we’ve played maybe only 3 times, including today.

Emanuelle Pépin:

Both of us, 3 or 4 times, yes.

 

3. Improvisation as Writing

Student:

But it’s not really rehearsal time! At the end of your performance, was there no doubt in your minds that it was in fact the end?

Emanuelle Pépin:

No! [laughs] [to Lionel] You had some doubts?

Lionel Garcin:

No! But the ending is important. The beginning, the ending, all this, it’s all fractal: each time there’s a big form, with each breath, each phrase, each period, there’s birth and death, and the acceptance of that which knits the ensemble together. There is an obviousness to it. You can have doubts sometimes, but today that wasn’t the case.

Emanuelle Pépin:

In fact, it’s a form of writing: it’s another form of composition. But still, it’s composition, it’s not anything goes. We don’t throw ourselves into doing things like that, gesticulating, “I can, he can, we can, putt, putt!” – I’m caricaturing a little. It’s about something else. At this precise moment, it’s consciousness in motion. It’s not an analysis of what’s going on, we are not in the process of saying to ourselves “Ah yes! there, it’s the beginning, there, it’s…”, and so on. Being totally “with it”, we are aware of the present, of what is happening, of what already happened: as the piece progresses, memories are combined and accumulated, creating in itself an organicity of duration.

Lionel Garcin:

It’s organic, yes!

Emanuelle Pépin:

There’s an awareness, which I call contemplation. At a given moment, our ability consists in being able to contemplate what’s happening. Creating a sufficient space allows to feel, listen to, and measure what ‘s in the process of happening, to reach this consciousness of writing, but it’s not intellectual.

Lionel Garcin:

It’s not, it’s the ability of the body, it’s alive. In fact, it’s just simple, organic. As it’s alive, it’s already there.

Student:

In the introduction, there was a long moment of silence, and in fact it had already started. I don’t know how other people perceived it, but we heard every small noise, every little sound… I saw that you reacted to everything: at one point, I moved my foot and there was a look on your part as if there had been a sound. The floor creaked, tables were moved in the room above, etc. Each sound takes on a different importance. As members of the audience, you’d said to yourself “Ah! this happened or that happened, and it generates reactions”. It’s true that it’s spontaneous, here we are in a piece at a time T, and it’s already passed! Tomorrow if you do it again in the same place and with the same public, it will be something else again. I appreciated a lot the moment of silence at the beginning, because I think that sometimes we don’t take enough time, because there is an audience, and we have to perform, that’s that! Here, the silence was like inviting children to “hush, listen!”

Emanuelle Pépin:

It means taking into account, taking into consideration the space in which the piece will take place. It’s the space that “invites us to”. The space consists of elements, like plants outdoors, or all of you, here, indoors, that create the “setting” in quotation marks. As everything starts from this act of listening, it’s not a question of wanting to put yourself in a listening situation at all costs, but silence offers this – even if the silence, in a sort of way, doesn’t exist because there’s always rustling, even our bodies resonate. And this, you can feel it in the air. It’s an activity, a “tension towards” and that’s what we create with, which also applies to writing.

Student:

What about the choice of outfit? It seems that you didn’t come dressed by mere chance. Is it part of an improvisation? Is it a choice?

Emanuelle Pépin:

Yes, it’s a practical choice. I don’t have many pants with which I can, for example, make a sudden movement without tearing them apart from front to rear! That’s what happened to me before, so I try to find materials that are strong enough. But it depends: today I had two additional pants, but I saw that the floor could have caught me. It’s not that I fear for my pants, but it would have interfered with the movement, or else I could have play with them, but well…

Lionel Garcin:

I was under the impression that the meaning of your question was that it wasn’t completely improvised because we’d already chosen the outfit.

Student:

That’s it. Was it more than a choice for comfort?

Lionel Garcin:

I never asked myself that question, I take something I’m used to. At the same time, improvisation is only a matter of choice. All the same, there’s a given writing, the instrument is a writing, there are constraints, there are limits. It’s also the case for the body and the space. We write with what’s there, we’re not in total indetermination, so it’s part of what’s given to us.

Emanuelle Pépin:

Then, it all depends on the situation. Here, it’s all about working specifically with sound. As I was saying earlier, I can have a perception of sound through the skin and through the body’s tissues. But there are materials on top of the skin, and if these materials aren’t breathing or porous, it cuts off listening. On another occasion, I worked with a visual artist who was making calligraphy on large strips of wild silk. I didn’t know him, but I’d observed his work beforehand. So, I chose an outfit with a fluid quality and with colors that were not going to clash with his material. Yes, there are sometimes scenographies for which I bring in materials and objects.

Student:

Earlier, you talked about simplicity. I’m not sure about dance, but musically I found that there was a lot of complexity: circular breathing, research into timbres, sounds with or without reeds, etc. Did you acquire these capacities before or was it the fact that you are involved in research that led you to these areas?

Lionel Garcin:

It might be because I am attracted to it, but it mostly came through practice. I didn’t learn these things beforehand. All this vocabulary was born out of improvisation practice, particularly improvisation in large ensemble, with several musicians playing other instruments. There’s a desire to go towards them, to compose with them: you find themes that combine and all the play with the body enables you to find things. So, this vocabulary was more generated by practicing improvisation.

Student:

For me, certain things appear to be complicated, but in fact they became simple, is it the way you see it?

Lionel Garcin:

Yes, when I speak of simplicity, I’m not referring to the content of the music, its relative complexity… Simplicity is the basis on which the body lies, like with the simplicity of listening. Then, what’s built on it is another matter, yes.

 

4. The Body as Support for Improvisation

Student:

I have a question for you, saxophone player. In music, we are a little bit educated in a logic of body statism: sometimes we don’t really know what to do with our body on stage, even we’d like to hide it. But you, you moved all over the place, you were in movement, you danced too?

Lionel Garcin:

I practice a lot with dance, so it may happen that after a while you get fed up with the instrument, you don’t play it for three days and you only work with the body. Because sometimes the instrument is so cumbersome! When you want to rediscover the simplicity of being connected to organic things, the instrument sometimes gets in the way. There is so much technicity needed for reconnecting with the organic, that you have to develop other techniques that are immediately organic: working through the body helps you to access this organicity that you’re trying to prolong with the instrument. But when I play concerts, I don’t move, I love to be only in the sound, with feeling the body, but with the body immobile. Well immobile… you have to move, but it doesn’t do the same thing. Today, I’ve taken more the space into account, but most of the time I prefer to be simpler and concentrate on the music.

Student:

Is it like a “letting go”?

Lionel Garcin:

Yes, letting go, in the sense that once you have given all the importance to space and sound, you tend to disappear as a separate person, and to be freed from yourself, giving way to all the rest. It doesn’t necessarily last a long time, but…

Student:

All that you mention here, speaking of space, of life, of composing from what already exists, of concentrating on the present moment, I have the impression that it’s linked to precepts like Buddhism, personal development, a sort of ancestral wisdom. I would like to know if you had been involved in these kinds of sciences, because the lexical field of feelings and emotions comes up often. Do you rely on these precepts, or have you developed these sensibilities over time?

Lionel Garcin:

Yes, I think it’s connected. For me, the traditions you mention are also part of our culture, in poetry and art, even if sometimes we’ve lost them in some ways. I came to music because, without realizing it, I was lacking that dimension. I was going towards academic research in the sciences, when I met Barre Phillips, with whom I felt there was another dimension that I didn’t have. And then, through the body too, because it all functions in connection to sensations. In dance, they have a phenomenal knowledge of the conscious body, so it’s necessarily linked.

Emanuelle Pépin:

And then, there are all the approaches to somatic technic. As far as I am concern, I didn’t go looking outside the institution. I come from the Conservatorium and the Centre National Chorégraphique, with a real discipline in different dance techniques. At a certain point, I felt limited in the expression of the living, the gesture, the relationship. When I met choreographs from American line of work in France who were developing this kind of approach, I thought: “This is it!”. It was through work that things became clearer. I read a lot, and I also listen to the ways people function. In these practices, that’s what is being developed and refined, in order to try to get to the source of listening and create the space for a relationship between our inner and outer worlds.

The same previous student:

What keeps coming back is that every time you have artistically achieve a background and an education, you have to go through a process of unlearning. To go further, you always go towards these great expressions, because they are more liberating, they allow you to feel more profoundly, and to access a certain form of freedom. Many musicians and dancers turn to improvisation, because apparently it both liberates and connects. Is it the path to be taken by everybody?

Lionel Garcin:

For me, improvisation is like a philosophical and poetical practice of discovering reality through practice, linked to our history and that of other civilizations, which exists outside the consumerist production of the artistic industry. It’s something else.

 

5. Text and Improvisation

Jean-Charles François:

Could you say a few words on the relationship between text and improvisation? Because what’s also interesting in this context is the tension between improvisation and a predetermined text: there’s the integration of the fixity of the text in improvisation, the written text that’s read at a certain time, and the text outside the written score that’s perhaps improvised. This relationship appears to me very interesting.

Emanuelle Pépin:

I think I would need more time to answer. As it happened three years ago, it’s still very new, and I don’t have any distance. What I can say is that the text comes from practice and experience. It’s become a form of score. But in the car coming here, I thought: “How am I going to proceed? Am I going to follow the text, to read it?”, knowing that I have difficulties to project my voice in performance. In fact, I considered the texts as an improvised piece in which perhaps you could – it was reassuring to use the word “perhaps” – let the word come. In any case, it’s as if, in the movement, the text and the words were there all the time.

Lionel Garcin:

Yesterday, when you read the text to me, it was clear that it couldn’t work like that, just by reading it. Even if it comes from practice, it would have to be updated to the present time and reincarnated. It’s the fact that you re-improvise it in the very instant by having the basis of the written notes.

Emanuelle Pépin:

Yes. In fact, it would not have been right to just read it.

Lionel Garcin:

That would only be illustration.

Emanuelle Pépin:

Even if sometimes the gesture called for the word and the word called for the gesture – gesture in the broadest sense of the word: the dance or sound gesture.

Lionel Garcin:

When I hear these phrases, it’s as if they confined me in a place of listening, giving me a new perspective. Perhaps I wasn’t listening that way, but it makes me read what’s going on from another point of view. It doesn’t necessarily mean changing what’s going on but reading it from another point of view. I don’t know if it’ll change the way things are, but it changes the way I read it.

Emanuelle Pépin:

Yes, it changes listening, and it changes the sound.

 

6. Technique through/for Improvisation

Philippe Genet (Director of Cefedem AuRA):

I would like to come back on the question of formatting, and then of liberation. Most of the students here, who will be teaching or are already teaching, are wondering about the transmission of these kinds of practices. Sometimes, today, in order to free oneself from an academic teaching, improvisation is often mentioned in our courses as a way to bring precisely both a form of freedom and a new language. I’d like to know whether sometimes you have to deal with transmission, by teaching workshops, or courses, and how you apprehend this type of approach. Do you have to wait until you have acquired a solid technique or can you, immediately, in a very intuitive way, have an approach that perhaps allows people to become aware of their own body, gesture, and instrument. Is it a possible entry to musical or dance practice for young children?

Lionel Garcin:

Yes, it can be done directly, immediately, that’s for sure. But you can free yourself without improvising. A performer at the top of his/her art doesn’t need to improvise. I don’t know, that’s a big question really! Yes, we lead workshops from time to time, but I am a little bothered when it’s taught, as if it’s a form that could be taught, when in reality it’s a rather anarchic practice.

Emanuelle Pépin:

Yes, but at the same time there are a lot of tools, very concrete entry points. Whether for dancers or musicians, the relationship to the body is already an enormous issue. And this represents many hours of practice, of work: you can enter through the awareness of the skeleton, the relationships to gravity, the displacements, the architecture, the situation of the body in space, the sound gesture, the musician’s gesture with the instrument, the body of the instrument in space, the body of the instrument and the musician, the sound textures, pitch, and effectively how to live it too. The working approach to improvisation consists in going through the body, but that doesn’t mean that it’s going to be dance.

Lionel Garcin:

And going through situations of not knowing too.

Emanuelle Pépin:

And not to reject technique at all, on the contrary, it’s fabulous! This said, when you have a public of persons who have never practiced dance, you observe an astonishment, like a state of infancy, a generosity, without a priori, a “dare to go”. Often, there’s a great deal of awkwardness, but with a certain sensibility too. Sometimes, with people who come with a really solid background, you have to find ways to address differently their relationships to the instrument, to the space, to others, to writing, as simply taking these things from another point of view. Improvisation is not necessarily an entry to freedom.

Lionel Garcin:

You can also get locked into it too.

Emanuelle Pépin:

Yes, completely! It’s just a question of “being there” and it represents a hell of a job, involving sensations, perception, awareness of space, awareness of how sound travels, how to compose, etc. There are so many tools to play with!

Lionel Garcin:

In terms of teaching, the improvisation scene is very close to the social structure of traditional communities, in the sense of being all mixed together from beginners to lifelong practitioners, which doesn’t pose any problems. Many sessions of collective practices take place where all people are together, like in a village where there are percussionists, old and young, playing all together to find some common ground. That’s also how you learn, through practice. So, you don’t necessarily need to have a technique from the start, the technique will come along. This dialectic with technique and acquired knowledge is of great importance. That’s the way to go forward.

Philippe Genet:

In academic teaching, it’s not the case: you have first to develop a technique before being able to go further. It seems obvious that improvisation arrives at a given moment, like a door opening leading you at once to another universe, to other spaces. My question was directed towards knowing how you can articulate this. I say that specifically here at the Cefedem where the pedagogical issues are put forward: how to articulate this entry, knowing that it modifies the relationship to writing? You had no scores, except the text on the floor. How to proceed when writing is already very present in the practices?

Lionel Garcin:

This raises the question of the relationship to desire. Why should we have to acquire from the onset this or that technique? Through improvisation, you realize that you are already into a live practice, or in the real world like in a martial art fight. You’re inside it, it’s not a theory that will lead you to a practice in 10 years’ time. You’re confronted with the real. And when you feel, for example, that you cannot go through it, and that you don’t have the technique, that’s when you can turn to academic teaching (or not). You must develop this technique because you feel in your body that you need to go through it because you are stuck. So there, it can be something that awakens the desire, or rather the necessity to do it.

Emanuelle Pépin:

I often work in a lifelong professional circus arts training center. I’ve been hired to give technical classes on condition that, at the same time, I offer improvisation workshops. It’s all done together. For example, it’s obvious that to do a triple somersault on circus apparatus means taking a great deal of risk because of the volume and mass involved. It requires some skill and generates a lot of fear: some people can’t get over the fact of throwing themselves backwards like that, even with a harness, and in this case, they turn to jugglery. However, if you do a work on the state of imbalance, going a little further towards falling, feeling the floor, working on gravity, rebound and trust with others, then all of a sudden, it’ll be possible to climb 4 meters high, on a little platform and to throw yourself backwards. Whereas to go only through technique, aiming at the figure – we call that a figure to be performed – you lose many people along the way. It’s a shame, because through other means, be it sensations, perception, the imaginary, or creativity, technique can be nourished by all these experiences and enable you to surpass your own abilities in unexpected ways, that’s certain! I think that in teaching, in training contexts, it’s quite good to put these on the same level right away, even if it’s to go more in-depth into a technique, whatever it might be, to refine it, to master it, but also to have a more “open” approach, if you can call it that way.

Nicolas Sidoroff:

I will intervene here on two levels:

a. In a 6-minute Ted-talk video, a trapeze artist, Adie Delaney, explains how she changed her trapeze teaching method.She explains that one says usually: “You’re going to put your foot there, and then your hand has to climb up the rope” and so on. However, some people are extremely scare, even though the trapeze is relatively low: there is a moment when you have to sit on the crossbar, and hold on by yourself, it’s not at all obvious to do. She says that she’s now trying to accompany the body progressively to include people in this learning process. If it will take you three months to dare to take your hand off the rope, then you will take three months, it doesn’t matter, because it will learn you how to read the body’s signals, to have a really specific relationship with the body, and to know how to listen to it. I compare this with the whole background of schools, notably artistic, that remain hyper-excluding: “If you can’t do what we ask of you, you are out! In any case we don’t need many orchestral musicians, let alone soloists!” And if you don’t understand that, they make you feel it with two or three sharp little evaluations (etc.), and then you find it hard to start over, or you start over somewhere other than in an art school. (I’m saying it this way, but that’s not what the school explains!) I think that there’s a rather interesting relationship with school that needs to be explored, at least in terms of how to include people in this type of learning process.

b. The second point concerns the sort of ideal that Lionel presented, with the meetings between very advanced people and inexperienced people. I’ve witnessed many discussions after improvisation sessions, in which the participants no longer wanted to work together and expressed their frustration. In reality, this welcoming space that you’ve described concerning the body, the space, ourselves, yourselves, is a relationship that needs to be constructed. It’s not innate, and some people have gone through schools that have prevented them to develop this kind of thing. How do we make sure that in the space we create, in the practice we manage to create, people who aren’t very well equipped can find tools, and that the ones who are a little better equipped can include these people. This is what I call “peripherical legitimate participation” that you can find in certain traditional practices. Jean Lave, a researcher, has highlighted it in African tribes, in the making of bags or baskets: you find the experts at the center, who make them very quickly, and next to them those who know a little less, who watch a little and take a little longer, and then those who know even less, who watch… and struggle! Which doesn’t matter, because the bags and the baskets are already done. And all around them, the kids are circulating, watching, touching, etc. and developing a peripherical learning process that is becoming increasingly central. This type of learning is not at all obvious to implement in our societies.

Lionel Garcin:

No, but it exists in small doses.

Nicolas Sidoroff:

I am not saying that it doesn’t exist, but that you must pay attention a bit to it, so that it can exist.

 

7. Learning through Improvisation

Gwénaël Dubois, Cefedem AuRA:

I’d like to come back to the relationship between interpretation and improvisation, as well as the question of technique that is nourished by improvisation, and the whole academic relationship we have with our heritage. I’m thinking, for example, to the 19th Century classical repertoire, where composers like Chopin or Liszt laid the foundations for all the pianistic technique played today. There isn’t a place in musical higher education where pianists aren’t asked to play a Chopin Etude at the admission exam, when in fact these pieces were composed through improvisation. It’s quite an interesting point to raise: the two volumes of Etudes published by Chopin before the age of 25 were built through improvisation. These pieces are indeed very difficult to play in an approach where you want to play the repertoire. You have to work as if you could achieve that, which is very difficult because you don’t go through the creative processes he used, in which he without a doubt felt great. There’s the famous example that has been noted in a student essay at the Cefedem: Chopin told his students to play his Etudes “with ease!” even though they’re horribly difficult. Each Etude, as their name indicates, focuses on a particular aspect. But in today’s teaching, it seems to me that we can perhaps think about how to reconsider the heritage as a way to improvise. How to work with Mozart without playing Mozart, but improvising it, and trying to use the same improvisation procedure? The idea of desire that you raised is also very important: should we start with a more or less free improvisation, to see where it might lead us, then approach a composer from there? There’s no magic receipt, but you really have to rethink these elements. Because those composers, who produced incredibly difficult pieces to play that today confine us to a rather pathetic academism, were in fact improvising.

Earlier, you said: “If I think of doing an arabesque, it’s over”. You can find the same thing in interpretation: when you are playing something that pose a bit of a problem, if you think: “There’s an E flat”, it’s over, it falls flat on your face. If you think: “It’s hot, this passage!”, it’s over too. In fact, it’s not because you’re thinking that you’re failing, but there’s a bit this kind of thread where you have to let go, but not completely because otherwise you can’t make it, you’re no longer conscious of your body. I find that there is a quite complex duality. Is that what reunites us a little, whatever our practice? Whether it’s completely free improvisation or completely academic academism, I have the impression that ultimately, what unites all practices is this sort of thread that you have to let go while you’re playing. That’s certainly something we could work on.

Lionel Garcin:

These questions are really interesting. I don’t have any answers, but these are issues that I’m putting into practice in my own work. Concerning what you’re talking about, this thread, I have the impression that the thinking actually pulls us out of the thing. If it’s there as a comment, it deflects us from the thing. It’s not by letting go that you’ll be more in your body, it’s the contrary: it’s when you’re in your body that you’ll let go, let go this manner of commenting. The thinking has to be there, but it should be transparent, as a reader of what’s going on, as a silent reader.

Gwénaël Dubois:

From the point of view of teaching, I think that it can be taught, or at least shared. We are talking about it, so it’s evident that it represents something tangible. Maybe we shouldn’t systematically target pieces ever more difficult, but that it might help to work on easier pieces.

Lionel Garcin:

I am not an interpreting musician, but at some point I wanted to know what it meant to feel like an interpreter. I didn’t do it on saxophone, but I worked on piano pieces to get inside them, and I have the impression that effectively it’s important not to go for things that are more complex than what you can do, but on the contrary to choose what you can grasp as a whole and go more in-depth into states of being, have a focal point, a piece, and then for example approach it in many different ways. Starting with a support that you know allows you to focus on the origin of the rhythm in the body. In other words, having different levels of reading that you can name and giving yourself the possibility of going deeper into the sensation, but with a defined form that you know better and better, rather than: “That’s it, it seems to be working at the external level, so I can move on to a more difficult one.”

The composers like Chopin created their own technique through improvisation. To open up the possibility of having one’s own individuality within a collective, or a culture, is an interesting proposition. For example, if I had to play the etudes of the things I do improvising, not only I would not be capable to do it, but above all it would bore the hell out of me!

Gwénaël Dubois:

In the same logic, research has shown that the pieces by Czerny, which are given to all kids in conservatories, were originally intended as support for improvisation. Since then, they’ve become pretty awful pieces! Czerny used them as basis for improvisation with taking the motifs and developing them in all kinds of combinations. It’s a bit like transforming your playing techniques into studies for the students.

Lionel Garcin:

I’ve already been asked! It reminds me of the Indian classical flute that I went over there to study for a while. It’s highly codified, but the way it works is amazing. There’s a form there, with different levels of working with it: the technical level, the emotional level, the spiritual level, etc. When you learn a raga, it’s like working, let’s say, with a Lydian mode, but if you play a Lydian mode, it won’t necessarily result in a raga, because there are intonations, augmentations that create the emotional sensation of that raga. All this is named and worked on, and every day it’s recast. Day 1, you learn the scale and one or two little motifs, and you have the impression that you’re going to do it all over again on day 2, but not at all, the day 2 is completely different, improvised in fact: the teacher starts to improvise with the student, at a certain level, and transmits to her/him little fragments of phrases. Each day it’s new, never the same twice. And after a while, it’s like a field that is created, a melodic field, a field like in physics, there, which is clear, but which is never completely fixed.

Student:

What you’re doing is difficult for most people to listen to. Are you able to make a living from it and ensure that this kind of performances could be long-lasting?

Lionel Garcin:

We try to panhandle with this, and it doesn’t work out too well! You see, today is the second time we’ve done this in three years’ time, so…

Same student:

But you mentioned also other groups…

Lionel Garcin:

Yes, I make a living more or less from improvisation, after which, additionally, I do other things as well sometimes. Improvisation has very little visibility in institutional places, so it’s very often done in underground and poor economics contexts.

Emanuelle Pépin:

I don’t say “I improvise” anymore! For example, I’m invited to perform at a contemporary art museum, and they know that I work in improvisation, but… it’s not said. Obviously, I went several times to visit the museum, I’ve done a lot of research, there will be a storyline, but whatever happens, I’ll be improvising at the time. You also have to think about how it can get to enter places that don’t initially program what you are doing. I experienced this situation for more than 30 years. I give a fair number of workshops, and for me they go hand in hand, pedagogy is very nourishing for creative work. When I intervene in long-life professional training centers, it’s through improvisation. When I play in groups, I improvise. When I play on my own, when I do performances, whether in museums or notional theatres, they don’t necessarily know that I’m going to improvise, and when I tell them they don’t believe me anyway! Many times, after a performance people say, “but it’s written!” Yes, it’s written in the instant, but it takes different forms each time.

Lionel Garcin:

And after that, there are set-ups or agencies [dispositifs] that can be used in other places. For example, I propose a work based on bird calls, in which there’s a lot of improvisation, in fact practically everything is improvised. But the set-up is like some writing, and there is something about it that’s very attractive: we are five soprano saxophonists playing 20 meters apart, each one in a tree. In fact, it’s the same work as we did today, with additionally a work on bird language. So, you can widen and develop improvisation practices using all kinds of different set-ups.

SOUND – listening – GESTURE

Access to the French original text: SON – écoute – GESTE
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SOUND – listening – GESTURE
in Improvisation

Emmanuelle Pépin [1]



February 2019

Translation from the French
Jean-Charles François

 

Summary :

Part 1 : SOUND-listening-GESTURE in Improvisation
Part 2 : SOUND-listening-GESTURE in Instantaneous Composition
The moment of composition
Listening
Muscles, listening to space
Fasciae, listening of the unspeakable
Bones, skeleton, listening to space
La colonne vertébrale
Articulations, listening to space
Organs
Liquids
Veins, arteries, capillaries
Nerves
Our senses, listening to space
The surrounding space, external listening
Sound, Time
Lines of Sound
Textures and sound materials
Conclusion

 

Part 1: SOUND – listening – GESTURE in Improvisation

Dance and music are definitely linked. More precisely, movement and sound.
Each of them draws its origin from the body, from a conscious body.
They spring from an act of presence.
Here is their source, down deep in yourself. Within reach.

The emergence and propagation of sound or dance phenomena take different forms, the one more visible, the other more audible. Although!
The dance creates some sound, born from the sound itself – a distant sound within you, a breath, a beat, a vital impulse.
Sound originates from an instrument that someone plays, it stems from the body, from a movement, the sound is movement. Movement, visible “reasounding”.

In an improvised piece, dance, and music, exist together in the same space, dancers and musicians are linked together by act of listening and contemplation, to play a trick to the passing instant.

Fulgurance.

Letting yourself be invited into space itself.

Here, I am not proposing improvisation tools or scores. They are already integrated in each of us, dancers and musicians. It’s part of our discipline and practice, which here also, work hand in hand in improvisation.
And I’ll situate my point of view more on “free” improvisation without a pre-established code.
Rather, it’s a shared experience of listening, and an immersion in the body.
Body of the dancer, body of the musician, body of the instrument – body of listening –

It is obvious that the components such as rhythm, duration, texture, pitch, volume, notes, silence, melodies, points of attack, off-beats, impact, resonance, resonance of resonance, stop, jerking, pre-movement, energy, pulsation, tempo, sound sources, propagation, direction of sound into space, scores, inputs-outputs, superimpositions, interweaving, are elements with which the dancer plays. The musician too.
The musician can also accompany the dancer, the dancer can accompany the musician, musicians and dancers can accompany each other, or not.

Perhaps rather “s’accom-posing” together.
They share these memory expanses, these territories of accumulated impressions and experiences and constantly renovated by the freshness of the Instant.

Everyone, according to their skill, amuses themselves, but at the same time lets themselves be traversed, and intuitively listen to the sound path in space, in the instrument, in the body.
More skillfully, the artist can feel the places of the body precisely touched by sound through its impact, its rebounds its pauses, its texture, its speed, its impetus, its surges, its intensity, its quality, its disappearance, its resonance, its circulation, its challenges to our cells, our memories, our emotions, our buried reservoirs.
He can just let being touched.
The musician or dancer can even sometimes feel the energy(-ies) particles modifying space and our presence.
He composes with the invisible.

The body and all the layers and components – skin, muscular tissue, fluids, organs, lymphatic endocrine systems…, intern rhythms, state, temperature – welcome sound.
The body (of course the dancer’s, but also the musician’s) is a resonator, a channel through which sound circulates, activating and transforming our presence.
The dancer listens how the resulting gesture takes its place, is invited into space in the same way as the note, as the sound. As a gestural sound, a silent sound.
 
 

Contemplation and listening to space are at the heart of improvisation.

Contemplation and listening to space are at the heart of improvisation.
 
 

Attention drawn, with the eyes of a child, on the phenomena.
 

The strength of trust
 

A body-landscape, a body-space, a body-resonator and resonating, a listening body.
An organic state, sensitive, poetic, and a space for creation
 

How space offers us the possibility of creating, of transforming of being transformed.

How our presence (musicians, dancers, audiences) modifies space, architecture, sound, atmosphere.

And finally, how the dialogue between bodies and space itself is achieved.
How listening activated in each of us transforms the space and thus through it the composition.

Listening is at the origin of the composition.
 

How, through this organic, intuitive, sensitive agreement, musicians, dancers, poets of the instant grasp phenomena that are in process of being manifested, at the same times as meaning emerges, the meaning of the unexpected, of composition, of discovery, and of writing.

As a performance and dance artist in instant composition, what interests me here is just sharing what I’ve seen appear regarding the relationship between music and dance, sound and movement. The dance movement contemplated as silent sound movement, an energy whose trace is invisible, but that can be grasped by attentive listening. And sound movement is not only an audible trace, but also an attentive gesture issued from the body.

Listening is common.
It’s in the midst
 
 

There would be a whole inventory of obvious and sophisticated correspondences between sound and gesture particularities: complementarities, similarities, also taking into account the characteristics of the instrument (form, matter, resonance, weight, relative ease of handling, texture, origin, use, sound, and the sound that each musician creates and allows to express itself).
 

There would be also a whole inventory of possible scores, of all kinds of codes, enabling us to play together. But this is rather part of the work, the learning, the discipline that each of us every day artistically refines.
 

Above all, it’s the question of the phenomenon that is manifesting itself that interests me, and how listening and contemplation are at the heart of these manifestations with which we play together to compose in the instant.

So, it’s how can we focus our attention on what we have in common, our breeding ground: our presence, our listening, our body and space

And it’s just a moment where we are going to open our listening ranges. And welcome what is happening, attempting to put aside our representations, our expectations, our a-prioris.

My body lets thoughts emerge, a cognition, a re-cognition.
My body in presence, my body in dance. It’s a play on words and on bodies that are here expressed.
My body in consciousness or rather the consciousness or consciousnesses in movement in my welcoming body.

Strictly speaking, it’s not a lecture, nor a workshop, it’s another form that I am not able to name. You become all at once listeners, spectators, actors.

Therefore, it’s an experience in listening, and paying attention. Also, in looking.

A tension towards

At the same time a tenuous and flexible thread is held, towards what is manifesting itself in and around, and to identify, to perhaps note what is going on, while allowing this question of the relationship to emerge: dance and music in one’s own experience.
 
 
 

The space between oneself and the world.
This living space, vibrating in-between, in the midst, open.
 

The space that we all simultaneously share, dancers and musicians, improvisators – poets of the Instant, the fulgurating Instant, of the un-wise passing of time.
Time- traverses
Space od freedom, of conquering each instant – refreshed
Space of dignity and responsibility.

The space of listening and contemplation offering and sharing together the appearance of a manifestation that occurs at the same time.
Pre – what which precedes – birth, appearance, surge, unfolding, disappearance of an event (sound, gestural, or other), resonance – resonance of resonance, grasped by our perception and our consciousness.

The listening is common to all.

It’s in the midst
 

To be in the midst
To be at the heart
To be in relation

We are beings of relationship, and we can’t do otherwise but be connected. Connected with our environment, of which we are an integral part.
We are a place, a space in a larger space: the world
A point in the midst of a range
A detail in a globality
A tiny “whole” in a sensitive body.
A passage place
of traverses
A unique territory daring to welcome
and share, through sensitive play
A common space where gesture, whatever its form (danced, sonorous, pictural) is projected from the instant and is inscribed in a radical and ephemerous writing.
A writing of the ensemble – of unity.

Our body is an expanse of listening, of lives, of palpitations, of pulsations, of beats, of ceaseless flow. Our cells are continuously renewing at the same time as others die. Appearing and disappearing held together.
We are composed of rhythms, of large oscillations, that resonate with the world. An inner soundscape and, driven by this vital beat, an breath radiating through our whole body, which in turn resonates from our being, our history, our identity, our culture, what makes us what we are.
Flux and reflux.

Transformation(s)
Trans-mutations
 

The space within us listens to the beat of the world, and the space listens to us
Porosity.
It’s already a silent dialogue, as if muted –
A universal “breathing”, cognition and recognition known by each of us.
A mystery too.
An irremediable friction between the unknown and the known.
And it’s with this that we move on, compose, improvise.
The unsuspected.

We discover and refine our Feeling for space
each time!
We actualize in the space-time of the present, yet with everything we have in store, what we know of ourselves, what we don’t know. We play at the same time in between recognizing, forgetting, putting aside, abstracting, inhibiting, renewing, innovating, constructing and “de-constructing”.

We are born into the environment, we survive and live in this environment, in this air. We breathe the world as soon as we arrive, we adapt, and we display great inventiveness, to maintain this space of encounter, to create as the best as we can a just balance between the world’s unity and distinctiveness.
A dialogue of alterity

Our body breathes, inhales, exhales, takes natural pauses. We let ourselves inhale, we let ourselves exhale, we let ourselves settle into our silence.
Our inner pulse beats down deep within our world, beats towards the world, beats from the world, simultaneously beats and is in resonance with the world…
 
 
 

L’espace nous offre l’écoute
Space offers us listening
Space is listening
Listening is space
Space invites
Space unveils
 

We co-habit together with space, inseparable – undeniably.
We, dancers-musicians, improvise on the basis of this co-habitation.
We take into consideration the components of the surroundings: mood, colors, forms, lighting, air gaps and swirls, energy, smells, materials, sounds, living beings, breathings, frictions, displacements, plants, animals, humans, minerals, objects, invisibility, presences-absences, memories, architecture, all are rich supports, rather true partners for our composition. For our improvisations. Impropositions, impromptusition, position-com
Large and subtle perception.
We keep ourselves aware.
We let ourselves be carried along by the flow. And we keep ourselves ready to play appearances-disappearances.

Originating from the surge of a primary gesture, sound or/and dance source, propagation, encounter, surroundings conditions, instantaneous writing is revealed in this simultaneous complexity.
It’s not a binary relationship (sometimes it is) – music and dance, sound and movement, but ternary or even four-beat, even expansive-dilated-contracted: artist-audience space together focused on (towards-with-for) listening.

It’s also a relationship the distant and the near, the Here and Elsewhere, linked to the subterranean pulse through gravity and air.
A here and now with the formerly and the ad-venir.
In tune with the times!
Off-beat
 

And our presence (this present body), resonating from that diversity, in turn transforms what is around us.
Receiver emitter both
Transmitter – transm-be
Outward and backward – in and out –
Concentric and eccentric movement
Dilatation retraction expansion
Fabulous and natural life of the cell.
Physiological beat
Expression of living.
Organicity of listening.

Unveiling of meaning through listening.
 

Listening is an activity, a capacity given to us, a movement in itself, an awaking, an act, a grasp on what is.
A state         of not-wanting.
Be ready to… be focused towards!
On the lookout, on watch

A state of being yourself, outside oneself, simply, available to what emerges, gets there and flees away almost immediately. There is already in appearing, its disappearing. It’s our attention that makes it alive, real to ourselves, existing in space, element of composition. The surge and its journey through space become an entity, elusive matter of writing, revealing at once the matter of time.
 
Listening enables us artists, among others, to create and to grasp what is manifested, in our deepest inner self, in dialogue with the environment, in connection with the world (or/and an idea, a landscape, a person, an emotion, a situation, an event, a necessity, an absence, a questioning, an impulse, a vague intuition, reminiscences, something that touches us or not,
 
a mystery, an “it”, a question without answer).
 

A pure pleasure.
 

We compose with it, in, around, at the invitation in the midst in which the improvisation unveils itself.
 
Everything is there, within earshot, at fleur de peau (skin-deep), just ready to, just being there
Intuitive and cognitive agility, vivacity of a consciousness activated by listening to capture what there is, what appears before its actual manifestation, in the air.
Silently, through a subterranean and aerial pulsation already there, musicians, dancers – poets of the instant, we are predisposed to proceed intuitively to an immediate inventory of the state of play. To let emerge to our consciousness and our perception the state of mind

of this listening to silence, opening the space

May our bodies disappear (or at least the sensation of our own body) to let only appear the phenomenon of the essence of sound, of the essence of gesture, through our creative acts, and give life to these joyous gushings: the improvised pieces.
The unique poetic writings of Instant and Space, that offer themselves to the void and immediately disappear, leaving only in the air an obvious Unity, an irrational and mysterious agreement or perhaps graceful, full of grace.

These elusive enchantments, graspable and disappearable, reach in the same moment, in a muffled tortuous pathway within us, a place in our body. Like dreams gliding to other areas of the brain.
Physiological transmutation of an elsewhere, of a mysterious and delectable “it” that creates us anew with each penetrating experience.

Migrations of living-memories that become one with us, animate us, bringing back the elsewhere in the fabrics of our bodies, undressing us and re-dressing us.
For isn’t it the most naked act of stripping ourselves of what makes us, who we are, to let ourselves “porosited” by an unspeakable mystery, to let ourselves be? To let ourselves become another self, without losing ourselves either.

Without getting lost, but always letting by skimming-frolicking in us this madness, this irrational fantasy, allowed here in the now of wide listening, in this big-child game.

Metamorphosis
 
 

 

Part 2: Sound – listening – Gesture
in Instantaneous Composition
A Phenomenology of the Sensitive Body

How wide is the world
And how infinitely great and refined can be our listening
it’s available
A state
Listening is an act
An act of presence

Here, the spatial, sound architecture.
The landscape, in its midst with its particularities, its components.
A specific, situated space in a larger context-space

Consider the whole
The place itself, here and now:

  • The room or performing space (with sound, olfactive, tactile, visible, invisible, human presences)
  • And the wider space, the expanse: beyond the hall (the village, the mountains, the rivers, linked to the landscape here, extending to the sea, to other continents, the near linked to the far through land, through air)

Let’s come back here and now
In the present
To literally appreciate what is
What is lived
Let’s listen to this space
Let’s listen how this space moves us
In immobility
Let’s listen to the phenomenon

Let or senses to awake. Our cells adore
They are joyful when we give room for the body to listen
Gentle attention focused on the instant
Let the sounds reach us
The space between sounds
The space between silences
The space of silence composed of sounds
The sounds surrounded by silence
The sounds near, far
Let’s listen to the sense (senseless) revealed by silence
Rising by itself

Let’s listen to our breathing, our beating
Let’s listen to our rhythms amidst architectural sounds in space
Let’s listen to the movements of our living Being

Let’s listen to the other, to others, in space, in the process of listening
Let’s listen to listening

Let’s listen to the whole as a large score of sounds cohabiting together
Participating together
And,
Our presence at the core
Our attention focused, activated

What does it change
in us
In the air
In the atmosphere
 
 
 

The body is present
Through our very awareness
Presence – Participation
We act, more than we are actors
We participate whatever we are
And we are different
As a result, we participate differently from the way of our own listening
And our vision of the world is different
Our listening is variable
According to each of us, according to our mood, our state, our emotions, the conditions, etc.
Our listening is constantly in the process of evolving
And our view of the world evolves within us
In spite of ourselves, outside ourselves
Our gestures are modified
and as our listening is so different, dancers, musicians, improvisators, we are enriched by this diversity. Sharing is one of the flavors of improvisation. We taste this.

However, we have resistances, habits
And it’s by trying to distance ourselves from our resistances, from our expectations, that we can welcome, innovate, dare, astonish ourselves

 

Improvisation is to experience discovering.
You discover discovering at the same time as you’re uncovering.
Improvisation is to experience uncovering.

Highly dynamic
we have to be quick, agile, quiet to “survive” this fulgurating ephemeral.
 

We dare this vulnerability, this fragile strength
this intimate delivered in space
here this ringing far away
this phenomenal
presential state
 
 

the moment of composition

An invitation on-board
It’s already a movement in itself
Movement implies change
Change
Présences         absences
Mobility        immobility
Sounds         silences
The living
The manifestation of the living

Dance is the art of movement in silence
Dance is the art of inaudible sound
Dance is the art of the gesture of listening
Dance is the music of the inner impulse
Dance is the calligraphy of space, drawing and sculpting invisible landscapes
Dance is the capacity of letting be the in-between space
Between oneself and the surrounding space

Dance, in instant composition, is as letting live the space of emptiness
The space of nothing

The muffled ringing

Music is the art of silence in audible vibrations
Music is the art of sound movement,
of visible and audible modulation simultaneously
Music is the art of the writing of listening
Music is the voice of the inner impulse
Music is this calligraphy of space, dancing with it,
drawing and sculpting invisible soundscapes
Music is written in space
sculpting it

Dance and music are situated there

together, or rather at the same time

yet without “harmoniously playing together”

Dance and music play here proceeding from evidence
 

And
let things appear
The emergence of an unknown
Of an astonishment
Let’s be traversed
Harness

Grasp

Imagine

Construct deconstruct
 

Compose

Re inventing a new space
 

Poetics of the instant
 
 

For this, it’s an experience constantly renewed
which is shared, is nurtured by multiplying possibles

desires, encounters, dreams, intuitions, aspirations, affinities, heart’s impulses, fortuitous or aleatory conditions, contexts, ages.

no fixity
nothing is in a frozen state

Composing in the Instant sparks a capacity to stimulate our senses, our perception, our imaginary, our fantasy, our feelings, our thoughts, our emotions, our concepts, our intuition, our dreams, our desires, our knowledge, our ideas for creation.
 

Writing in the Instant sparks an adaptability to what comes along, to what is pre-disposed.
 
 

A readiness to be
Not expecting any result
But simply be swept along by the journey of the movement in the process being manifested (sonic, pictural, musical, corporeal, vocal, visual, etc.) and at the same time grasping it, perhaps with the intent of elaborating a composition.

Being in the process itself and listen this process in progress
Contemplating
Dance is contemplation
A dynamic meditation of mind and body in presence

Music can be a listening of this kind
a “reversible” listening, mirror listening almost
Dance and music look at each other, observe each other, tame each other, distance themselves from each other, come closer, co-habit, tune, or not
they live together in a contemplative listening, in the heart of and within a space.
 
We open a space within ourselves, and around ourselves; we invite the space itself to meet our inner space, and to let our inner space resonate in the world
And
Listening the resonance of the resonance
Listening to listening
Perhaps that’s what “creating in the instant” is all about
It’s an experience of what escapes
A traverse, letting ourselves be traversed,
Subtle expansion of the open
 
Welcoming the unknown
Recognized
Feeling that we do act
Responsibility of participating in the work in process of existence
 
Here we are, just one element among other elements, a living parameter among the whole, we are beings aware of what is being created.
 
Humility
Humanity
Outside any hierarchy,

Dancers and musicians, we hold together on a line or a point, that expands and sustains itself through gravity, through the air, through the universe.

Lines and waves expanding towards infinity
Constellations in constant movement.
 
 
For that, dancers and musicians, we leave open the possibles of the moment

–    we start from our body
 
–    we assess the situation in locating what is around us, meeting each other
 
 
It’s a hello
A sort of greeting
 
an acknowledgement of the Living
gratitude of the instant
 
the body: true cartography

an architecture in itself
a soundscape, audible and non-audible
a rhythmic body
a infinite language
an immense territory
in constant renewal
a world in itself
a phenomenon
<:p>

the soundscape : a true cartography

an architecture in itself
an immense territory, constantly changing
constantly renewing itself
a world in itself
a landscape
a phenomenon

the encounter: immense interactions

infinite possibilities
aleatoric variants
multiple compositions
probable and improbable agreements
unsuspected gestures – unimaginable
spatial, time, energetic, emotional, culturally multiple correspondences (or not)
varied accompaniments
A wider acoustic spectrum
 
 

How, perhaps, to better grasp what is within reach
 

Listening
a space of encounter between the inner world – our body – and the outer world, here, the sound-gesture landscape
 
–   the inner listening
in relation to sounds
 
–   the body
 

I attempt here, through “parameters” that appear to me to be fundamental but not exclusive, to propose a kind of deciphering of how the body/mind comes into play to create in the instant in relation to this (sound) space
 
I’ll here mention briefly what each parameter can lead to and stimulate as an ability to connect with this environment:
I start first from the constitution of the physiological and anatomic body, from the capacities to extend to our mind, our feelings, our affects, our creativity
 
–   ear, skin, muscles, bones, articulations, senses, perception, feelings, imaginary, fantasy, contemplation and poetics
 

the ear: sense of the architecture audition in a the shape of a spiral funnel, letting sounds pass in the form of percussions and vibrations in the auditive canal, to the cortex, through electric impulses; an entire nerve termination communicates, translates and recognizes information coming from the outside world
 
the ear: center of balance – inner ear
 
We keep our balance through listening
Constantly in between balance and imbalance
 
Wavering of listening
A tiny musical dance that whispers to us secrets of gravity and alliance of air with the earth
 
the ear: small, hollowed container, that holds a liquid. This liquid receives sounds. It is transferred and constantly seeking to retrieve its horizontality. Yet as soon as the body moves, the liquid is tossed about, almost a reversal in itself. Listening is incessantly renewed.
Permanent inconstancy
As soon as we move, we offer our ear a multitude of new possibilities. Ear and space levels are playing together. One doesn’t hear the same way lying down, standing, sitting, crawling four-legged, jumping up, pivoting, listening.
 

the skin: porous membrane, letting air particles pass through, filtering them, listening to them.
Temperature, oxygen, humidity, atmosphere, matters, vibrations, moods in the air are captured by it
The skin links up and separates from the outer world
The skin as boundary – offered edge
The skin, a living and sensible matter
In perpetual awakening
Quivering
 
Vibrant listening
Activity of the skin
The skin listens to the world in which our body moves, feels
Where our presence takes place
 
Listening through the skin, in the body, in my dancing body, stimulates a soften, round, vast listening. The skin that listens expands everywhere, all round. It enfolds. It caresses, lightly touches, glides, traverses, in turn widens, also retracts, softens the fibers underneath, enrobes the world, curls from the world.
It tunes in
It opens up and welcomes even what is “unpleasant”
The notion of pleasant and unpleasant is set aside to make way for acceptation of what is
The skin lets the journey of sound vibrations penetrate
Greeting it without a priori
The skin receives
Simply
It invites the outer world to glide in, to enter, to be filtered too.
 
Listening through skin is like a child’s listening. In a gentle, naïve amazement
 
Subtle skin
Subtle skin revealing hidden corners
Subtle skin receiving the slightest sound, even the inaudible
Subtle skin touching the invisible and being touched itself by this invisible
 
 
The immobile body and the body in motion
The one seemingly static
The other in a way of moving which changes the apprehension of the surrounding world
The body drawn into the space destabilizes listening, modifying it, dynamizing it.
Everything is going very fast. Listening is dynamic and has fun with that.
  The inner ear is constantly adapting, the skin takes over when balance is delayed
The skin supports us, communicates constantly and creates a passage between outside and inside
Sounds collide it, make it vibrate, caress it.
The skin can make itself receptive (of course, according to the mind’s ability to welcome and be ready to…)
The ear, sometimes not
Ears don’t carry eyelids
They never close, however, even if they are constantly open-offered, if the attention of our mind isn’t involved in listening, then we can ignore certain sounds
And even sometimes we may even feel as not hearing anymore
 
Listening through skin slips between sound and silence
It acts as a binder
It’s a listening continuum
This envelope is wide, and the world wideness recognizes it
Together they explore immensity
A kind of totality
The skin’s listening is global
Even if sometimes a sound touches a precise zone, a detail of the global body, very soon all the rest is touched
There is an immediacy
It’s like a wave, it radiates
Listening through skin is like water, a flux
Listening through skin immediately proposes a double move: my skin touches the world, and the world is touched.
(I am touched by the world that is touched!)
 

The skin, listening organ, in turn reflects back to the surrounding-space: an energy; the body’s heat is modified, and the body’s energy particles propagate to the air.
The air listens to skin, it receives information and re covers from it.
The air is linked with objects, with instruments, with musicians, with sound
The air is the space itself
The space listens to our presence, to presences
The sounds travel in the air as particles in vibrations
The vibrations reach the skin,
The energy vibrations of the body travel through the air and meet the sound vibrations
The vibrations meet one another
The sound listens to our presence
Our presence transforms sound
As sound transforms our presence
Back and forth
Permanent dialogue that sometimes escapes us
The body recognizes
Innate knowledge
tactile, vibratory knowledge
invisible dialogue
in the air
of the times
skin-deep
sound matter-deep
air-deep
listening deep-reveals
deep-revealing: to appear on the surface
 

Muscles, listening to space

Deep mass underneath
The muscles stretch, contract, responding to ligaments information, to nerve endings, in support of the skeleton, via tendons, ligaments, fascia.
Listening is deeper, more penetrating
It’s dense
Thick, expandable, flexible, elastic
Listening, here too, is dynamic, but it can offer a different temporality than listening through the skin.
Here, sounds that reach the muscles have already been filtered through by skin, and are as if impacted. Sounds bounce, hit, penetrate, diffuse themselves, following deep striae, open wrinkles. Sounds are kneaded, malaxed, as if atomized. They seem to be surrounded by thousands of muscular fibers, sometimes they are imprisoned in one place.
Listening through muscular mass is like absorption towards unspeakable depths.
It offers dance a silent, dense sound and tissue imprint.
It gives way to taste the detail, the mass, the fullness of a zone, through the impact of sound, inhabited by the strange, by the unexpected.
Listening through muscular mass warms you up, it’s carnal.
Can we speak of a carnal listening?
The skin: subtle listening of the invisible
The muscles: carnal listening
The skeleton: structural listening and resonance

Fasciae, listening of the unspeakable

Multiple, aquatic ramifications, the fasciae are a subtle and incredibly rich network of a multitude of pathways, alternating tiny thin filaments and capillaries, with “sunken drops”, where listening slips through, lingers, fuses, at an unsuspected speed, close to a speed of light, a luminous and radiant listening.
It escapes rationality and mastery.
Listening through fasciae is a lace of light.

Bones, skeleton, listening to space

Sophisticated architecture, a framework that’s both solid and supple, can make us stand upright
or not
It is complex and featuring lines, segments, curves.
Listening through the bones offers a resonance deep down inside us.
The bones receive percussions, vibrations, and make them to travel into the hollows, the interstices of the spongious of the bone constitution, for dissolving them, absorb them, “reverberating” them elsewhere in the body
 
Listening through the bones aims at the cell core
 
The skeleton is like a echo chamber of resonant silence
A dense space, with an atomic, nuclear intensity
There, external sounds meet, in depth, our inner sounds
They communicate between each other and recognize, discover each other
They speak a common, timeless language
Bone listening is timeless
also implosive.
 
 
It can linger there
Listening can stretch out in immobility
ephemerous eternity of immediate listening
 
It could last
 
Bone listening is relayed by the play of articulations and ligaments, nerves as well as fluids and organs.
Without them, it could not be able to conquer the bones, nor travel elsewhere, in the body and even beyond the body
Here again, you have a whole communication network involving sophisticated refinement.
A rhizome, roots, tubers
ramifications from skin to bone share listening, diffuse it, clarify it.
Listening through the bones is limpid, uncompromising
almost brutal, archaic.

The spine

Deep internal structure, flexible stem like a human bamboo floating inside
Supple line, winding inside ourselves
Its genttle curves offer us multiples-possibles
Flexibility
Directions, extensions, flexions, rotations
It’s tremendous
It’s there, within reach
All what’s needed is
Even if it can be twisted for some, frozen, broken, or even weakened,
it knows how to move by the attention given to it
It’s already an inner, deep, minute dance that unfolds through the body, into space
 
And then, it’s in itself made up of space,
Space between vertebrae,
Oiled disk with a nucleus inside
Like a cell
A precious little marble rolling about, adjusting to the slightest of our movements,
even the tiniest
That’s why it’s always possible to move, to dance, even if it’s not visible
It’s a gentle rolling, a play of perpetual gliding

                        A spine is also composed of several elements,
intelligently organized, of different shapes, of different sizes,
Here, you’re always discovering other possibles
Listening enables to follow the movement of the spine
This two-end arrow
The coccyx pointing towards the floor, like a plumb line, playing with gravity
like a pendulum finding what’s coming from our long ancestral historicity, this vertebra that was once a tail
And the first vertebra erected at the back of the skull
Elegance of the curved and vertical line
A posture worth of our ancestors that have unfolded, unwounded, with strength and frailty, like brackens’ young branches, tender green, tossed about by the elements in the midst of a dense forest
The spine – connecting link between the body’s upper and lower parts
Communication between high and low
 
It visits the space from within, letting a body shape to be drawn linked to space
Tracing of the lines
Living calligraphy – pure, unique, and universal stroke
Human architecture in the architecture of space
 
The awareness of the spine proposes clarity from where we are situated
It connects us, from the deepest to the surface, the environment, the other
Listening through the spine means this impulse rising towards the sky and anchored in the earth
listening is impetus
in inconstant dynamic stability
double movement of high and low playing together
in a multi-dimensional flexibility
listening is there on all sides
a listening on the edge
ear and spine linked together in this primal, primate instinct
nerve ramifications and spine connected together from periphery to human depth

Articulations, listening to space

Articulations and surrounding area, are the passageway
It’s empty space (but always full)
The space of freedom
 
Mechanisms, cogs, slides, liquidity, here again we are witnessing to a veritable interlocking play, of ramifications, connections, and rhythms. A perfect communication network.
The spaces in themselves listen
They listen, relay, allow the circulation of movement, the travelling of vibration.
An open space in itself
A place for fine and complex listening, offering a multitude of possibles, of new paths to follow
Sounds are carried along as a flux, they play in joyful expectation of the next movement, staying just long enough to find a new way to follow.
 
The articulation space is the sensible place of a listening steeped in freedom
Listening to the open, to the possibles
Here there are listenings and listening to listenings
A very subtle and joyful listening
a disturbing and breathtaking listening
because the tiniest little movement causes great turmoil
and a lot of emotions at that moment of listening
there are so many possibles, so many mysteries, so much of the unexpected
listening through the articulations is bewildering and yet so skillful.

Organs

Beating heart, pulsation valve, liver slowness, intestine transit, kidney filtering, genitalia for reproductions, spleen, respiratory tracts aeration, opening, closing, sorting, listening is here rhythmic, involuntary, primary, ancestral, and actual.
  Organs listening comes to meet the remote past, the Jadis with the present.
Listening rejoins that of the cells.
Listening is present memory.
 
Cellular memory and memory to come seem to dialogue there, deep in this very low and humid listening, almost basic, primal.
Primordial.
 

Liquids

In itself an ocean
an ocean of listening made up of flux and tides
of cycles and changes
of rhythms and colors
blue, red, transparent
incandescent, phosphorescent, luminous meanders
lakes and rivers, veins and arteries, plasma and intercellular liquid, extra-cellular matrix, liquids of the interstices, hollows and fills, infiltrations and corners, a flourishing and organized landscape together,
liquids that are oxygenated, purified, filtered, transformed, expelled, regenerated, soiled, illuminated, diluted, poured out, stagnated, infiltrated, housed, spreading out.
Listening through liquids and their vehicles is a moving listening.
Sounds are muffled, dilapidated, absorbed, transmuted, incorporated, jostled, spilled, moved, “resounded”, reverberated, impacted.
Listening is fluctuating. It plays on our adaptability.
It is in an unstable movement with which we know what to do
a continuum of ceaseless flux
such an ancient movement
a movement of the human body, a movement of the living body, a movement of the oceans and of the earliest living and surviving beings
listening is here primordial
matrixial
it provokes tides of wandering and rescue
unsettled resonances
gestures of an erstwhile time updated by what we are today
an ocean of listening that the skin retains, inhibits, and yet that lets itself be swept along by the flow of external moods.
Air is then a good companion for attenuating these tides of mouvances and resonances
would the sound from outside venture under the guise of an almost tranquil skin?
The dancer is standing there, on the edge of this tsunami, with which he sails, his listening as his helm.

Veins, arteries, capillaries: circulation networks, communication

  A whole complexity of ramifications that irrigates our muscles, fascias, organs, skin, with colored liquids. Listening is refined and floating; almost a blurring listening!
A sort of vague listening, all in whirls, in flux and reflux. A marine listening, a thick lava, and thin depending on the passageways.
 
Listening is like multiple, from everywhere, “disoriented”, almost wandering.
And yet so organized.
Listening in the move.
 
Whirls of listening

Nerves:

an arborescence of luminous filaments, from the vertebral trunk to the surface of the skin, electric journey at a vertiginous speed.
 
Listening is untamable, almost reflexic. The movement is animated while the mind has no time to see it occurring, nor passing. It’s already over.
Listening is almost atomic, so fast.
Listening of the instantaneous instant!
T

Our senses, listening to space

Awaken by these listenings, our senses are stimulated to receive even more
They are greedy!
Synesthesia, our sense speak to one another, at times more awaken, at other times getting married to each other, and still at others distinguishing themselves, or even revealing forms, flows of energy.
 
Hearing is not what’s only concerned (I’ll also be focusing on looking at the gestures)
From the moment we let ourselves be touched, the sense of touch is touched!
As soon as we move, the world around us moves, and the looking is changed. As soon as we listen, we taste our full presence here and now. We savor being at the core of the world.
   We create a new landscape, and our feeling guides us, intuitively.
Everything is a source of creation, of landmarks, of composition(s)
 
 
 
We let play our imagination, our feelings, emotions, hopes, images, recollections, visions, follies, dreams, hidden treasures, ancient memories, knowledge, history, references, dayly life, absences, desires, forgotfulness, landscapes from here and elsewhere, the beings that we met, love, encounter, colors, flavors, odors, sounds.
 
The usual becomes unusual,
The ordinary becomes extra-ordinary. The extra-ordinary becomes our ordinary.
 
All these “ingredients” abound within us
They stimulate each other with the world
Sound comes directly to touch our inner world.
   Our sounds, our rhythms, our energy, our feelings, our being.
It’s the alliance of resonances
 
The gesture takes hold of this
The energy of movement is propagated, vibrations circulate and intertwine.
 
The energy of matter in motion(s).
 
 

The surrounding space, external listening
. Perception, listening to space

Listening opens the interstices of our inner world
By opening up these interstices, it creates a sense of being in accordance
Then in this tangible agreement there’s in fact an immediate correspondence with the environment.
The landscape, of which we are a part of, becomes infinite
 
The landscape-space “desires” or rather becomes real just by being listen to, to be looked at, contemplated, integrated in its whole.
It’s all there, and the act of listening is this vehicle that allows us to travel in this space-time, that allows us to be integrated to the unity of space, of which we are only one element.
 
Space in itself and space outside itself undeniably establish a relationship.
Listening to listening opens the space of encounter even wider. Listening precises the space, it carves it, hears it, it happens as if outside itself.
The space of listening becomes autonomous.
   The space of creation becomes open.
The space of conscious freedom.
 
 

Sound, time

Listening to duration
Listening to the duration of sound or gesture offers the unfolding of time, and thus the probabilities and micro sound events: frequency, loudness, mass, amplitudes, effects, oscillations, waves, pitch, timbre, volume, etc…
It proposes a journey through time. It gives a sense of what precedes, a beginning, an unfolding, an ending, a resonance, and the resonance of resonance past      présent      future      and all the shifts from the past into the present, of the present towards the future, of the present into the past, from time that no longer exists to time that doesn’t exist, from time that’s wasted to time found again from time as a space where we exist.
Time of the living.
Listening to the living.
 
Listening to Time is an immediate predisposition for composition.
The composition as a writing of this movement of listening.
A muted pulsation within the space, in the earth, in the air, in oneself.
Listening to the relationship of pulsations that beat together, yet at the same time distinguish themselves and create a Unity.
Listening of the ONE
 
A large-scale score of Unity in which events cohabit, punctuate, raise, attack, gather, distance themselves, are made and unmade, play together, alone(s) or alone(s)-together…
Sound and gestural events that dialogue with each other, with their specificity, their difference, their “assemblance”.
Events that, finding their origin and their life at the source of listening, can then easily move apart, be side by side, or not. But they come from this same place.
The root of listening.
In other words, the radicality of listening.
 
 
All the overlaps, crossings, stretches, phrasings of a sound or sounds allow us to “imagine” sound trajectories. It’s the same with duration of movement, its trajectories. We can listen to that, this musicality of movement and we can also use our eyes. To “see” time.
In-between-seeing.
Looking at durations, observing the temporality in the gesture of the dancer. This is played out in the energy of the gesture, also its form, its accents, its nuances within a movement itself, the phrasing of the movement, its qualities, suspensions, stops, impulses, slowdowns, crescendo-decrescendo, musicality, etc…
 
Listen, look, feel, touch, taste, perceive are gestures-acts of listening.
 
 
Time and space are undeniably linked together
 
The oscillations of time are a multiplicity of events, that can be distinct or not. It’s a question of choice.
The body can follow this temporality. It contains it.
Listening through skin, bones, articulations, senses and obviously the feelings and the imaginary.
Everything resides in the attention paid towards
The feeling of the space
The feeling of oneself
The feeling of the between-oneselves and of the between-world
The feeling to be in the world
 
Arms, legs, spine, nerve ramifications, anatomic lines, like antennae, capture and transmit to the outside space
   Organs, liquids, fascias, veinous arterial cardiac endocrine rhythms, vital energy, receive, emit in their turn.
The instrument’s body, the musician’s body, the musician’s gesture with the instrument, the dancer’s gesture, are the animated compositional elements linked to space
 
The energy of the gesture is launched.
Invisible trace, audible or not.
The body manifests itself through listening.
 
 
The energy of the gesture is launched.
Invisible trace, audible or not. The body manifests itself through listening.
 
 
 
The sound is an uprising,
The sound displaces the whole body, jostling it, turning it upside down
 
The vivant body is time vibrant
Cells recognize that very quickly: rhythms, pulsation, beats, cycles, phrasing, musicality, intervals, loudness, attacks
It’s innate     physiological
 
 
 
We know how to compose with time
 
The time is given to us, the act of time rather
For how much time longer?
 
 
 
Listening to internal rhythms is a beat,
Manifestation of life
   Our presence becomes an element in the score of the world

The small in the big
A dot in the immensity
The immensity in a dot
 
 
 

Lines of sound

Trajectories
Volumes
perspectives
architecture
 
Source – passage – displacement – traverse – end of a cycle – resonance
Vanishing line

Of distancing
   Of drawing closer

Sounds draw lines, vertical, horizontal, oblique, in spiral, in mass, in longitudinal waves, in flux and reflux
Directions      multi-directions      a-direction
Gestures too.
Dancers and musicians can listen together to these lines, these traverses, these spatial and temporal geographies. They can also look at those lines, the movement forms, the choreographies (in the literal sense: writing the body in space), the cartographies, the displacements. The carto-choreographies.
Listening-seeing – at the same time or not
Letting the eyes take precedence in relation to the ears, or the other way around.
To perhaps feel that the musician is looking to the gesture while the dancer is listening to sound, or the other way around, or both.
To also imagine these sonorous and gestural lines taking shape in space. To follow them or not.
To play with the elasticity of space and time.

Elasticity of sound

elasticity of gesture

Sounds are amplified in volume, in moving mass, creating landscapes of curves, of volutes
Flows of energy, waves that my body can grasp, and play with
Gestures have these abilities too, and the musician’s body can play with them.
Sound creates displacements, displaces and is displaced by the presence of bodies, of matters, of light, of air, of volume of space itself, of walls, of atmosphere, of emptiness
 
Air openings          stirring
 
Sounds play with emptiness
They weave their way in it and fill it
Sounds, or more precisely sound vibrations are blunted by air vibrations
 
 
Dance is a dynamic manifestation of emptiness
 
The two have a lot of fun together
Of the space in between
Of the invisible and ephemeral
 
Energy of gesture in space
Energy strokes, no trace to be seen, visible, with the naked eye
Gesture only appears in emptiness and is born from immobility
Sound only appears in emptiness and is born from silence
 
Tuning together they find
They become one only
 
Sound directions aim at the body, striking it, passing through it
Target body
Porous envelope of the skin
The body is touched
 
There is the impact zone of the sound
Then dilation, propagation of sound within the body
Sound travels
The sound vibration meets the body vibration
 
The sound is transported, transformed in the body and by the body movement, its energy
 
The dancing body modifies trajectories
The dancing body makes sounds dance, the lines of sound
The sound energy meets the body energy
It’s physical
Carnal
 
The energy of sound, of gesture, of movements in the widest sense, modifies the space, affects the walls, heights, volumes of the space, transforms the mood and of course, the space itself also affects.
meta-archimorphosis
 
 
 :

Textures and sound materials

Textures and body materials
 
The thing itself
Entering the thing itself
the grain
Molecular energy
 
The essence of sound, the essence of gesture,
The essence of the space in between
 
Being and traveling through the thing itself
 
The processus
The journey
The path
 
 
One of the responsibilities as creators of the instant is to be able to contemplate what is in the process of being changed, what is appearing (and disappearing), in order to participate and compose with
 
Begins the play of listening to listening
 
Composing with the whole
And feel the act of creating to be almost autonomous
Free of thought
 `
Detached
 
 
 
Sounds and energies of sound, of body, of gesture jostle the space, transforming it as if simultaneously, or sometimes in alternation, or even through effects of resonance, space transforms us. It’s also a back-and-forth process, but still it remains a whole, an extra-ordinary complexity of all kinds of parameters.

Conclusion

We cannot grasp everything, so immense are the multiplicities: architecture, luminosity, zones of shadow, state of the public, disposition of the artists and audience, spect-actors, context, temperature, number of artists and spect-actors, acoustics, materials, floor, ceiling height, lighting, etc…
 
There are choices we make; these are aleatoric in the sense that they respond also to the present moment and to our degree of listening.
There is all the things that escape us, and yet are part of the composition.
And it’s to the extent that it escapes that we are composing.
We don’t try to find what is escaping. Certainly not
and that’s undoubtedly where all the rigor lies in preserving this freshness of the instant, of the unexpected, of the irrational.
It’s with what escapes, and with this “it” that passes through us, which we don’t want to know, don’t want to understand.
 
But just, like a miracle, every time to marvel.
These are all moments of grace, of enchantment, that allow us to shine through, not in order to be noticed
certainly not
as we insist on a certain discretion
to these wandering pathways that we take, that we track, not expecting to leave traces either, but rather to give ourself each time in the most generous way possible, to trust in this vital force that drives us, that drives the world.
To this precious beauty that resides in this marvelous adventure
where each living being is singular, unique
where each singularity becomes diversity and richness of sharing
where each space, each sound, each gesture constitutes a whole
born from a vague disorder
from an immense void
from a phenomenal chaos that gave life
to what we are.
And to what we choose to be and to become.

(Corrected, October 5, 2022)

 
 
 

LE SON – l’écoute – LE GESTE

Acess to the English translation: SOUND – Listening – GESTURE
Retour à la page d’accueil : Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin

 
 
 

LE SON – l’écoute – LE GESTE
dans l’improvisation

Emmanuelle Pépin



Février 2018

 

Sommaire :

Partie 1 : LE SON – l’écoute – LE GESTE dans l’improvisation
Partie 2 : LE SON – l’écoute – LE GESTE dans la composition instantanée
Le moment de la composition
L’écoute
Les muscles, écoutants de l’espace
Les fascias, écoutants de l’indicible
Les os, le squelette, écoutants de l’espace
La colonne vertébrale
Les articulations, écoutantes l’espace
Les organes
Les liquides
Les veines, artères, capillaires
Les nerfs
Nos sens, écoutants de l’espace
L’espace autour, l’écoute externe
Le son, le temps
Les lignes du son
Textures et matières du son
Conclusion

 

Partie 1 : LE SON – l’écoute – LE GESTE dans l’improvisation

Danse et musique sont reliées indéniablement.
Plus précisément mouvement et son.
Chacun d’eux tirent leur origine du corps, d’un corps conscient.
Ils jaillissent à partir d’un acte de présence.
Leur source est là, au creux de soi. A portée.

L’apparaitre et la propagation des phénomènes sonores ou dansés prennent des formes différentes, l’une plus visible, l’autre plus audible. Quoique !
La danse crée du son, nait du son même – un lointain au dedans de soi, un souffle, un
battement, un élan vital.
Le son vient d’un instrument qu’une personne joue, il provient du corps, d’un
mouvement, il est mouvement. Mouvement « résonnement » visible.

Dans une pièce improvisée, danse et musique existent ensemble dans le même espace, danseurs et musiciens sont relies entre eux par l’acte d’écoute et par la contemplation, pour se jouer de l’instant qui passe.

Fulgurance.

Se laisser inviter par l’espace même.

Ce ne sont donc pas des outils, ou des « scores » d’improvisation que je proposerai ici. Ils sont déjà̀ intégrés par chacun de nous, danseurs et musiciens. Cela fait partie de notre discipline et pratique, qui là aussi, se tiennent la main pour improviser.
Et je situerai davantage mon point de vue sur l’improvisation « libre » sans code pré́-établi.

C’est plutôt une expérience partagée de l’écoute, et une plongée dans le corps.
Corps du danseur, corps du musicien, corps de l’instrument – corps d’écouté –

Il est évident que des composantes comme le rythme, la durée, la texture, les hauteurs, volumes, notes, silence, mélodies, point d’attaque, contre-temps, impact, résonance, résonance de la résonance, arrêt, saccades, pré́-mouvement, énergie, pulsation, tempo, sources sonores, propagation, direction du son dans l’espace, partitions, scores, entrées-sorties, superpositions, entrelacements, sont des éléments avec lesquels le danseur joue. Le musicien aussi.
Le musicien peut aussi accompagner le danseur, le danseur peut accompagner le musicien, musiciens et danseurs peuvent s’accompagner ensemble, ou pas.

Peut-être d’avantage « s’accom-poser » ensemble.
Ils partagent ces étendues mémorielles, ces territoires d’impressions et d’expériences
accumulées et sans cesse rénovées par la fraîcheur de l’Instant.

Chacun d’eux, par son habilité, à la fois, s’amuse mais en même temps, se laisse traverser, et écoute intuitivement à la fois le chemin du son dans l’espace, dans l’instrument, dans le corps.
Plus habilement, l’artiste peut sentir les lieux du corps touchés précisément par le son via son impact, ses rebonds, ses pauses, sa texture, sa vitesse, ses élans, ses surgissements, son intensité́, sa qualité́, sa disparition, sa résonance, sa circulation, son enjeu sur nos cellules, nos mémoires, nos émotions, nos réservoirs enfouis.
Il peut juste se laisser toucher.
Le musicien ou danseur peut parfois même sentir les particules d’énergie(s) modifier l’espace et notre présence.
Il compose avec l’invisible.

Le corps et toutes ses couches et composantes – peau, tissu musculaire, liquides, organes, systèmes lymphatiques endocriniens…, rythmes internes, état, température, accueillent le son.
Le corps (bien entendu celui du danseur, mais également celui du musicien) est un résonateur, un canal au travers duquel le son circule, active et transforme notre présence.
Le danseur écoute comment le geste qui en découle, se place, s’invite dans l’espace au même titre que la note, que le son.
Comme un son gestuel, un son silencieux.
 
 

Contemplation et écoute de l’espace sont au cœur de l’improvisation.

Contemplation et écoute de l’espace sont au cœur de l’improvisation.
 
 

Attention portée, avec ce regard d’enfant, sur les phénomènes
 

La force de la confiance
 

Un corps paysage, un corps espace, un corps résonateur et résonant, un corps d’écoute.
Un état organique, sensible, poétique et un espace de création
 

Comment l’espace, nous offre la possibilité́ de créer, de transformer, d’être transformé.

Comment nos présences (musiciens, danseurs, publics) modifient l’espace, l’architecture, le son, l’atmosphère.

Et enfin, comment le dialogue entre le(s) corps et l’espace même s’établit.
Comment l’écoute, activée en chacun, transforme l’espace et par là même la composition.

L’écoute est à l’origine de la composition.
 

Comment, par cet accord organique, intuitif, sensible, musiciens, danseurs, poétes de l’instant, saisissons des phénomènes qui sont en train de se manifester, en même temps que surgit le sens, le sens de l’inattendu, de la composition, de la découverte et de l’écriture.

En tant que « performeuse » et artiste de la danse en composition instantanée, il m’intéresse ici de juste partager ce qui m’est apparu au sujet de la relation entre musique et danse, son et mouvement. Le mouvement dansé comme étant un mouvement sonore silencieux, une énergie dont la trace est invisible, mais saisissable par l’écoute portée. Et que le mouvement sonore est une trace audible, mais aussi un geste porté, issu du corps.

L’écoute est commune.
Elle est au milieu
 
 

Il y aurait tout un inventaire de correspondances évidentes, et sophistiquées relatant les particularités du son avec les particularités du geste : les complémentarités, les similitudes, en prenant en compte aussi les caractéristiques de l’instrument (sa forme, son matériau, sa résonance, son poids, sa maniabilité́ ou pas, sa texture, son origine, son utilisation, son son, et le son que chaque musicien crée et laisse s’exprimer).
 

Il y aurait aussi tout un inventaire possible de « scores » de sortes de codes qui nous permettraient de jouer ensemble. Mais cela fait partie plutôt du travail, de l’apprentissage, de la discipline que chacun raffine au quotidien dans son art.
 

Avant tout chose, c’est la question du phénomène qui se manifeste qui m’intéresse et comment l’écoute et la contemplation sont au cœur de ces manifestations avec lesquelles nous jouons ensemble pour composer dans l’instant.

C’est donc sur le comment nous pouvons porter notre attention sur ce qui nous est commun, notre terreau d’entente : notre présence, notre écoute, notre corps et l’espace

Et c’est juste un moment où nous allons ouvrir nos champs d’écoute. Et accueillir ce qui est en train de se vivre, en tentant de mettre de côté́ nos représentations, nos attentes, nos aprioris.

Mon corps laisse émerger la pensée, une connaissance, une re-connaissance.
Mon corps présent, mon corps dansant. C’est un jeu de mots et de corps qui s’expriment ensemble ici.
Mon corps conscient ou plutôt la conscience ou les consciences en mouvement dans mon corps accueillant.

Ce n’est pas une conférence à proprement parler, ni un atelier, c’est une autre forme que je ne saurai nommer. Vous devenez auditeurs, spectateurs, acteurs tout à la fois.

C’est donc une expérience de l’écoute, de l’attention portée. Du regard aussi.

Une tension vers

Un fil tenu, tendu et souple à la fois, vers ce qui se manifeste en soi et autour de soi, et de repérer, de noter peut-être ce qui est en train de se passer, tout en laissant émerger pour chacun cette question de la relation : danse et musique dans sa propre expérience.
 
 
 

L’espace entre soi et le monde.
Cet espace vivant, vibrant de l’entre, du milieu, de l’ouvert.
 

L’espace que nous partageons simultanément, danseurs musiciens, improvisateurs – poètes de l’Instant, de l’Instant fulgurant, du pas-sage du temps.
Temps- traversées
Espace de liberté́, de conquête de chaque instant – rafraîchies
Espace de dignité́ et de responsabilité́.

L’espace de l’écoute et de la contemplation offrant et partageant ensemble l’apparaître d’une manifestation qui survient en même temps.
Pré – ce qui précède – naissance, apparition, surgissement, déploiement, disparition d’un évènement (sonore, gestuel, ou autre) résonance – résonance de la résonance, saisis par notre perception et notre conscience.

L’écoute est commune.

Elle est au milieu
 

Être au milieu
Être au cœur
Être en relation

Nous sommes des êtres de relation et nous ne pouvons faire autrement que d’être en lien. En lien avec notre environnement, dont nous faisons partis intégrants.
Nous sommes un lieu, un espace dans un espace élargi : le monde
Un point au milieu d’une étendue
Un détail dans une globalité́
Un petit « tout » dans un corps sensible,
Un lieu de passage
de traversées
Un territoire unique s’osant à accueillir
et partager, par le jeu du sensible
Un espace commun où le geste, quelque que soit sa forme (dansée, sonore, picturale) est projetée de l’instant et s’inscrit dans une écriture radicale et éphémère.
Une écriture de l’ensemble – de l’unité́.

Notre corps est une étendue d’écoute, de vies, de palpitations, de pulsations, de battements, de flux incessant. Nos cellules se renouvellent sans cesse en même temps que d’autres meurent. Apparition et disparition tenues ensemble.
Nous sommes composés de rythmes, de larges oscillations, qui résonnent d’avec le monde. Un paysage intérieur sonore et, impulsé par ce battement vital, un souffle irradiant dans tout notre corps, qui à son tour résonne de notre être, de notre histoire, de notre identité́, de notre culture, de ce qui nous constitue.
Flux et reflux.

Transformation(s)
Trans-mutations
 

L’espace en nous écoute le battement du monde, et l’espace nous écoute
Porosité́.
C’est déjà̀ un dialogue silencieux, comme en sourdine –
une « respiration » universelle, connue et reconnue par chacun d’entre nous.
Un mystère aussi.
Une friction irrémédiable de l’inconnu et du connu.
Et c’est avec ça, que nous évoluons, que nous composons, que nous improvisons. L’insoupçonné́.

Nous découvrons et raffinons notre Sentiment de l’espace
à chaque fois !
Nous actualisons dans l’espace-temps du présent, avec pourtant tout ce que nous détenons, ce que nous savons de nous-mêmes, ce que nous ignorons. Nous jouons entre à la fois reconnaître, oublier, mettre de côté, faire abstraction, inhiber, renouveler, innover, construire et « dé-construire ».

Nous naissons dans l’environnement, nous survivons et vivons de cet environnement, de cet air. Nous respirons le monde dès notre arrivée, nous nous adaptons, et nous faisons preuve d’une grande inventivité, pour entretenir cet espace de rencontre, créer au mieux possible un juste équilibre d’une unité d’avec le monde et d’une distinction.
Un dialogue de l’altérité

Notre corps respire, inspire, expire, fait des pauses naturelles. Nous nous laissons inspirer, nous nous laissons expirer, nous nous laissons nous déposer dans notre silence.
Notre pulsation interne bat au creux de notre monde, bat vers le monde, bat du monde, bat simultanément et en résonance d’avec le monde…
 
 
 

L’espace nous offre l’écoute
L’espace est écoute
L’écoute est espace
L’espace invite
L’espace dévoile
 

Nous co-habitons ensemble avec l’espace, des inséparables – indéniablement. Nous, danseurs-musiciens, improvisons à partir de cette co-habitation.
Nous prenons en considération les composantes du milieu : l’humeur, les couleurs, les formes, la lumière, les trouées et remous de l’air, l’énergie, les odeurs, les matières, les sons, les êtres vivants, les souffles, les frottements, les déplacements, les plantes, les animaux, les humains, les minéraux, les objets, l’invisibilité, les présences-absentes, les mémoires, l’architecture sont de riches supports, plutôt de véritables partenaires à notre composition. A nos improvisations. Impropositions, impromptusition, position- com
Perception large et subtile.
Nous nous tenons au courant.
Nous nous laissons porter par le flux. Et nous nous tenons prêts à jouer des apparitions-disparitions.

Origine du surgissement d’un geste premier, source sonore ou/et dansée, propagation, rencontre, conditions du milieu, l’écriture instantanée se révèle dans cette complexité simultanée.
Ce n’est pas une relation binaire (parfois oui) – musique et danse, son et mouvement, mais ternaire voir à quatre temps, même expansive-dilatée-contractée : espace artistes publics ensemble tendus dans (vers-avec-pour) l’écoute.

C’est aussi une relation du lointain, et du proche, de l’Ici et de l’Ailleurs, en lien avec la pulsation souterraine au travers de la gravité, et de l’air.
Un ici et maintenant d’avec le jadis et l’ad-venir.
Un air du temps !
À contre-temps
 

Et notre présence (ce corps présent), résonnante de cette diversité́, à son tour transforme ce qui nous entoure.
Récepteur émetteur à la fois
transmetteur – transm-être
Aller retour – dedans dehors –
Mouvement concentrique et excentrique
Dilatation rétraction expansion
Fabuleuse et naturelle vie de la cellule.
Battement physiologique
Expression du vivant.
Organicité de l’écoute.

Dévoilement du sens par l’écoute.
 

L’écoute est une activité, une capacité qui nous est donnée, un mouvement en soi, un éveil, un acte, une saisie de ce qui est.
Un état         de non vouloir.
Être prêt à.… être tendu vers !
À l’affût, un aguet

Un état d’être soi, hors soi, simplement, disponible à ce qui émerge, arrive là et s’enfuit presque aussitôt. Il y a déjà dans l’apparition sa disparition. C’est notre attention qui la rend vivante, réel à nous-même, existante dans l’espace, élément de composition. Le surgissement et son voyage dans l’espace devient entité, matériau de l’écriture fugace laissant en même temps révéler la matière du temps.
 
L’écoute nous permet à nous, entre autres, artistes, de créer, et de pouvoir saisir ce qui se manifeste, au plus profond de nous, en dialogue avec l’environnement, en lien avec le monde (ou/et une idée, un paysage, une personne, une émotion, une situation, un événement, une nécessité, une absence, un questionnement, une impulsion, une vague intuition, des réminiscences un quelque chose qui nous touche ou pas,
 
a mystery, an “it”, a question without answer).

Un plaisir pur.
 

Nous composons avec, dans, autour, à l’invitation du milieu dans lequel l’improvisation se dévoile.
Tout est là, à portée d’oreille, à fleur de peau, à juste prêt à, juste l’être-là
Agilité intuitive et cognitive, vivacité d’une conscience activée par l’écoute pour capter ce qui est, ce qui se pressent avant même la manifestation, dans l’air. Silencieusement, au travers d’une pulsation souterraine et aérienne déjà là, musiciens danseurs – poètes de l’instant, nous nous pré-disposons à procéder intuitivement à un état des lieux immédiat. A laisser venir à notre conscience et notre perception l’état d’esprit

de cette écoute du silence, ouvrant l’espace

Que nos corps disparaissent (ou du moins la sensation de notre corps) pour ne laisser apparaître que le phénomène de l’essence du son, de l’essence du geste au travers de nos actes créatifs et donner existence à ces jaillissements joyeux : les pièces improvisées.
Les uniques écritures poétiques de l’Instant et de l’Espace, qui s’offrent au vide et disparaissent aussitôt, ne laissant dans l’air, qu’une Unité évidente, un accord irrationnel et mystérieux ou peut-être grâc(e)ieux.

Ces enchantements insaisissables, saisissables et disparaissables, rejoignant dans le même moment, en un sourd cheminement en nous, un lieu de notre corps. Tels les songes se glissant vers d’autres zones du cerveau.
Transmutation physiologique d’un ailleurs, d’un « ça » mystérieux et délicieux qui nous crée nouvellement, à chaque expérience prégnante.

Des migrations de mémoires-vivantielles qui nous deviennent, nous animent, nous ramènent l’ailleurs dans les tissus de nos corps, nous déshabillent et nous rhabillent. Car n’est-il pas une mise à nue si nue que de se dépouiller de ce qui nous fait, pour nous laisser « porositer » d’un mystère innommable, nous laisser bouger par ce qui échappe et nous saisit ? Nous laisser devenir un autre-soi sans se perdre non plus.

Sans perdre pied, mais toujours en laissant frôler-frolattrer en nous cette folie, cette fantaisie irrationnelle permise ici dans le maintenant de l’écoute large, dans ce jeu d’enfant grand.

Métamorphose
 
 

 

Partie 2 :
le son – l’écoute – le geste
dans la composition instantanée
une phénoménologie du corps sensible

Comme le monde est large
Et comme notre écoute peut être infiniment grande et raffinée
C’est une disponibilité
Un état
L’écoute est un acte
Un acte de présence

Ici, l’architecture spatiale, sonore.
Le paysage, le milieu avec ses particularités, ses composantes.
Un espace précis, situé, dans un espace-contexte, plus large

Considérons le tout
Le lieu même, ici et maintenant :

  • La salle ou l’espace de jeu (avec les présences sonores, olfactives, tactiles, visibles, invisibles, humaines)
  • Et l’espace élargi, l’étendue : plus loin que la salle (le village, les montagnes, les rivières, reliées au paysage d’ici qui s’étend jusqu’à la mer, jusqu’aux autres continents, le proche relié au lointain par la terre, par l’air)

Et revenons ici et maintenant
Dans le présent
Pour apprécier littéralement ce qui est
Ce qui se vit
Écoutons cet espace
Écoutons cet espace nous bouger Dans l’immobilité́
Écoutons le phénomène

Laissons nos sens s’éveiller. Nos cellules adorent ça
Elles sont joyeuses lorsqu’il est laissé la place au corps d’écouter
Attention douce portée sur l’instant
Laissons les sons nous parvenir
L’espace entre les sons
L’espace entre les silences
L’espace du silence composé de sons
Les sons entourés de silence
Les sons proches, lointains
Écoutons le sens (insensé) se révéler du silence
Se soulever de lui-même

Écoutons notre respiration, nos battements
Écoutons nos rythmes au milieu des sons architecturaux, de l’espace
Écoutons les mouvements de notre Vivant

Écoutons l’autre, les autres, dans l’espace, en train d’écouter
Écoutons l’écoute

Écoutons le tout comme une large partition de sons qui cohabitent ensemble
Qui participent ensemble
Et,
Notre présence au cœur
Notre attention tournée, activée

Qu’est-ce que ça change
en nous
Dans l’air
Dans l’atmosphère
 
 
 

Le corps est présent
Par là même notre conscience
Présence _ Participation
Nous actons, plus que nous sommes acteurs
Nous participons d’avec ce que nous sommes
Et nous sommes différents
De ce fait, nous participons différemment d’avec notre écoute
Et notre regard sur le monde est différent
Notre écoute est variable
Selon chacun, selon notre humeur, notre état, nos émotions, les conditions etc.
Notre propre écoute est sans cesse en train d’évoluer
Et notre regard sur le monde évolue en nous
Malgré nous, en dehors de nous-mêmes
Nos gestes se modifient
et comme nos écoutes sont si différentes, danseurs, musiciens, improvisateurs, nous nous enrichissons de cette diversité. Le partage est une des saveurs de l’improvisation. Nous goûtons à ça.

Pourtant nous avons des résistances, des habitudes
Et c’est en tentant de nous éloigner de nos résistances, de nos attentes, que nous pouvons accueillir, innover, oser, nous étonner

 

L’improvisation est l’expérience de la découverte.
Nous découvrons la découverte en même temps que nous nous découvrons.
L’improvisation est l’expérience du dévoilement.

C’est très dynamique
nous devons être vifs, agiles, et tranquilles pour « survivre » à cette fulgurance, à cet éphémère.
 

Nous osons cette vulnérabilité́, cette force fragile
cet intime délivré́ à l’espace
ce retentissement lointain jusqu’ici
cet état présentiel
phénoménal
 
 

le moment de la composition

Une embarquée
C’est déjà̀ un mouvement en soi
Qui dit mouvement dit changement
Changement
Présences     absences
Mobilité́     immobilité́
Sons     silences
Le vivant
La manifestation du vivant

La danse est l’art du silence en mouvement
La danse est l’art sonore inaudible
La danse est l’art du geste de l’écoute
La danse est la musique de l’élan intérieur
La danse est la calligraphie de l’espace, dessinant et sculptant des paysages invisibles
La danse est la capacité de laisser vivre l’espace entre
Entre soi et l’espace autour

La danse, en composition instantanée, c’est comme laisser vivre l’espace du vide
L’espace du rien


Le sourd retentissement

La musique est l’art du silence en vibrations audibles
La musique est l’art du mouvement sonore
de la modulation visible et audible en même temps
La musique est l’art de l’écriture de l’écoute
La musique est la voix de l’élan intérieur
La musique est cette respiration large calligraphiant l’air, dansant avec lui
dessinant des paysages sonores et invisibles
elle s’écrit dans l’espace
elle le sculpte

Danse et musique se situent là

ensemble, ou plutôt en même temps

sans pour autant « jouer harmonieusement ensemble »

Danse et musique jouent ensemble ici de l’évidence
 

Et
laisser apparaître
L’émergence d’un inconnu
D’un étonnement
Se laisser traverser
Capter

Saisir

Imaginer

Construire déconstruire
 

Composer

Ré inventer un espace nouveau
 

Une poétique de l’instant
 
 

Pour cela, c’est une expérience sans cesse renouvelée
elle se partage, se nourrit en multipliant les possibles

des désirs, des rencontres, des rêves, des intuitions, des aspirations, des affinités, des élans du cœur, des conditions fortuites ou aléatoires, des contextes, des âges.

aucune fixité
rien n’est dans le figé

Composer dans l’Instant suscite une capacité à stimuler nos sens, notre perception, notre imaginaire, notre fantaisie, nos sentiments, nos pensées, nos émotions, nos concepts, notre intuition, nos rêves, nos désirs, notre savoir, nos idées pour créer.
 

Écrire dans l’instant suscite une adaptabilité à ce qui se présente, se pré-dispose.
 
 

Une disponibilité à être
Sans attente du résultat
Mais simplement se laisser entrainer par le voyage du mouvement qui est en train de se manifester (mouvement sonore, pictural, musical, corporel, vocal, visuel, etc..) et le saisir en même temps, avec pour visée peut-être celle d’élaborer une composition.

Être dans le processus même et écouter ce processus en train d’exister
Contempler
La danse est une contemplation
Une méditation dynamique de l’esprit et du corps présents

La musique peut être une écoute de cette nature-là,
une écoute « réversible », écoute miroir presque
Danse et musique se regardent, s’observent, s’apprivoisent, se distancent, se rapprochent, co-habitent, s’accordent, ou pas
elles vivent ensemble dans une écoute contemplative, au cœur et avec un espace.
 
Nous ouvrons un espace en nous-mêmes, et autour de nous ; nous invitons l’espace même à rencontrer notre espace interne, et à laisser notre espace interne résonner dans le monde.
Et
écouter la résonance de la résonance
L’écoute de l’écoute
C’est peut-être ça « créer dans l’instant »
C’est une expérience de ce qui échappe
Une traversée, se laisser traverser,
Subtile expansion de l’ouvert
 
Accueil de l’inconnu
Reconnu
Se sentir acter
Responsabilité de participer à l’œuvre qui est en train d’exister
 
Nous sommes là, juste un élément parmi d’autres éléments, un paramètre vivant parmi le tout, nous sommes des êtres conscients de ce qui se crée.
 
Humilité
Humanité
En dehors de toute hiérarchie,

Danseurs et musiciens nous nous tenons ensemble sur une ligne ou un point, qui se dilate et se soutient d’avec la gravité, d’avec l’air, d’avec l’univers.

Lignes et ondes expansives vers un infini
Constellations mouvementées.
 
 
Pour cela, danseurs et musiciens laissons ouverts les possibles du moment

–    nous partons de notre corps
 
–    nous faisons l’état des lieux en repérant ce qui est autour de nous, en nous rencontrant
 
 
C’est un bonjour
Une sorte de salutation
 
une reconnaissance du Vivant
gratitude de l’instant
 
le corps : véritable cartographie

une architecture à lui tout seul
un paysage sonore audible et non audible un corps rythmique
un langage infini
un territoire immense
en renouvellement
un monde à part entière
un phénomène<:p>

l’espace sonore : véritable cartographie

une architecture à elle seule
un territoire immense, sans cesse en changement
en renouvellement
un monde à part entière
un paysage
un phénomène

la rencontre : l’interaction est immense

le champ des possibles infini
les variantes aléatoires
les compositions multiples
les accords probables et improbables
les gestes insoupçonnés- inimaginables
les correspondances (ou pas) spatiales, temporelles, énergétiques, émotionnelles, culturelles démultipliées.
Les accompagnements variés
Le champ acoustique élargi
 
 

Comment, peut-être, mieux se saisir de ce qui est à portée
 

L’écoute
l’espace de rencontre entre le monde interne – notre corps – et le monde externe, ici, le paysage sonore- gestuel
 
–   l’écoute interne
en relation avec le son
 
–   le corps
 

Je tente ici, par des « paramètres » qui m’apparaissent fondamentaux mais non exclusifs, de proposer une sorte de décryptage de comment le corps/esprit se mettent en jeu pour créer dans l’instant en lien avec cet espace (sonore)
 
Je cite ici d’une manière très succincte ce que chaque paramètre peut entrainer et stimule comme capacité à être en lien avec cet environnement :
Je pars de la constitution du corps physiologique et anatomique d’abord, des capacités pour s’étendre vers notre esprit, nos sentiments, notre affectivité, notre créativité
 
–   l’oreille, la peau, les muscles, les os, les articulations, les sens, la perception, les sentiments, l’imaginaire, la fantaisie, la contemplation et la poétique
 

L’oreille : sens de l’audition architecturé en forme d’entonnoir spiralé, laissant passer les sons, sous forme de percussions et vibrations dans le conduit auditif, vers le cortex, par des impulsions électriques ; toute une terminaison nerveuse communique, traduit et reconnaît les informations venant du monde externe
 
l’oreille : centre de l’équilibrage – oreille interne
 
Nous nous tenons en équilibre par l’écoute
Entre équilibre et déséquilibre constant
 
Vacillement de l’écoute
Une danse musicale infime qui chuchote en nous les secrets de la gravité et de l’alliance de l’air d’avec la terre
 
L’oreille : petit récipient, creux, dans lequel se loge un liquide. Ce liquide accueille les sons. Il est transvasé et sans cesse en quête de retrouver l’horizontalité. Pourtant, dès que le corps bouge, le liquide est ballotté, presque un renversement en soi. L’écoute est sans cesse renouvelée.
Inconstance permanente
Dès que nous bougeons, nous offrons à notre oreille une multitude de nouveaux possibles. Oreille et niveaux de l’espace jouent ensemble. On n’entend plus de la même manière allongé, debout, assis, à quatre pattes, en sautant, en pivotant, en écoutant.
 

la peau : membrane poreuse, laissant traverser les particules de l’air, les filtrant, les écoutant.
La température, l’oxygène, l’humidité, l’atmosphère, les matières, les vibrations, l’humeur dans l’air sont captées par elle
La peau relie et sépare du monde externe
La peau frontière – lisière offerte
La peau matière vivante et sensible
En éveil permanent
Frissonnante
 
À l’écoute vibrante
Activité de la peau
La peau écoute le monde dans lequel notre corps se meut, se ressent
Où notre présence a lieu
 
L’écoute par la peau, dans le corps, dans mon corps dansant, stimule une écoute en douceur, ronde, vaste. La peau qui écoute s’élargit de partout, tout autour. Elle enveloppe. Elle caresse, elle effleure, elle glisse, elle traverse, elle s’étend à son tour, se rétracte aussi, elle adoucit les tissus du dessous, elle enrobe le monde, elle s’arrondit du monde ;
Elle s’accorde
Elle s’ouvre et accueille même ce qui est « désagréable »
La notion d’agréable et désagréable est mise de côté pour laisser la place à l’acceptation de ce qui est
La peau laisse le voyage de la vibration du son pénétrer jusqu’à elle
Elle l’accueille sans a priori
La peau reçoit
Simplement
Elle invite le monde du dehors à se glisser, à entrer dedans, à être filtré aussi
 
L’écoute par la peau est celle de l’écoute de l’enfant. Dans un étonnement doux, naïf
 
Elle est subtile
Elle décèle les recoins
Elle reçoit le moindre son, même inaudible
Elle touche l’invisible et est elle-même touchée par cet invisible
 
 
Le corps immobile et le corps en mouvement
L’un en statique apparente
L’autre dans une mouvance qui change l’appréhension du monde autour
Le corps entrainé dans l’espace déstabilise l’écoute, la modifie, la dynamise.
Tout va très vite. L’écoute est dynamique et s’amuse de ça.
   L’oreille interne s’adapte sans cesse, la peau prend le relais au retard de l’équilibre
La peau nous soutient, communique sans cesse et crée le passage entre dehors et dedans
Les sons la percutent, la font vibrer, la caresse
La peau peut se rendre disponible (bien-entendu selon la capacité de l’esprit à accueillir et être prêt à…)
L’oreille parfois non
Les oreilles ne portent pas de paupières comme les yeux
Elles ne se ferment pas mais toutefois, même constamment ouvertes-offertes, si l’attention de notre esprit n’est pas participative de l’écoute, alors nous pouvons faire abstraction de certains sons.
Et même parfois, avoir le sentiment de ne plus rien entendre.
 
L’écoute par la peau se faufile entre son et silence
Elle fait office de liant
C’est un continuum d’écoute
Elle est large cette enveloppe et la largesse du monde la reconnaît
Ils explorent ensemble l’immensité
Une sorte de totalité
L’écoute de la peau est globale
Même si parfois un son touche une zone précise, un détail du corps global, très vite tout le reste est touché
Il y a une immédiateté
Elle est comme l’onde, elle irradie
L’écoute par la peau est comme une eau, un flux
L’écoute par la peau propose d’emblée le double mouvement : ma peau touche le monde, et le monde est touché.
(Je suis touchée du monde qui est touché !)
 

La peau, organe, écoutante, renvoie à son tour à l’espace-autour : une énergie ; la chaleur du corps se modifie, et les particules d’énergie du corps se propage à l’air. L’air écoute la peau, il reçoit les informations et se re constitue d’elles.
L’air est le liant avec les objets, avec les instruments, avec les musiciens, avec le son
L’air est l’espace même
L’espace écoute notre présence, les présences
Les sons voyagent dans l’air sous forme de particules en vibrations
Les vibrations viennent jusqu’à la peau,
Les vibrations énergétiques du corps voyagent dans l’air et rencontrent les vibrations du son
Les vibrations entre-elles se rencontrent
Le son écoute notre présence
Notre présence transforme le son
Comme le son transforme notre présence
Aller retour
Dialogue permanent qui parfois nous échappe
Le corps, lui, reconnaît
Connaissance innée
reconnaissance tactile, vibratoire
dialogue invisible
dans l’air
du temps
à fleur de peau
à fleur de matière sonore
à fleur d’air
l’écoute affleure
affleurer : apparaître à la surface
 

Les muscles, écoutants de l’espace

Masse profonde du dessous
Les muscles s’étirent, se contractent, répondent aux informations des ligaments, des terminaisons nerveuses, en soutient d’avec le squelette, via les tendons, ligaments, fascias.
L’écoute est plus profonde, plus pénétrante
Elle est dense
Épaisse, extensible, maniable, élastique
L’écoute là encore est dynamique, mais peut offrir une autre temporalité que l’écoute par la peau.
Là, les sons parvenant jusqu’à eux, ont déjà eu le filtre de la peau, et sont comme impactés. Les sons rebondissent, percutent, pénètrent, se diffusent en suivant les stries profondes, les ridules ouvertes. Les sons sont pétris, malaxés, comme atomisés. Ils sont comme entourés des milliers de fibres musculaires, parfois ils sont comme retenus prisonniers en un lieu.
L’écoute par la masse musculaire est comme une absorption vers les tréfonds indicibles.
Elle offre à la danse une empreinte sonore et tissulaire silencieuse, dense.
Elle donne à goûter au détail, à la masse, au plein d’une zone, par l’impact du son, habitée de l’étrange, de l’inattendu.
L’écoute par la masse musculaire échauffe, elle est charnelle.
Peut-on parler d’une écoute charnelle ?
La peau : écoute subtile de l’invisible
Les muscles : écoute charnelle
Le squelette : écoute structurelle et résonance

Les fascias, écoutant de l’indicible

Ramifications multiples et aquatiques, les fascias sont un circuit subtil et incroyablement riche d’une multitude de chemins, alternant filaments et capillaires si fins, avec des « gouttes en creux », où l’écoute se faufile, s’attarde, fuse, à une vitesse insoupçonnée, une vitesse proche de la lumière, une écoute lumineuse et radiante.
Elle échappe à la rationalité et à la maîtrise.
L’écoute par les fascias est une dentelle de lumière.

Les os, le squelette, écoutants de l’espace

Architecture sophistiquée, charpente solide et souple à la fois, elle nous tient debout
ou pas
Elle est complexe et propose des lignes, des segments, des courbes.
L’écoute par les os offre la résonance au plus profond de nous.
Les os accueillent les percussions, les vibrations et les font voyager dans les creux, les interstices du spongieux de la constitution des os, pour les dissoudre, les absorber, les « réverbérer » ailleurs dans le corps.
 
L’écoute par les os vise le noyau de la cellule
 
Le squelette est comme une chambre d’écho du silence résonant
Un lieu dense, d’une intensité atomique, nucléaire
Les sons extérieurs rencontrent là, en profondeur nos sons internes
Ils communiquent entre eux et se reconnaissent, se découvrent
Ils parlent un langage commun, atemporel
L’écoute osseuse est atemporelle
elle est implosive aussi.
 
 
Elle peut s’attarder là
L’écoute peut s’étendre dans l’immobilité
éternité éphémère de l’écoute immédiate
 
Elle pourrait durer
 
L’écoute osseuse est relayée par le jeu des articulations et des ligaments, des nerfs ainsi que les liquides et les organes.
Sans eux, elle ne parviendrait pas à conquérir les os, ni à voyager ailleurs, dans le corps et même au-delà du corps
Là encore, tout un réseau de communication d’un raffinement sophistiqué.
un rhizome, des racines, des tubercules
des ramifications de la peau à l’os partagent l’écoute, la diffuse, la clarifie.
L’écoute par les os est limpide, sans concession
presque brutale, archaïque.

La colonne vertébrale

Structure interne profonde, tige flexible tel un bambou humain flottant au dedans
Ligne souple, serpentant à l’intérieur de nous-mêmes
Ses courbes douces nous offrent des possibles – multiples
Flexibilité
Directions, extensions, flexions, rotations
C’est formidable
C’est là, à portée
Elle ne demande qu’à
Même si elle peut être tordue pour certains, figée, cassée, ou encore fragilisée, elle sait se mouvoir par l’attention qu’on lui accorde
Elle est déjà une danse interne, profonde, infime qui se déploie au travers du corps, dans l’espace
 
Et puis, elle est elle-même constituée d’espace,
Espace entre les vertèbres,
Disque huilé avec en son cœur le noyau
Telle la cellule
Une petite bille précieuse qui roule, s’ajuste aux moindres de nos mouvements, même touts petits
C’est pour ça qu’il est toujours possible de bouger, de danser, même si ce n’est pas visible
C’est un doux roulement, jeu de glissement perpétuel

                        Une colonne vertébrale elle aussi composée de plusieurs éléments, intelligemment organisés, de forme différente, de taille différente,
Ici, on découvre toujours d’autres possibles
L’écoute permet de suivre le mouvement de la colonne
Cette flèche aux deux extrémités
Le coccyx pointant vers le sol, tel un fil à plomb, jouant avec la gravité
tel un pendule repérant l’advenir à partir de notre longue ancestrale historicité, cette vertèbre qui fut un jour jadis une queue
Et la première vertèbre érigée à l’arrière du crâne
Élégance de la ligne courbe et verticale
Posture digne de nos ancêtres qui se sont dépliés, déroulés, avec force et fragilité, tel les jeunes branches des fougères, vert tendre, ballottées par les intempéries au milieu d’une forêt dense
La colonne – trait d’union entre la partie supérieure et la partie inférieure du corps Communication entre le haut et le bas
 
Elle visite l’espace du dedans en laissant se dessiner une forme du corps reliée à l’espace
Tracés des lignes
Calligraphie vivante – trait pur, unique et universel
Architecture humaine dans l’architecture de l’espace
 
La conscience de la colonne propose la clarté de là où on se situe
Elle nous met en lien, du plus profond vers la surface, l’environnement, l’autre L’écoute par la colonne est cet élan dressé vers le ciel et ancré dans la terre
l’écoute est élancée
en inconstante stabilité dynamique
double mouvement du haut et bas qui jouent ensemble
dans une flexibilité multi-directionnelle
l’écoute est là de tous côtés
une écoute aux aguets
oreille et colonne reliées ensemble dans cet instinct primaire et primate ramifications nerveuses et colonne raccordées ensemble de la périphérie à la profondeur humaine

Les articulations, écoutantes de l’espace

Les articulations et l’autour, sont le lieu de passage
C’est l’espace vide (mais toujours plein)
L’espace de liberté
 
Mécanisme, rouage, glissements, liquidité, là encore nous assistons à un véritable jeu d’emboîtement, de ramifications, de connexion, de rythmes. Un réseau parfait de communication.
Les espaces-mêmes écoutent
Ils écoutent, relayent, permettent la circulation du mouvement, le voyage de la vibration.
Un espace ouvert en soi
Un lieu d’écoute fine, et complexe offrant une multitude de possibles, de nouveaux chemins à emprunter
Les sons sont entraînés comme un flux, ils jouent dans l’attente joyeuse du mouvement suivant, ils séjournent juste le temps de trouver une nouvelle voie à emprunter.
 
L’espace articulaire est le lieu sensible d’une écoute empreinte de liberté
L’écoute de l’ouvert, des possibles
Il y a là des écoutes et l’écoute de ces écoutes
Une écoute très subtile et joyeuse
une écoute troublante et saisissante
car, le moindre tout petit mouvement provoque un grand bouleversement et c’est beaucoup d’émotions à ce moment-là de l’écoute
il y a tant de possibles, tant de mystères, d’inattendu
l’écoute au travers des articulations est déroutante et pourtant si savante.

Les organes

Cœur battant, valve pulsation, lenteur du foie, acheminement des intestins, filtre des reins, reproductions de l’appareil génital, rate, aération des voies respiratoires, ouvertures fermetures, tri, l’écoute est ici rythmique, involontaire, primaire, ancestrale et actuelle.
  L’écoute des organes vient rencontrer le lointain passé, le Jadis d’avec le présent.
L’écoute rejoint celle des cellules.
L’écoute est mémoire présente.
 
Mémoire cellulaire et mémoire à venir semblent dialoguer là, au creux de cette écoute très basse et humide, presque basique, primale. Primordiale.
 

Les liquides

Un océan en soi
un océan d’écoute constitué de flux et de marées
de cycles et de changements
de rythmes et de couleurs
bleues, rouges, transparentes
des méandres incandescentes, phosphorescentes, lumineuses
des lacs et des rivières, des veines et des artères, du plasma et du liquide intercellulaire, matrice extra cellulaire, liquides des interstices, des creux et des pleins, des infiltrations et des recoins, un paysage foisonnant et organisé ensemble,
des liquides qui s’oxygènent, se purifient, se filtrent, se transforment, s’expulsent, se régénèrent, se salissent, s’éclairent, se diluent, s’épanchent, stagnent, s’infiltrent, se logent, se répandent.
   L’écoute par les liquides et leurs véhicules est une écoute mouvante.
Les sons y sont étouffés, dilapidés, absorbés, transmutés, incorporés, ballottés, épanchés déménagés, « résonnés », réverbérés, impactés.
   L’écoute est fluctuante. Elle se joue de notre adaptabilité. Elle est un mouvement instable avec lequel nous savons faire un continuum de flux incessants
un mouvement si ancien,
un mouvement du corps humain, un mouvement du corps vivant, un mouvement des océans et des premiers vivants et survivants
l’écoute est ici primordiale
matricielle
elle provoque des marées d’errance et de sauvetage
des résonances désarçonnées
des gestes d’un jadis actualisé de ce que nous sommes aujourd’hui
un océan d’écoute que la peau retient, inhibe et qui pourtant se laisse entrainer par le flot des humeurs de l’extérieur.
L’air est alors un bon compagnon pour atténuer ces marées de mouvances et de résonances
le son venant de l’extérieur s’y aventurerait-il sous l’apparence d’une peau presque tranquille ?
Le danseur se tient là, au bord de ce tsunami, avec lequel il navigue, son écoute pour gouvernail.

Les veines, artères, capillaires : réseaux de circulation, communication

  Toute une complexité de ramifications qui irriguent nos muscles, fascias, organes, peau, de liquides colorés. L’écoute en est raffinée et flottante ; presque une écoute en
flou !
Une sorte d’écoute vague, tout en remous, en flux et reflux. Une écoute marine, une lave épaisse et fine selon les passages.
 
L’écoute est comme multiple, elle est de partout, « désorientée », en errance presque
Et pourtant si organisée.
Écoute mouvante.
 
Remous de l’écoute

Les nerfs :

une arborescence de filaments lumineux, du tronc vertébral à la surface de la peau, parcours électrique, à une vitesse vertigineuse.
 
L’écoute est indomptable, presque réflexe. Le mouvement est animé sans que la pensée n’ait le temps de le voir ni arriver, ni passer. C’est déjà fini.
L’écoute est presque atomique, si rapide.
L’écoute de l’instant instantané !
T

Nos sens, écoutants de l’espace

Éveillés par ces écoutes, nos sens sont stimulés à recevoir plus encore
Ils sont gourmands !
Synesthésie, nos sens se parlent entre eux, tantôt plus en éveil, tantôt s’épousant l’un avec l’autre, tantôt se distinguant, tantôt encore laissant apparaître des formes, des flux d’énergie.
 
L’ouïe n’est pas l’unique concernée (je porterai l’accent aussi sur le regard vers le geste)
A partir du moment où nous nous laissons toucher, le sens du toucher est touché !
Dès que nous bougeons, le monde bouge autour de nous et le regard est changé. Dès que nous écoutons, nous goûtons à notre pleine présence ici et maintenant. Nous savourons d’exister au cœur du monde.
   Nous créons un paysage nouveau, et notre sentir nous guide, intuitivement.
Tout est source de création, de repères, de composition(s)
 
 
 
Nous laissons jouer l’imaginaire, les sentiments, les émotions, les espoirs, les images, les souvenirs, les visions, la folie, les rêves, les trésors enfouis, les mémoires anciennes, les connaissances, l’histoire, les références, le quotidien, les absences, les désirs, les oublis, les paysages d’ici et d’ailleurs, les êtres croisés, aimés, les rencontres, les couleurs, les saveurs, les odeurs, les sons.
 
L’usuel devient inusuel,
L’ordinaire devient extra-ordinaire. L’extra-ordinaire devient notre ordinaire.
 
Tous ces « ingrédients » abondent en nous
Ils se stimulent d’avec le monde
Le son vient directement toucher notre monde interne.
   Nos sons, nos rythmes, notre énergie, nos sentiments, notre être.
C’est l’alliance des résonances
 
Le geste s’en saisit.
L’énergie du mouvement se propage, les vibrations circulent et s’entrecroisent.
 
L’énergie de la matière en mouvement (s).
 
 

L’espace autour, l’écoute externe
. Perception, écoutante de l’espace

L’écoute ouvre les interstices de notre monde interne
En ouvrant ces interstices, elle crée un sentiment d’être en accord
Alors dans cet accord tangible il y a une correspondance de fait, immédiate avec l’environnement.
Le paysage, dont nous faisons partis, devient infini
 
Le paysage-espace « désire » ou plutôt devient réel juste d’être écouté, d’être regardé, contemplé, intégré dans son ensemble
Tout est là, et l’acte d’écoute est ce véhicule nous permettant de voyager dans cet espace-temps, qui nous permet l’intégration de l’unité de l’espace, dont nous ne sommes qu’un élément.
 
Espace en soi et espace en dehors de soi établissent indéniablement une relation.
L’écoute de l’écoute ouvre encore plus large l’espace de rencontre. Elle le précise, le ciselle, l’entend. ça se passe comme en dehors de soi.
L’espace de l’écoute devient autonome.
   L’espace de création ouvert.
L’espace de liberté conscient.
 
 

Le son, le temps

L’écoute de la durée
L’écoute de la durée d’un son ou d’un geste offre le déroulé du temps et de ce fait, les probabilités et les micros évènements du son : fréquence, intensité, masse, amplitudes, effets, oscillations, vagues, hauteur, timbre, volume etc…
Elle propose la traversée du temps. Elle donne à sentir un ce qui précède, un début, un déroulement, une fin, une résonance et la résonance de la résonance
Passé      présent      futur      et tous les glissements du passé dans le présent, du présent vers le futur du présent dans le passé du temps qui n’est plus du temps n’existant pas du temps perdu du temps retrouvé du temps comme un espace où nous sommes existants.
Le temps du vivant.
L’écoute du vivant.
 
L’écoute du Temps est une prédisposition immédiate de la composition.
La composition comme une écriture de ce mouvement de l’écoute.
Une pulsation sourde au dedans de l’espace, dans la terre, dans l’air, en soi.
Une écoute de la relation des pulsations qui battent ensemble et qui, à la fois, se distinguent et créent une Unité.
L’écoute du UN
 
Une partition large de l’Unité dans laquelle les événements cohabitent, ponctuent, soulèvent, attaquent, rassemblent, s’éloignent, se distordent, s’assemblent, se font et se défont, se jouent ensemble seul(s) ou seul(s)-ensemble…
Des événements sonores, gestuels, qui dialoguent ensemble avec leur spécificité, leur différence, leur « assemblance ».
Des événements qui, trouvant leur origine et leur vie à la source de l’écoute peuvent alors facilement s’éloigner, être côte à côte, ou pas. Mais ils viennent de ce même lieu.
La racine de l’écoute.
Autrement dit la radicalité de l’écoute.
 
 
Tous les chevauchements, les croisements, les étirements, les phrasés d’un son ou de sons donnent à « imaginer » les trajectoires du son. Il en va de même pour la durée d’un mouvement, ses trajectoires. Nous pouvons écouter cela, cette musicalité du mouvement et nous pouvons aussi utiliser notre regard. « Voir » le temps.
L’entre-voir
Regarder les durées, observer dans le geste du danseur la temporalité. Cela se joue dans l’énergie du geste, sa forme aussi, ses accents, ses nuances à l’intérieur même d’un mouvement, le phrasé du mouvement, les qualités, les suspensions, les arrêts, les élans, les ralentissements, crescendo- décrescendo, musicalité, etc…
 
Écouter, regarder, sentir, toucher, goûter, percevoir sont des gestes-actes de l’écoute.
 
 
Temps et espace sont indéniablement reliés
 
Les oscillations du temps sont une multiplicité d’évènements, pouvant être distincts
ou pas. C’est une histoire de choix.
Le corps peut suivre cette temporalité. Il la contient.
Écoute par la peau, les os, les articulations, les sens et bien sûr les sentiments et l’imaginaire.
Tout réside dans l’attention portée vers
Le sentiment de l’espace.
Le sentiment de soi
le sentiment de l’entre-soi et l’entre-monde
le sentiment d’être au monde
 
Les bras, jambes, colonne vertébrale, ramifications nerveuses, lignes anatomiques, tels des antennes, captent et transmettent à l’espace dehors
   Organes, liquides, fascias, rythmes veineux artériels cardiaques endocriniens, énergie vitale, accueillent, émettent à leur tour.
Corps de l’instrument, corps du musicien, geste du musicien avec l’instrument, geste du danseur, sont les éléments compositionnels animés reliés à l’espace.
 
L’énergie du geste est lancée.
Trace invisible, audible ou pas.
Le corps se manifeste par l’écoute.
 
 
L’énergie du geste est lancée.
Trace invisible, audible ou pas. Le corps se manifeste par l’écoute.
 
 
 
Le son est un soulèvement,
Le son déplace le corps tout entier, le bouscule, le renverse
 
Le corps vivant est vibrant du temps
Les cellules reconnaissent ça très vite : les rythmes, la pulsation, les battements, les cycles, le phrasé, la musicalité, les intervalles, les nuances, les attaques
C’est inné     physiologique
 
 
 
Nous savons composer avec le temps
 
Le temps nous est donné, l’acte du temps plutôt
Pour combien de temps encore ?
 
 
 
L’écoute des rythmes internes est un battement,
Manifestation de la vie
   Notre présence devient un élément de la partition du monde

le petit dans le grand
le point dans l’immensité
l’immensité en un point
 
 
 

Les lignes du son

Les trajectoires
Les volumes
les perspectives
l’architecture
 
Source – passage – déplacement – traversée – fin d’un cycle – résonance
Ligne de fuite

D’éloignement
   De rapprochement

Les sons dessinent des lignes, verticales, horizontales, obliques, en spirale, en masse, en ondes longitudinales, en flux et reflux
Directions      multi-directions      a-direction
Les gestes aussi.
Danseurs et musiciens peuvent écouter ensemble ces lignes, ces traversées, ces géographies spatiales et temporelles. Ils peuvent aussi regarder ces lignes, les formes du mouvement, les chorégraphies (au sens littéral : écriture du corps dans l’espace), les cartographies des déplacements. Les carto-chorégraphies.
Écouter -voir – en même temps ou pas
Laisser le regard prendre du relief par rapport à l’ouïe, ou l’inverse.
Sentir peut-être que le musicien regarde le geste tandis que le danseur écoute le son, ou l’inverse, ou les deux.
Imaginer aussi, ces lignes sonores et gestuelles prendre corps dans l’espace. Les suivre ou pas.
Jouer alors de l’élasticité de l’espace et du temps.

Élasticité du son

élasticité du geste

Les sons s’amplifient de volume, de masse mouvante, créent des paysages de courbes, de volutes
Des flux d’énergies, des vagues que mon corps peut saisir, et jouer avec
Les gestes ont ces capacités là aussi, et le corps du musicien peut en jouer.
Le son crée des déplacements, se déplace et est déplacé par la présence des corps, des matières, de la lumière, de l’air, du volume de l’espace même, de parois, de l’atmosphère, de vide
 
Trouées d’air          brassage
 
Les sons jouent du vide
Ils s’y faufilent et le remplissent
Les sons ou plus précisément les vibrations du son s’émoussent des vibrations de l’air
 
 
La danse est une manifestation dynamique du vide
 
Les deux s’amusent follement ensemble
De l’espace entre
De l’invisible et de l’éphémère
 
Energie du geste dans l’espace
Traits d’énergie, pas de trace à l’œil nu, visible
Le geste n’apparaît que dans le vide et nait de l’immobilité
Le son n’apparaît que dans le vide et nait du silence
 
Ensemble ils trouvent l’accordage
Ils ne font qu’un
 
Les directions sonores visent le corps, le percutent, le traversent
Corps cible
Enveloppe poreuse de la peau
Le corps est touché
 
Il y a la zone d’impact du son
Puis la dilation, propagation du son en soi
Le son voyage
La vibration du son rencontre la vibration du corps
 
Le son est transporté, transformé dans le corps et par le mouvement du corps, son énergie
 
Le corps dansant modifie les trajectoires
Le corps dansant fait danser les sons, les lignes du son
L’énergie du son rencontre l’énergie du corps
C’est physique
Charnel
 
L’énergie du son, du geste, des mouvements au sens large, modifient l’espace,
touchent les parois, les hauteurs, les volumes de l’espace, transforment l’humeur et
bien sûr en même temps l’espace même touche.
méta-archimorphose
 
 
 :

Textures et matières du son

Textures et matières du corps
 
La chose même
Entrer dans la chose même
le grain
L’énergie moléculaire
 
L’essence du son, l’essence du geste,
L’essence de l’espace entre
 
Être et voyager au travers de la chose même
 
Le processus
Le trajet
le chemin
 
 
Une des responsabilités en tant que créateur de l’instant est de pouvoir contempler ce qui est en train d’être changé, ce qui est en train d’apparaître (et disparaitre), pour participer et composer avec
 
Commence le jeu de l’écoute de l’écoute
 
Composer avec l’ensemble
Et sentir l’acte de créer être presque autonome
Libre de pensées
 `
Détaché
 
 
 
Les sons et les énergies du son, des corps, du geste bousculent l’espace, le transforment comme en même temps, ou parfois alternativement ou encore par effets de résonance, l’espace nous transforme. C’est un aller-retour aussi mais c’est encore un ensemble, une complexité extra-ordinaire de toutes sortes de paramètres.

Conclusion

Nous ne pouvons tout saisir tant les multiplicités sont immenses : architecture, luminosité, zones d’ombre, état du public, disposition des artistes et des auditeurs–spect-acteurs, contexte, température, nombre d’artistes et de spect-acteurs, acoustique, matériaux, sol, hauteur plafond, éclairage, etc…
 
Il y a des choix que nous opérons ; ceux-ci sont aléatoires dans le sens où ils répondent aussi au moment présent et à notre degré d’écoute.
Il y a tout ce qui nous échappe, et qui pourtant font partie de la composition.
Et c’est parce que ça échappe, que nous composons.
Nous ne cherchons pas à trouver ce qui échappe. Surtout pas
et c’est sans doute là toute la rigueur à entretenir pour préserver cette fraîcheur de l’instant, de l’inattendu, de l’irrationnel.
C’est avec ce qui échappe, et ce « ça » qui nous traverse que nous ne voulons rien savoir, rien comprendre.
 
Mais juste, comme un miracle, s’émerveiller à chaque fois.
Ce sont tous ces moments de grâce, d’enchantements, que nous pouvons briller, non pour se faire remarquer
surtout pas
nous tenons à une certaine discrétion
à ces chemins de traverse que nous empruntons, empreintons, sans vouloir non plus laisser de traces mais plutôt à se donner à chaque fois, le plus généreusement possible, à faire confiance à cette force vitale qui nous anime, anime le monde.
À cette beauté précieuse qui réside dans cette merveilleuse aventure
où chaque être vivant est singulier, unique
où chaque singularité devient diversité et richesse de partage
où chaque espace, chaque son , chaque geste constitue un ensemble
né d’un vague désordre
d’un vide immense
d’un chao phénoménal qui a donné vie
à ce que nous sommes.
Et à ce que nous choisissons d’être et de devenir.

5 octobre 2022

 
 
 

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La ferme du Body Weather

Retour à la version originale en anglais: The Body Weather Farm

 
 
 

Rencontre autour de la ferme du Body Weather
(la période 1985-90)

Entretien avec
Christine Quoiraud, Katerina Bakatsaki, Oguri

 

Avec la participation de Jean-Charles François
and Nicolas Sidoroff pour PaaLabRes

2022-23

 

Traduction du texte original anglais en français de
Jean-Charles François

 

Sommaire :

1. Introduction.Présentation des entretiens
2. Avant la ferme du Body Weather, la rencontre avec Min Tanaka
3. Maï-Juku V et la création de la ferme. Tokyo-Hachioji-Hakushu
4. Body Weather, la ferme et la danse
5. Les communs au sein de Body Weather
6. Chorégraphie, improvisation, images.
7. Les relations avec le musique.
8. Conclusion. Après la ferme du Body Weather.


 

1. Introduction: Présentation des entretiens

L’origine de ce texte découle d’une première rencontre à Valcivières (Haute-Loire, en France) en 2020 dans le cadre de rencontres du CEPI (Centre Européen Pour l’Improvisation) entre Christine Quoiraud et Jean-Charles François. À cette occasion, Christine Quoiraud a présenté une conférence illustrée concernant le Body Weather, ses propres activités intitulées tout d’abord Corps/Paysage et de projets improvisés de longues marches pour danseurs et non danseurs, intitulés Marche et Danse. Dans les perspectives de la quatrième édition du collectif PaaLabRes, la documentation précise des diverses pratiques qui s’étaient déroulées pendant la présence de Christine Quoiraud à la ferme Body Weather au Japon (1985-90) est apparue comme d’une grande importance. Il restait en effet de nombreux points critiques à élucider après cette présentation, notamment concernant :

  1. Les relations entre les activités de la vie quotidienne à la ferme, les pratiques de l’agriculture, de l’élevage d’animaux avec les pratiques artistiques.
  2. Les relations entre ce qui se déroulait à la ferme et les performances en public.
  3. Les relations avec les fermiers vivant à proximité.
  4. Les relations entre la danse et l’environnement.
  5. Les relations entre la danse et la musique.

Christine Quoiraud a proposé à PaaLabRes d’organiser une rencontre en visio-conférence avec les danseurs, ex-membres ru Maï-Juku, Katerina Bakatsaki, vivant à Amsterdam, Oguri, vivant à Los Angeles, elle-même, vivant dans le sud-ouest de la France, et pour PaaLabRes à Lyon, Jean-Charles François et Nicolas Sidoroff.

Deux entretiens avec toutes ces personnes se sont déroulés en visio-conférence le 31 mai 2022 et le 15 février 2023. Entre les deux entretiens, Jean-Charles François et Nicolas Sidoroff ont formulé par écrit une série de questions. Nous avons décidé que les questions posées par PaaLabRes n’apparaîtraient que sous la forme de courtes introductions aux différentes parties.

L’enregistrement des échanges en anglais lors des entretiens a été transcrit par Jean-Charles François, avec l’aide précieuse de Christine Quoiraud, puis traduit en français. Le verbatim original anglais a été édité pour rendre les propos plus clairs pour la lecture, mais dans la mesure du possible, nous avons tenté de préserver le caractère oral des interventions. Nous remercions le Centre National de la Danse (CND) pour la permission donnée de reproduire les photos du Fonds Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Les différentes parties ne suivent pas forcément le déroulement chronologique des deux entretiens, mais suivent le principe de grands thèmes dans une progression ayant sa propre logique d’organisation.

 

2. Avant la ferme du Body Weather, la rencontre avec Min Tanaka.

Présentation

Katerina Bakatsaki, Oguri, et Christine Quoiraud sont trois artistes de la danse qui ont en commun d’avoir participé de 1985 à 1990 à la ferme du Body Weather créée par Min Tanaka et Kazue Kobata à une centaine de kilomètres de Tokyo.
Pour situer leur démarche et faire en partie connaissance de leur parcours initial, cette introduction se consacre aux circonstances qui les ont amené à rencontrer Min Tanaka avant leur participation à la Ferme.


Katerina Bakatsaki :

Vous tous, vous me voyez bien rire, car tout cela s’est passé il y a si longtemps. C’est tout un périple. Maintenant que nous nous trouvons tous dans des phases différentes de notre vie, j’ai des sentiments mitigés par rapport à mes souvenirs de ces circonstances, alors mieux vaut en rire. Mais je peux dire en tout premier lieu que lorsque je suis allée pour la première fois au Japon, j’avais vingt et un an et que je n’avais pas la moindre idée de ce que l’avenir me réservait. J’ai rencontré Min à peu près en 1985 : il dansait à La MaMa Theater Club près de New York et Œdipus Rex a été présenté dans ce lieu sur une chorégraphie de Min. Une performance de Œdipus Rex a eu lieu aussi à Athènes et à cette occasion il y avait besoin de la participation d’artistes au niveau local, et donc j’ai eu la chance et le plaisir d’être sélectionnée. C’est ainsi que j’ai pu participer à la production et que j’ai pu rencontrer Min et connaître ses méthodes de travail. 1985, vingt et un ans ! On peut imaginer un jeune cheval qui sait déjà qu’il y a plusieurs chemins possibles, sans savoir exactement ce dont il a besoin et ce qu’il veut, simplement parce qu’il n’a pas assez d’informations à sa disposition. En 1985, on ne savait pas exactement en Grèce ce qu’était le contact improvisation, on en avait juste vaguement entendu parler, les informations sur ce qui se passait dans le monde étant très, très rares, voire inexistantes. J’étais donc curieuse, je commençais à pratiquer la danse en Grèce, mais j’étais à la recherche d’autres choses, sans savoir exactement ce que c’était, j’ai traversé l’Europe en rencontrant différents chorégraphes, en passant des auditions. J’ai rencontré Pina Bausch, j’aurais pu rejoindre sa compagnie, mais je ne l’ai pas fait parce qu’intuitivement je pensais que non, ce n’était pas pour moi. Toujours est-il que j’ai rencontré Min en participant à cette production et je pense qu’avant tout et par-dessus tout, il y avait quelque chose qui provoquait intuitivement en moi une forte croyance, une grande confiance, ou qui permettait de me connecter, mais je ne savais pas encore de quoi il retournait. Quoi qu’il en soit, j’ai pensé : « Eh bien, je veux en savoir plus sur cette personne ». Et c’est à ce moment-là qu’il m’a dit qu’il animait des ateliers d’une durée de deux mois au Japon, donc, je me suis dit : « J’y vais ! ». Juste une petite anecdote amusante : j’ai emporté mes chaussons à pointes avec moi – j’étais alors étudiante et une partie de mes études comportait de la danse classique – ceci pour dire dans quel état de confusion j’étais alors. Je suis arrivée dans le studio à Hachioji, la ferme n’existait pas encore. La création de la ferme a été la conséquence de pratiques qui se faisaient à ce moment-là au sein de la communauté, avant que la ferme ne soit devenue une réalité. Il faut noter, en passant, qu’en 1985 je suis allée là-bas pour deux mois et j’y suis restée huit ans.

Oguri :

Peut-être… c’est mon tour… comment commencer ? Donc – moi aussi cela me fait rire ! – c’était il y a trente ans ! Il y a trente ans, moi aussi, j’ai tout quitté, je suis resté cinq ans, les mêmes années que Katerina et Christine. Comme l’a dit Katerina, il y avait un atelier de deux mois : « Maï-Juku V, atelier intensif ». Min Tanaka avait commencé cela en 1980. OK, je retourne un peu en arrière : je vivais à Tokyo, je n’y suis pas né, j’ai suivi des études d’arts plastiques – un genre d’art conceptuel – à Tokyo avec Genpei Akasegawa. Il est mort en 2014. C’était à ce moment-là un homme important de la scène artistique au Japon. Dans les années 1960, donc avant la grande expo internationale à Osaka dans les années 1970, et avant qu’il ne devienne un artiste non-institutionnel, il a rencontré le mouvement néo dada Hi-Red Center et il a beaucoup collaboré avec Nam June Paik et John Cage. En tout cas, j’étais intéressé à étudier ce genre d’art plastique. Pendant les années 1960, Akasegawa a collaboré extensivement avec le mouvement au Japon Ankoku Butōh de Hijikata Tatsumi[1]. L’enseignement de Akasegawa m’a permis de côtoyer tous les mouvements d’avant-garde des années 1960-70 au Japon (voir Akasegawa Genpei Anatomie du Tomason). Et le Butōh, Ankoku Butōh m’a beaucoup attiré. Mais je n’étais pas prêt à devenir un danseur. Et pendant les années 1980, alors que je faisais encore mes études, j’ai aussi vu le travail de Min Tanaka. Il dansait encore alors avec sa tête rasée et son corps nu, peint, et cette danse consistait en des mouvements lents et graduels se transformant dans le temps. Il a travaillé avec Milford Graves et Derek Bailey, un événement très important à Tokyo. Une très grande impression pour moi, c’était quelque chose qui se plaçait « entre », était-ce de la danse ? Et en fait, à l’époque, le terme de « performance » a été introduit au Japon. Pas « performance art », juste « performance », qu’est-ce qu’une « performance », qu’est-ce qui est un Butōh, qu’est-ce qui est danse ? Cette frontière, il m’est impossible de la définir : petit théâtre ? L’idée de théâtre est devenue populaire à partir des années 1960. Mais ce n’est pas non plus un nouveau type de théâtre, tout cela c’est comme un melting-pot. À ce moment-là, j’ai suivi les ateliers Butōh de Hijikata Tatsumi, c’était très court, peut-être pendant trois jours très intenses. C’est ce qui a constitué ma formation de danseur avant de participer au Maï-Juku « Body Weather » de Min Tanaka. Je n’ai jamais suivi une formation formelle en danse. J’ai vu le travail du Butōh et celui de Min Tanaka, et j’ai participé à une performance, mais je n’étais pas encore un danseur. Pour le premier festival de Butōh au Japon, à Tokyo, Min a réuni quarante danseurs, des corps masculins. Cette performance, c’était ma première participation. Et puis, un an plus tard, oui, j’ai reçu une annonce pour le stage intensif Maï-Juku. C’est là qu’a commencé véritablement mon travail par rapport à cette pratique. C’est donc, oui, effectivement en 1985, pendant le Maï-Juku V, que j’ai été impliqué dans le travail de préparation de la ferme Body Weather à Hakushu. C’était donc une sorte de projet parallèle : il s’agissait de préparer le lieu, la ferme, et de participer à Maï-Juku V. Et une fois commencé l’atelier du Maï-Juku V, je pense qu’un mois après, je me suis déplacé à la ferme de Hakushu… on avait un processus de training[2] à part à la ferme. Je me souviens de ce que nous avons fait à la cascade… Avant que Maï-Juku se mette en place en 1980, Min Tanaka n’avait pas avec lui un groupe de performance. Le concept du Maï-Juku était basé sur la capture des corps – non ! pas le corps – la « capture » des personnes participant au training : quand Min Tanaka était en tournée, c’est comme ça que Katerina a été happée. En Europe et aux États-Unis, La MaMa à New York, et partout où il était en tournée il y avait des performances et des ateliers… c’est donc comme les deux roues d’un même carrosse. Les gens étaient intéressés et participaient tous les ans. Ce fut ainsi Maï-Juku de I à V. La cinquième année, a été créée la troupe Maï-Juku Dance Cie dédiée à la performance. Les termes de Butōh ou de « danse », n’ont pas été utilisés, mais cela s’est appelé « Maï-Juku performance ». Et concernant ce Maï-Juku V, l’année où nous avons participé a constitué un tournant très, très important. Beaucoup des anciens membres du Maï-Juku étaient partis. C’était un moment très étrange. Au début, je pense qu’on était à peu près quarante personnes qui participaient au commencement des deux mois d’atelier. Après deux mois d’une formation intensive, je pense qu’il ne restait plus qu’une dizaine de personnes environ. Mais dix personnes sont restées. Dix personnes y compris deux ou trois personnes originaires du Japon. Donc, un certain nombre de personnes provenant de l’Europe sont restées comme Katerina, Christine, Tess de Quincey d’Australie, Frank van de Ven des Pays-Bas, et (en 1986) Andres Corchero et Montse Garcia d’Espagne – peu de personnes[3]. C’était une transition très importante. Oui, quand Min Tanaka a débuté la ferme, cette transition a été fondamentale, une question essentielle. Min Tanaka n’a jamais appelé sa danse Butōh, mais en 1984, il a dansé en solo une chorégraphie de Tatsumi Hijikata à Tokyo. Cela a été aussi un tournant décisif, qui a changé le… Oui, OK. Je m’arrête de parler.
 

Affiche "Min Tanaka chorégraphié par Hijikata", fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND
Affiche « Min Tanaka chorégraphié par Hijikata »,
fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Christine Quoiraud :

J’ai rencontré Min Tanaka en France, plus précisément à Bordeaux, par hasard. Je dansais à ce moment-là dans une compagnie ayant pour style la technique Cunningham. J’étais en train de préparer un spectacle et quelqu’un est venu déposer des tracts avec la photo de Min Tanaka, une publicité pour un atelier à Bordeaux. C’était la seconde année où il est venu en France en 1980 ou 81 à Paris, après une présence importante au festival d’automne en 1978. Et c’était au moment où il a rencontré Michel Foucault et Roger Caillois. Min Tanaka animait un atelier à Bordeaux au moment où j’y étais. J’ai alors tout laissé tomber et je suis allée à son atelier. Dès que j’ai ouvert la porte, j’ai été conquise.

Je m’en souviens très bien, un travail d’écoute des sons avait été proposé : les participants avaient les yeux bandés et marchaient le long d’une ficelle de cuisine posée sur le sol. Min Tanaka produisait des sons, il frappait dans ses mains ou il jouait avec du papier. Il se déplaçait dans la salle, changeait de hauteur, changeait les distances. Nous, on était censé montrer avec l’index la direction de l’endroit d’où venait le son, et pendant ce temps-là il fallait maintenir son équilibre, un pied contre l’autre sur le fil conducteur posé sur le sol. Cela a été une révélation, j’ai été immédiatement complètement convaincue. Avant cela, j’ai fait l’expérience de plusieurs types de techniques de danse contemporaine. À ce moment-là en France, beaucoup d’étrangers sont venus, beaucoup d’américains, mais aussi des asiatiques : j’avais déjà rencontré Yano et Lari Leong qui m’ont donné ce sens d’un état d’esprit venant de l’Asie. Lorsque j’ai rencontré Tanaka, c’était ça ! J’étais conquise. Donc, je me suis immédiatement inscrite pour le prochain atelier qu’il a donné un mois plus tard à Bourg-en-Bresse, il y avait quarante personnes. Il nous a donné les bases du Body Weather, le travail de manipulation/étirements et un peu de travail sur les sensations et il nous a offert l’occasion de participer à une performance. C’est ainsi qu’il a construit une sorte de développement pour la performance, en très grande partie improvisée, avec quelques éléments, quelques consignes. Cela se passait dans un gymnase immense. Lorsque le public est entré, on était assis dans les gradins et progressivement on se penchait sur notre voisin, on s’appuyait contre le public. Puis on a progressé très lentement vers le sol. Cela m’a fait vraiment une très forte impression. Alors, dès ce moment, j’ai quitté mon travail, j’ai arrêté tout ce que je faisais, et j’ai acheté une voiture pour pouvoir vivre dedans. J’ai créé le laboratoire Body Weather nomade. J’ai voyagé dans toute l’Europe. C’est ainsi que j’ai rendu visite à tous les groupes Body Weather qui se mettaient en place à Genève, à Groningen, quelque part en Belgique, c’était peut-être Gand et en France, à Pau, à Paris. Je voyageais d’un groupe à l’autre. On partageait toujours le training et les performances, surtout à l’extérieur dans les rues ou n’importe où dans la ville. Tanaka est venu chaque année à partir de ce moment pour animer des ateliers surtout à Paris ou en Hollande, ou en Belgique, et je participais à tous. Chaque année il me disait : « Christine, pourquoi ne viendrais-tu pas à l’atelier intensif de Tokyo ? » J’ai finalement décidé d’y aller en 1985. Je suis aussi venue au Japon avec un visa valable seulement pour cet atelier, mais je ne suis pas repartie, je ne pouvais pas repartir après ce que j’avais vécu. Je suis restée plus de quatre ans, presque cinq ans. Autant que je me souvienne…
 

Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

 

3. Maï-Juku V et la création de la ferme. Tokyo-Hachioji-Hakushu.

Présentation

Dans l’esprit des enquêteurs de PaaLabRes (Jean-Charles François et Nicolas Sidoroff) le projet de la ferme Body Weather impliquait qu’un groupe de personnes ait décidé de vivre à la ferme, d’où l’idée qu’il y avait un commencement dont une narration détaillée permettrait de saisir l’origine de la démarche. Mais les réponses des trois artistes montrent qu’il n’en a rien été : le processus de la construction de la ferme a été très graduel et s’est inscrit dans un trajet d’allers et retours constants entre Tokyo et Hachioji (une banlieue de Tokyo), puis entre Hachioji, Hakushu (lieu de la ferme) et Tokyo. C’est un des aspects importants de l’idée du Body Weather, le corps comme la météo change constamment et ne se fixe nulle part. Cette conception signifie moins l’idée de migration ou de déplacement, de voyage, mais plutôt de fluctuations produites par friction dans un environnement donné.
On est alors en présence de trois environnements, un complètement urbain (Tokyo), un complètement rural (Hakushu) et un se situant entre ces deux pôles (Hachioji, en banlieue de Tokyo). Les activités de la ferme se sont ainsi construites progressivement, en interaction avec les fermiers déjà sur place.


Christine Quoiraud :

L’atelier intensif Maï-Juku V (en 1985) se déroulait à Tokyo, dans une banlieue éloignée, à Hachioji, où se trouvait un studio. Il y avait des rizières près du studio et une rivière. On est souvent allé travailler près de la rivière. Ou bien, à un moment donné, on est allé dans la montagne à 30 minutes de là. À la fin du stage intensif, on s’est déplacé à la ferme pour clore cette période de travail intensif. On est entrés dans l’eau chutant de la haute cascade, nus. Ceci, et tout ce qui s’en suivit, fut un point clé, un tournant décisif. Min était très fier de nous montrer la ferme. On y est allé tous ensemble. Après cet atelier dans la rivière, on s’est retrouvé devant un grand feu au bord de l’eau. C’était à la fin d’octobre, il faisait un froid glacial. On a terminé l’atelier intensif là, à la ferme. Puis ce furent les débuts de la ferme. Andrés Corchero n’est arrivé qu’en février 1986 pour l’atelier intensif suivant (Maï-Juku VI) qui cette fois, n’a duré qu’un mois.

Katerina Bakatsaki :

Je ne pense pas qu’il y ait eu un jour A. Je pense qu’il s’agissait d’un long processus constitué par différents évènements et de différentes façons de travailler qui a conduit à trouver un lieu, etc. Donc, je ne sais pas s’il y a eu un premier jour, mais avant de dire cela, il me faut souligner, peut-être juste de le dire, que quand j’ai rencontré Min à Athènes, la partie de son travail qui m’a le plus intriguée a été certainement le travail qu’il nous a invité à réaliser à l’extérieur du studio, à l’extérieur de l’espace du théâtre ou de l’espace du studio. Et comme l’ont déjà dit Christine et Oguri, Min était engagé dans un travail qui déjà impliquait des lieux, des situations et des contextes étranges, éloigné de la dance et du formel, de tout type de manifestation d’art formel. Il s’agissait de travailler en dehors des soi-disant espaces artistiques… Je reformule la question : que pourrait être la danse lorsqu’elle est vécue dans beaucoup de contextes différents, quand elle engage beaucoup de corps différents, évidemment pas seulement des corps humains, pas seulement son propre corps, mais aussi le corps des non-humains ? cette question était dès cette époque la préoccupation majeure de Min dans son travail. C’est ce que je voudrais souligner et en fait, pour moi, cet élément et cette recherche que menait Min dans son travail devait inévitablement déboucher sur la création d’une sorte de lieu et de réseau intégrés, existant dans son idée en dehors de la ville et en dehors des contextes artistiques formels.

Christine Quoiraud :

Comme l’a dit Katerina, on n’a pas commencé à travailler à la ferme immédiatement, cela s’inscrivait dans un processus. Et si je me souviens bien, il a fallu construire et organiser la ferme avant qu’elle ne fonctionne. On a commencé par construire plusieurs poulaillers. Oguri peut en parler beaucoup mieux que moi. Peu à peu, on a acheté des poules, puis on s’est mis à cultiver du riz. À l’automne et au printemps, je me souviens que vous, les gars, avez construit les poulaillers. C’est là qu’il y eu cette attaque de guêpes. Ces guêpes, c’était au printemps, non ? Et la plantation du riz plutôt en juin ou quelque chose comme ça. Mai/juin peut-être ?
 

La ferme à Hakushu, 1987, Photo Christine Quoiraud, Médiathèque du CND.
La ferme à Hakushu, 1987 (photo Christine Quoiraud),
Fonds Christine Quoiraud, Médiathèque du CND.

Oguri :

Est-ce que je peux parler un peu du cycle ? Bonjour, ici encore Oguri. Oui, la ferme était un peu en préparation juste avant le début de Maï-Juku V… des amis y travaillaient déjà au moment du Maï-Juku. Je suis allé à la ferme avec ma motocyclette. Ma première impression a été de trouver ce paysage magnifique. Oui, cela a beaucoup changé maintenant, mais dans les années 1980… Hakushu est situé à peu près à 100 km à l’ouest de Tokyo. Donc, à peu près à deux heures avec ma moto, en vivant une expérience de changement de décor, un paysage en évolution, changeant, changeant, changeant, d’une telle beauté, une belle rivière et un rocher gigantesque, la dynamique du lit de la rivière avait la beauté du chaos. Il y avait beaucoup de rochers au début, de formes variées, changeant, changeant, changeant. La dernière fois où j’y suis allé en 2017, cela a complètement changé, ce n’est plus du tout la même chose. Mais à cette époque… oui…
Je sais que la ferme n’est pas la nature. La ferme est un travail fait par des humains en utilisant la nature. La ferme est un produit humain dans l’écosystème de la nature. Mais il y a encore beaucoup de formes naturelles à cet endroit, des montagnes, et des rochers imposants et parfois un typhon produit un désastre qui change tout l’ordre humain, en restituant la nature. Et c’est en altitude, autour de 800 mètres, à l’air frais, l’eau coule constamment près de la maison et de la rizière à cause du terrain en pente douce, plat et ouvert. Oui, Hakushu se trouve au pied du Mont Kaikomagatake dans les montagnes des Alpes japonaises du sud, des montagnes hautes de 3000 mètres.

Et comme l’a dit Christine, à Hachioji, qui est une banlieue de Tokyo, c’est là qu’une transition importante a eu lieu, allant du port de Tokyo à cette ville, Hachioji, c’est là où la métropole de Tokyo devient la préfecture de Yamanashi. Il y a des montagnes dans la préfecture de Yamanashi, et c’est une sorte de transition avant qu’on aille à Hakushu. Et cette transition est très intéressante.

Kazue Kobata au Plan B, Tokyo, 1987. Collection personnelle de Christine Quoiraud.
Kazue Kobata au Plan B, Tokyo, 1987,
Collection personnelle de Christine Quoiraud.

Min Tanaka et Kazue Kobata[4] ont ouvert un petit lieu alternatif de performance à Tokyo. C’était le premier lieu artistique autogéré par des artistes au Japon. C’est un tout petit théâtre underground. Ainsi, chaque mois, ou une fois tous les deux mois, Maï-Juku en tant que groupe y a présenté des performances de danse. Moi-même, j’ai présenté une performance en solo une fois par mois au Plan-B.

Oui, je veux aussi parler de l’idée de transportation, de transport : Tokyo, Hachioji et Hakushu. Une expérience très intéressante, le transport, le déplacement et les activités dans les trois lieux : la ferme, les ateliers et les performances.

La ferme est l’endroit où l’on retourne après le travail à Hachioji, au Plan-B à Tokyo et les tournées nationales et internationales.

Vivre à Hakushu, la vie à la ferme, la ferme organique traditionnelle basée sur l’expérience des rythmes et des cycles de ce style de vie le plus humain qui soit. Cette connexion entre le corps humain et la nature est nécessaire pour la pratique du Body Weather. Beaucoup de choses ont été développées : la production annuelle d’un festival des arts, avec aussi de la sculpture en plein air, des spectacles vivants traditionnels et contemporains, de la musique, des conférences, un symposium…
 

La ferme à Hakushu, Photo de Frédérique Bua Valette, août 2019, Collection personnelle de Christine Quoiraud.
La ferme à Hakushu, août 2019 (photo Frédérique Bua Valette),
Collection personnelle de Christine Quoiraud.

La vie à la ferme a rendu nécessaire une transition qui était loin d’être brutale. Notre vie n’en a pas été changée brutalement. Mais, pour moi, cela a eu un impact important dans le cycle de la vie quotidienne : Tokyo, il y a la nuit, on continue à travailler la nuit, on est dans un théâtre, il faut commencer à 20 heures. Mais à la ferme, tous les paysans sont déjà au lit à 19 heures. C’est ainsi que notre cycle de vie a complètement changé, en travaillant avec les poules ou en irrigant une rizière. Si on est en retard, on perd une journée. Ou bien donner à manger aux animaux, cela n’attend pas. Notre cycle en est donc complètement changé. La nuit, c’est l’obscurité complète, ce qui est magnifique avec les étoiles… Donc, cela a un impact très important.
Lorsque je parle de « cycle de la vie quotidienne », c’est complètement lié aux styles de vie et à la question du corps humain. On n’est pratiquement jamais seul vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il y a toujours quelqu’un avec qui on travaille, et tous les jours on mange ensemble, trois fois par jour.

J’en arrive maintenant à l’époque de la ferme : c’est un groupe qui travaille ensemble collectivement, mais en même temps, un sérieux engagement individuel de tous les instants est requis. Bien sûr, le seul fait d’être là est un engagement, mais dans tous les travaux à la fois de la ferme et de la danse – je ne dis pas « la danse » mais l’atelier, le laboratoire – requiert un engagement personnel très intense. Par ailleurs, nous ne sommes pas des fermiers professionnels. Et je n’ai jamais pensé non plus être un danseur professionnel. Cette pratique que je fais, est-ce de la danse ou de la performance ? Et puisque nous ne sommes pas des fermiers professionnels, nous apprenons des fermiers eux-mêmes sur le lieu de travail, sur le terrain. L’idée qu’on n’est pas là pour apprendre une technique est pour nous très importante. C’est la même chose pour Min ou aussi pour la danse Maï-Juku ou pour le Body Weather. On ne procède pas à partir de la technique, mais on se trouve dans un lieu de travail. Je veux dire, il ne s’agit pas d’un studio en tant que lieu préparant une performance qui va se jouer ailleurs. C’est comme ça pour la ferme et aussi pour la pratique de la danse. C’était une transition importante. Hachioji avait un parquet de studio de danse, mais à Hakushu tout d’abord, il n’y avait pas ce genre de parquet. Plus tard on a construit une sorte de scène et on a utilisé un tapis d’art martial Kendo pour faire du travail au sol, mais c’était surtout dans les champs… Donc, ni la ferme, ni la danse, n’avait la priorité dans la vie là-bas.

Christine Quoiraud :

Au moment de l’atelier intensif de 1985, Maï-Juku V, il y avait beaucoup d’allers et retours, retourner à Tokyo, aller à la ferme et retourner à Tokyo, et si je me souviens bien, tu avais été vraiment un des japonais qui a souvent été avec Min et Hisako, là-bas, pour organiser la venue du groupe et tu es le témoin de ce point de départ, mieux probablement que nous, les étrangers, les non-japonais. Je suis sûre que tu as des souvenirs des discussions que tu as eues avec les fermiers, les voisins… Quels sont tes souvenirs, ta mémoire, de ces discussions pour la préparation de la ferme ? Du point de vue administratif, mais aussi du point de vue du travail à la ferme, et aussi de la nécessité d’organiser un programme de ce qui se passait à Tokyo, au Plan B, le lieu de performances.
 

Hakushu, 1988, Photo Christine Quoiraud, Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.
Hakushu, 1988 (photo Christine Quoiraud),
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Oguri :

Oui. En fait, toutes ces trois choses se sont passées simultanément. Vous savez, en fait, je n’ai pas eu beaucoup de relations avec Hachioji parce que j’habitais plus souvent au site de la ferme. Peut-être, oui, Christine et Katerina, Frank et quelques autres personnes habitaient Hachioji. Une maison avait été louée, donc votre base était plus à Hachioji… C’est un temps de transition. Donc, en habitant là, vous avez maintenu des ateliers à Hachioji. Je me souviens que, pendant le Sacre du printemps (ou peut-être pas celui-là, une autre performance), on a fait les répétitions au studio d’Hachioji. Et ensuite on a été au théâtre Ginza Season, un grand théâtre, oui, oui, c’était une performance en hommage à Hijikata. Oui, on a construit les décors et fait les répétitions, là.

Christine Quoiraud :

C’était beaucoup plus tard. Hijikata est mort en janvier 1986. Mais à ce moment-là, il y avait beaucoup de déplacements entre Hachioji, Tokyo, Hakushu… Il s’agit plus de savoir si tu as des souvenirs de qui a décidé, par exemple, de construire le poulailler ?

Oguri :

Ah ! OK ! Tout le côté de l’organisation… Min Tanaka avait déjà une grande vision, je pense. Pourquoi avait-on ces poules, quelle en était la raison ? On n’avait pas besoin des poules pour les œufs, mais pour les excréments, pour l’engrais. L’agriculture organique n’était pas si populaire à l’époque. On ne savait rien non plus du populaire bio. Oui, nous n’utilisions pas d’engrais chimiques, c’est comme ça qu’on a commencé. Utiliser moins de produits chimiques, les désherbants ou les insecticides. On n’en savait pas plus que ça sur l’organique. On ne connaissait même pas la pratique du recyclage, mais le recyclage était déjà une tradition dans la vie des Japonais. Ce n’était pas nouveau à ce moment-là, mais l’organique était… comment on peut l’utiliser comme dans le cas du tissu traditionnel autochtone. Et en plus, avec peu de revenus.

Dans la ferme du Body Weather et de Min Tanaka, on n’a jamais été propriétaire des terres. On nous a prêté les terres cultivables, le terrain de la ferme et la maison. En ce qui concerne l’agriculture dans un village au Japon, c’est évident que toutes les familles de paysans sont propriétaires de leurs terres. Mais ce sont des paysans du dimanche. Ils ont tous un job à côté, ils ont un travail à plein temps par ailleurs. L’agriculture est leur deuxième métier, il faut qu’ils maintiennent les rizières parce que, comme je l’ai dit, le riz est essentiel chez les Japonais, le riz est plus important que de constituer une source de revenus, le riz c’est la vie, le riz c’est Dieu. Un peu comme chacun de nous, ça pousse, ça se développe. De nombreuses heures de travail intense et une grande pression lors de la récolte dans le ciel d’automne. Le riz pousse, se transforme comme un être humain. Les paysans doivent donc continuer à entretenir les rizières. C’est pour chacun d’eux quelque chose d’essentiel. Quand le paysan devient vieux, ses enfants ne veulent pas continuer derrière lui. C’est ainsi qu’il y a de nombreux champs, à côté des rizières, des champs de culture maraîchère ou bien des montagnes qui ne sont plus entretenus à cause du manque de main-d’œuvre, donc il y a beaucoup de terres qui sont mises à la disposition d’autres personnes. On a donc récupéré beaucoup de terres qui étaient presque abandonnées et pas en très bon état. Alors, on a coupé les arbres, on s’est débarrassé des rochers, on a nettoyé le champ pour pouvoir l’utiliser. De nombreux de paysans nous ont demandé qu’on s’occupe de cela à beaucoup d’endroits, mais aussi de la maison qui va avec. Mais les paysans sont toujours près de leur argent : après plusieurs années, le champ retournant à une bonne condition, « OK, rends-le nous ». Et il faut le leur rendre. On était très aimable avec les paysans, parce qu’on apprenait beaucoup d’eux, parce qu’ils nous permettaient d’utiliser beaucoup de leurs terres. Il y avait donc une relation particulière entre nous et les fermiers du village.
 

Dans les serres, 1988, Photo Christine Quoiraud, Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.
Dans les serres, 1988 (photo Christine Quoiraud),
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Katerina Bakatsaki :

À ce propos, je me souviens aussi très bien qu’il est arrivé que nous allions très souvent aider les autres fermiers – qu’il y ait eu un accord ou pas à ce sujet – et en fait, c’était aussi un moyen d’apprendre, de savoir comment faire les choses. Je ne sais pas si Min l’avait pensé avant cela, mais c’est comme cela que j’en ai eu l’expérience, alors qu’on était là en essayant de survivre avec le minimum de moyens qu’on avait, il nous fallait en même temps essayer de comprendre comment littéralement faire les choses. Ce que je veux dire par choses, ce sont évidemment la maison, les objets, les terres, les animaux aussi… Comment vivre et travailler avec ces entités. Eh bien, nous vivions là, et nous étions aussi là pour aider les autres fermiers. Alors, en fait, ce n’est pas seulement le cas au Japon, j’ai connu la même chose en Grèce, la campagne et les fermes sont désertées et les jeunes s’en vont. Et en plus, les grandes entreprises achètent les terres agricoles. Cela veut dire que les petits fermiers perdent leurs terres et en conséquence le contact avec leur lieu, le contact avec leur terre, le contact avec leurs connaissances, et avec les manières de vivre qu’ils ont connues. Ainsi, on était en train d’apprendre, mais de cette manière notre présence contribuait aussi d’une façon très modeste à revivifier la vie dans le village et par là, en quelque sorte, véritablement à redonner de la vitalité aux fermiers. Et après, plus tard, le festival a été créé, ce qui a amené plus d’activités, etc. Je pense que cela faisait partie de la vision qu’avaient Min et Kazue, une sorte de militantisme assumé. C’est vrai qu’on allait là-bas pour apprendre, mais aussi pour jouer un rôle de soutien.

Christine Quoiraud :

Et je pense, comment dirais-je, que c’était assez naturel. Avant d’aller au Japon, j’habitais aussi à la campagne en France. C’était très naturel, quand il y avait du foin à couper, c’était le cas dans mon enfance, tout le monde venait en aide, et je pense que cela fait vraiment partie de la vie des communautés rurales. Moins maintenant à cause des machines, mais en ces temps-là, jusqu’au début des années 1980, c’était quelque chose d’assez universel…

Au début de la ferme Body Weather, il n’y avait pas beaucoup de gens qui y vivaient, pas tant que cela… Comme l’a dit Oguri, au tout début, il y a eu l’atelier intensif de deux mois Maï-Juku V. Ensuite la plupart des 40 personnes du groupe sont retournées dans leur pays ou à leur vie personnelle. Nous sommes restés un peu plus de dix personnes, moitié Japonais, moitié non-Japonais. Dans mon souvenir, on était à peu près 16 personnes. Puis, un petit groupe d’Espagnols est venu, et le groupe s’est stabilisé pendant un bon moment, avec d’autres Japonais qui venaient de temps en temps, je ne me souviens pas de leurs noms. Et oui, on est resté le même nombre pendant pas mal de mois, même quelques années. Mais de nombreux étrangers, des non-Japonais sont partis… pour animer des classes, des ateliers dans leurs pays respectifs, comme Frank en Hollande, Tess au Danemark. Ils partaient souvent pour enseigner dans d’autres parties du monde. Je me souviens. Katerina et moi nous étions là. Plus tard, nous sommes partis nous aussi… Je veux dire que la plupart d’entre nous sommes restés pour une longue période. J’ai fini par partir à un moment donné, mais c’était pour des raisons personnelles, la famille en France, des problèmes…

Katerina Bakatsaki :

Je dois dire que je n’ai commencé à enseigner ou même envisager d’enseigner qu’après mon retour en Europe à peu près en 1993. Cela ne faisait pas partie de ma vision à ce moment-là. Et puis, Oguri, je pense que tu sais mieux que nous quand on a déménagé à la ferme, tu y étais beaucoup, bien avant Christine et moi par exemple. Est-ce le cas ?

Oguri :

Oui. J’ai peut-être vécu un ou deux mois à Hachioji quand Maï-Juku V a commencé. Et à la moitié de l’atelier intensif Maï-Juku V, j’ai commencé à vivre à la ferme. À partir de là, j’y suis resté cinq ans. La vie là-bas était très dure. Rien n’avait été préparé pour y vivre.

Une maison avait été louée, une ferme qui était comme une maison abandonnée. Personne n’avait habité cette maison depuis de longues années. Je me souviens qu’avant le début de l’atelier intensif, je me suis rendu là-bas, comme je l’ai dit, avec ma moto, avec mes outils de charpentier, pour aller aider à la construction avec deux personnes du village, Encho (cela veut dire « directeur ») et Akaba San. Ils sont devenus par la suite de grands supporters et des mentors. La maison avait une grande porte en papier, vous savez, shoji. La porte Shoji est en papier. Il n’y avait pas de chauffage. Plus tard, après deux ans à peu près, tout a changé. Mais au commencement, c’était une expérience très intéressante [rire], comme la façon de vivre qu’avaient les gens il y a cent ans, une sorte d’expérience de l’aura des temps passés pendant un an. Eh bien, ce n’était pas une vie de souffrance, mais au début rien n’avait été préparé. Plus tard on a tout aménagé. Là, on n’a pas été puni. Oui, à la base, c’est cela.

Juste une chose, gomme ne [« pardon » en japonais] : ce qu’a dit Christine sur la façon d’observer les choses. Oui. C’est ce qui ressemble beaucoup au rôle d’un mentor japonais, vous savez, un mentor ne parle jamais, même dans le cas de la cuisine japonaise traditionnelle. Il n’y a pas d’enseignement. Oui, il vous faut voler, dérober cette technique… Alors, il y a toujours quelque chose qui manque. C’est ainsi que vous devez développer vos propres capacités à faire les choses. Oui. C’est ce que je voulais ajouter. Et évidemment, observer, c’est fantastique, on était tout le temps en train d’observer. Le regard porté sur les choses, c’est très important. Après, cela fait toute la différence. C’est une chose que j’ai apprise pendant cette première année.

La première année, on ne connaissait rien sur la façon de faire pousser les choses, à part les radis. Les radis, on peut les cueillir après cent jours. Au début, on n’est parti vraiment de rien. Il fallait vivre à partir de rien, mais on a vécu de cette terre et on a reçu beaucoup d’aide. Tous les fermiers nous ont donné quelque chose, comme des outils agricoles. C’est-à-dire des outils d’occasion. Et : « Eh, les gars, vous pouvez utiliser ceci ». Et en même temps, comme l’a dit Katerina, on a apporté de la vitalité au village. Après quelques mois : « Oh ! ces gars-là, ils sont sérieux. OK, il faut les aider ». Il a fallu pourtant au moins un an pour faire nos preuves.

Il faut préciser que, au début, nous avions des cheveux très, très longs, en vue d’une production publique. Min a eu la vision que tous les hommes et toutes les femmes devaient avoir des chevelures très longues, comme des chevaux sauvages sur la scène. Donc, on les avait tous laissés pousser. Pour le Sacre du printemps, on ressemblait à des hippies. Les gens du village pour la plupart ne nous faisaient pas confiance ou ne pensaient pas qu’on allait continuer à s’occuper de la ferme. Cela a changé après une période de deux ans, trois ans, année après année, nos relations avec la communauté ont beaucoup évolué. « Tous ces gens qui travaillent si dur, qui sont honnêtes, et qui font des danses un peu cinglées ! ». Quelque chose a touché leur cœur. On a organisé un festival sur les terres de la ferme, on a fait venir des spectacles de divertissement d’autres régions du Japon, ou de pays étrangers, des performeurs Japonais, des chanteurs, des sculpteurs, et tous ces gens ont fait venir du public et plus d’activités. On les a aussi aidés. « En fait, ces gars-là ne sont pas si mauvais ». On était invité chez eux en permanence. On avait des différences de langues : le grec, le français et l’espagnol. Et avec des différences de couleurs de peaux. La présence de non-Japonais, d’étrangers est devenue maintenant quelque chose d’habituel dans les campagnes au Japon, mais à l’époque les Européens, les Américains étaient rares. Oui, cela a été pour chacun de nous une expérience très particulière. Et pour les gens du village, je pense qu’au premier abord cela a été un choc pour eux. C’était comme ça, la vie là-bas.

Katerina Bakatsaki :

Pour savoir qui allait à la ferme et qui y restait, cela changeait constamment. Bien qu’il faille imaginer par exemple, que la première année, je ne me souviens pas pour combien de temps, tous les étrangers pour différentes raisons, bonnes ou mauvaises, ont gardé leurs logements à Tokyo, dans la banlieue de Tokyo, à Hachioji. Tandis que certains, comme Oguri, avaient déjà déménagés à la ferme. Donc, on allait à la ferme, nous les étrangers – dites-moi si je me trompe, Christine et Oguri – tout en gardant nos logements à Tokyo, parce qu’il fallait aussi qu’on puisse travailler pour gagner notre vie, parce qu’il y avait des coûts pour nous en billets de transport, en business, etc. Pour différentes raisons, on pensait qu’il était nécessaire de continuer à garder pied à Hachioji et de travailler à Tokyo pour gagner de l’argent. C’était ce que nous avons fait. Par contre, vous savez, il n’y avait pas d’argent à la clé dans notre engagement avec la ferme ou avec la pratique de la danse, avec les pratiques qu’on y faisait. C’est pourquoi on avait gardé nos logements et notre travail, et le studio à Hachioji, et on allait à la ferme soit parce que on avait besoin de nos mains ou quand il fallait faire des répétitions pour préparer une performance de groupe au Plan B.

C’est ainsi que la constellation des gens présents à la ferme changeait beaucoup et absolument tout le temps. Il y avait un groupe de base qui se trouvait à la ferme de façon plus régulière, et puis on venait pour faire des travaux à la ferme et pour des répétitions et la pratique de la danse, et ensuite on retournait à Hachioji. Maintenant, il faut imaginer que – j’en viens à ta question – quand on était là, alors le travail devait être fait, parce qu’il fallait construire le poulailler, la clôture dont on avait besoin, ou une poule qu’il fallait égorger, pour ne nommer que quelques trucs… On faisait le travail de la ferme et les travaux d’entretien du lieu, qui étaient aussi considérés comme faisant partie du training. C’est-à-dire que se confronter avec la matière, se confronter avec la temporalité d’une chose autre, d’une autre matière, d’une autre forme de vie, était aussi considéré comme faisant partie du training. Par exemple, plus concrètement : comment désherber les mauvaises herbes, il vous faut se pencher vers la terre, il faut travailler au sol, c’est petit, petit, et on n’utilise pas des outils électriques, on n’utilisait que des types d’outils qui étaient presque des extensions du corps. Ainsi, une très grande partie de la formation consistait à trouver les meilleurs moyens d’utiliser son corps pour être efficace dans le travail. La compréhension de comment exercer sa force et où la mieux placer, dans quelle direction aller pour dynamiser le mouvement, donc, comment utiliser votre poignet pour attraper l’herbe pour pouvoir l’extraire avec sa racine sans qu’elle se brise. Et ainsi de suite, ainsi de suite. Cela faisait donc partie du training. Alors, c’est vrai qu’il y avait, parce qu’il fallait qu’on répète aussi, des heures réservées au training artistique.

C’est ainsi qu’il fallait se lever très tôt le matin, qu’on allait donner à manger aux animaux, on effectuait le travail urgent de la ferme, ce qui était déjà une forme de training, puis on prenait un rapide petit déjeuner. Et puis le reste de la matinée était consacrée aux répétitions, puis de nouveau un déjeuner, puis de nouveau les travaux de la ferme. Cela se déroulait d’une façon que je n’appellerais pas « organique », mais toutes les différentes nécessités, toutes les différentes préoccupations avaient besoin d’être prises en compte, d’être prises en charge. C’est comme cela que la journée était plus que bien remplie. La cuisine était faite, si je me souviens bien, par rotation. Je me souviens, moi qui ne savais même pas comment faire bouillir des œufs, je devais préparer un repas pour 15 personnes. La panique !!

Christine Quoiraud:

Et parfois, on jeûnait pour se préparer aux performances.

Katerina Bakatsaki :

Oh ! c’est sûr, oh oui ! Mais [rire]…
Mais s’occuper des choses, de ce qu’il fallait faire, que ce soit une performance ou un besoin personnel, était tout aussi important pour toutes les personnes présentes à ce moment-là. S’occuper de la nourriture, de l’entretien de la maison et des lieux, s’occuper de la vie, de la vie sociale dans le village, tout cela constituait une part très importante des activités. Je me rappelle avoir consacré une journée entière à effectuer différents types de travaux, puis de finir la soirée à faire la fête, manger et boire chez Akaba ou chez Encho… jusqu’au lever du jour (Akaba San et Encho étaient deux fermiers qui nous ont beaucoup aidés). Et puis…

Christine Quoiraud :

On était jeunes !!!
Quand je suis arrivée pendant l’été 1985, il y avait un espace à Hachioji dans la banlieue de Tokyo. Et il y avait déjà des animaux autour du bâtiment, comme des poules et un cochon. Et toujours un ou deux chiens, un chat ou deux, oui, et on vivait en compagnie de cette présence. Il y avait des petites loges pour animaux près du bâtiment. C’était dans la banlieue, mais c’était encore la grande ville. Il n’y avait pas de champs en tant que tels. Il n’y avait pas de ferme, seulement un studio de danse. Tout près de là, il y avait des rizières, mais pas beaucoup, et une rivière. Donc l’activité principale se déroulait dans le studio. Le Plan B existait déjà à Tokyo. Pour aller au Plan B il fallait – j’ai oublié – à peu près deux heures de train. Je n’en suis pas sûre, mais c’était quelque chose comme ça. Donc, on se déplaçait souvent du studio au centre-ville.

Et avant cela, Min Tanaka, quand il venait en Europe, il nous a souvent emmené travailler à l’extérieur, on l’a déjà évoqué. Et quand on était encore à Hachioji, durant le stage intensif (1985), nous avons passé une semaine en montagne. Cela veut dire qu’on se confrontait à la vie sauvage en montagne. Et ensuite, à la fin de 1985, début de 1986, on a commencé la ferme. Il y avait beaucoup de déplacements en camion ou en voiture de Hachioji en banlieue jusqu’à la ferme. Et ensuite, peu à peu, une équipe de danseurs a habité à la ferme. D’autres ont continué à vivre à Hachioji. Ils avaient gardé du travail à Tokyo pour survivre. Et parfois on s’assemblait tous dans la ferme pour travailler, pour réaliser un grand chantier, des travaux importants, ou bien pour des répétitions pour les performances. Et aussi, quelquefois on allait en tournée au Japon. Le cœur de l’activité était donc au début à Hachioji et très vite la ferme est devenue le lieu principal peu de temps après son ouverture (dès la fin de 1985).

Je voudrais ajouter quelque chose, concernant ce que vous avez dit tous les deux. C’est au sujet de la langue. Quand j’ai rencontré Tanaka Min en France, il ne parlait pratiquement pas l’anglais. Il utilisait un traducteur, c’est pourquoi il était entouré à cette époque d’un groupe de jeunes Japonais qui étudiaient avec Gilles Deleuze qui lui servaient d’interprètes. À cette époque Kazue Kobata l’accompagnait toujours dans ses déplacements et elle traduisait aussi en anglais, et elle a réussi à présenter Tanaka à Michel Foucault et, si je me souviens bien, à Roger Caillois. Et Min a vraiment pu parler avec les deux et il a été très impressionné grâce à la traduction en anglais de Kazue. Et puis, à ce moment-là, en 1981 je crois, Min a été à New York, grâce à Kazue. Il y a rencontré Susan Sontag et des musiciens comme Derek Bailey, Milford Graves, etc. Et à partir de ce moment, Min a commencé à étudier l’anglais. Petit à petit, quand il est revenu en Europe, il a pu utiliser des termes d’anatomie pour expliquer les manipulations, mais il avait encore besoin d’un interprète. Et quand on arrive au Maï-Juku V, je m’en souviens très bien, Min s’exprimait beaucoup plus en anglais, il demandait aux Japonais d’apprendre l’anglais et aussi il encourageait aussi les étrangers, les non-Japonais, à étudier un peu le japonais. En réalité, et encore aujourd’hui, il y a cet anglais approximatif entre nous.

Milford Graves et Min Tanaka à la ferme du Body Weather. Video d’Eric Sandrin.

 

4. Body Weather, la ferme et la danse

Presentation

Le Body Weather, basé sur l’idée de changement perpétuel du corps, comme dans le cas du temps météorologiste, de l’interaction ininterrompue entre le corps et l’environnement. Cette idée suscite des questions concernant les différentes manières d’envisager le travail à la ferme et le travail de production artistique, le rapport entre la vie quotidienne, l’environnement et le travail de la danse dans ses dimensions de training et de performance. La participation à la ferme du Body Weather impliquait un engagement très intense dans tous les aspects des travaux de la ferme et de la danse. Mais cet engagement restait basé sur une confiance individuelle dans la philosophie du projet, et non pas sur une adhésion aveugle à une communauté fermée


Oguri :

Je veux expliquer un peu l’historique sur une échelle temporelle plus grande. Le Laboratoire Body Weather je pense a commencé dans les années 1980 et a duré jusqu’à il y a quelques années, cela veut dire une histoire d’une quarantaine d’années. Et j’étais là pendant cinq ans, donc il s’agit ici de mon expérience durant ces cinq années. Je suis parti en 1990. Pendant cette période il y a eu beaucoup de changement et avant mon arrivée c’était aussi une autre époque. Et au sujet de Shintaï Kissho, “身体気象”, “Body Weather”, c’est en quelque sorte la méthode de ce mouvement : le corps n’est pas lui-même une entité figée – ce n’est pas un territoire, stable, fixe. Il est en perpétuel changement comme le temps météorologique. Ce n’est pas comme avec une saison. Le temps change constamment à tout moment.

Christine Quoiraud :

J’ai de nouveau une question pour Oguri : est-ce que tu penses que Tanaka avait entendu parler de Masanobu Fukuoka[5] ? Parce que je pense que c’était dans les années 1970 qu’il a quitté son travail d’ingénieur et s’est mis à faire de la culture biologique, à créer une commune. Je pense qu’il était alors assez bien connu pour sa façon de rassembler des volontaires pour travailler à sa ferme et il avait une commune qui changeait tout le temps, de jeunes personnes venant à lui pour apprendre et aider. Ils vivaient là d’une manière très sobre. Et cela me rappelle beaucoup ce qu’on a vécu au début de la ferme. Par exemple, il y avait un groupe, formant le groupe principal, surtout composé de Japonais, vivant à la ferme et les étrangers qui y venaient de temps en temps pour faire un type de travail particulier avec les voisins ou sans les voisins, et après il y a eu pendant toute l’année des bénévoles venus pour aider de différents endroits du Japon. Alors je me demandais si Min avait entendu parler de Fukuoka ? Je ne me souviens pas de l’avoir entendu parler de ce type, mais… peut-être…

Oguri :

Je n’ai jamais entendu le nom de Fukuoka dans la bouche de Min Tanaka. Il ne l’a jamais fait. Je suis sûr qu’il le connaissait mais il n’en a jamais parlé, on reconnait bien là la façon de procéder de Min.

Juste une chose que j’allais oublier à ce sujet. Pour revenir à la première fois où j’ai travaillé à la ferme, j’ai été très impressionné par le paysage. En même temps, dans la ferme, le travail n’est pas fait pour quelqu’un d’autre, le travail est fait pour soi-même. Parce que les gens en milieu urbain dépendent de leurs clients ou de leur patron… Mais là, à la ferme, comme je l’ai dit, il y avait une forme d’engagement et une prise de responsabilité, mais la totalité du travail devait être fait par chacun de nous. La qualité de notre engagement était très forte et c’était la raison d’être de notre présence. Y compris la danse. La méthode de danse, c’était cela. C’était très simple et rien en particulier. Bien sûr, il fallait prendre ses propres décisions et, comme je l’ai dit, nous n’étions pas alors des professionnels. Il fallait découvrir les choses par nous-mêmes – trouver des réponses, parce que tous les fermiers alentours étaient comme des mentors. Je me souviens de cela. Et laissez-moi parler des terres aussi… Je sais que j’ai été dans des perspectives très différentes de Fukuoka… Comme : qu’est-ce qui est particulier à une région, la régionalité. Ce qui est particulier à un voisinage ou à une région, dans cet endroit… Comment dire ? Il y a des rituels traditionnels ou des danses de célébration. Des célébrationq ou des rituels, ou kagura[6], ou des danses – on a beaucoup appris sur la manière de cultiver les terres et sur l’origine de la danse. Parce que cette méthode comme le Body Weather n’est pas en tant que telle une technique de danse. Min Tanaka ne nous a jamais enseigné comment danser, non. C’est-à-dire notre pratique n’est pas une étude de la danse ou une pratique confinée à la salle de répétitions, ce n’est pas cela. Notre apprentissage est orienté dans une très grande mesure vers le travail du sensible. Et… l’enseignement est très ouvert. Je veux dire que notre danse est très ouverte à n’importe quelles compétences.

Katerina Bakatsaki :

D’après ce que je sais, le terme de Body Weather a été emprunté – pas emprunté mais pris – à Seigow Matsuoka[7]. Mais est-ce que j’ai raison de penser cela ? Je n’en suis pas sûre. Je mentionne ceci parce que quand Min était en train de travailler, voyager, explorer, avec Kazue Kobata, il s’intéressait aussi aux mouvements artistiques et intellectuels qui avaient lieu à cette époque. Les stimuli qui ont fait émerger ce qui a été mis en œuvre étaient de nature théorique et aussi philosophique, ils avaient des liens très forts avec les mouvements de pensée existant déjà au Japon, aux Etats-Unis et en Europe. Je tiens à apporter cette précision… Bien sûr, je n’en sais rien, je ne suis pas sûre que Min se soit exprimé sur tout cela de manière explicite. Je sais que Kazue Kobata l’a fait et j’ai eu des conversations avec elle à ce sujet, sur tous les différents mouvements de pensée qui enrichissaient nos démarches et encourageaient Min à continuer le travail qu’il avait entrepris. Pas seulement Min, mais aussi tous les artistes qui travaillaient avec lui. Car ce n’était pas un génie solitaire. (Je pense qu’on a eu tous ce genre d’expérience !) Il y avait toujours la présence d’une communauté élargie.
 

Body Print 4, Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.
Body Print 4, Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

 

5. Les communs au sein de Body Weather

Présentation

Ce qu’on appelle « communs » peut être défini comme une articulation entre des ressources qui existent au sein d’une communauté et des règles concernant la manière avec laquelle cette communauté fonctionne vis-à-vis de ces ressources. Dans l’expérience du Body Weather, on peut observer qu’il existe beaucoup de ressources liées à la ferme et aux pratiques de la danse, au Plan B et à tous les espaces autour de la ferme. Comment ces aspects de vie en communauté ont été organisés, comment fonctionnait la communauté par rapport ces différentes pratiques se déroulant dans différents espaces, environnements, et avec des créatures vivantes et des objets ? Où il est question de conjonction d’expériences, de l’existence d’une communauté avec peu de choses en commun entre ses membres mais un engagement, d’autonomie et de responsabilités, de prise d’initiatives dans une structure non-formelle, de mouvement perpétuel et d’évolution.


Christine Quoiraud:

Eh bien, il n’y a pas UNE SEULE réponse à ces questions. S’il y a une réponse, elle est liée au déroulé du temps. Quand je suis arrivée en 1985 les choses étaient différentes. La ferme n’existait pas encore. Et ensuite la ferme a commencé, puis la ferme a continué. On a commencé à construire le poulailler, à faire pousser du riz, et c’était des changements progressifs. Alors, il y a plusieurs réponses, beaucoup de réponses.

Katerina Bakatsaki :

Permettez-moi d’utiliser le terme de ”communauté” non pas dans le sens d’une église fermée, mais en tant que réseau de forces, de personnes, de contextes qui ont toujours été au centre de l’engagement de Min Tanaka. Une communauté élargie de personnes et d’artistes qui se posaient les mêmes questions et avaient les mêmes préoccupations que lui. Ça, c’est une chose. Et puis, une autre chose que je voudrais dire au sujet de la question de la communauté : vous êtes là parce que vous l’avez choisi et il vaudrait mieux que vous ayez le courage et la volonté, pour vous-même, de pleinement vous engager. On n’est pas là pour le faire à votre place. Et en même temps, il n’y avait pas non plus de raison préétablie justifiant de notre présence, il n’y avait pas de croyance commune. Nous étions tous là parce que chacune et chacun d’entre nous avait des motivations totalement différentes et des intérêts différents et des types d’investissement différents. Personnellement, j’ai trouvé cela très appréciable, sinon je ne serais pas restée.

Et aussi, je parle pour moi, c’était toujours important de pourvoir ressentir les choses et faire le point avec moi-même. C’est ce qui était intéressant, parce que, vous savez, j’étais jeune. Intuitivement, j’étais capable de comprendre les choses et leur donner une place, et aussi d’écouter l’expérience – pas l’expérience de la danse, mais l’expérience de la vie – que j’avais acquise de mon lieu d’origine. Et aussi les manières d’être en communauté, les manières de faire des choses ensemble, les manières de comprendre et de partager le travail, là où on vivait ensemble avec les autres.

Mais, pour moi, il était aussi important de ressentir que je pouvais aussi trahir ce sens d’engagement, même si ce n’était qu’avec moi-même. Pourquoi dis-je cela, parce que cela me donnait la sécurité de savoir que je n’étais pas dans une secte. Ceci dit, je veux aussi dire qu’il y avait en même temps une fascination pour comment nous tous, chacun et chacune d’entre nous, étions là du fait de nos propres différentes motivations, et pourtant ayant tous pris l’engagement d’être là ensemble. Et aussi de faire des choses ensemble, sans qu’il y ait un accord sur ce que cela devait être. Bien sûr il y avait le training dans les ateliers, il y avait la nécessité de nous développer en tant qu’artistes et éventuellement en tant que personnes. Il y avait une confiance dans le constat du travail et dans son accomplissement éventuel. Ce n’était pas fait en vue de développer une méthode mais de la manière avec laquelle les questions se posaient : sur la danse, sur les mouvements, sur les terres et la nature, et sur la non-nature. C’est ainsi que ces questions étaient présentes dans les formes de productions, dans n’importe quel type d’activités liées au travail qu’il fallait accomplir, que ce soit tondre l’herbe ou apprendre des fermiers, des autres fermiers qui étaient là depuis longtemps à travers les générations. Lorsqu’ils tentaient de définir ce que nous étions, ils se demandaient si ce n’était pas « faire des erreurs ». Mais l’engagement, c’était vraiment de faire cela ensemble. Aussi en termes d’engagement, je pense, cela a été toujours pour moi très intéressant, très fascinant, très excitant. J’ai toujours à m’engager pour quelque chose d’autre que moi-même. C’est quelque chose qui existe chez les fermiers, il est nécessaire de nourrir les animaux, on n’est pas en vacances, il faut être là.

Il n’y a pas un partage entre le temps des loisirs et le temps du travail, il faut être là, disponible, et votre rythme et vos besoins, votre corps sont disponibles pour le service d’un autre, des animaux, des plantes, des saisons, de l’eau qui suit son cours ou qui s’arrête de couler, etc., etc. Donc, ce sens de : « OK, je suis un individu, je suis ici pour moi-même, et je suis responsable de mes actes, je suis autonome » et pourtant il y a toujours cet appel qui me met vraiment en relation et qui est engagé avec quelque chose d’autre qui n’est pas moi-même. Et ce n’est pas forcément lié à cette communauté en tant que telle, c’est toujours quelque chose de plus large que ça. Ce sont les autres humains, être ensemble, mais aussi ce sont les animaux, les plantes, la cultivation, etc. Les outils que nous utilisons. Oui, il convient d’apporter beaucoup de nuances à cette notion d’engagement.

Christine Quoiraud :

Je pense qu’on a beaucoup appris en regardant… en observant ce qui est aussi une manière de comprendre le travail à la ferme, comme, je me rappelle, d’avoir été aider Encho (l’un des fermiers, un voisin) à la rizière. Il nous a montré comment couper le riz et le suspendre sur un poteau. On était dans la situation d’avoir à observer l’action, pour pouvoir la faire soi-même. Ou bien lorsqu’il nous a montré comment utiliser un outil pour retourner les bûches sur lesquelles poussent des champignons shitaké. On regardait ses gestes pour pouvoir les imiter – pas les imiter exactement – il s’agissait de saisir, d’incorporer le geste de celui qui sait le faire.

Et je me souviens de moi-même essayant de suivre le « training M. B. »[8], il me fallait regarder les corps des personnes qui étaient devant, de Min quand il corrigeait un petit peu ou démontrant différents rythmes ou d’autres choses. Et c’était pareil quand il dirigeait la préparation des performances. J’écoutais, je regardais son corps plutôt que d’écouter ce qu’il disait, ses explications qui restaient un peu surréalistes pour moi. Mais son corps n’était pas du tout surréaliste, j’étais capable de capter beaucoup de choses. Et, au fait, Oguri, dans mon souvenir, avant Maï-Juku V, quelques performances solos ont eu lieu au Plan B. Mais à partir du Maï-Juku V et par la suite, Min a commencé à chorégraphier pour nous encourager – je pense que j’étais en quelque sorte la première personne, parmi les étrangers présents en ce temps-là, à présenter une performance. Ma composition tout d’abord. Tous ont bien ri… J’ai donc demandé à Min de chorégraphier le solo suivant. C’était début janvier 1986, peu avant la mort de Hijikata. Après, Min a encouragé tout le monde à faire une performance une fois par mois, ce que nous trois avons fait autant qu’il était possible. C’était en parallèle avec le travail collectif du groupe ou les travaux dirigés par Min Tanaka. Nous avons tous eu la possibilité de développer notre propre recherche et de la tester devant un public au Plan B, ce qui était un privilège incroyable, une manière d’apprendre incroyable… et aussi une preuve de confiance extraordinaire. Voilà.

Katerina Bakatsaki :

En ce qui concerne la possibilité de proposer des initiatives, je ne me souviens pas d’en avoir ressenti le besoin. Cependant, je n’ai pas non plus l’impression d’être quelqu’un qui suit passivement le cours des choses, parce que j’ai ma propre manière de m’engager, comme par exemple avoir ma propre mobylette me permettant à certains moments de m’éloigner de la ferme et d’y revenir, quand j’en ressentais le besoin. Je n’avais pas besoin de prendre concrètement des initiatives et je pense que je ne suis pas le type de personne à faire cela, mais en même temps je n’ai jamais eu l’impression de ne pas avoir d’espace pour me retrouver et agir de moi-même, pour prendre les décisions de manière indépendante et autonome.

Je pense que si Min n’avait pas été l’élément déclencheur, en suggérant : « Pourquoi tu ne ferais pas… », je ne suis pas sûre que j’aurais fait quoi que ce soit. Bien sûr, Min était là pour en quelque sorte m’y encourager. Et pourtant, dans ce contexte où un large espace nous était offert pour mener notre travail comme on l’entendait, pour réaliser ce qu’on avait besoin de faire. Étant donné qu’il y avait aussi cet espace, le Plan B, mis à notre disposition.

Christine Quoiraud :

Je pense qu’on a été à la source de petites initiatives. Oguri, peut-être tu te souviens de quand on a commencé à travailler ensemble, on s’occupait de la communication, comment dire, de l’élaboration du calendrier du Plan B, et à un moment donné, je traduisais en anglais – il me fallait travailler avec Oguri, parce que je n’avais aucune idée du japonais. Ce sont de petites choses, mais cela contribuait à ajouter une pierre à l’édifice du projet principal. Et en ce qui me concerne, j’ai réussi à prendre de moi-même beaucoup d’initiatives, de la même façon que Katerina pouvait prendre sa motocyclette pour s’échapper. Donc j’avais aussi la possibilité de prendre de petites initiatives pour moi-même me ressourcer, pour pouvoir ensuite retourner à participer au groupe. Et c’était parce que je n’étais pas Japonaise, que j’avais ce besoin-là… Il me fallait vraiment le faire, et c’est en retournant à ma langue d’origine, le Français, que j’ai pu réaliser cela.

Katerina Bakatsaki :

Je pense qu’il y avait des lieux différents. C’est bien de les considérer sous différents angles, on a des lieux. Il y avait au début un lieu à Hachioji, qui était le studio de danse. Puis il y a eu la ferme, quelque chose de complétement différent, un lieu avec sa structure intrinsèque, avec toute la complexité, et son caractère d’improvisation. Il y avait aussi un lieu fondateur, le Plan B, un lieu de performances. Et toutes sortes d’autres lieux, différents lieux de performances qui étaient soit des théâtres ou des endroits en plein air, au Japon ou ailleurs. Ensuite il y avait en tant que lieux, tous les endroits où il fallait aller pour vendre et s’occuper des produits de la ferme et je pense que cela faisait aussi partie de notre vie, de nos pratiques.

Si j’essaie de définir les communs en termes de lieux, il y avait a) des lieux fondateurs, b) des lieux importants et c) des endroits où une activité particulière se déroulait. Évidemment, il y avait aussi d’autres endroits : plus tard est apparue une autre maison plus au sud, près de la mer, parce que la ferme du Body Weather était dans les montagnes. Mais je pense que la vie en groupe s’ajustait en rapport à ces différents lieux, j’espère que cela fait sens. Je le redis encore une fois, il y avait Hachioji, le studio, et bien sûr les maisons autour, ce lieu particulier, une situation comme dans un petit village, dans la banlieue de Tokyo. Et puis, il y a la ferme et le Plan B à Tokyo, le théâtre, il y a les autres espaces qui accueillaient les performances. Ensuite, dans ma perception, il y avait toutes les activités importantes initiées par Min, toutes les performances importantes, les tournées, et on était invité à y participer. On n’était pas obligé, mais on était invité à participer.

Il y avait aussi les migrations – Oguri et Christine dites-moi si je me trompe – les grands déplacements vers la ferme. Je veux dire que ces grands mouvements migratoires vers la ferme étaient initiés par Min et peut-être aussi en collaboration avec Kazue Kobata et d’autres personnes qui appartenaient au monde artistique de Tokyo à ce moment-là. Mais ces grands mouvements étaient à l’initiative de Min et on était invité à y participer. Le Plan B en tant qu’espace était déjà en existence, je pense, au moins quand je suis arrivée. Donc il y a ces endroits qui existent et on a une sorte de structure qui se déplace qui est déterminée et déclenchée par Min, Kobata et par les personnes qui travaillent auprès de lui. Et puis, à l’intérieur de ces lieux et structures de grande importance, on est invité à participer en prenant nos propres initiatives, pour créer notre propre travail. C’est comme cela que je vois les choses, que je les comprends, parce qu’une part très importante était laissée à notre initiative, je veux dire que ça a grandi au fur et à mesure et selon les besoins.

C’est comme cela que j’ai vécu le développement des différentes activités. Les animaux sont arrivés. Il fallut vite s’occuper des rizières. Parce que c’est ce qui se passait à la ferme, il fallait s’en occuper. D’une certaine façon, il s’agissait d’activités organiques, mais en même temps il y avait beaucoup de choses qui étaient déjà là, ou qui existaient à l’initiative de Min. Je pense aux grandes performances dans les grands théâtres, organisées par Min, ou par d’autres artistes qui avaient invités Min à participer ou à réaliser des chorégraphies, et alors il invitait aussi le groupe du Maï-Juku à y participer. C’est ainsi qu’une partie de ces communs était déterminée au fur et à mesure des besoins, par la nécessité de faire quelque chose à un moment donné. Mais chacun de nous de manières différentes initiait, accompagnait, suivait ou réorientait ce qui se passait. Mais il y avait aussi une structure au-dessus de tout cela – je l’appelle structure mais c’était une structure très fragile, une structure non-formelle : Min avait sa vision des choses et il la poursuivait, il allait de l’avant. Ceux et celles qui voulaient se joindre à ses projets, très bien, sinon bye-bye, c’était un peu comme ça. Et pourtant, à l’intérieur de cela, il y avait beaucoup de place pour nous et beaucoup d’invitations de la part de Min pour que nous prenions nos propres initiatives, pour développer notre propre créativité, pour avoir nos propres connexions aux différents lieux, d’être là et de comprendre et de ressentir ce qu’on avait besoin de faire.

Oguri :

Donc, comme je l’ai déjà dit, le mouvement de l’histoire de Body Weather est aussi en perpétuel changement comme l’a bien expliqué Christine. Katerina l’a dit aussi. « S’il y a quelque chose dont nous avons besoin, [presque chanté] nous———————– allons le faire ». Les communs ne sont pas fixés définitivement : la ferme, la compagnie de danse, et le Plan B. J’étais complètement impliqué dans ces trois activités, pour moi, c’est la même chose, il n’y a pas de séparation. Il y avait la communauté nojo [les paysans]. La communauté de ceux qui travaillaient la terre. Il y avait des personnes qui n’étaient pas impliquées dans les performances, d’autres personnes participant aux performances mais pas dans celles du Plan B[9]. Il y avait différentes manières d’envisager ces « communs », vous savez, avec un peu plus de flexibilité ou en les déployant et en les faisant évoluer. Au sujet de Maï-Juku, le déménagement de Hachioji à la ferme a été une transition importante. Depuis le début du Body Weather, non pas comme un paramètre mais disons, en tant qu’essence du Body Weather, il n’était pas question de rester uniquement dans le studio de danse à Hachioji. Il fallait déplacer les activités vers la ferme, vers le monde rural – je ne dis pas « nature » mais « terres agricoles », lieu environnemental. C’est comme l’avait fait Min Tanaka quand il avait commencé à danser, dans la rue, puis dans un théâtre. Là encore, il s’agissait pour lui de danser dans un site spécifique ou à l’extérieur. Il ne s’est jamais fixé sur une scène particulière, mais il s’est toujours intégré à de nouveaux lieux, allant de l’un à l’autre. J’espère qu’il est clair que Maï-Juku n’est pas une compagnie de danse – oui, dans un sens c’en est une – mais ce n’est pas une compagnie de danse fixée une fois pour toute, avec un chorégraphe et des danseurs sous contrats qui sont payés pour leurs performances. Ce n’était pas du tout cela, c’est certain… Et en même temps, il s’agit d’un autre contexte qui dépend des individus – je pense avoir dit quelque chose au sujet d’un fort engagement des personnes individuellement – il y a bien une organisation importante, mais c’est aussi beaucoup l’affaire de chacun et de chacune individuellement. En réalité, Christine, Katerina et moi, nous avons travaillé complètement séparément et aussi développé des danses très différentes. Donc, nous n’étions pas là pour assimiler la chorégraphie de Min Tanaka ou pour acquérir une technique, la technique de danse de Min Tanaka. Dans cette communauté, ce n’est pas comme cela que ça se passe. Les communs sont déterminés par les individus au sein du commun. Pour revenir aux individualités – est-ce que c’est lié réellement aux communs (je me pose moi-même la question) ? – évidemment, financièrement, cela n’a été facile pour personne. Parce que j’étais là pendant cinq ans, à partir du moment où on a commencé le travail à la ferme. On a commencé par apprendre des fermiers comment s’y prendre, oui, personne d’entre nous n’était d’emblée expert en la matière, il fallait tout apprendre. Alors le travail à la ferme ne payait pas, en tant que tel. Non, peut-être à cette époque, la danse, les grands projets rapportaient un peu d’argent ou les activités commerciales, les films[10]. Oui, beaucoup de choses se passaient en même temps.

La ferme a commencé en 1986. Les gens du village dans leur totalité ne nous faisaient pas confiance ou ne pensaient pas qu’on allait continuer à s’occuper de la ferme. C’est ce qui a changé après une période de deux ans, trois ans, année après année, nos relations avec la communauté ont beaucoup évolué. Quelque chose a touché leur cœur : durant cette première année, Min, Kobata San et d’autres ont organisé un festival, « Art festival », un projet pionnier au Japon, un festival en plein air. Quelque chose qui ne s’était jamais passé dans la métropole de Tokyo. Mais dans ce lieu plus marginal, sur les terres de la ferme, en plein air, un évènement d’arts vivants : sculpture, musique, performance. On a donc fait venir beaucoup de spectacles de divertissement d’autres régions du Japon, ou de pays étrangers, des performeurs Japonais, des chanteurs, des sculpteurs, et tous ces gens font venir plus de public et des activités. Vraiment c’était un projet pionnier dans ce début des années 1980, aujourd’hui c’est beaucoup plus habituel. C’était une autre forme d’activité du Body Weather et au-delà et on y était tous impliqués à la ferme : travailler à la ferme, étudier, pratiquer la danse de manière stimulante et l’organisation, la production d’évènements. On a pu être mieux acceptés par la communauté. En fait, on était invité chez eux en permanence. Bien sûr, maintenant, la présence de non-Japonais, d’étrangers est devenue quelque chose d’habituel dans les campagnes au Japon, mais à l’époque les Européens, les Américains étaient rares, oui, cela a été pour chacun de nous une expérience très particulière.

Ah oui, autre chose, c’est un peu symbolique au sujet du riz : le riz est une matière essentielle pour les Japonais, je l’ai déjà dit. Il y a tant de noms donnés à un grain de riz, du riz qui pousse au riz qui vient à ma bouche, le nom change. C’est comme les différentes appellations de l’eau : glace, eau, neige, toutes les transformations suscitant des noms différents. Donc beaucoup de noms chaque fois se transforment par rapport à d’autres façons d’être. C’est un peu comme ça que les communs peuvent être envisagés dans le cadre du Body Weather. Mais j’ai appris cela de la tradition, sur le terrain – OK, d’accord, je suis sans doute en train de semer le chaos – OK, posez-moi des questions précises ! [Rires]

Christine Quoiraud :

Peut-être que je peux ajouter quelque chose qui étoffe un peu ou qui est relié à ce qu’Oguri vient de dire : je me souviens que quand on a commencé la ferme, il n’y avait pas d’animaux. On se concentrait vraiment sur le riz, de démarrer la culture du riz, puis, petit à petit, on a construit le poulailler, et tout à coup il y avait des milliers de poules. Ce n’était pas seulement Min qui décidait du développement de la ferme, je pense que Hisako participait pour une bonne part dans ces choix impulsifs. Tout à coup on avait des chèvres et des ânes. Et je me souviens, quand j’ai quitté le Japon, Tanaka Min m’a offert de me confier des vaches. Il voulait que je prenne en charge des vaches. J’ai dit : « Non merci ! » Mais c’était là une façon d’entrer en relation. On parlait des lieux. C’est ainsi que le groupe de l’origine devait s’adapter. Il fallait qu’on prenne en charge ces animaux, ils faisaient partie de l’environnement. Au début, ils n’étaient pas présents et puis un tout petit peu présents, et ensuite de plus en plus présents. Et il y avait une obligation d’avoir du riz, parce qu’au Japon il y en a partout, d’après ce que je sais… Mais les animaux il me semble, étaient très importants pour Min et pour Hisako. Les animaux étaient là aussi pour l’utilisation de leurs déjections comme fertiliseur, mais aussi pour gagner de l’argent, parce qu’on vendait les œufs des poules. Voilà, je perds un peu le fil de mes pensées, mais… Je pense très clairement aux animaux et à leurs sons, leurs odeurs et leurs déjections.

Katerina Bakatsaki :

Je voudrais tenter de préciser cette notion de communs et de communauté. Parce que savoir qu’il existe une communauté vous plaît beaucoup – et c’est aussi mon cas, c’est merveilleux de se l’entendre dire, encore et encore. Mais dans le contexte du Body Weather, il n’y avait rien de commun entre ses membres et c’est ce qui a donné au projet une force particulière. Bien sûr il y a la danse, il y a la nécessité de danser et d’explorer la danse, d’explorer comment comprendre la danse au sein de la vie, comment être en relation, comment exister entre nous, comment exister avec les choses, avec les objets, avec les plantes, avec les outils, avec l’argent, avec le manque d’argent, comment exister avec d’autres communautés qui existent aussi avec nous, alors qu’on n’est pas exactement certain si oui ou non on forme une communauté. On ne le savait pas. En tout cas, je ne le savais pas. Je ne pense pas qu’on n’ait jamais ressenti qu’il y avait quelque chose qu’on pouvait désigner comme faisant partie de l’ordre du commun.

Il y avait un désir partagé d’être là, mais chacune et chacun d’entre nous avait ses besoins particuliers et ses propres attentes et ses propres projections. Et aussi ses propres manières de s’engager par rapport à toute cette complexité, ou en d’autres termes à tout ce chaos. Ce n’était pas un chaos en termes de n’importe quoi, mais un chaos en termes d’imprévisibilité. Tout est en relation, on est en relation. Il y a des principes qui sont définis et qui nous guident et restent en nous, comme le riz, comme se mettre en relation, comme se remettre en question, comment ne pas se contenter d’être seulement en relation, mais de questionner comment on doit le faire, c’est-à-dire de faire ce qu’on ne sait pas faire. Et de questionner aussi la morale, l’éthique, la politique de tout cela. Personne ne décidait : « OK, on va faire ça comme cela maintenant ». On réfléchissait, on évaluait. Et pourtant, et pourtant, et pourtant, il y avait des schèmes plus importants qui étaient continuellement en mouvement et je veux dire par là que toutes les notions se situaient constamment dans des contextes particuliers. Il y avait toujours la présence de toutes sortes de danseurs, de corps, de micro-communautés. La communauté sans qu’il y ait quelque chose en commun, c’était très radical, au moins dans mon esprit, ça l’est toujours, et c’est ce qui fait que ce groupe de personnes ne constituait pas une secte, il n’y avait pas de terre promise, pas d’obligations. On était là parce qu’on était arrivé à la conclusion que « OK, je peux le faire, je peux m’y identifier, je peux répondre à ce qu’il y a besoin de faire, je peux… »

Christine Quoiraud :

Une petite chose, encore. D’après mes souvenirs, la configuration du groupe et l’activité se développaient par elles-mêmes, mais quand on était en tournée, quand on voyageait en France pour des performances, je me souviens qu’il y avait beaucoup de différences relevées entre le monde japonais et l’univers européen. Min parlait souvent de tradition, de la tradition au Japon. Et quand il était à Paris à ce moment-là, il avait un regard un peu critique sur le style de démocratie en usage en France. Je me souviens juste d’une « remarque » de Min Tanaka quand on a présenté le Sacre du Printemps. Nario Goda[11], un critique de danse, était avec nous et il est tombé malade. Il a été hospitalisé pendant quelque temps, et Goda San, Monsieur Goda, était très enthousiaste : « Oh ! je suis malade, je vais rester à Paris, je veux rester à Paris, j’aime Paris, j’aime la France, il y a beaucoup de bonne cuisine, de bons vins… » Et Min Tanaka lui a dit alors : « Non ! Il ne faut pas rester en France, c’est trop doux, l’esprit est trop mou, l’esprit est trop délicat ». Cela me parlait beaucoup, alors, c’était comme : « Au Japon, nous avons cette forte énergie, cette forte capacité à travailler. On ne s’arrête pas, on ne renonce pas », comme les cosaques – une image qui vient de moi, bien sûr – mais c’est ainsi que je ressentais un peu les choses à ce moment-là. On n’est jamais fatigué, on peut continuer malgré la fatigue, eh oui… Alors je suppose que Min devait aussi se demander comment un groupe pouvait se comporter, comment la vie avec les autres pouvait être envisagée. Comment c’est de vivre à plusieurs et avec un nombre de participants toujours fluctuant. Pendant la première année, il y avait beaucoup de monde à la ferme et ensuite au cours de l’hiver, cela s’écroulait. La taille du groupe variait constamment. Il y avait, je pense, quelque chose qui ressemblait à une non-adhésion au capitalisme, par la manière de se confronter à l’économie. Mais par ailleurs, d’après moi, il y avait une grande tendance à se tourner vers la tradition. Et en conséquence, cela créait des tensions entre la tradition et une certaine volonté d’inventer de nouvelles choses. Et probablement, d’autres influences, je ne sais pas, mais je pense qu’on peut sentir ou imaginer quelque chose de plus ouvert, en quelque sorte avec – je n’ose pas utiliser le mot – une certaine anarchie, mais…

Oguri :

Je voudrais juste dire ceci : les relations avec la terre s’appliquent aussi à celles de la danse. La danse, c’est la mobilité. Ça peut avoir lieu dans n’importe quel endroit. Avec seulement le corps on peut produire de la danse, des choses qui ne se répètent jamais de la même manière. Nous ne sommes pas non plus propriétaires de notre danse. En toutes circonstances, la danse peut être là, présente. Je pense donc que c’est une méthode très efficace. Je veux dire que si l’on considère cette notion du commun, ou des communs, on en revient à l’essence du Body Weather, il s’agit bien de ne pas posséder la terre, de ne pas posséder la danse. Ce n’est pas une question de propriété.

Ça tombe sous le sens que la danse et les terres sont toujours des emprunts. On nous prête les terres et on nous prête aussi la danse. Mais lors de la pandémie, c’est la première chose qui se passe, cela limite tellement la danse qu’on ne peut plus rien faire. Oui, je suis désolé d’avoir à rappeler cela, toutes mes excuses. J’ai toujours pensé que la danse était le média le plus puissant, pas besoin de transporter des instruments, on peut aller n’importe où, avec juste son corps. Or durant la pandémie, ce fut si difficile. J’arrête là. OK, merci.

Katerina Bakatsaki :

Et pourtant, on est en tant que danseurs toujours en mouvement, je veux dire que ça a été toujours une fascination pour moi la manière de travailler au développement de la vie du groupe, il y a un sens de mobilité, de changements de direction soudains, de mutations, de mouvements. Et pourtant il y a la question de ne pas posséder les terres, et pourtant il y a la question de travailler la terre, la question d’être en relation avec la terre. Se salir les mains…

Oguri :

… Oui, trouver ses racines…

Katerina Bakatsaki :

…trouver ses racines, travailler la terre, je veux dire créer une relation à la terre, comme tu le dis, à la rizière. Comprendre aussi avec le corps, quels sont ses besoins, quelle est sa temporalité et être capable de le prendre en compte, de le soutenir, d’être à son service, la même chose avec les animaux, la même chose entre chacun d’entre nous, la même chose avec la musique, la même chose avec les performances, partout où l’on partage l’espace avec d’autres, qu’il s’agisse de corps humains, ou d’objets, etc. Je pense que c’était cela, la notion de travailler la terre : prendre racines sans rien posséder. Et je me souviens de cela maintenant en entendant tes paroles et « Ooooooooooh ! »[rire], c’est vraiment stimulant, encore et encore. Et je pense que c’était en termes de cette notion des communs : vous savez, les choses bougent, évoluent, les lieux changent, on fait face à ce qui doit être fait, etc. Il y a donc sans cesse du mouvement, pourtant il faut saisir ce qui est de l’ordre des relations avec le village, avec les villageois, avec le riz, avec les animaux, avec la terre, avec chacun d’entre nous, et ainsi de suite. On ne possède pas la terre, mais on doit travailler la terre, encore et encore.

Oguri :

C’était notre communauté Body Weather. Mais vous savez, parfois j’ai aussi le sentiment que c’est principalement une des raisons pour lesquelles j’ai quitté la Ferme Body Weather. Parce que c’était en même temps une communauté très surannée. Ces fermiers étaient aussi très conservateurs ! Oui. Mais c’était pour Min une sorte de défi de travailler dans cet endroit. Je ne dis pas, comment dire, qu’il n’est pas un grand homme et une personne intègre, mais je pense qu’à ce moment-là… OK, je me tais.
 

La ferme à Hakushu, 1987, Photo Christine Quoiraud, Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND
La ferme à Hakushu, 1987 (photo Christine Quoiraud),
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

 

6. Chorégraphie, improvisation et images

Presentation

Min Tanaka était-il un chorégraphe ? Il semble qu’il ne l’était pas dans le strict sens du terme, mais il l’était malgré tout en tant qu’initiateur de performances et metteur en scène de la danse. Cela voulait dire qu’il y avait des hiérarchies dans la valeur artistique des différentes formes de chorégraphies. Dans ces conditions, comment se passaient les sessions de préparation aux performances ? Quel était le degré d’improvisation dans les performances ? Quelle était la place de la technique, si celle-ci a un sens ?
La présence d’images était un élément important qui permettait l’émergence formelle des différentes prestations.


Oguri :

Avant tout, d’après mes souvenirs, dans les années 1980 Min n’a jamais mis son nom sur les programmes en tant que chorégraphe, comme par exemple « composé par Min Tanaka »[12] dans une performance de groupe, je m’en souviens bien. L’idée de composition impliquait trop pour lui un cadre très strict. Et la chorégraphie, en quoi cela consiste ? Ça a changé au fur et à mesure du temps – je ne parle que de cette période 1985/86 – oui, c’était des tâches. Un mouvement, proposé comme une tâche. La tâche de sauter en l’air, la tâche de sauter en l’air cent fois de suite en se tenant avec le corps droit. Voilà un exemple. Mais la composition, c’est comme une carte routière très claire alors que d’habitude, on ne répète jamais deux fois la même performance. Même au cours de la même série de performances. Le deuxième jour, dans la même série, beaucoup de changements ont lieu, même la composition est sujette à quelques changements. Une saison après cela, on retrouve dans la performance des ressemblances au modèle original, mais avec des petites différences. Les performances n’ont donc jamais été identiques durant cette période.

Plus tard, particulièrement quand on vivait à la ferme, beaucoup de productions et répétitions avaient lieu à la ferme. À l’intérieur, dans un studio – ce n’était pas vraiment un studio de danse, c’était dans la maison, nous avions une plus grande pièce, à l’étage. Les répétitions avaient lieu là ou bien dehors où on avait construit une scène pour les répétitions. Là encore, pour les performances, cela induisait différentes situations. Quelque fois on présentait une performance dans un petit studio ou bien à d’autres moments on présentait dans un grand théâtre des pièces expérimentales élaborées dans un petit studio. C’étaient des processus différents. Habituellement, on élaborait des compositions. Et puisqu’on vivait ensemble, la composition pouvait être expliquée dans un langage plus abstrait… Mais elle était toujours très liée à chaque corps pris individuellement. Le corps incluant aussi l’esprit, oui, sans prendre en compte de savoir si une personne en particulier avait de la souplesse ou si elle avait de grandes capacités dans ses mouvements, cela n’était pas très important. Et il y avait beaucoup d’improvisation à l’intérieur de tout cela. Min exigeait de chaque performeur une vraie responsabilité. Min Tanaka n’indiquait pas comment il fallait danser, il ne déterminait pas le mouvement de la chorégraphie. Plus tard, après avoir acquis une grande expérience de la danse à la ferme en extérieur, je me souviens d’une composition – très, très simple : se contenter d’être là, d’assumer une présence. Mais à chaque fois, après les répétitions, il nous faisait part clairement de ce qu’il avait noté pour chaque danseur individuellement. Tout ce qu’il observait donnait lieu à des commentaires très clairs pour préciser ou changer des choses en vue d’une meilleure performance, oui, sans donner jamais un but à atteindre. C’est ce que je me souviens de la façon d’aborder le travail en ce temps-là. Merci[13].

Christine Quoiraud :

On travaillait avec beaucoup d’images, et ces images provenaient de l’expérience de Tanaka Min avec Hijikata lorsqu’il a chorégraphié un solo pour Min. Il a utilisé les images peut-être à partir de ce moment, pendant les années où il travaillait sous la direction de Hijikata, je pense que c’était 1984. On est arrivé en 1985. C’est alors qu’il a utilisé les images. Dans mon souvenir, il nous proposait une méthodologie pour travailler à partir d’images. Il s’agissait donc d’une liste d’images. Et comme l’a dit Oguri, il ne nous a jamais montré des mouvements. Il nous donnait juste des mots et nous laissait nous débrouiller avec ces mots. Et ensuite il nous voyait aux répétitions. Et alors il ajustait. Encore une fois, dans mes souvenirs, c’était comme s’il sculptait ou créait l’espace du corps dans l’espace. Et dans l’espace, cela veut dire ici avec la lumière, avec le décor, avec le déroulement du temps, avec les autres, et je pense qu’il avait toujours en tête la conscience de la présence du public. Que cela soit à l’intérieur ou à l’extérieur, la question de la présence du public était toujours très importante. Et ce que j’ai le plus appris à ce moment-là, c’est je pense le respect du public. Ce travail sur les images consistait à toujours chercher comment donner une vitalité et une énergie au cheminement des images, c’était quelque chose impossible à stabiliser ou à fixer dans une forme. Si maintenant, on tentait de vous montrer une image, peut-être que Katerina, Oguri et moi, on devrait chercher comment faire vivre cette image.

Quand j’utilise le terme d’« image », il s’agit d’une liste de mots, oui. En fait, en 2017, j’ai organisé un atelier au CND (Centre National de la Danse) et j’ai invité Oguri pour l’animer en mettant l’accent sur l’« image » et il y a un enregistrement de cet atelier au CND. Et en fait, dans le travail de retour sur cette expérience que j’ai fait et qui est en ligne, (médiathèque du CND), j’ai transcrit le travail d’Oguri. J’ai transcrit, traduit et commenté son travail. J’ai même traité des fondements de l’enseignement d’Oguri. Par « traité », je veux dire décrypté, [en français dans l’original en anglais] : « Oguri dit ceci et il montre cela ». Et je décris : « ses mains sont sur sa tête, et son épaule est en train d’aller vers l’arrière, … ». Je décris ce que je vois sur la vidéo, ce que je vois de ses mouvements, de son corps, dans l’espace, alors qu’il enseigne.

Oguri :

Juste une chose concernant la chorégraphie de Min Tanaka et de ce travail sur les images que vient de mentionner Christine. Hijikata Tatsumi, Tatsumi Hijikata a été une source d’inspiration pour Min Tanaka. Et Min Tanaka a été chorégraphié par Hijikata Tatsumi je pense en 1984. Alors, à cette époque, Min Tanaka est très proche du Ankoku butō[14]. Ce que Tanaka a partagé avec Hijikata Tatsumi, c’est ce travail sur les images. Ainsi, Hijikata Tatsumi a utilisé beaucoup d’images de l’environnement et de tableaux. Min nous a introduit à ce travail avec Hijikata et on a aussi inclus ce travail sur les images dans nos performances. Et plus tard, l’approche de ce « travail sur les images » a été quelque peu modifiée[15]. Les choses que j’ai mentionnées au CND représentaient vraiement un ancien travail. Ce sont juste différents outils qui ne correspondent plus aux chorégraphies d’aujourd’hui. Ils étaient datés de ce temps-là. De ce qu’on faisait alors. Je pense que plus tard, il a changé de méthode. Ce travail sur les images avait été intégré dans nos corps. Dans nos corps, on contient l’extérieur. En conséquence, à partir de ce moment, les paysages sont inscrits dans notre corps : on peut dire que l’on a un « grand lac dans le corps ». Et il y a une « forêt tropicale dans la tête » et il y a « une maison qui brûle à l’intérieur du corps » et « la fumée monte ». Ce n’est pas une image à l’extérieur. Ça vient du dedans. La lune, le ciel sont incorporés en nous. Ce fut un grand changement pour les performances. Avant c’était très précis. Avec cette partie du corps, on rend telle image. Il faut avoir un esprit très vif pour comprendre et adopter n’importe quelle position du corps. L’idée de l’interne-externe a tout changé, c’est l’expérience de Min Tanaka qui est devenue la mienne. Je ne sais pas comment il travaille aujourd’hui avec les personnes. Son style de danse ou de chorégraphie est comme le Body Weather, cela ne reste jamais au même stade. Alors, oui, je le redis, je suis un peu comme un témoin des années 1980. C’était seulement cinq années… mais cela a suscité en moi beaucoup de changements.

Katerina Bakatsaki :

Comme Oguri l’a dit, il y a eu différentes périodes et il y a eu une évolution dans les différentes images utilisées à des périodes données. Donc j’hésite, je pense qu’il y a des images dont on se souvient particulièrement bien. Mais ce que je veux dire c’est que le travail avec les images s’inscrivait aussi dans la pratique et était une des nombreuses manières de sensibiliser le corps aux mots qui existent dans chaque image. Et aussi sensibiliser le corps à des entités non-humaines, que cela soit un objet, que cela soit l’eau, que cela soit la rivière, le riz, etc. Les images évoquaient, pour le dire autrement, une altérité en dehors de l’humain, elles invitaient les non-humains à s’introduire dans le corps. Donc, une des images qui me vient maintenant à l’esprit est celle d’un jeune singe qui boxe dans le ciel, boxe le ciel, dites-moi si j’ai tort. Boxer avec le ciel ou boxer le ciel.

Christine Quoiraud :

Avec des gants de boxe rouges et ce singe était assis sur une chaise de salon de coiffure [rires], chez le barbier… Ailleurs, à un autre moment dans une performance, on était trois femmes en train de danser avec des culs comme ceux des vaches et nos bassins se balançaient « ting…ting… ting… ting… » (comme la queue des vaches chassant les mouches, on balançait les hanches d’un côté à l’autre). Ou bien on avait un poteau électrique vertical à l’intérieur du corps.

Katerina Bakatsaki :

C’est ainsi que les images étaient utilisées dans différentes pratiques pour sensibiliser et pour éveiller le corps, mais ce qui était spécifique, comme je l’ai déjà dit, c’est que les images invitaient les non-humains et elles étaient extraordinaires, je veux dire dans leurs échelles, par leur richesse

Christine Quoiraud :

Mais c’était aussi l’occasion de fragmenter le corps. On avait en même temps à se concentrer sur plusieurs images s’adressant au corps et chaque partie du corps se chargeait d’une image particulière : la tête, les bras, le torse, le ventre, le dos, les jambes et les pieds, tout cela en même temps. Puis on changeait subitement de collection d’images, c’était aussi une source de tension pour le système nerveux. Comme si on était… Min Tanaka utilisait l’expression « d’être attaqué » par les images. Et ainsi, c’était aussi une manière d’être à la fois en contrôle et sur la frontière, au bord du manque de contrôle. On était toujours en danger de tomber totalement dans ce qu’on ne pouvait plus contrôler, fatalement. C’était pour moi quelque chose qui ressemblait au risque de l’improvisation, c’est bien cela. On essayait aussi d’atteindre les images, et elles étaient en quelque sorte hors de portée de nos mains, elles s’échappaient constamment. Il s’agissait dans mon souvenir de monter en intensité, l’intensité de la capacité à se concentrer.

Katerina Bakatsaki :

Une autre image, un autre travail, qui a été utilisé plus tard : je me souviens qu’on a beaucoup pratiqué, pratiqué dans le sens de la recherche et l’expérimentation : c’était un travail sur la notion de marionnette. On était une marionnette dont les mouvements étaient manipulés par les fils d’un marionnettiste. Il ne s’agissait pas d’imitation mais de cette notion, de cette invitation au corps à se désarticuler – comment dire ? – une invitation au corps d’être contrôlé par quelque chose d’autre que lui-même. Et la notion aussi, je pense, que beaucoup de ces images appelaient à la perméabilité. La perméabilité du corps –je me souviens que Min utilisait plutôt le mot « attaque » – mais celle du corps ouvert à l’imagination, par le biais des sensations et de l’imagination de ce qui était en dehors de lui-même.

Christine Quoiraud :

Être « attaquée », bombardée d’images, c’est une façon de saturer d’informations le cerveau, de déjouer l’habituelle production d’images propre à chacun. Se donner une chance d’« être dansé(e) » par quelque chose d’autre que sa propre imagination.

On a beaucoup travaillé aussi la « stop motion ». On commence le mouvement et on s’arrête… on introduit l’idée de couper le sens du mouvement et de réfléchir à la durée du mouvement, son ampleur et combien de temps va durer l’arrêt. On a beaucoup fait cela et aussi à un moment donné on a beaucoup travaillé sur la répétition du même mouvement, « encore… encore… », ou « continuez longtemps ».

Oguri :

Je pense aussi un peu au « training » et au « M. B. training ». On a pratiqué la coordination du corps avec des rythmes, pour la droite et pour la gauche du corps. C’est une façon de bien prendre conscience du corps, de se connecter avec le corps, avec des parties du corps, en soulevant les genoux, tournant les hanches, des choses très simples. C’était comme l’intention d’aller vers autre chose, vers la manière de parvenir à la dislocation du corps. La dislocation… Oui. Ce « travail sur l’image » dont vient de parler Christine, consiste à diviser tous les membres du corps : la tête, les bras, le torse et les jambes. Et en même temps de mettre en mouvement des qualités différentes, des vitesses différentes, des mouvements d’images complètement différentes à faire en même temps. Et cette image se transforme dans le mouvement suivant, les parties du corps changeant des centaines de fois dans des transitions, des transitions, des transitions, la transition entre les images faisant aussi partie de l’essence de la pratique. Il s’agit donc plutôt d’un processus de dislocation du corps, comme une mémoire de la petite enfance, de la façon qu’a un nouveau-né de se mouvoir. Ce mouvement n’est certainement pas lié à son esprit ou sa conscience, ou à un sourire d’ange. Quand un bébé commence à sourire, ce n’est pas sous l’effet d’une émotion, c’est une sorte de sensation qui émerge. Je pense donc que Min Tanaka ou Hijikata Tatsumi ont été à l’origine de cette façon de se concentrer sur ces aspects. Il s’agit de notre mémoire corporelle de l’expérience de la petite enfance à ce stade du développement du mouvement. Et encore ici, cette image précise fait entrer les choses de l’extérieur à l’intérieur de soi. Cela pose un défi considérable. Si on ne comprend pas ceci, on ne peut pas faire cela. Certaines personnes peuvent y arriver et d’autres non. Comment accepter cela : faire entrer à l’intérieur de son corps tout un paysage urbain. Mais je pense que la danse peut le permettre, oui !

Christine Quoiraud :

Cet exercice est très difficile à réaliser. Il y avait des danseurs qui n’étaient pas capables de réaliser cela ou de le faire par eux-mêmes. Il s’agissait de remplir la totalité du corps avec une collection d’images changeant constamment. Une concentration difficile à tenir.

Oguri :

Concernant la chorégraphie de Min, le training, le M. B. training pour coordonner le corps, je pense qu’il s’agissait plutôt d’aller vers le démembrement.

Christine Quoiraud :

Le training n’était pas là pour renforcer les capacités du corps mais plutôt de déconstruire sa cohérence en tant qu’unité psychosociale.

Oguri :

Oui, on travaillait beaucoup avec un partenaire. Et le corps est le meilleur des textes pour apprendre. On a des méthodes d’étirement du corps et des séries d’alignement du corps appelées « Manipulations pour les corps ». Entre deux partenaires : ne pas parler pendant deux heures et porter mutuellement attention au corps de l’autre. Puis parler entre partenaires de cette expérience, pour y répondre complètement. Partager ce qui s’était passé pendant ces deux heures d’engagement mutuel. Et de partager, encore et encore. Et apprendre que les corps sont en perpétuel changement. On retrouve là tous les concepts de Body Weather : ne jamais répéter la même chose et assumer la responsabilité de partager le temps et l’espace avec les autres. Ces principes ont perduré sur le long terme.
 
[Voir Inventaire (Archives Christine Quoiraud de la médiatéque du Centre national de la Danse).]

C’est un peu lié à l’idée de mentor japonais. Cela n’a pas d’importance si c’est japonais ou pas. Mais l’idée du mentor, de la morale ou de l’éthique était bien là. On apprend que la technique fait partie de l’espace. Comme dans les arts martiaux, il faut toujours d’abord faire le vide dans l’espace et commencer par un salut. C’est ce genre de morale ou de respect de l’espace qui opère. On apprend l’espace dans la danse. Et que chacun est pour l’autre un mentor. J’ai beaucoup appris de Min Tanaka et de Noguchi San en opérant les lumières dans les coulisses du théâtre. Ou en faisant pousser des légumes à la ferme, ou avec les paysans du coin jouant le rôle de mentors. Et même après cinq années passées à devenir un danseur compétent ou un fermier compétent. Parce que parfois je servais de mentor à des jeunes ou à des débutants. Les relations que j’ai eues avec ces personnes m’ont aussi beaucoup appris. Tout cela est donc lié à la question des communs. C’est la communauté, on apprend mutuellement à faire les choses. Tout le monde est mentor, dans tout. Notre productrice Kazue Kobata en était une. Mes collègues, comme Christine ou Katerina venaient d’horizons différents, c’est une caractéristique unique du Body Weather : Européens, Japonais, Américains, on vivait ensemble. Et le langage en commun était l’anglais, qu’aujourd’hui je ne parle toujours pas très bien. C’est comme cela qu’on communiquait et que les choses pouvaient se faire. Et après tant d’années, on a encore aujourd’hui ce genre de relations.

Christine Quoiraud :

Je pense que je suis très reconnaissante des relations entre nous. On s’entraidait les uns les autres. On s’influençait. Je pense que j’étais comme Oguri. Oguri m’a aidé d’une certaine façon à la ferme à entrevoir la tournure d’esprit des Japonais et peut-être, en se parlant, je transmettais la tournure d’esprit individualiste occidentale – j’évoluais plutôt dans une pensée faite de rencontres et d’échanges. On s’influençait mutuellement, peut-être sans en être conscients, mais c’était facilité par le fait qu’on passait beaucoup de temps ensemble. Cela semble très banal, mais cela ne l’était pas tant que ça. Comme le dit Oguri, nous continuons d’avoir le même type de relations après beaucoup de décennies, après tant de temps, c’est un lien très fort. Et je veux partager l’idée que je ne pense pas avoir été là-bas pour apprendre une technique ou comment danser. Mais je sais qu’à l’issue de cette expérience, comme Oguri l’a dit, j’ai aussi senti que j’étais totalement prête à aller dans le monde et à danser. J’avais vraiment la sensation, non pas que j’étais orgueilleuse ou prétentieuse, mais que j’avais la pêche, le courage oui ! Et ce qui a été le plus difficile pour moi quand je suis revenue en Europe, c’était de pouvoir continuer avec la même intensité, de trouver le moyen de continuer cette intensité de vie. Et à ce moment-là en France, en Europe, c’était une logique complètement différente. C’était le début des « intermittents du spectacle » en France, s’apparentant à cet état d’esprit de fonctionnaire et moi, je ne pouvais pas entrer dans cet état d’esprit. Oui.

Katerina Bakatsaki :

En termes de technique, je pense que nous savons tous que la technique comprend plusieurs états, différentes formes, différentes manières de la comprendre ou de la disséminer. Je pense que tout le training, le M. B. inclus, était là pour répondre à la question fondamentale, qui était, si je peux me permettre, comment s’incarner de manière plurielle dans des corps multiples. Pour être plus précise, si l’on considère le training comme une recherche et pas comme une méthodologie pour devenir quelque chose, cela clarifie déjà beaucoup les choses. Et pour moi, la question qui constamment se pose, c’est comment s’incarner dans des corps, encore une fois dans une pluralité. On peut objecter, en se plaçant d’un point de vue différent, que cette pluralité est problématique, mais en tout cas, en tant que question philosophique, il faut se demander : que se passe-t-il si le corps n’est jamais un, s’il est plus qu’une entité et s’il est plus qu’être humain ? Ainsi, tout le training est constitué comme recherche, comme trouver des manières d’explorer cette question fondamentale. Dans ce sens, je ne pense pas que la technique sert à devenir quelque chose, mais c’est une méthodologie très claire, très cohérente, toutefois pas fermée, de questionner les choses. C’est comme ça que je vois les choses. Cependant, comment est-ce que cela peut déboucher sur une performance, sur une présentation sur scène, des choses très basiques que je suis capable de saisir ? Encore une fois, c’est cultiver la perméabilité du corps et aussi sa capacité à être lucide, clair, attentif, sans pour autant être égocentrique, de façon à pouvoir disposer d’outils pour exister dans les performances. Pourtant ce n’est pas un entraînement qui nous conduit à la performance, c’est comme le dit aussi Deborah Hay[16] : au cours d’une performance on continue à s’entraîner, on continue à pratiquer ; ou bien la pratique en tant que telle n’existe pas, car on est toujours en train de faire une performance. Il y a la nécessité de porter l’attention à la fois sur le corps et sur tout ce qui n’est pas le corps, c’est cet aspect qui doit être l’objet d’un entraînement. Donc, dans un sens, c’est une technique, une technique non-formelle, qui est présente chez d’autres artistes tels que Déborah Hay, Anna Halprin, Simone Forti, etc. Il s’agit d’une pratique basée sur le non formel. La question que je me suis posée au sujet de la technique ou de son absence après avoir quitté le Japon (et jusqu’à aujourd’hui), s’articule en quelque sorte de la façon suivante : « Comment est-ce que je peux continuer à m’entraîner, comment est-ce que je peux continuer à pratiquer ? » Comment pratiquer la vie et tous les aspects de la vie quand je ne suis plus au Japon ?

 

7. Les relations avec la musique

Présentation

Les relations entre la danse et la musique dans le Body Weather sont sources de conjectures. S’agit-il d’une histoire où la danse a acquis une autonomie progressive par rapport à toute illustration du discours musical, ou la musique fait-elle partie d’un environnement sonore général dans lequel la danse prend place selon divers modes de relations ? La notion de sons environnementaux peut inclure les sons de la vie quotidienne (urbains, ruraux et naturels), la composition musicale d’un espace donné, des interactions improvisées avec un musicien ou la musique enregistrée dans de nombreux styles. Les sons de l’environnement sont-ils des points de contact pour Body Weather, des supports de mouvements du corps ou des sources d’inspiration ?


Katerina Bakatsaki :

Avant la musique il y a l’écoute. C’est-à-dire qu’avant d’avoir conscience de la musique, il y a la conscience d’une écoute. Au fait, quand on aborde la question de langage, ce n’est pas comme s’il n’y en avait pas. Le langage était présent, mais peut-être parce qu’on ne se comprenait pas, il y avait différentes manières d’écouter le langage. Rien de nouveau dans ce que je dis, mais je veux juste dire qu’on n’avait pas éliminé le langage. Toutes sortes de langues étaient utilisées, anglais approximatif, japonais approximatif, tentative de parler sans perdre le sens de ce qu’on dit, essayer de comprendre avec les yeux et les oreilles en même temps, pendant qu’une personne parle, etc. Ainsi, le langage était présent comme mode d’écoute, comme quelque chose que vous ne pouvez pas comprendre mais que vous tentez de comprendre, mais pas en termes de sémantique. À ce propos, je n’oublierai jamais le festival Obon (festival d’été traditionnel, vers le 15 août, la fête des morts)[17]. La musique, la danse et le chant au festival Obon.
La musique… ? Il y a beaucoup à dire ! Oguri ? Christine ?

Oguri :

Je me souviens très bien du son des grenouilles. Dans la ferme il y avait une deuxième maison servant d’entrepôt. Et dans le temps, ils utilisaient l’étage supérieur de cet entrepôt pour les vers à soie. C’était juste au premier étage. En fait, dans la ferme il n’y avait pas de portes sauf pour les toilettes, c’était juste… vous savez… Donc, une grande pièce à l’étage et à l’origine il n’y avait pas de fenêtres… Au début de l’été, on préparait l’eau de la rizière. La surface de l’eau est très claire et il y a des grenouilles, des grenouilles qui produisent des sons, d’une rizière à une autre elles font un chorus en copulant aux yeux de tous. C’était… Je n’oublierai jamais cela. « Hrogh, ghrogh, hrogh, ghrogh » [il imite une grenouille]], je ne sais pas, comme un millier de grenouilles, comme le bruit d’une centaine de grenouilles mettant ces deux rizières en mouvement…

Christine Quoiraud :

… et le son constant de l’eau qui coule.

Oguri :

Ah oui ! Et l’eau est si belle, « trrrrrrrrp », et… Et je ne sais pas si c’est encore là aujourd’hui.

Christine Quoiraud :

Oui c’est toujours comme ça.

Oguri :

Je veux dire, l’eau peut couler mais c’est aussi une eau différente. Cela ne fait pas le même son. Et les maisons, la circulation, tout cela a changé. Ce n’est plus aussi silencieux…

Christine Quoiraud :

… et le son des feux d’artifice…

Oguri :

Sons de feux d’artifice ? Oui… Mais de toute façon il y avait dans la maison toujours des bruits, comme l’a dit Katerina, plein de langages dans la maison, pas de portes. Oui… et des filles qui se disputaient… seules les filles…[rire] Oh ! je ne devrais pas dire cela [rires]…

Christine Quoiraud :

… et aussi souvent chanter des chansons, on m’a souvent demandé de chanter en français…

Oguri :

Oh oui, oui ! Tu as une voix magnifique, Christine !

Christine Quoiraud :

… un des premiers solos d’Oguri au Plan B, il a dansé sur Klaus Nomi, [elle chante] “I’m wasting my time… on you———-” (souncloud.com).

Oguri :

[Rire] Tu chantes moins bien !

Christine Quoiraud :

On avait le M.B.Training sur la musique des Beatles, comme « Stand by me », comme « bla, bla, bla », Michael Jackson… Et ainsi de suite… Et il y avait la musique des groupes traditionnels. Parfois il y avait la visite de musiciens étrangers avec une guitare ou d’autres instruments. Et il y avait aussi principalement Cecil Taylor, Derek Bailey…

Derek Bailey & Min Tanaka – Mountain Stage (1993), de Ian Greaves (à 12’24”).

 

Oguri :

Et… Oui… Nous n’avons pas parlé du « Art Camp », le festival annuel à Hakushu (festival international d’été, organisé par toute l’équipe et avec les villageois)[18]. Vous savez, je pense que la seconde année de vie à la ferme, le festival a commencé. On n’était pas encore des fermiers, mais on a commencé à organiser le festival annuel, c’était aussi un autre évènement remarquable.
 

Summer Art Camp, Hakushu, 1990, Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND
Summer Art Camp, Hakushu, 1990,
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Katerina Bakatsaki :

Je voudrais en revenir à la musique. En termes de musique, comme la musique instrumentale, il y a beaucoup de choses à dire. Je ne veux pas parler de Min, parce que Min en tant qu’artiste a eu des collaborations extraordinaires avec beaucoup de musiciens, et de penseurs aussi. Mais en ce qui nous concerne et la manière avec laquelle on envisageait les relations avec la musique, je pense qu’on se posait des questions – peut-être que je parle pour moi – sur comment faire, on se plaçait un peu dans les perspectives de l’autonomie de la danse vis-à-vis de la musique, ce qui n’était pas nouveau, parce que cela avait été déjà fait aux Etats-Unis et en Europe. Mais on avait en quelque sorte hâte de comprendre comment la danse pouvait se suffire à elle-même indépendamment de la musique et de ce qu’elle représentait. Et à partir de cela, petit à petit, on a construit, on a cherché les connexions avec la musique.

Je n’ai pas de réponses définitives à proposer sur les relations de toutes choses par rapport à d’autres dans ce qu’on appelle le Body Weather. Il y a aussi une différence qui est peut-être plus spécifique, entre d’une part l’utilisation de l’expérience de la musique et le partage de l’espace et de la musique durant la performance, et d’autre part, dans la pratique dans les ateliers, durant l’entraînement, dans la manière de conduire nos vies, dans notre engagement mutuel les uns avec les autres et notre engagement avec le travail. Il s’agit donc de territoires différents qui sont bien sûr en interaction, mais qui impliquent des situations différentes. C’est quelque chose que j’ai besoin de clarifier. Aussi, si on place cette expérience ou cette expérimentation dans le cadre de notre training et de celui de nos performances, c’est parce que nos relations à la musique et aux sons étaient différentes dans les deux cas. C’était aussi quelque chose qui n’était pas exclusif au travail réalisé dans cette communauté. Je veux dire, pour se placer dans un contexte beaucoup plus élargi, on connaît bien l’expérimentation post-moderne et tous les travaux des pionniers de la Judson Church[19], il s’agit là aussi du même type d’expérimentation et d’exploration. Donc, je ne pense pas que c’était quelque chose d’unique au travail que nous faisions. C’était quelque chose qui mettait en lumière ce qui était présent chez un grand nombre de différents artistes dans différents lieux dans le monde : l’importance primordiale de l’écoute (je l’ai déjà dit), c’est-à-dire de mettre en action le corps pour être à l’écoute. Je pense bien sûr que voir, regarder sont des choses importantes, mais l’oralité était fondamentale dans le training lui-même, la mise en action de l’écoute à tout ce qui est du domaine du son. Cela implique donc beaucoup de travail en silence dans des environnements naturels – je parle ici d’une sorte d’entraînement – l’oreille se mettait donc en action pour porter une attention intense aux micro-sonorités, à celles que notre propre corps peut produire, en relation avec les sons qui proviennent de l’environnement et aux sonorités qui sont produites par interaction.

Et aussi, je me souviens, on s’occupait d’animaux, c’était essentiel aussi d’apprendre à écouter littéralement les sons produits par les animaux en vue d’établir une proximité. Mais là aussi, il n’y a rien de nouveau à cela, ce n’est pas quelque chose d’innovant, c’est quelque chose que tous les paysans connaissent. C’est aussi très présent chez toutes les personnes qui s’occupent d’animaux. Et donc, vous le voyez bien, je continue à ne pas traiter de la question de la musique et je me limite à l’écoute de différents types de productions sonores et des réponses éventuelles qui peuvent y être apportées.

Christine Quoiraud :

Min Tanaka proposait dans ses ateliers, au début de ses visites en Europe, des exercices d’écoute tels que celui que j’ai décrit plus haut concernant les participants ayant les yeux bandés et devant désigner avec leur index la direction des sons produits à divers endroits dans l’espace.

Oguri :

OK, je me souviens bien de ces ateliers et de ce qu’en a dit Katerina. Oui, je suis d’accord. J’ajouterais juste quelques éléments. Dans les performances, il n’y avait rien qui reliait directement le rythme et les mouvements, dans le Maï-Juku ou dans la danse de Min Tanaka. Et je ne me souviens pas qu’il y ait eu des mouvements correspondant exactement à la musique, comme par exemple des mouvements suscités par une mélodie[20]. La danse n’était pas liée de cette façon à la musique. Je pense que la danse ne se construisait pas à partir de la musique, c’est dans ce sens que je veux dire qu’il n’y avait pas de relations directes. Il était possible d’envisager la musique comme un élément important en tant qu’environnement. Avec la musique, on pouvait ressentir quelque chose provoquant une émotion, ou faire la rencontre avec des sons et des silences permettant une compréhension de l’espace. C’est cela qu’on avait appris à l’écoute de l’environnement naturel, comme ce que j’ai dit au sujet des chants de grenouilles dans la nuit, comment les sons passaient d’une rizière à une autre, une expérience totale de l’environnement dans l’espace et le temps… toute la nuit jusqu’à ce que je m’endorme. Et c’est ainsi dans la vie quotidienne et dans la création artistique, ou dans les ateliers où l’on fait l’expérience stimulée par la vie… par toute la vie. Pour moi, la ferme, la performance, ne sont pas séparées de la vie. Je ne sépare pas, notre vie est une.

Et que dire d’autre ? Oh, il faut noter la présence permanente de Minori Noguchi[21], un compositeur invité. Il joue du synthétiseur. Donc il joue toujours en temps réel, il n’utilise pas de disques, d’échantillonnages, ou des compositions enregistrées. Il n’enregistre jamais ses compositions, comme la danse qui ne se produit qu’une seule fois. Les sons de Minori Noguchi ne se produisent qu’une seule fois. Il est facile de dire ”improvisation”, mais c’est de la musique vivante et vous savez, ce n’est pas gagner sa vie. Et, comment dire ? Il ne s’agit pas de créer des raisons de faire bouger les corps par des ambiances sonores suscitant des mouvements flottants. Ce n’est pas ça avec lui. C’est tout à fait comme une stimulation, quelque chose à laquelle il faut faire face dans l’espace. Oui, spatial, spatialité. Oui, il crée un espace sonore. C’est ce dont je me souviens.

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Minori Noguchi (électronique vivante) et Min Tanaka (danse), 2006, Tokyo.
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Minoru Noguchi est un compositeur qui utilise l’électronique, les bruits, et des équipements variés. Je me rappelle qu’il avait installé beaucoup de petits haut-parleurs dans l’espace où le public était assis. Et avant que la performance ne commence, dans le temps qui précède la performance, il commençait à diffuser ”t… ttt… tt… t… ttt… » [des bruits de bouche presque imperceptibles], des bruits très subtils se faisaient entendre, oui, et cela changeait graduellement pour en quelque sorte se libérer « free———— » [presque chanté]… Oui ! Des sons tout à fait liés à l’espace et à la conscience des auditeurs ou des performeurs, la conscience qui s’éveille, ce type de composition et ce qu’elle pouvait susciter.

Katerina Bakatsaki :

Je pense que c’est très intéressant, Oguri, la manière que tu as de soulever la question de la spatialité des sons. Et aussi, tu prends soin de souligner l’importance de déterminer quelle était la fonction du travail de Noguchi, des sons, de la musique de Noguchi. Ce n’était pas une musique d’ambiance, comme tu l’as dit, en vue de créer une atmosphère, mais plutôt de créer un espace littéralement en termes de vibrations dont la nature est effectivement très concrète. Je veux dire par là qu’il s’agit de créer un espace, différents types d’espace, des micro-espaces, ou différents sens de l’espace, différents espaces d’imagination, différentes sensibilités, ou bien de provoquer dans l’oreille différentes sensibilités à l’espace, à l’espace tel qu’il existe. Je pense que la contribution de Noguchi a été de cet ordre. C’est évident qu’il était aussi conscient que sa contribution s’inscrivait dans une œuvre d’art total. Mais ce qu’il produisait constamment était perçu par nous, comme des couches de l’espace se superposant. Et cela m’amène à revenir sur le training, et sur la façon dont le training s’intègre dans les performances : je suis d’accord avec toi Oguri, il y a des interrelations constantes mêlant les éléments les uns dans les autres, et en même temps, je pense que cela se combine avec des situations toujours différentes. Le training, c’était vraiment un entraînement du corps à écouter de différentes manières, à répondre à l’expérience acoustique de beaucoup de façons différentes et à s’orienter soi-même dans la capacité de savoir où l’on est, de savoir se situer, de se placer soi-même quelque part en relation avec les sons. Ainsi, à cet égard, toute production acoustique, la musique si vous voulez, la matière sonore était reçue de la même manière pendant les performances. Ou pour le dire autrement, les corps étaient formés et sensibilisés pour répondre aux sons comme si c’était une matière et comme s’il y avait aussi un espace qui constamment demandait au corps de s’orienter à partir du système nerveux, de s’orienter et de se réorienter soi-même pour se replacer, se placer soi-même, encore et encore. J’espère que ce que je dis fait sens. Oui, c’était une activation constante du corps qui tentait de s’orienter en relation avec les sons.

Christine Quoiraud :

Puisqu’on parle de performance, je me souviens encore de performances avec Min Tanaka lors de ses premiers séjours en Europe. Et à ce moment-là, il dansait en mouvements lents, presque nu, sans musique. Sauf quand il était en duo avec Derek Bailey au Palace à Paris et plus tard avec Milford Graves. Mais ensuite, il a commencé une série de performances intitulée « Émotion » au début des années 1980. Mais c’était plutôt “a motion”, comme dans le sens de se mettre en mouvement. C’était accompagné d’une musique avec une charge émotionnelle très forte, comme de la musique populaire, mais c’était vraiment une décision très claire de sa part de jouer sur les affects du public. Mais quand on participait au Maï-Juku, si je me souviens bien, il y a eu plusieurs types de performances. Parfois la performance se déroulait à l’intérieur. La plupart du temps Minori Noguchi était celui qui construisait l’espace sonore. Mais quelque fois, dans une pièce solo, Min venait avec une musique de son choix. Ou bien souvent, on dansait à l’extérieur, comme dans des rivières. Dans le film de Eric Sandrin “Min Tanaka et Maï-Juku”, on peut voir une séquence de danse dans la rivière, il s’agissait d’un exercice et non pas d’une performance. L’auteur du film a choisi de mettre de la musique qui n’avait rien à voir avec les circonstances[22]. C’était à la fin du Maï-Juku intensif en 1985.

yoututu
Eric Sandrin, « Min Tanaka et Maï-Juku » Part 4/5.
Cliquer sur le logo ci-contre, le propriétaire de la vidéo ayant désactivé la lecture sur d’autres sites Web (2’57” à 5’46”).


 

Voici une autre partie de la vidéo d’Eric Sandrin où l’on voit Hisako Horikawa en répétition. Elle travaille sur la musique de Noguchi (à 8’17”) :

Eric Sandrin, « Min Tanaka et Maï-Juku » Part 2/5 (8’17” à 9’27”).

 

Katerina Bakatsaki :

Et bien évidemment, la bande-son du documentaire est le choix artistique de l’auteur du film.

Pour revenir à la question des relations de la musique avec la danse, sa pratique, sa performance, de l’exploration de ses mouvements ou de la recherche en danse, encore une fois je ressens le besoin de dire que c’était à travers la pratique et les performances, cela veut dire la totalité du travail, que la préoccupation principale consistait à soulever la question de « qu’est-ce que la danse ? » encore, encore et encore. Par conséquent, il ne s’agit pas de considérer la danse comme une discipline mais comme un phénomène qui fait partie de la vie non seulement des humains mais aussi des entités autres que le monde des humains. La danse était explorée comme une chose en soi. Vous savez, on ne se posait peut-être pas la question de la danse et de la musique. Parce que la danse était considérée comme un phénomène en relation avec quoi que ce soit d’autre. Donc on peut le dire de cette façon : ce qui est sonorité est sonorité, ce qui est mouvement est mouvement, et c’est tout. De ce point de vue, la préoccupation majeure ne portait pas sur la musique, mais sur la question de l’écoute par le corps. Pour moi, avec le recul, je comprends que quand on parle de la danse et de la musique, une des questions principales portait sur l’idée qu’il n’était pas question de musique, mais de la manière dont le corps écoute quand il danse, ou même en dehors de toute performance.

Christine Quoiraud :

Je veux seulement ajouter quelque chose sur ce point. Dans mon souvenir, il faut distinguer deux situations : d’une part, il y avait des moments, lorsque Tanaka était chorégraphe, où parfois il proposait de la musique enregistrée. D’autre part, à d’autres moments, il dansait avec un musicien en improvisant. Il improvisait la danse et la musique était improvisée, c’était une musique vivante. Et Noguchi prenait aussi part à ce processus. À ce propos, cela faisait plusieurs décennies que Noguchi travaillait avec Min. Ils se connaissaient depuis très longtemps et avaient travaillé ensemble pendant de longues périodes. Et oui, je me souviens, quand Min chorégraphiait des pièces de groupe dans un théâtre fermé, il organisait vraiment tout. Par exemple, il déterminait les lumières, le décor et aussi les mouvements, les mouvements chorégraphiques, il organisait les choses en élaborant une sorte de narration correspondant aux sons, y compris les silences. Il proposait une narration prêtant aux sons une raison d’être, un motif, un objectif. Dans mon souvenir, c’est ce que j’ai ressenti. Et je me souviens aussi, par exemple, que pour les solos qu’il a chorégraphiés pour moi, il était très clair que c’était une forme d’organisation avec un pic, un sommet et puis quelque chose de peut-être plus plat, et à un moment donné j’étais sur une sorte de point de rupture, un silence, un long silence, auquel j’avais à me confronter en tant que danseuse sur scène. Et c’était comme s’il forçait l’attention du danseur, mais aussi du public.

Katerina Bakatsaki :

Tu veux dire, Christine, qu’il y avait en quelque sorte une partition ? C’est-à-dire un environnement acoustique qui était, d’une certaine manière, imposé à d’autres personnes par une partition, c’est ça que tu veux dire ?

Christine Quoiraud :

Déterminé en quelque sorte par une partition, oui, comme l’était la conception des lumières. En fait, Min nous a encouragé, nous a conseillé de réaliser la chorégraphie de nos propres pièces au Plan B, par nous-mêmes, de développer notre propre production, et je me souviens très bien qu’on était tout le temps en train de s’entraider, un danseur aidant un autre danseur. On a tous appris à construire la scène, la scénographie de nos performances, avec l’organisation des lumières, avec un décor, même l’absence de décors était évidemment un décor en tant que tel, et aussi les sons. C’était comme déterminer une distribution des éléments au fil du temps de la performance. Et pour moi, cela a été quelque chose de très important, cette opportunité, cette grande chance, cette chance de tenter de faire les choses par moi-même. Cela m’a aussi permis de m’approcher du sens de ce que Min Tanaka avait pu développer par rapport à la musique. Peut-être que je ne suis pas en train de décrire ce qu’était le Body Weather en tant que tel, mais plutôt de parler de mon expérience personnelle, là avec Min, avec le training, avec la vie et avec les autres danseurs.

Oguri :

Juste une chose. Je me rappelle que pendant la création et dans les relations entre la lumière et les sons, une sorte de communication était présente entre les performeurs, danseurs et musiciens, et aussi avec la lumière. Oui, c’est une rencontre qui se fait comme cela, je pense que Christine l’a déjà dit, pour le public et pour le danseur. On ressentait aussi, vous savez, non pas une vibration artistique mais une vibration spirituelle, quelque chose qui nous poussait, oui, à faire les choses. Mais j’ai plus personnellement l’impression que… c’est une chose secondaire. Je me souviens que j’avais beaucoup à m’occuper des lumières au côté de Noguchi. Donc j’ai beaucoup travaillé comme concepteur de lumières. J’étais à la cabine d’éclairages pendant les performances, en plus de la danse. Et Noguchi, vous savez, provoquait parfois les danseurs. Comme je l’ai dit, il avait un synthétiseur et une table de mixage. Quelquefois, vous savez, c’était juste « boum, boum » pour provoquer les réactions de la personne qui dansait en diffusant des sons perturbateurs… OK, « go on, go, go on, go on ! », une sorte de son qui nous poussait à continuer. En sa compagnie, je sentais que c’était pour une grande part comme la vie elle-même, et plutôt que d’être une question d’expérience esthétique, c’était une manière d’être très spirituelle pendant la performance. Oui, définitivement, quelque chose qui est en plus.

Katerina Bakatsaki :

J’aime bien ce que tu dis, je veux juste ajouter ceci, j’aime bien ce terme de « spirituel », j’utiliserais pour ma part, comme je l’ai déjà dit, l’expression « matériel » (ou « matériau »). Je veux dire par là que les sons de Noguchi et les lumières d’Oguri, par leur présence en tant que faisant partie intégrale de la performance, impliquaient une interaction, une indépendance, une résistance, etc… Et encore une fois, ce n’est pas le style de musique, le contenu musical, qui comptaient, mais le pouvoir de la matière elle-même. Le pouvoir du matériau était ce qui comptait le plus. La musique comme matériau, comme matière vivante très concrète, avec aussi tous les autres corps et lumières en vie sur scène. Autrement dit, c’est l’idée que tout ce qui est du domaine des sons ou du domaine des mouvements fait partie de la totalité de la performance et se trouve en constante interaction. Je pense que c’est comme ça que j’envisageais les choses, c’est comme cela que je peux l’exprimer aujourd’hui et que cela me parle, en considérant ce que c’était alors.

Oguri :

Je pense comme toi, le « matériel », le « matériau ». Dans le bon sens, j’ai compris. Et je pense que quand j’étais à la cabine des lumières au côté de Noguchi, il y avait ce type de réactions ou d’approches esthétiques et matérielles, spirituelles. Plus tard j’ai beaucoup appris en dansant avec des musiciens. Parce qu’on partageait l’espace en quelque sorte sans s’interrompre les uns les autres, mais avec presque ce genre de provocation : « Allez, vas-y, réponds si tu peux ! » [“come on!”], ce genre de relation. Au cours de cette expérience, j’ai mieux compris comment Tanaka envisageait la danse dans l’improvisation libre, cette relation-là. J’ai appris cet aspect des interrelations quand j’étais dans la cabine d’éclairage. J’étais impliqué en tant que troisième personne, avec Noguchi et en collaboration avec Min, OK, tous les trois on construisait une sorte de relation. C’était un autre type de matériel sur scène, une autre sorte de présence durant la performance. Plus tard j’ai beaucoup appris en dansant avec des musiciens.

Katerina Bakatsaki :

Oui, pour clarifier ma position, lorsque je dis « matériel » je ne parle pas d’objets, mais de matérialité, vraiment comme les corps, comme les lumières, comme les objets qui sont présents, comme le public, c’est à cela que je fais allusion.

Oguri :

Ce n’est pas quelque chose d’ambivalent, d’invisible et ce n’est pas quelque chose qui a lieu en coulisse, c’est ce qui se passe dans le réel, là, devant le public.

Katerina Bakatsaki :

Oui.

Oguri :

Je n’ai pas dit que la danse et la musique devraient constituer une unité dans laquelle elles sont intrinsèquement liées. Il s’agit de partager le même espace, sans pour autant empiéter sur le terrain des uns et des autres.

Christine Quoiraud :

J’ai deux souvenirs qui me reviennent :

a) Au début de Body Weather, il y avait aussi Hisako Horikawa. Elle explorait la voix – je pense que j’ai lu quelque part que l’exploration de l’expression vocale faisait partie du Body Weather dans les premiers temps. Je pense qu’au départ elle était vocaliste, puis elle est devenue danseuse.

b) Et je me souviens qu’une ou deux fois, dans une performance solo que Tanaka a chorégraphiée pour moi, il m’a demandé de parler. De parler, de donner de la voix sur scène, en improvisant. Et une fois il m’a demandé très clairement : « S’il te plait, peux-tu, sur scène, évoquer un souvenir d’enfance ». Et aussi une autre fois, je ne me souviens pas de ce que c’était exactement. Au moins à deux reprises il m’a demandé de parler pendant ma performance. Il s’agissait plus de paroles, de phrases. Il m’a demandé de raconter une histoire. Et évidemment, j’aurais pu mentir, je parlais en français à un public japonais. Oui, j’aurais pu mentir, mais je n’y ai pas pensé [rires].

Katerina Bakatsaki :

Concernant la différence entre les sons de la vie quotidienne et la musique, je ne me souviens pas d’une conversation en tant que telle sur ce sujet, mais je me souviens que la musique a été utilisée en tant que telle, aussi avec des pièces enregistrées déjà en existence. Je ne me souviens pas d’avoir eu à choisir une relation particulière à la musique, comme d’être invitée à se relier d’une manière particulière à la musique. Mais différents types de partitions musicales étaient utilisés. Quand je dis « musique », je veux dire les sons produits pendant la performance ou les repères sonores produits par une autre personne faisant partie de la performance, ou les partitions musicales. Mais je ne me souviens pas qu’il y ait eu des invitations à se relier à la musique en tant que telle d’une manière particulière. Cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas de distinction entre différents styles de musique. Et aussi, Min lui-même a travaillé avec beaucoup de musiciens jouant en temps réel, c’est-à-dire, en improvisant. Donc, la musique en tant que telle était là, présente.

Christine Quoiraud :

Et aussi dans ses performances il lui arrivait de produire des grommellements. Je me souviens très bien au Plan B, quelque fois il était comme un homme ivre sur la scène, utilisant sa voix. Il n’utilisait plus des mots intelligibles, cela n’avait plus aucun sens, le sens était plutôt dans le ton de la voix…

 

8. Après la ferme du Body Weather

Présentation

En guise de conclusion, Katerina Bakatsaki, Oguri et Christine Quoiraud décrivent succinctement ce qui a constitué leur parcours artistique après avoir quitté (à peu près en 1990) la ferme du Body Weather. Katerina et Christine sont revenues en Europe et Oguri à émigré en Californie. Il est intéressant de constater que, tout en continuant de s’inspirer largement de leur expérience de la ferme, les trois protagonistes ont eu par la suite des démarches artistiques très différentes s’inscrivant dans des contextes de vie et de lieux eux aussi bien différents.


Katerina Bakatsaki :

Quand je suis retournée en Europe, le contexte japonais pour moi a été inévitablement très présent à ce moment-là et en même temps pas tant que cela. Beaucoup d’aspects de la vie là-bas restaient pour moi importants, intéressants, fascinants, peu importe l’endroit où je me trouvais, du moins c’est ce que je pensais à l’époque. La question principale était donc de savoir dans quelle mesure cette expérience de vie et de travail au Japon était pertinente ici même ? Avec qui la partager, comment la continuer, qui sont mes pairs, qui est capable de me comprendre ? Parce que lorsque j’ai débarqué à Amsterdam, tout le travail, la manière de l’envisager et son éthique ne pouvaient pas être compris, c’était comme si je venais d’une autre planète.

Quand je suis arrivée à Amsterdam en 1993, il se passait beaucoup de choses : le milieu de la danse moderne, de la danse post-moderne, était très orienté sur l’individu en tant que tel, je veux dire que toutes les méthodologies se préoccupaient de « ce que je ressens » et « c’est la vérité, c’est pertinent, c’est bien ». Mais si on venait d’un autre lieu, on se posait constamment des questions telles que : « Ah ! Ah! Hm ! Hm ! Est-ce que c’est OK ? Est-ce que c’est ce que je ressens ? Et malgré tout, est-ce vrai ? Est-ce pertinent ? Et comment l’expérience que je suis en train de vivre rencontre-t-elle l’autre, le corps de l’autre, ou l’espace et le temps de l’autre ? » La pratique que j’avais acquise ne correspondait pas aux contextes en vigueur en Europe à ce moment-là. Il fallait donc créer petit à petit nos propres environnements de travail avec les personnes qui voulaient bien y participer. Il a fallu trouver le moyen de se former, de pratiquer, et ensuite d’embarquer d’autres personnes dans ce processus, etc.

Cela va sembler ringard, mais la plus grande des leçons, le lieu de pratique le plus important, a été de donner vie à un être, d’avoir près de soi un petit corps, de s’occuper d’un petit bébé, et d’avoir à comprendre qui il était, d’être patiente, d’apprendre à vivre avec, etc. Et puis, il a fallu travailler avec des personnes qui n’avaient pas choisi de travailler avec moi. J’ai donc vécu une longue période où j’ai travaillé avec des personnes qui n’avaient jamais auparavant travaillé sur le mouvement ou sur quoi que ce soit de ce genre. Je ne les choisissais pas, mais pour des raisons arbitraires elles faisaient partie de mon projet. Il fallait que je sois à leur service, il me fallait comprendre leurs besoins, puis inventer et trouver les moyens et les méthodologies pour partager mon travail avec elles. Cela a été pour moi l’école la plus importante après mon retour du Japon. Parce que, évidemment, au Japon tout le monde partageait la même motivation à être là, présent : « C’est ici que je veux être, et vous savez, quoi qu’il arrive je peux prendre soin de moi en quelque sorte ». J’avais maintenant à travailler avec des gens qui étaient là avec moi presque par hasard. Cela créait une différence de dynamique très intéressante pour moi et il me fallait trouver les mots appropriés, les moyens de concevoir des exercices, de concevoir des méthodologies, de déterminer les conditions de travail.

Maintenant je ne danse plus. Je ne participe plus à des performances désormais mais je travaille beaucoup avec d’autres. La chorégraphie ne m’intéresse plus, en tant que méthode de présentation d’un travail. En tout cas, j’ai beaucoup travaillé à développer des pièces que je présentais dans des espaces autres que dans les théâtres. Il y a eu toute une période où j’ai travaillé avec un groupe de danseurs et cela se passait dans des environnements urbains marginalisés. Cela voulait dire des foyers d’accueil des sans-abris ou des foyers pour des handicapés mentaux ou pour des victimes de violence domestique. Il est donc vrai que mon intérêt en tant que créatrice n’était pas tellement de faire des pièces, mais plutôt d’inventer des pratiques orientées vers le questionnement sur les pratiques, sur les rapports entre les corps appropriés à de tels lieux. Cela a fait son temps, et je suis passée à autre chose. Maintenant je travaille la plupart du temps en tant que mentor, conseillère artistique et enseignante.

Christine Quoiraud :

Eh bien, quand je suis revenue, j’étais un peu perdue. Il m’a fallu du temps pour me réajuster à la mentalité des Français, comme je l’ai déjà dit, et pendant deux ans j’ai vécu avec mon sac sur le dos. Je ne pouvais me fixer en un seul lieu. J’ai présenté des performances et animé des ateliers et circulé. Sans domicile fixe. Dans une très, très grande pauvreté. Mais cela me convenait et j’ai pris en charge ma vie en tant que soliste en quelque sorte. Et puis petit à petit j’ai commencé à essayer d’organiser une ferme en espérant répéter d’une certaine façon l’expérience. Dans le sud de la France. Mais cela a été très rapidement un échec total. Cette expérience m’a donné l’opportunité de commencer ce que j’appelle un « camp de danse », le Camp de Danse d’Été. C’est comme cela qu’ont commencé les projets intitulés « Corps/Paysage ». Et cela a duré cinq ans.

Et puis j’ai commencé à développer des projets sur des tranches de cinq ans à peu près. Les « Corps/Paysage » ont eu lieu partout, en milieu rural, dans les grandes villes. J’ai partagé à cette époque les projets « Corps/Paysage » avec Frank van de Ven. Ces projets ont pris chaque année des tournures différentes. Un projet que je voulais évolutif, ce qu’il fut. J’ai aussi joué le rôle de mentor pour de jeunes artistes, pour de jeunes danseurs. Dans un sens, je reproduisais un peu ce que j’avais appris au Japon. Non pas en tant qu’enseignante, mais comme une personne qui peut donner des outils pour être indépendant et autonome dans la production et l’exploration. Et pendant ces projets du » Corps/Paysage », j’ai aussi réussi à rassembler les danseurs que j’avais rencontrés au Japon. Comme Katerina, qui est venue plusieurs fois et d’autres comme Andrès Corchero, Frank van de Ven.

Et puis on s’est séparé avec Frank. Quand j’ai commencé les projets de marche. C’était pour moi le moyen de me rapprocher des questions essentielles : Qu’est-ce que la danse ? Quelle est la fonction de l’art ? Pour qui ? Est-ce que l’art est séparé de la vie ? Les projets de marche ont donc été développés sur plusieurs années, en fait sept ans. Un acte total le fait de marcher, la notion d’être un collectif en mouvement. Pour, disons, un mois, mille kilomètres. Rien n’était planifié, rien n’était organisé. J’appelais cela « atelier d’improvisation ». Et la première improvisation consistait à trouver une place pour passer la nuit. Parfois il pleuvait dehors. On n’avait pas de tente. Et petit à petit j’amenais les personnes vers la performance publique. Il s’agissait de rencontrer le public. Il s’agissait aussi de percevoir des modes de vie, la vie ordinaire sur les lieux qu’on traversait, que ce soit dans des villes ou à la campagne. On avait un comportement différent s’il y avait un groupe de dix ou douze personnes. Si on se trouve au milieu des montagnes, ou soudainement à Pampelune ou dans une grande ville, on est obligé de changer, d’ajuster son comportement à ce qu’on est en train de rencontrer[23]. Et pour moi, cela a été la période de ma vie la plus heureuse, ces marches. Parce que finalement il n’y avait pas d’« enseignement », pas de « performance ». Il s’agissait juste de marcher parfois sans rien emporter, même pas une brosse à dents. Voilà, et depuis ce temps-là, je vieillis c’est tout [rire], occupée à classer des archives et à raconter des histoires. Mais je continue d’enseigner un peu en animant des ateliers. Je suis encore parfois mentor ou regard extérieur quand on me le demande.
 

Marche et danse, Maroc, 2005, Photo Christine Quoiraud, Collection personnelle Christine Quoiraud.
Marche et danse, Maroc, 2005 (photo Christine Quoiraud),
Collection personnelle Christine Quoiraud.
Marche et danse, Tro Breizh, 2004, Photo Younes Rahmoun, Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.
Marche et danse, Tro Breizh, 2004 (photo Younes Rahmoun),
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Oguri :

Qu’est-ce qui m’est arrivé ? J’ai trouvé une mine d’or, oui, avec la vie avec une partenaire, Roxanne Steinberg[24] et j’ai déménagé aux Etats-Unis, il y a trente ans. Elle avait participé au sixième Maï-Juku (1986). Avec Roxanne et Melinda Ring, nous avons créé le Body Weather Training à Los Angeles. Et on a été invité à participer à des résidences artistiques dans un foyer pour femmes sans-abris au centre-ville de Los Angeles. C’était ma nouvelle plateforme pour enseigner et présenter des performances. Et avec ce programme on a transformé une chapelle désaffectée en espace de théâtre, appelé Sunshine Mission, au sein du foyer pour femmes sans-abris. C’était le début de ma carrière à Los Angeles, on avait un espace, un studio pour enseigner et présenter des performances. C’est ce qui constituait le Body Weather Laboratory/Los Angeles. Et on a demandé à être reconnu comme une association à but non lucratif [non-profit organization] pour pouvoir de cette façon recevoir des subventions du département des Affaires culturelles de la ville, de la métropole de Los Angeles, de l’État de Californie, et ainsi de suite… On a commencé à présenter un programme d’évènements artistiques. Et après cinq ou six ans, on a déménagé à Venice, à l’ouest de Los Angeles pour installer notre propre studio. Je suis maintenant en résidence artistique à Electric Lodge, un petit théâtre. Je continue les ateliers Body Weather, et je participe à des performances et productions en solo ou en groupe. Je présente des artistes de la danse émergents ou reconnus à Los Angeles, ainsi que mes collègues de longue date. J’ai invité Christine, Andrés Corchero, Frank van de Ven pour enseigner et présenter des performances ici à Los Angeles. En faisant cela, et parce que mon expérience au Japon avait été très liée avec la terre, j’ai développé des projets dans les terres de la Californie. J’ai consacré deux ans à un projet dans le désert, une recherche pour trouver des manières de faire de la danse aux Etats-Unis avec une diversité de ressources. J’explorais le désert pour trouver des lieux pour produire des œuvres spécifiques en travaillant avec des personnes n’ayant jamais pratiqué la danse. Il s’agissait de travailler avec un grand groupe de personnes, dans un lieu spécifique, sans en demander la permission, une sorte de performance se passant dans un espace public. Et périodiquement, j’ai été professeur invité à UCLA ou au Bennington College (dans le Vermont), dans un contexte d’enseignement universitaire. Et j’ai continué à présenter des solos et des performances en groupe. Et j’ai beaucoup collaboré avec Andrés Corchero de Barcelone, et aussi avec Christine Quoiraud.
 

Annonce d'un stage de danse par Oguri, 2014.
Annonce d’un stage de danse par Oguri, 2014.

 


1. Hijikata Tatsumi (1928-1986), danseur, chorégraphe et enseignant japonais, notamment connu comme le père de la danse butōh. Voir : Encyclopédie Universalis

2. NdT : Dans ce texte, on a gardé l’anglais « training » pour souligner que c’était vraiment un entraînement physique des corps, mais pas tout à fait un entraînement au sens sportif du terme.

3. Tess de Quincey est une chorégraphe et danseuse vivant et travaillant en Australie. Elle a dansé et enseigné en Europe, Japon,et aux Indes en tant que performeuse soliste, enseignante et directrice. Elle a fondé la compagnie De Quincey Co en 2000. Voir de Quincey Co.

Duo Two women dance, Quoiraud-De Quincey, Ménagerie de Verre, Paris, 1992. Fonds d'archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.
Duo Two women dance, Quoiraud-De Quincey, Ménagerie de Verre, Paris, 1992,
Fonds d’archives Christine Quoiraud, médiathèque du CND.

Danseur et chorégraphe, Frank Van de Ven suit l’enseignement de Min Tanaka au Japon, performe dans sa compagnie, la Maï-juku Performance Company de 1983 à 1992 et est l’un des fondateurs de la Body Weather Farm. En 1993, il fonde avec Katerina Bakatsaki le « Body Weather d’Amsterdam », centre d’entraînement et de recherche chorégraphique. Depuis 1995, il conduit avec Milos Sejn (Académie des beaux-arts de Prague) le projet interdisciplinaire Bohemia Rosa, rencontre entre le corps, l’art, le paysage, la géologie et l’architecture. Il performe, chorégraphie et enseigne régulièrement dans toute l’Europe ainsi qu’aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Voir Centre national de la Danse.
Andrés Corchero, danseur résidant en Catalogne, explorateur des langages du corps, qui a travaillé au Japon avec Kazuo Ohno et Min Tanaka. Voir Body Weather

4. Kazue Kobata (1946-2019) ) a été professeure au département d’art multimédia, université des arts de Tokyo, conservatrice adjointe de longue date à Tokyo pour le PS1 Contemporary Art Center, membre du comité de l’espace de performance/studio Plan B, coopérative d’artistes depuis 1982, auteure, traductrice, curatrice, productrice et chercheuse.
Voir : artforum.org
Voir aussi dans les archives Christine Quoiraud, recherche CND, “Dive in in fine”: Médiathèque du CND

5. Masanobu Fukuoka (1913-2008) est un agriculteur japonais, connu pour son engagement en faveur de l’agriculture naturelle. Voir wikipedia

6. Kagura : rite artistique shintoïste, danse théâtrale. wikipedia

7. Seigow Matsuoka: essayiste, spécialisé dans l’art, auteur de nombreux ouvrages sur la culture, l’art japonais, chinois. Directeur de « Editorial engineering laboratory », Tokyo.
Voir data.bnf

8. M. B. training, muscles et ossature, esprit et corps, etc.: entrainement dynamique sur de la musique, comprenant des sauts, des squats-pliés, des étirements, travaillant le rythme, la coordination, la flexibilité, l’ancrage entre autres.Voir Centre National de la Danse.

9. Note de Christine Quoiraud : à la ferme, il y avait beaucoup de personnes qui n’étaient là que de passage, pas forcément impliquée dans les performances. Parfois aussi des artistes de la danse mais qui ne se produisaient pas au Plan B. Il y avait beaucoup de passage et de géométrie variable à la ferme. Oguri était tout le temps au cœur de toutes les activités du Body Weather, une vie complètement impliquée et dédiée à la vision de Min Tanaka.

10. Note de Christine Quoiraud : une large somme d’argent provenait de grandes productions ou de la participation à des films commerciaux. L’argent était alors utilisé pour la vie à la ferme.

11. Nario Goda, critique de danse, journaliste, spécialiste du Butōh. Voir « Interview avec Sherwood Chen, 7 février 2019, Paris”, traduction et notes de Christine Quoiraud, note 23, p.11. Médiathèque du CND

12. Ceci peut être vérifié en consultant les « Plan B calendars » disponibles dans le fonds Christine Quoiraud au CND/Pantin. Voir CND

13. Note de Christine Quoiraud : Min revenait vers nous après les performances avec des retours très précis. Il changeait constamment la composition pour l’améliorer, en l’ajustant à chacun et chacune d’entre nous. Il souhaitait que rien ne soit fixé. Pas de version déterminée à l’avance. Son travail consistait à mettre en forme les choses avec les danseurs.

14. Ankoku butō = la danse des ténèbres.

15. Note de Christine Quoiraud : Tanaka nous a transmis ce qu’il avait appris de Hijikata. Tout d’abord dans les ateliers, puis dans l’utilisation de cette pratique dans les performances.

16. Deborah Hay est une chorégraphe expérimentale américaine travaillant dans le domaine de la danse postmoderne. Elle est l’un des membres fondateurs du Judson Dance Theater. wikipedia

17. O bon (…) est un festival bouddhiste japonais honorant les esprits des ancêtres. O bon existe depuis plus de cinq cents ans et fut importé de Chine où il est appelé « fête des fantômes ». wikipedia

18. Voir les archives de Christine Quoiraud au CND et le film d’Eric Sandrin « Min Tanaka et Maï-Juku » et encore, du même auteur, le film « Milford Graves and the japanese » sur YouTube.

19. Église progressiste de New York, consacrée à l’aide sociale, la Judson Church devient dans les années 1950s un centre très actif de la création artistique contemporaine, notamment chorégraphique. Église progressiste de New York, consacrée à l’aide sociale, la Judson Church devient dans les années 1950s un centre très actif de la création artistique contemporaine, notamment chorégraphique. Voir wikipedia

20. Note de Christine Quoiraud : Min Tanaka dansait souvent sur des airs très connus de salsa ou autres musiques très sentimentales.

21. Minoru Noguchi est un musicien et compositeur qui a accompagné et composé pour Tanaka Min jusqu’à aujourd’hui. Voir Youtube

22. Voir « Min Tanaka & Maijuku », documentaire parties 4/5 (à 2’58 »), en ligne : Youtube.

23. Christine Quoiraud avait alors comme mot d’ordre « circuler, circulez ».

The Body Weather Farm

Accéder à la traduction française: La ferme du Body Weather

 
 

The Body Weather Farm (1985-90 period)
Encounter with
Christine Quoiraud, Katerina Bakatsaki, Oguri

 

With the participation of Jean-Charles François
and Nicolas Sidoroff for PaaLabRes

2022-23

 

Summary :

1. Introduction.
2. Before the Body Weather Farm, the encounter with Min Tanaka.
3. Maï-Juku V and the beginning of the farm. Tokyo-Hachioji-Hakushu.
4. Body Weather, the farm, and the dance.
5. The commons within Body Weather.
6. Choreography, improvisation, images.
7. Relationships to music.
8. Conclusion. After the Body Weather farm.
 


 

1. Introduction: Presentation of the Encounters.

The origin of this text stems from a first encounter in Valcivières (a village in the Forez, France) in 2020, as part of CEPI (Centre Européen Pour l’Improvisation) between Christine Quoiraud and Jean-Charles François. On this occasion, Christine Quoiraud presented an illustrated lecture on Body Weather, her own activities firstly called Body/Landscape (“Corps/Paysage”), and her improvised long marching journeys for dancers and non-dancers (called “Marche et Danse”). In the perspectives of the fourth edition of the PaaLabRes collective, the precise documentation of the diverse practices that had taken place during Christine’s presence at the Body Weather farm in Japan (1985-90) appeared to be of great importance. Many critical points remained to be clarified after this presentation, notably concerning:

  1. The relationships between the activities of everyday life at the farm, the practices of cultivating the land, of raising animals, with the artistic practices.
  2. The relationships between the various participants committed to the farm project.
  3. The relationships with nearby farmers.
  4. The relationships between dance and the environment.
  5. The relationships between dance and music.

Christine suggested to PaaLabRes to organize an encounter by videoconference with dancers, ex-members of Maï-Juku, Katerina Bakatsaki, living in Amsterdam, Oguri, living in Los Angeles, herself, living in south-west of France, and for PaaLabRes in Lyon, Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff.

Two encounters with all these people took place by videoconference on May 31, 2022, and February 15, 2023. In between these two interviews, Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff formulated in writing a series of questions. We decided that the questions asked by PaaLabRes would not appear in the present text, except as short introductions to the various sections of the document.

The recording of the oral exchanges in English during the two interviews have been transcribed (with the precious help of Christine Quoiraud) by Jean-Charles François and translated into French. The original English verbatim has been edited to make it clearer for readers, but wherever possible, we tried to preserve the oral nature of the exchanges. We thank the Centre National de la Danse (CND) for allowing us to publish the photos from the Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

The different sections do not automatically follow the chronological order of the two interviews but are based on the principal themes discussed in a specific logical progression.

 

2. Before the Body Weather farm, meeting Min Tanaka.

Presentation

Katerina Bakatsaki, Oguri, and Christine Quoiraud are three dance artists who, from 1985 to 1990, had in common their participation in the Body Weather farm created by Min Tanaka and Kazue Kobata a hundred kilometers from Tokyo.
In order to situate their approach and provide insight into their initial careers, this introductory part is devoted to the circumstances that led them to meet Min Tanaka prior to their participation in the farm.



Katerina Bakatsaki:

You can all see me laughing, of course, because it happened so long ago. It’s been quite a journey. Now that we’re all in different phases of our lives, I have mixed feelings about my memory of those circumstances, so it’s best to laugh about it. But to answer straight away to your question, I can tell you that when I first went to Japan, I was twenty-one years old. I had no clue of what was ahead of me. I met Min Tanaka around 1985, he was dancing at La MaMa Theater Club near New York, and Œdipus Rex was presented with Min being the choreographer. A performance of Œdipus Rex also took place in Athens, and for that production they needed local artists to paticipate, so I had the chance and pleasure to be selected. That’s how I got involved in the production and this is how I got to meet Min and his way of working. 1985, twenty-one years old! You can imagine a young horse knowing that there are several possible paths, but without knowing exactly what it needs and wants, because simply of a lack of information. In 1985, we didn’t know exactly in Greece what « contact improvisation » was, we’d only vaguely heard about it, so information about what was going on in the world was very, very rare, if at all existent. So, I was curious, I’d just started to dance in Greece at the time, but I was looking for something else and without knowing exactly what it was, I was travelling in Europe, meeting different choreographers, having auditions. I met Pina Bausch, I could have joined her company, but I didn’t because intuitively I thought no, it wasn’t for me. So, I was curious, I’d just started to dance in Greece at the time, but I was looking for something else and without knowing exactly what it was, I was travelling in Europe, meeting different choreographers, having auditions. Anyway, I met Min in that production, and, I think, before and above anything else, there was something that I strongly believed in intuitively, that I trusted, or that I could connect with, but I still didn’t know what it was. Whatever it was, I thought, “Well, I want to know what this person is doing”. And at that time, he mentioned to me that he was conducting two-month workshops in Japan, so, I thought “I am going!” Just a funny anecdote: I took my pointe shoes with me – I was a student at the time and part of my studies was classical ballet – just to give you an idea how clueless I was. So, I landed in the studio in Hachioji, the farm was not founded yet. So, going to the farm was a consequence of being part of the practice in the community at that time, before the farm came into existence. By the way, I went there in 1985 for two months and then I stayed for eight years.

Oguri:

So… maybe it’s my turn… Let’s start. So – I am laughing! – it was thirty years ago! Thirty years ago, I left also everything behind, I was there five years, same years as Katerina and Christine. Like Katerina said, there was a two-month workshop: “Maï-Juku V, an intensive workshop”. Min Tanaka started this series in 1980. OK, I’m going back a bit: I lived in Tokyo. I wasn’t born there, I studied visual arts – a kind of conceptual art – with Genpei Akasegawa. He passed away in 2014. He was a very important name at that time in the art’s scene in Japan. When, in the 1960s, so before Japan had a big world expo in the 1970s in Osaka, and before that he was a non-established artist, he met the movement of the Neo-Dada organizers at the Hi-Red Center and collaborated a lot with Nam June Paik and John Cage. Anyway, I was interested in studying with that kind of visual arts. And during the 1960s, Akasegawa collaborated extensively with Hijikata Tatsumi[1] as part of the Japanese Ankoku Butōh movement. Studying with Akasegawa, I was introduced to all avant-garde work of the sixties (see Akasegawa Genpei Anatomie du Tomason). And Butōh, Ankoku Butōh was very attractive. But I wasn’t really ready to become a dancer. And in the 1980s, when I was still studying, I also saw Min Tanaka’s work. He was still dancing then with a shaved head and naked body, painted, with very gradual slow movements and longtime performances. And he worked with Milford Graves and Derek Bayley, this was a big event in Tokyo. Very strong impression for me, being something “in between”, was it dance? And actually, at that time, the term “performance” was introduced in Japan. Not “performance art”, just “performance”. What is a “performance”, what is a Butōh, and what is dance? That boundary, it’s impossible for me to define: small theater? The idea of theater became popular from the 1960s on. But it’s not a new type of a theater either, it’s all like a melting pot. At that time, I took Hijikata Tatsumi’s Butōh Workshop. It was very short, maybe a three-day intensive. That was what I got as dance training before participating in Min Tanaka’s Body Weather work. I never had a formal dance training background. I had seen Butōh and Min Tanaka’s work and I took part in a performance. But I wasn’t a dancer yet. During the first Butōh festival in Japan, in Tokyo. Min brought together forty male dancers, male bodies. This performance was my first participation. Then a year after, yes, I got some flyer advertising the intensive workshop Maï-Juku. That’s where my work with this practice really began. So, yes, actually in 1985, during Maï-Juku V, I was also involved in the preparation of the Body Weather farm in Hakushu. So, it’s kind of a parallel project: it was the start of preparing the place, the farm, and taking part in Maï-Juku V. And once Maï-Juku V started, I think, after one month, we moved, we had a separate training in the farm. I remember what we did in a waterfall… Before the Maï-Juku V, Min Tanaka didn’t have a performance group. Maï-Juku’s concept was collecting bodies – no, not the body – the “capture” of the people participating in the training: when Min Tanaka was touring, that’s how Katerina was caught. In Europe and the U.S., La MaMa and always touring, he had performances and teaching workshops… so it’s like two wheels, and the people were interested and participated every year. So Maï-Juku I to V. In the fifth year, they started Maï-Juku Dance Troup for doing performance work. In that time, they didn’t call what they were doing Butōh or dance performance, but it was called “Maï-Juku performance”. And regarding this Maï-Juku V year, when we participated, it was a big, big turning point. Many of the former Maï-Juku members had left. It was a very strange moment. At the beginning, I believe we had about forty people who participated the first two months. After the two months of intensive training, I think we were left with only ten people or something. But ten people stayed. Ten people may be including about two or three from Japan. So, a number of European people stayed, like Katerina, Christine, Tess de Quincey from Australia, Frank van de Ven from Holland, and (in 1986) Andres Corchero and Montse Garcia from Spai – a few people.[2] It was a big transition, Yes, I think that when Min Tanaka started the farm, this transition was a big issue. He never named his dance as Butōh, but in 1984, Min danced Hijikata’s choreography, he performed his solo dance. That was also a big turning point, changing the… Yes, ok. I stop talking now.
 

Poster "Min Tanaka choreographed by Hijikata", Archives Christine Quoiraud, CND Mediatheque
Poster « Min Tanaka choreographed by Hijikata »,
fonds d’archives Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Christine Quoiraud:

I met Min Tanaka in France, actually in Bordeaux, by chance. I was at that time dancing in a company whose style was based on the Cunningham technique. I was preparing a spectacle when someone came up with a small flyer with a photo of Tanaka Min advertising a workshop. It was the second year he came to France in 1980 or 81 in Paris, after a big presence in the Festival d’Automne in 1978. And that’s when he met Michel Foucault and Roger Caillois. Min Tanaka was giving a workshop in Bordeaux, so I left everything and went to his workshop. And as soon as I opened the door, I was captivated.

I remember it very well a sound-listening exercise was proposed: people were blindfolded and walked along a string laid on the floor. Min Tanaka produced sounds, clapping his hands or playing with paper. He moved around the room, changing heights and distances. We were supposed to point with the index finger in the direction of where the sound was coming from, and meanwhile you had to keep your balance, one foot against the other on the thread laid on the floor. It was a revelation, I was immediately totally convinced. Before that, I’d experienced several types of techniques in contemporary dance. At that time in France, a lot of foreigners were coming, many Americans, but also Asian people: I had met Yano and Lari Leong who already gave me a sense of what the state of mind of these parts of Asia was. But when I met Tanaka, that was it! I was totally won over. So, I immediately went to the next workshop he gave a month later in Bourg-en-Bresse. There were forty people. He was giving us the basics of Body Weather, the manipulations/stretching work, and a bit of work on sensations, and he offered us the opportunity to take part in a performance. So, he designed a kind of development for the performance, which was mostly improvised, with some elements given, with few instructions. It took place in a huge gymnasium. When the audience came in, we were seated in the audience and gradually we bent over slowly against our neighbor, we leaned on the public. Then moving down slowly towards the floor. And that impressed me immensely, actually. So, from that moment on, I quit my job, stopped everything I was doing. I bought a car to live in it. I started the Body Weather nomad laboratory. I travelled all over Europe. So, I was visiting all the Body Weather groups, which were being set up in Geneva, in Groningen, somewhere in Belgium, maybe it was Ghent, and in France, in Pau, in Paris. I’d travel from one group to the next, always sharing training and performances, mainly outdoors, in the streets, or anywhere in the city. Tanaka came every year from then on to give workshops mainly in Paris, or in Holland, or Belgium, and I joined all of them. Every year he would say to me: “Christine, why don’t you come to the intensive workshop in Tokyo?” I finally decided to go in 1985. Also, I came there with a visa valid only for that workshop, but I didn’t go back. I could not leave after what I’d been through. I stayed for over four years, almost five years. As far as I remember…
 

Archives Christine Quoiraud, CND Mediatheque
Archives Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

 
 

3. Maï-Juku V and the creation of the farm. Tokyo-Hachioji-Hakushu.

Presentation

In the minds of the PaaLabRes inquirers (Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff) the Body Weather farm project implied that a group of people had decided to live on a farm. Hence the idea that there was a beginning, which could be described in detail to grasp the origin of the approach. But the answers from the three artists demonstrate that this was not the case: the process of building the farm was very gradual and was inscribed in a constant back and forth travel between Tokyo and Hachioji (a suburb of Tokyo), then between Hachioji, Hakushu (the place of the farm) and Tokyo. This is one of the important aspects of the Body Weather idea: the body like the weather is constantly changing and not fixed anywhere. This concept means less the idea of migration or displacement, of travel, but rather of fluctuations produced by friction in a given environment.
We’re dealing here with three environments, one completely urban (Tokyo), one completely rural (Hakushu) and one somewhere in between (Hachioji, a suburb of Tokyo). The activities at the farm developed gradually in interaction with the local farmers.


Christine Quoiraud:

Before the beginning of the farm, the intensive workshop Maï-Juku V (1985) took place in Tokyo, in a suburb far from Tokyo, Hachioji with a dance studio. There were rice fields near the studio and a river, and we often went to work near the river. Or at one point we went to the mountains 30 minutes away. At the end of the intensive workshop, we moved to the farm for the final workshop of the two months period. We went into the water of the high waterfall, naked. This, and all that followed, was the key turning point. And Min was very proud to show us the farm. We all went there together. There was this workshop in the river and there was a fire after that, it was late October, it was freezing cold. We finished the intensive workshop there, on the farm. Then came the beginnings of the farm.
Andres Corchero didn’t arrive until February 1986 for the next intensive workshop, which only lasted a month that year.

Katerina Bakatsaki:

I don’t think that there was an “A-day”. I think it was really a long process of different events and different ways of working that led to finding a place and do on. So, I don’t know if there was a first day, but before I say that, I just want to point out perhaps, maybe just to say, that when I met Min in Athens, the part of his work that intrigued me the most was certainly the work that he invited us to do outside the studio, outside the theatre space or the studio space. And as Christine and Oguri have already said, Min was engaged in work that already involved weird places, situations and contexts, away from dance or any kind of formal art manifestation. It was a question of working outside so-called art spaces… Let me rephrase the question: what dance can be when experienced in many different contexts, when engaged with many different bodies, not only human bodies of course, not only one’s own body, but also the bodies of the non-humans? This question was Min’s major preoccupation in his work from that time onwards. That’s what I just want to point out, and actually for me, that element and that quest within the work that Min was doing inevitably led to creating a sort of place and network embedded outside the city, and outside formal artistic contexts.

Christine Quoiraud:

Like Katerina said, we didn’t start working on the farm straight away, it was part of a process. And, in my memory, we had to build and organize the farm before it became operational. We started by building several chicken houses. Oguri can talk about that much better than me. It’s only gradually, little by little that we got chickens and then started growing rice. In autumn and springtime, I remember you guys building the chicken houses. That’s when we had this wasp attack. Those wasps were in springtime, no? And planting the rice was more like June or something, May/June maybe?
 

The farm in Hakushu, 1987, Photo Christine Quoiraud, CND Mediatheque
The farm in Hakushu, 1987 (photo Christine Quoiraud),
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Oguri:

Shall I talk a little bit about the cycle? So hi, Oguri here again. Yes, farm was being prepared right before Maï-Juku V started… some friends were already working there at the time of Maï-Juku. I went at the farm with my motorcycle. And my first impression was that this land was so beautiful. Yes. It’s changed a lot now, but in the 1980s… Hakushu is about 100 km west of Tokyo. So, about 2 hours away with my motorcycle, experiencing a change of scenery, an evolving landscape, changing, changing, changing, so beautiful, beautiful river and gigantic rocks in various shapes, really almost like chaos. The last time I was there in 2017, it changed completely. Now, it’s not the same at all. But at that time… yes…
I know, a farm is not real nature. A farm is a work done by humans using nature. A farm is a human product in the ecosystem of nature, but there are still a lot of nature forms, mountains, and big rocks, and sometimes a typhoon producing a disaster that changes all human order, bringing back the nature. And it’s a quite high elevation area, around 800 meters high, it’s a cool air, water is constantly running by the house and rice field because of the slow open flat land. Yes. Hakushu lies at the foot of Mount Kaikomagatake in the 3000-meter-high mountains of the Southern Japanese Alps.

And as Christine said, in Hachioji, which is a suburb from Tokyo, that’s where already a big transition is happening, from the harbor of Tokyo to that city, Hachioji, where the Tokyo metropolis becomes Yamanashi prefecture and it’s a kind of transition before we go to Hakushu. And that transition is very interesting.

Kazue Kobata in Plan B, Tokyo, 1987, Christine Quoiraud’s personal collection
Kazue Kobata in Plan B, Tokyo, 1987,
Christine Quoiraud’s personal collection.

Min Tanaka and Kazue Kobata[3] are at that time running a small alternative performance space in Tokyo: Plan-B. This is like a first artist self-running alternative art space. It’s a tiny underground theater. So, every month, or every other month, at Plan B, Maï-Juku as a group presented a dance performance there. Myself I presented a solo performance there every month.

Yes, I will talk about that too: this has to do with something like transportation, transport: Tokyo, Hachioji, and Hakushu. A very interesting experience, transportation, moving, and activities in the three places: the farm, the workshops, and the performances.

Anyway, the farm is the place to return to after work at Hachioji, Plan-B in Tokyo, and national and international tours.

Living in Hakushu, the farm life, the traditional organic farming, experiencing the rhythms and cycles of this most human lifestyle. This connection of the human body to nature is necessary for Body Weather practice. We developed many things: the annual production of an arts festival, also with outdoor sculpture, traditional and contemporary performing arts, music, conferences, a symposium…
 

La ferme à Hakushu, Photo Frédérique Bua Valette, August 2019, Christine Quoiraud’s personal collection
The farm in Hakushu, August 2019 (photo Frédérique Bua Valette),
Christine Quoiraud’s personal collection.

Life on the farm necessitated a transition that was far from brutal. Our life is not shockingly changed. But, for me, it had a big impact on the life cycle: Tokyo, you have the night, you keep working in the night, you are in a theater, you have to start at 8 o’clock or whatever. But in that farmland, all farmers got to the bed at 7 o’clock. So, our cycle completely changed, working with a chicken, or irrigating the rice field. If you are late, you lose a day. Or feeding animals, they cannot wait. So, our cycle is completely changed. The night is completely dark, which is beautiful with the stars… So, that’s big impact, change. When I mention “life cycle”, it’s completely linked to most human lifestyle and the question of the human body. When we started working in Maï-Juku and Body Weather farm, we’re almost never alone, twenty-four hours a day. Always somebody is working with you, and every day you’re eating three meals together.

And I’m now jumping to the farm time: it’s a community group working together, but at the same time, you know, a very serious individual commitment is required at all times. Of course, just being there is a commitment, but in all the work both in the farm and the dance – I don’t say “the dance” but the workshop, the laboratory – self commitment was very strong. On the other hand, we’re not professional farmers. And I never think that I am a professional dancer either. This practice I’ve taken up, is it dance or performance? And as we are not like professional farmers, we learned from the farmers themselves on the job site, in the field. The idea that we’re not there to learn a technique is very important to us. It’s the same for Min or for the Maï-Juku Body Weather dance too. We don’t proceed from technique, but we’re very much like in a job site. I mean, it is not like a studio as a place preparing a performance elsewhere. So, farming was like this, and dance practice as well. It was a big transition: Hachioji had a dance studio floor, but in Hakushu at first, we didn’t have this kind of floor. Later, we built something like a stage, and we used a Kendo martial arts floor, to do floor work mainly in the land. So, farm and dance, neither had priority for the life in there.

Christine Quoiraud:

At the time of the 1985 workshop, Maï-Juku V, there was a lot of back and forth, going back to Tokyo, going to the farm and back to Tokyo, and in my memory, you were really one of the Japanese who often went with Min and Hisako, over there to the farm, to organize the venue of the group, and you are one of the witness of this beginning point, more than probably we, the foreigners, the non-Japanese. I’m sure you have memories about the discussions you had with the farmers, the neighbors… What do you remember of these talks when preparing the farm? From an administrative point of view, but also from the farm point of view, and also the necessity of organizing a program of what was going on in Tokyo and to Plan B, the performing space.
 

Hakushu, 1988, Photo Christine Quoiraud, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque
Hakushu, 1988 (photo Christine Quoiraud),
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Oguri:

Yes. These all three things happened simultaneously. Actually, I didn’t have much connection with the place in Hachioji because I lived more often on the farm side. Maybe, yes, Christine and Katerina, Frank and a few other people lived in Hachioji. They had rented a house there, so, your base was more in Hachioji…That’s a transition time. So, while living there, you were keeping a training in Hachioji. I remember that, during the Rite of Spring (or maybe not that one, another performance), we had rehearsal in the Hachioji studio. And then we went to the Ginza Season theater, a big theater, for a performance in homage to Hijikata. Yes, we built a set and rehearsed there too.

Christine Quoiraud:

That was much later. Hijikata passed away in January 1986. But at that time, there were lots of moves between Hachioji, Tokyo, Hakushu… It’s more a question of whether you have any memories of who decided, for example, to build the chicken houses?

Oguri:

Ah! OK! All the organizational side…. Min Tanaka had a big vision, I think. Why did we have these chicken, to what purpose? We didn’t need the chicken for the eggs, but for the shit, for the fertilizer. It was thanks to this fertilizer that we were able to successfully grow vegetables. Organic farming wasn’t so popular back then. We didn’t know about popular organic either. Yes, we didn’t use chemical fertilizers, we started like this. Use less chemicals, you know, weed killers or insecticides. That’s all we knew about organic farming. We didn’t even know about recycling, but recycling was already a tradition in Japanese life. It was nothing knew at that time, but organic was … how can you use it as in the case of traditional fabric. And besides, not much income.

It’s very interesting seeing that in the farm, Body Weather farm and Min Tanaka, we never owned the land. Instead, we just borrowed the land and the house. About agriculture in Japan in a village, of course all farmer families own their land. But most of the farmers are like Sunday farmers, they all have a job. They have a full-time job on the side. Farming is their second job, they have to keep the rice fields going, because as I said, rice is very essential to Japanese, rice is more than money, rice is like life, rice is like God. A bit like each of us, it grows, it develops. Many hours of intense work and a great deal of pressure during the harvest under the autumn sky. Rice grows and changes like a human being. Farmers must therefore continue to keep up rice fields. That’s an essential thing for each farmer. When the farmer gets old, children don’t want to take over being farmers. As a result, there are many fields, beside rice fields, as vegetable fields or mountains that are no longer tended due to lack of human power, so a lot of places are let to somebody to use. So, we got many places and fields that are like abandoned, and not in very good condition. So, we cut down the trees, got rid of the rocks, cleaned up the field and put it to good use. In many places, lots of farmers asked us to take care of this, as well as the house that goes with it. But farmers are always close to their money: after a few years, the field got intoo good conditions, “OK, give it back to us”. And you have to give it back. We were very kind to the farmers because we were learning a lot from them, and they let us use a lot of their land. So that was a very unique relationship between us and the village farmers.
 

In the greenhouses, 1988, Photo Christine Quoiraud, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque
In the greenhouses, 1988 (photo Christine Quoiraud),
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Katerina Bakatsaki:

In that respect, I also remember very strongly that there were times when we very often went to help other farmers – whether there was an agreement about it or not – and in fact, it was also a way of learning and knowing how to do things. I don’t know if Min pre-thought about it, but that’s how I have experienced it, while we were out there trying to survive with the minimal means, we had to at the same time try to figure out how to literally make things. What I mean by things, is of course the house, the objects, the lands, the animals also… How to live and work with these entities. Well, we lived there, we were also there helping the other farmers. Then, in fact, it’s not just the case in Japan, I know the same thing in Greece, the countryside and the farms are deserted, and young people are leaving. And on top of that, you have big corporations buying up farming land. That means that small farmers are losing their land and therefore the connection to their place, the connection to their land, the connection to the knowledge, and to their ways of living they’ve known. So, we were learning, but in this way our presence was also contributing in a very modest way to reviving also the life of the village, and thereby, in a way, literally restoring vitality to the farmers. And then, later on, came the festival that brought more activities in, and so on. I think that this was part of Min and Kazue’s vision, as a sort of conscious activism: OK, we went there to learn, but also to play a supporting role.

Christine Quoiraud:

And I think, how shall I put it, that it was pretty natural. Before going to Japan, I also lived in the countryside in France. It was very natural, when there was hay to cut, which was the case when I was a child, everybody came to help, and I think it’s really part of the life of rural community. Less so now because of machines, but at that time, up to the early 1980s it was still fairly universal…

In the early day of the Body Weather farm, there were not so many people living there, not that many… Like Oguri said, at the earliest, there has been the two-month intensive Maï-Juku V workshop. Then from the group of 40 people many returned to their own countries or personal lives. We remained to meet with just over ten people, half of them Japanese, the other half non-Japanese. I remember that there were about 16 people or something like that. Then, a small group of Spanish people came, and we remained a kind of settled group for quite a while, with other Japanese coming in from time to time, I don’t remember their names. And yes, we remained with the same number for quite some time, even a few years. But, a lot of foreigners, of non-Japanese, left… went to give classes and workshops in their respective countries like Frank in Holland, Tess in Denmark. They often left to teach in other parts of the world. I remember that. Katerina and I were there. Later, we left too… I mean, most of us remained there for a long time. I ended up leaving at one point, but it was mainly for personal reasons, like family in France, problems…

Katerina Bakatsaki:

I have to say that I only started teaching and even thinking about teaching after I came back to Europe after 1993. It wasn’t part of my vision at that time. Then in terms of knowing when we moved to the farm, I think Oguri you were there much earlier than Christine and I, for example. Is that so?

Oguri:

Yes. I lived may be two months or a month in Hachioji when Maï-Juku V started. And halfway through the Maï-Juku V intensive training, I started living on the farm. From then on, I lived there for five years. Living there, it is very hard. Nothing there was really prepared for living.

We used some rental house, a farmhouse, a deserted house. Nobody had lived in that house for many years. I remember that before the intensive training started, I went there, as I said, by motorcycle, with my tools, hammer, and a saw, like carpentry tools, to help build with two people from the village, Encho and Akaba San. They later became big supporters and mentors. The house had a big paper door, you know, shoji. Shoji door is made of paper. There were no heaters. I mean, later on, like after two years, everything was changed. But in the beginning, it was a very interesting experience [laughing], like the way people lived a hundred years ago, that kind of aura experience for one year. So, we were not but, in the beginning nothing was prepared. Later we prepared everything. We were not punished then. Yeah, basically that’s it.

Just one thing, gomme ne [Japanese for “sorry”]: what Christine said about watching things. Yes. This is very much like Japanese mentorship, you know, a mentor never talks, even in the case of Japanese cooking, traditional cooking. They never teach you. Yes, you have to steal, steal that technique… Then, there is always some gap too. So, you develop your own ability to do things. Yes. That’s what I wanted to add. And of course, watching is amazing, we were always watching. Watching is very important. After that, you can see the difference. That’s one thing I learned during my first year.

The first year, we knew nothing about how to grow things, except radishes. Radishes, you can get after hundred days. We really started from scratch at first. So living is also from scratch, but we lived from that land, and we got lot of support. All farmers giving us something, even agriculture equipment tools. That is, secondhand tools. And “You know, you guys, use this”. And at the same time, as Katerina said, we brought some vitality to the village. After a few months: “Oh, these guys are serious… OK, we better help them.” But it took at least a year to prove ourselves.

At the beginning, we all grew very, very long hair, it was for performance purposes. Min had some vision, all males and females would have very, very long hair, like wild horses on stage. So, everybody let their hair grow. For the Rite of Spring, we looked like hippies. All village people didn’t trust us or didn’t believe we were going to continue running the farm. That’s what changed after a period of two years, three years, year by year, our relationship with the community changed a lot. “All these guys working so hard, honest people, and who do these crazy dances.” Something touched their hearts. We organized that festival in the farmland, so we brought entertainment from other regions of Japan, or foreign countries, Japanese performers, singers, sculptors, and all these people brought more audience and activities there. We also helped them. “Actually these guys are not bad.” In fact, we were always invited in their homes. We had different languages: Greek, French, and Spanish. And with different skin colors. Of course, nowadays, the presence of non-Japanese, of foreigners has become a common occurrence in the Japanese countryside, but back then European, Americans, were rare and unusual. Yeah, it was a very unique experience for each of us. For the village people, I think it was a shocking impact at first. That’s what life was like there.

Katerina Bakatsaki:

In terms of who went to the farm and who stayed there, it changed constantly. Although you have to imagine, for example, that in the first year, I don’t remember for how long all the foreigners for different reasons, good or bad, were still keeping houses in Tokyo, in the suburb of Tokyo, in Hachioji. While some people, like Oguri, had already moved to the farm. So, we’d go to the farm, us foreigners – correct me if I am wrong, Oguri and Christine – while still keeping our accommodations in Tokyo, because we all also had to work to earn a living, because there were costs involved for us for transport tickets, for business, and so on. For different reasons, we felt it was necessary to keep somehow a foothold in Hachioji, and work to earn money in Tokyo. That’s what we did. However, there was no money involved in our commitment to the farm or to the dance practice, to the practices we did there. That’s why we kept our lodgings and our jobs, and the studio in Hachioji, and we would go to the farm either when hands were needed, or when we would have to rehearse, to prepare for a group performance at Plan B.

So, the constellation of people at the farm changed a lot, absolutely all the time. There was a core group that would be at the farm on a more regular basis, and then we’d come to do farm work, for rehearsals and dance practice, and then we’d go back to Hachioji. Now, you have to imagine that – and this brings me to your question –when we were there, then the work had to be done, because things needed to be built, the chicken house, the fence needed to be corrected, or some chicken needed to be slaughtered, just to name a few things… We did the farm work and the maintenance work for the place, which were also considered part of the training. I mean, engaging with material, engaging with the timing of another thing, another material, another form of life, was considered as part of the training as well. For example, more concretely: how to weed the wild grass, you have to bend down to the ground, you have to work on the ground, it’s small, it’s small, and we were not using electrical tools, we only use all types of tools that were almost extension of one’s body. So, a massive part of the training consisted of finding the best ways to use the body to be efficient in the work. The understanding of how to exert force, in which direction you are going to gear the movement, so, how to use your wrist to grab the grass in a way that you can pull it out with its root, so that it doesn’t break. And so on, and so on. So, that was part of the training.

Now, indeed, because we had to rehearse as well, there were hours set aside for artistic training. So, we had to wake up early in the morning, feed the animals, do the urgent farm work, which was already a form of training, and then have a very quick breakfast. And then the rest of the morning was devoted to rehearsals, then lunch again, and then farm work again. It was happening in a way that I wouldn’t call “organic”, but all the different needs, all the different concerns needed to be taken care of, to be attended to. This is how the day was being packed. The cooking was done, as I recall, on a rotating basis. I remember, me not being able to boil an egg, having then to prepare dinner for 15 people. The panic!!

Christine Quoiraud:

And sometimes we fasted to prepare for performances.

Katerina Bakatsaki:

Oh sure, oh yeah! But [laugh]…
But attending to things, attending to needs, whether it was a performance, whether it was a personal need, was as much a matter for the people who were present at that time. Attending to food, attending to the maintenance of the house and of the place, attending to the life, to the social life in the village, because that was also a big part of the activities. I can still remember spending a full day doing different kinds of work, and then ending partying, I mean, eating and drinking at Akaba’s house, or at Encho’s house… until early in the morning (Akaba San and Encho were two of the farmers who supported us). And then…

Christine Quoiraud:

We were young!!!
When I first arrived in the summer of 1985, there was that studio space in Hachioji in a suburb of Tokyo. And there were already animals around the building like chickens and a pig. And always a dog or two, or a cat or two, yes, and we lived with that presence. They were really small shacks near the building for the animals. It was in the suburbs, but it was still the city. There were no fields as such. There was no farm, just a dance studio. Nearby, there were rice fields, but not so many, and a river. So, the main activity was in the studio. Already Plan B existed in Tokyo. To go to Plan B took like – I forgot – but maybe two hours by train. I’m not sure but it was something like that. So, we often travelled from the studio to the city center.

And before that, Min Tanaka, when he came to Europe, often took us to work outside in parks, anywhere. And when we were still in Hachioji, during the intensive workshop (1985), he took us to the mountains for a week. That means that we were also dealing with wildlife in the mountains. And then, at the end of 1985, beginning of 1986, we started the farm. There were a lot of travelling by truck or by car, from Hachioji to the farm. And then, gradually, a team of dancers lived at the farm. Others continued to live in Hachioji. They kept jobs in Tokyo to survive. And then sometimes we would all gather at the farm to work, to carry out a major work, or to rehearse for performances. And then, sometimes we would go on tour in Japan. So, at the beginning, the core place of the activity was in Hachioji, and very soon after its opening (at the end of 1985), the farm became the main place.

I would like to add something about what you both said. About language, when I met Tanaka Min in France, he practically spoke no English at all. He used a translator, so he was at that time surrounded by a bunch of young Japanese, who were studying with Gilles Deleuze in Paris, and were translating for him. At that time Kazue Kobata was always travelling with him, and she was also translating in English, and she managed to introduce Tanaka to Michel Foucault, and, if I remember correctly, to Roger Caillois. And Min really talked a lot with both of them and was very impressed thanks to Kazue’s English. And then, around this time, I think in 1981, Min went to New York, thanks to Kazue. There he met Susan Sontag and musicians like Derek Bayley, Milford Graves, and so on. And, from then on, Min started to study English. Gradually, when he returned to Europe, he could use anatomic terms to explain manipulations, but he still always had a translator. And when we get to Maï-Juku V, I remember it very well, Min spoke much more in English, he asked the Japanese to learn a bit of English, and also encouraged the foreigners, non-Japanese, to study a bit of Japanese. In reality, and still today, there’s this kind of broken English between us.

Milford Graves and Min Tanaka at the Body Weather Farm. Video by Eric Sandrin.

 

4. Body Weather, Farming and Dancing

Presentation

Body Weather was based on the idea of perpetual change in the body and the weather. This raises questions about different ways of looking at farm work and artistic production work, the relationship between everyday life, the environment and dance work in its training and performance dimensions. Participation in the Body Weather farm involved a very intense commitment to all aspects of farm work and dance. But this commitment remained based on individual confidence in the philosophy of the project, and not on blind adherence to a closed community.


Oguri:

I want to explain a little of the history on a larger time scale. The Body Weather Laboratory I think started around the 1980s and lasted until maybe a few years ago, that means about a forty-year history. And I was there five years, so that’s what I am talking about, my experience over five years. I left in 1990. During that period there were many changes, and before I was there it was another time too. And about Shintaï Kissho, “身体気象”, “Body Weather”, that’s kind of a method of this movement: the body is not a fixed entity itself – not stable, fixed territory. It changes perpetually like the weather. Not like just one season; weather is constantly changing at any moment.

Christine Quoiraud:

I have a question for Oguri again: do you think that Tanaka had heard then of Masanobu Fukuoka?[4] Because I think it was in the 1970s that he left his job as an engineer and started to do organic farming, creating a commune. I think he was pretty well known then for the way he gathered volunteers to work on his farm and he had a commune that changed all the time, young people coming to him to learn and help. They lived there in a very sober way. And that reminds me a lot of what we went through in the beginning of the farm. For example, there was a group, forming the main group, mostly Japanese, living on the farm, and foreigners who came from time to time to do some special type of work with the neighbors or without the neighbors, and then also throughout the year there were volunteers coming to help from different parts of Japan. So, I was wondering if Min had heard of Fukuoka? I don’t remember hearing him talk about this guy but… may be…

Oguri:

I’ve never heard Fukuoka’s name from Min Tanaka’s voice. He never did mention him. I’m sure he knew but he didn’t mention it, but I think that’s very much Min.

Just one thing, I was about to forget about that. Going back to that first time when I was working in the farm, I was very impressed by the land. At the same time, on the farm, labor is not done for someone, labor is for yourself. Because people in urban environments depend on their customers, or their boss… But there, on the farm, as I said, there was a form of commitment and responsibility, but the whole work was for yourself. That was a very strong kind of our commitment and, you know, and that was the purpose for being there. Including the dance too. That’s what the dance method was all about. It was a very simple world and nothing special. Of course, you had to make your own decisions and, as I said, we are not professionals at that time. We have to find things out on our own – like some answers, because all the neighbor farmers were like mentors too. I remember that. And let me talk about land also… I know I had very different perspectives from Fukuoka. Like: what’s special about a region, regionality. What’s particular in that area or region, in that place… How to say? There are traditional ritual or celebration dances. Celebrations or some rituals, or kagura,[5] or dances there – we learned a lot about how to cultivate the land and how we think about the origin of dance. Because this type of method, Body Weather, is not a dance technique as such. Min Tanaka, he never teaches us how to dance, no. In other words, our practice is not a study of how to dance or a practice confined to the studio. Our training is very much oriented towards sensitivity work. And… the class is very open. I mean, our dance is very open for any kind of skill.

Katerina Bakatsaki:

As far as I know, the term Body Weather was borrowed – not borrowed but taken – from Seigow Matsuoka.[6] But am I right to think so? I am not sure. I mention this because when Min was working, traveling, exploring, with Kazue Kobata, he was also a lot involved in artistic and thought movements taking place at the time. The stimuli that gave rise to the work that emerged, to everything that he did, were of a theoretical as well as philosophical nature, and had also a very strong connection to movements of thought already existing in Japan, the United States and Europe. So, I just want to bring that in… Of course, I don’t know. I am not sure if Min has explicitly spoken about all this. I do know that Kazue Kobata did, and I’ve had conversations with her about it, about all the different movements of thoughts that were enlarging our approaches and encouraging Min to continue with the work he was doing. Not only Min, but also all the artists that he was working with. Because he wasn’t a solitary genius. I think we all had that kind of experience! There was always the presence of an extended community.
 

Body Print 4, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque
Body Print 4, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

 
 

5. Commons and Body Weather

Presentation

Commons, what we call in French « communs« , can be defined as an articulation between resources that exist within a community, and rules concerning the way in which that community operates with regard to these resources. In the Body Weather experience, we can see that there are a lot of resources linked to the farm and to the dance practice, to Plan B and to all the spaces around the farm. How these aspects of common life were organized, how did the community function in relation to different interactive practices taking place in different spaces, environments, and with living creatures and objects? It’s about the conjunction of experiences, the existence of a community with little in common between its members but a commitment, autonomy and responsibility, taking initiatives in a non-formal structure, perpetual movement and evolution.


Christine Quoiraud:

Well, there’s not ONE answer to the questions about the commons. If there is an answer, it has to do with the passage of time. When I first arrive in 1985, things were different. The farm didn’t exist yet. And then the farm started. Then the farm continued. We started by building the chicken house and growing rice, and it was a gradual change. So, there are several answers, many answers.

Katerina Bakatsaki:

Allow me to use the word “community” not in the sense of a closed church, but as a network of forces, of people, of contexts, that always been central to Min Tanaka’s engagement. A bigger community of people, of artists, who had the same questions and the same concerns as he did. That’s one thing. And another thing I’d like to say, concerning that question of community: you are there because you’ve chosen to be, and you better have the guts and the commitment, for yourself, to fully engage. We’re not there to do it for you. And at the same time there was no pre-agreed reason for why we were there, there was no common belief. We are all here because each one of us had totally different motivations, and different interests, and different types of investment. Personally, I found that precious, I would not have stayed otherwise.

And also, I speak for myself, it was always important to feel things out and also to register with myself. That’s what was interesting because, you know, I was young. Intuitively I could understand things and give them a place, also listen to my experience – not the dance experience but the life experience – I’d acquired from the place I came from. And also the ways of being in community, the ways of doing things together, the ways of understanding and sharing work, where we lived together with others.

But, for me, it was also important to feel that I could actually betray that sense of commitment, even if only with myself. Why do I say that, because it gave me the security of knowing that I wasn’t in a sect. That said, I also want to say that it was fascinating at the same time how all of us, each one of us, were there out of our own different motivation, and still we had all made the commitment to be there together. And also doing things together, without there being any agreement on what that should be. Of course, there was the training, there was the necessity to grow as artists and eventually as people. There was a trust in witnessing the work and its potential outcome. It was not about developing a method, but in the way questions were posed: about dance, about movements, about land and nature, and about non-nature. So, these questions were present in all forms of production, in any kind of work activities, that had to be carried out, whether it was cutting the grass, whether it was learning from other farmers who have been there for generations. When they tried to figure out who we were, they wondered if that was “making mistakes”. But the commitment was to actually do that together. So, in terms of commitment, I mean, that has been always for me very interesting, very fascinating, very exciting. I always had to commit myself to something other than just myself. It’s something that exist among farmers, they know that you have to feed the animals, you are not on a vacation, you have to be there.

There’s no division between leisure time and work time, you have to be there, available, and your rhythm and your needs, your body are available for the service of something else, of the animals, of the plants, of the seasons, of the water that follows its course or stops flowing, etc., etc., etc. So, that sense of: “OK, I’m an individual, I’m here for myself, and I’m responsible for my actions, I’m autonomous”, and yet there’s always this call to actually relate and commit to something else that isn’t myself. And it’s not necessarily linked to that community as such, it’s always bigger than that. It’s the other humans, as being together, but it’s also the animals, the plants, the cultivation, and so on. The tools that we use. Yes, there are a lot of nuances to this notion of commitment.

Christine Quoiraud:

I think we learned a lot by watching… by observing, which is also a way of understanding farm work, like, I remember, when we went to help Encho (one of the farmers, a neighbor) in the rice field. He showed us how to cut the rice and hang it on a pole. It was a situation of having to observe the action, in order to be able to do it ourselves. Or when he showed us how to use a tool to turn over the wooden logs on which shitake mushrooms grow, we watched his gestures so we could imitate them – not imitate them exactly – it was a question of grasping, of embodying the gesture of the one who knows how to do it.

And I remember myself trying to follow the M.B. training (« Mind and Body training », a very dynamic training as part of Body Weather),[7] I had to watch the bodies of the guys in front, of Min when he was correcting a little or showing different rhythms or other things. And when he was directing the preparation of the performances, it was the same. I’d listen, I’d watch his body rather than listen to what he was saying, his explanations which remained a bit surrealist for me. But for me, his body was not at all surrealist, I could grasp a lot of things. And by the way, Oguri, in my memory, before Maï-Juku V, there were a few solo performances at Plan B. But from Maï-Juku V onwards, Min started choreographing to encourage us – I think I was kind of the first one of the foreigners of that time to present a performance. So, my composition was first. Everyone laughed… So, I asked Min to choreograph my next solo. It was early January 1986, shortly before Hijikata’s death. Afterwards, Min encouraged everybody to do a performance once a month, which the three of us did as much as we could. This was in parallel with the collective work of the group, or the work directed by Min Tanaka. Each of us had the opportunity to develop our own research and test it in front of an audience at Plan B, which was an amazing privilege, an amazing way of learning… and also an extraordinary proof of trust. Voilà.

Katerina Bakatsaki:

In terms of the possibility of proposing initiatives, I don’t recall having the need to do so. However, I also don’t have the impression that I’m someone who passively follows the course of things, because I could have my own ways of engaging with things, like for example I could have my own motorbike and, at given times, I could move away from the farm and come back whenever I thought it was necessary. So, I, personally did not feel the need to initiate concrete things. And I guess, I am not also the type of person to do that, but at the same time I never felt I didn’t have the space for myself and act on my own, to make decisions independently and autonomously.

I think if Min had not given the trigger, suggesting: “Why don’t you do…” I’m not sure I would have done anything. Actually, Min somehow encouraged me, and yet, in this context, there was plenty of space to do our work, to do whatever it felt necessary to do. Given that there was a space also, Plan B was there, available to us.

Christine Quoiraud:

I think we initiated small things. Oguri, maybe you remember, when we started working together, we were in charge of the communication, how to say, designing the Plan B calendar, and at one point, I was translating into English – I had to work with Oguri, because I had no idea of Japanese. These are small things, but they added a stone to the edifice, to the main project. And as far as I am concerned, I managed to take a lot of initiative on my own, in the same way that Katerina could take a motorbike to escape. So, I was also able to take small initiatives to resource myself, so that I could then come back to taking part in the group. And it was because I was not Japanese, sometimes I really needed to do that, and it was by returning to my own language, to the French language, that I was able to realize this. I created a French language poesy club in Tokyo

Katerina Bakatsaki:

I think there were different places. It’s good to look at them from different angles. At the beginning there was a location in Hachioji, which was the dance studio. Then there was the farm, something completely different, a place with its intrinsic structure, with all its complexity and its improvisational character. We have also a seminal place, Plan B, a performance space. And all sorts of other places where performance would take place that were either theaters or outdoor places, within Japan or elsewhere. Then there were also all the places we had to go to sell and deal with the products of the farm, and I think that was part of our lives, of our practices as well.

If I try to define the commons in terms of locations, there were a) seminal places, b) important locations and c) places where a particular activity took place. Of course, there were other places as well, and, later on, came another house more to the south, close to the sea.Because the Body Weather farm was in the mountains. But, I mean, the life of the group changed in relation to these different places. I hope that this makes sense. So, again I repeat, it was Hachioji, the studio, and of course the houses around it, this particular space, a kind of small village situation on the outskirts of Tokyo. And then, you have the farm, you have Plan B in Tokyo, the theater space, and you have these other spaces where performances took place. Then, in my perception, there were all the big activities initiated by Min, so most of the important performances, the tours, and we were invited to participate. We were never obliged, but we were invited to take part.

There were also the moves – Oguri and Christine correct me if I am wrong – the big moves to the farm. I mean, these big migratory moves were initiated by Min, and maybe also in collaboration with Kazue Kobata and with other people who belonged to the artistic scene of Tokyo at that time. But these big moves were initiated by Min, and we were invited to participate. Plan B as a space was already in existence, I think, at least when I arrived. So, we have these places that exist, and we have some sort of structure that moves around that it is initiated and triggered by Min, Kobata, and the people who work closely with him. And then, within these bigger main locations and structures, we’re invited to participate by taking our own initiatives and to create our own work. That’s how I see it, that’s how I can make sense out of it, because a lot of it was left to our own initiative, I mean it was growing as we went along and according to needs.

That’s how I experienced the development of the different activities. The animals arrived. The rice fields had to be taken care of. Because that’s what was happening on the farm, we had to take care of it. In a way, there was an aspect of organicity, but at the same time there were many things that were already there, or that existed on Min’s initiative. I mean, the big performances, big theaters, were initiated by Min, or by other artists who had invited Min to participate or to choreograph, and then he would also invite Maï-Juku group to participate. So, some of these commons were determined as and when necessary, by the need to do something at a given moment. But each one of us, in different ways, initiated, supported, followed or redirected what was happening. But there was also a bigger structure above all that – I call it structure, but it was a very fragile structure, a non-formal structure: Min had his vision of things, and he was going on, he was moving on. Who wanted to join, fine, who did not, bye-bye, something like that. And yet, within that, there was a lot of space for us and a lot of invitations from Min’s side for us to take our own initiatives, to develop our own creativity, to have our own connections to the different places, to be there and understand and feel what needed to be done.

Oguri:

So, as I said before, the movement of Body Weather history is also constantly changing, as Christine explained. Katerina said it too. “If there’s something that we need, [chanting] we———– are going to do it.” Commons, the commons are not permanently fixed: the farm, the dance company, and Plan B. I was completely involved in all three activities, for me it’s the same, there’s no separation. There was the nojo’s [farmers] community. The community of who worked the land. People who weren’t involved in the performances, other people included in performances, but not in those of Plan B.[8] There were different ways of looking at these “commons”, a little more flexible, or expending and moving to. On the subject of Maï-Juku, moving from Hachioji to the farm was a big transition. Since the beginning of Body Weather, not as a parameter but as, let’s say, the essence of Body Weather, there was no question of staying solely at Hachioji, in this dance studio. It was necessary to move the activities to the farmland, to the rural world – I don’t say “nature”, just “farmland”, or environmental place. It’s just as Min Tanaka had done when he started dancing, first on the street, then in a theater. And now again, it was question of dancing in a specific site or outdoors. He never fixed the stage, but integrated into new places, moving to one another. So, I hope you understand, Maï-Juku is not a dance company – yes, in a sense it is – but it’s not a dance company fixed once and for all, with a choreographer and contracted dancers, who get paid for their performances. Not at all like that, yes… And at the same time, it’s another context that depends on individuals – I think I said something about a strong commitment on the part of individuals – it is very much organized, but it’s also very much an individual thing. In fact, now, Christine, Katerina, and I, we’ve been working completely separately and developed very different dances. So, we weren’t there to assimilate Min Tanaka’s choreography or to acquire a technique, Min Tanaka’s dance technique. This community is not like this. The commons are determined by the individuals within the commons. To come back to individualities – is it really linked to the commons? (I’m wondering myself) – obviously, financially, it hasn’t been easy for anyone. Because I was there for five years, from the moment we started working on the farm. We started by learning from the farmers how to do it. Yeah, none of us were experts at it at first, so, we were learning that. So, farm work didn’t pay as such. No, maybe at that time, dancing, big projects, brought a bit of money or commercial work, movies.[9] So, yes, many things were happening at the same time.

The farm started I think in 1986. All village people didn’t trust us or didn’t believe we were going to continue running the farm. That’s what changed after a period of two years, three years, year by year, our relationship with the community have changed a lot. All these guys working so hard, honest people, and who do these crazy dances. Something touched their hearts: that first year, Min, Kobata San, and other people organized a festival, the Art Festival, a pioneer project in Japan, outdoor. Something that never happened in Tokyo metropolis. But in this more marginal place, in the farmland, outdoor, a performing art event: sculpture, and music and performance. We brought many entertainments from other regions of Japan, or foreign countries, Japanese performers, singers, sculptors, and all these people bring in more audience and activities there. That was very much like a pioneer project in the 1980’s, now it’s getting more common place. It was another activity form of Body Weather activity and beyond, and we were all involved for this at the farm: farming, studying, driving the dance, and organizing, producing events. We were getting more accepted by the community. In fact, we were always invited in their homes. Of course, nowadays, the presence of non-Japanese, of foreigners has become a common occurrence in the Japanese countryside, but back then European, Americans, were rare, it’s unusual in that time, yeah, it was very unique experience for each of us.

Oh yeah, another thing, this is a bit symbolic about rice: rice is a very essential matter we plant, especially for the Japanese, I already said that. There are so many names given to one grain of rice, from the rice growing to the rice coming to my mouth, the name changes. It’s like these different names given to water: ice, water, snow, all transformations giving rise to different names. So many names are transformed each time in relation to other ways of being. That’s how the commons can be seen in the context of Body Weather. But I’ve learned from that tradition in the field – OK, all right, maybe I’m probably creating chaos – OK, ask me some specific questions! [laugh]

Christine Quoiraud:

I can add something which maybe extend somewhat or is connected to what Oguri just said: I remember that when we started the farm, there were no animals. The main focus was really on rice, getting the rice crop going, and then, gradually, we built the chicken house, and suddenly there were thousands of chickens. It wasn’t just Min who decided on the development of the farm, I think Hisako played a big part in these kinds of impulses. Suddenly we had goats and donkeys. And I remember that, when I left Japan, Tanaka Min offered to entrust me with cows. He wanted, me to take charge of the cows. I said: “No, thank you!”. But it was a way to establishing a relationship. We spoke about the place. This was how the original group had to adapt. These animals had to be taken care of, they were part of the environment. At first, they weren’t present, and then a little bit present, and more and more present. And so, the rice was like a must, because in Japan it’s everywhere, as far as I know… But the animals, it seems to me, were very important for Min and Hisako. The animals were present also for their shit as a fertilizer, but also to earn money, because we were selling the eggs. I’m thinking clearly about the animals and their sounds and their smells and their pee.

Katerina Bakatsaki:

I just like to try and clarify this notion of commons and of community. Because from many of you, you hear it said – and it’s also for me, wonderful to hear it – again and again, again, that there is a community in existence. But in the context of Body Weather, there was nothing in common between its members, and this is what gave the project its particular strength. Of course, there’s dancing, there is a need to dance and to explore dance, to explore how to understand dancing in life, how to relate, how to exist with each other, how to exist with things, with objects, with plants, with tools, with money, with no money, how to exist within other communities that also exist with us, while we are also not exactly sure whether or not we form a community. We just didn’t know. At least I didn’t know. I don’t think that we ever felt that there was anything we could designate as part of a common order.

There was a shared desire to be there, but each one of us had our own particular needs, expectations, and projections, and so forth. And also, their own ways of engaging with all this complexity, or chaos in other words, not chaos in terms of whatever, but chaos in terms of unpredictability. Everything relate, we are related. There are principles that are laid and guide us and stay with us, like the rice, like putting ourselves in relation, like questioning ourselves, how not just be in relation, but questioning how to do it, that is to do what we don’t know. Also questioning the morals, the ethics, and the politics of all that. Nobody decided: “OK, this is how we are going to do it”. We thought about it, we were figuring it out. And yet, and yet, and yet, there were bigger schemes that were constantly in motion, by which I mean that all notions were constantly situated in particular contexts. There was always the presence of all kinds of dancers, of bodies, as micro-communities. The community without something in common, that was very radical, it still is, at least in my mind, and that’s why this whole bunch of people wasn’t a sect, there’s no promise land, no obligations. We were there because we’d realize that “OK, I can do this, I can relate, I can respond to what needs to be done, I can…”

Christine Quoiraud:

Just one more thing. As far as I remember, the shape of the group and the activity developed on their own, but when we were on tour, when we travelled to France for performances, I remember that there were a lot of differences between what was relevant to the Japanese world and to the European universe. Min often talked about the tradition, tradition in Japan… And when he was in Paris at the time, he was somewhat critical of the style of democracy in use in France. I just remember one of Min Tanaka’s “remarks” when we presented the Rite of Spring. Nario Goda,[10] a dance critic, was with us and he fell ill. He was in hospital for a while, and Goda San, Mister Goda was very excited: “Oh, I am sick, I’m going to stay in Paris, I want to stay in Paris, I love Paris, I love France, there’s lots of good food, good wine …” And Min Tanaka said to him: “No! You shouldn’t stay in France, it’s too soft, the mind is too soft, the mind is too mild”. It spoke to me a lot, then, it was like: “In Japan, we can have this strong energy, this strong capacity to work. We don’t stop, we don’t give up,” like the Cossacks – an image that comes from me indeed – but that’s how I felt a bit at the time. You’d never get tired. You could continue even if you were tired, yes, absolutely… So I suppose Min was also wondering what it’s about to be a group, how a group could behave, how life with others could be envisaged. How is it to live with several people, and with an ever-fluctuating number of participants. During the first year, there were a lot of people on the farm, and then in the middle of the winter, it shrunk. The size of the group varied constantly. There was, I think, something akin to a non-adhesion to capitalism, in the way we were confronted with the economy. But on the other hand, to my feeling, there was a strong tendency to turn to tradition. And as a result, there was this tension between tradition and a certain willingness to invent something new. And probably, other influences, I don’t know, but I think I can feel or imagine something more open, somehow, – I would not dare to use the word – a certain anarchy, but…

Oguri:

Just I want to say this: as we are related to the land, it is also the case with dance. Dance is mobility, it can take place anywhere. With just the body you can present dance and it’s a one-time thing. And we don’t own our dance either. So, I think, it’s a very effective method. What I mean is that if we consider this notion of communs or of the commons, it’s kind of the essence of Body Weather: of not owning the land, of not owning the dance. It’s not about ownership.

So, that make sense now, that the dance and the land are always rented. We borrow the land and the dance as well. But during the pandemic, it is the first thing that becomes impossible, it limits the dance so much, that we can’t do anything. Yes, I am sorry to remind you of that. I’ve always thought that dance was the strongest media, you don’t need to carry instruments, you can go any place, just with your body. But during the pandemic, it was so difficult. I’ll stop here. OK, thanks.

Katerina Bakatsaki:

And yet, we as dancers we’re always moving. I mean, it was always another fascinating for me the way while working the life of the group was growing, that there’s a sense of mobility, of sudden shifts, changes of direction, mutations, movement. And yet there’s the question of not owning land, and yet there’s the question of working the land, of relating to the land. Getting your working hands dirty…

Oguri:

… Yeah, rooting, finding you roots…

Katerina Bakatsaki:

… finding your roots, working the land, I mean, creating a relationship with the land, as you say, with the rice field. Understanding also with the body, what it needs, its timing and being able to accommodate and support it, to be at its service, the same thing with the animals, the same thing between each other, the same thing with the music, the same thing with performances, wherever we are sharing the space with others, whether they are human bodies, or objects, etc. I think that was this notion of working the land: finding your roots, without owning. And this, for me, now I am recalling it, also with hearing your words, and “Ooooooooh!” [laughs], it’s really inspiring, time and again. And I think that was in terms of this notion of the commons: you know, things are moving, shifting, places are changing, we are embracing what needs to be done, etc. And so, there’s a constant move, and yet we need to get the actual relationships working with the village, with the villagers, with the rice, with animals, with the land, with each other, and so on. So, we are not owning land and yet we are working the land, again and again.

Oguri:

That was our Body Weather community. But you know, sometimes I feel that’s the big reason why I left the Body Weather Farm, was because it was at the same time a very old-style community. These farmers were very conservative too! Yes. But that was a kind of challenge for Min working there. I am not putting it, how to say, that he is not a great man and a fair person either, but I think at that time… OK I shut up now.
 

The farm in Hakushu, 1987, Photo Christine Quoiraud, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque
The farm in Hakushu, 1987 (photo Christine Quoiraud),
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

 

6. Choreography, Improvisation, Images

Presentation

Was Min Tanaka a choreographer? It seems that he wasn’t in the strict sense of the term, but he was nevertheless an initiator of performances and stage director of dance. This meant that there were hierarchies in the artistic value of different forms of choreographies. Given these circumstances, what happened in reality during the preparatory sessions to performances? How much improvisation went into the performances? What was the place of technique, if it made sense?
The presence of images was an important element that enabled different pieces to formally emerge.


Oguri:

First of all, at least in my memory, in the 1980s, Min Tanaka never put his name on programs as a choreographer, such as “composed by Min Tanaka”[11] in a group performance, I remember it well. Composition implied a very strong framework. And choreography what task is it? It changed over time – I am just talking about this1985/86 period – it is a task, a movement or choreography proposed as a task. The task of jumping in the air, a task like jumping up one hundred times, and body straight. That’s an example. But composition is like a very clear road map, whereas usually we never repeat the same performance again. Even in the same series of performances. The second day, in the same series, a lot of changes take place, even this composition is slightly subject to changes. The next season, the performance resembles the original model, but still with some little differences. So, performances never stayed the same, at that time.

Later on, especially when we were living on the farm, then many productions, rehearsals took place on the farm. Indoor, in a studio – it’s not really a dance studio, it was in the house, we had a bigger room there, upstairs. So, rehearsals took place there or in the field, where we built a stage to rehearse. Again, for the performances it would create different situations. Sometimes we are doing the performance in the small studio, or at other time we’d present in a big theater the study pieces we’d created in the small studio. Processes were different. Usually, we worked out composition. And since we were living together, composition could be explained in a more abstract language… But very much related to each individual body. Body including spirit too, yeah, not like considering if someone had flexibility or if someone moved well, it wasn’t that important. And there was a lot of improvisation involved. Min demanded so much responsibility from each performer. Min Tanaka didn’t say how to move, he didn’t determine the form of the movement to choreograph. Later on, when we had gained a lot of experiences of dance in the farm, in outdoors, I remember a composition – very, very simple: just being there, assuming a presence. But each time, after rehearsals, he’d tell us clearly what he noted for each dancer individually. Everything he observes gives rise to very clear comments pointing to change things, to make the performance better, yes, without ever giving a goal to achieve. That’s what I remember about working in those days. Thank you.[12]

Christine Quoiraud:

We worked a lot with images, and these images came from Tanaka Min’s experience with Hijikata who choreographed a solo for Min. He used the images maybe from that moment on, the years when he was working under Hijikata’s direction, I think it was 1984. We got there in 1985. That was when he used the images. As I recall, he was really proposing us a methodology for working with images. So, it was a list of images. And as Oguri said, he would never show us movements. He just gave us the words and let us work with those words. And then, he would see us in rehearsals. And then he would adjust. And, again, to my memory, it was as if he were sculpting or creating the space of the body in space. And in space, that means here with the light, with the set, with the unfolding of time, with others, and I think he was always conscious of the audience’s presence. Whether inside or outside, the question of the audience’s presence was always a big deal. And what I learned most at that time, I think, was the consideration for the audience. And this image work consisted of always searching for ways to give vitality and energy to the pathway of the images, something impossible to stabilize or fix. Impossible to fix it in a form. Even now, if we showed you an image, maybe I suppose Katerina, Oguri and me would probably start looking for bringing this image to life.

When I use the term “image”, it was a list of words. Actually, in 2017, I organized a workshop at the CND (Centre National de la Danse), and I invited Oguri to lead it, focusing on “image”, and there is a recording of that workshop at the CND. And, in fact, in the feedback work I did on this experience, which is online (médiathèque du CND), I transcribed Oguri’s work. I transcribed, translated, and commented on his work. In that text, I even dealt with the fundamentals of Oguri’s teaching. By “dealt”, I mean décrypté, to decipher: “Oguri says this, and he shows that”. And I describe: “his hands are on his head, and his shoulder is moving towards the back, …”. I describe what I see on the video, what I see of his movements, of his body, in space, as he teaches.

Oguri:

Just one thing about the choreography of Min Tanaka, and this image work that Christine just mentioned. Hijikata Tatsumi, Tatsumi Hijikata was a big, big, big inspiration for Min Tanaka. And Min Tanaka was choreographed by Hijikata Tatsumi, I think in 1984. Then, at that time, Min Tanaka was very close to the Ankoku butō[13] movement. What Tanaka shared with Hijikata Tatsumi that experience working with those images. So, Hijikata Tatsumi used many images from the environment or paintings. And Min kind of introduced us to this work with Hijikata, and we also included this work on images in many of our performances. And later on, the approach to this “image work” changed somewhat.[14] The things that I introduced at the CND were really old work. They’re just all different tools that no longer correspond to actual choreography. They belong to that particular time. To what we did at that time. I think later on, he changed his method. This work on images has been internalized in our body. The outside world is in our body. As a result, from that moment on, landscapes are inscribed in our bodies: we have like a “big lake in the body” or a “tropical forest in the head”. And there is “a house burning inside the body”, and “smoke comes up”. It’s not an external image. It’s Internal. We have moon, or sky in our body too. That was a big change for the performances. Before it was so precise. With this body part, you render this image. You have to have a very quick mind to recognize and adopt any body position. This idea of inside-out changed everything, and Min Tanaka’s experience became mine. I don’t know how he now works with people. So, as his style of dance or choreography method is like Body Weather, it never stays at the same stage. So, yeah, again, I am a kind of a witness to the 1980s. It was only five years… but it made a lot of change in me.

Katerina Bakatsaki:

As Oguri said, there were different periods, and there was an evolution in the different images used at given times. So, I would be hesitant, I mean, some images are strongly remembered. But what I do want to say is that the work with the images was also part of the practice and was one of the many different ways of sensitizing the body to the words that exist within each image. And to sensitize the body to also non-human entities, whether it is an object, whether it is the water, whether it is the river, the rice, and so on. So, the images evoked again something other than human, coming, inviting non-humans in the body. So, one of the images that comes to my mind now, is that of a young monkey boxing with the sky, boxing the sky, correct me if I’m wrong. Boxing with the sky or boxing the sky.

Christine Quoiraud:

With red gloves, and this monkey was sitting on a barber’s chair [laughs]. At another moment in a performance, we were three women dancing and we were like the asses of cows [le cul des vaches], and our pelvis were swinging “ting… ting… ting… ting…” (like the cow’s tails chasing flies, we swayed the hips from one side to the other). Or you had a vertical electric pole inside your body.

Katerina Bakatsaki:

So, the images were used in many different practices to sensitize and to alert the body, but what was specific, as I said before, was that the images were inviting the other non-human and they were extraordinary, I mean, in their scale, in their richness.

Christine Quoiraud:

But it was also an opportunity to fragment the body. We had at the same time to focus on several images addressed to the body, and each part of the body would be in charge of a particular image: head, and arms, and torso, and belly, and back, and legs, and feet, all at the same time. And then we would switch to another set of images, which was also a source of stress for the nervous system. As if we were… Min Tanaka was using the words “to be attacked” by images. And so, it was also a way of being in control and on the frontière, on the borderline of lack of control, and we were always on the verge of falling totally out of control. Fatally, it was akin to the risk of improvisation, that’s what it was. We were also trying to reach the images, and they were somehow out of our hands, always escaping. In my memory, it was a question of increasing intensity, the intensity of the capacity to concentrate.

Katerina Bakatsaki:

Another image, another work, which was used later on: I remember that we practiced a lot, we practiced in the sense of research and exploration: it was a work with the notion of the puppet. So, you are a puppet, and you are moved by a puppeteer, you are moved by strings. It wasn’t a question of imitating, but of that notion, that invitation to the body to disarticulate itself – how can I say? – the invitation to the body to be moved by something else than the body itself. And the notion also, I think, that many of these images called for permeability. The permeability of the body – I remember Min using the word “attack” instead – but it’s actually about the body being permeable to the imagination, through again sensations, and imagination that is outside of itself.

Christine Quoiraud:

To be “attacked”, bombarded with images, is a way of saturating the brain with information, of thwarting the habitual production of images specific to each individual. You have to give yourself a chance to be “danced” by something other than your own imagination.

We also worked a lot with “stop motion”, like you start the movement, and you stop… you introduce the idea of cutting off the direction of movement and thinking about the duration of the movement, its extent and how long the stop will last. So, we did a lot of this, and at one point we also worked a lot on repeating the same movement, “again… again…”, or “long time”.

Oguri:

I think, a little bit, also, about “training” and “M.B. training”. We practiced the very coordinated body, body coordination with a rhythm, right side and left side. So, it’s a way of becoming conscious of connecting with the body and body parts. By lifting knees, turning hips, very simple things. But these shifts of direction were like the intention of how to go towards something else and to achieve the dismembering of the body. Dismembering… Yeah. This “image work” that Christine has just introduced, involved dividing up all the limbs of the body: head parts, arms parts, torso, and legs. And at the same time, moving different qualities, different speeds, completely different images movements at the same time. And this image is shifting into the next movement, the body parts changing with a hundred of transitions, transitioning, transitioning, transitioning between images also being part of the essence of the practice. So, that is more a purpose of dismembering the body, like a memory of early childhood, of a newborn baby’s way of moving. Of course, that movement is not connected with your mind or consciousness, or angel’s smile. When a baby starts smiling, it’s not the result of an emotion. It’s a kind of sensation to come. So, I think the inspiration focusing on these aspects came from Min Tanaka or Hijikata Tatsumi. It’s our body memory of early childhood experience at that stage of the movement. And again, that precise image brings external things into the inside. This is a huge challenge. If you don’t understand this, you can’t do that. Some people can do it, and some people cannot. How to accept that: you are bringing a whole city landscape inside your body? But I think dance can do that, yeah!

Christine Quoiraud:

This exercise was very hard. There were dancers who couldn’t realize it or couldn’t realize it on their own. It was a question to fill the whole body with a patchwork of constantly changing images. A concentration hard to hold.

Oguri:

Concerning Min’s choreography, training, M.B. training to coordinate body, actually I think the purpose was more about dismembering.

Christine Quoiraud:

The training was not there to strengthen the body’s capacities, but rather to deconstruct its coherence as a psychosocial unit.

Oguri:

Yes, we worked a lot with a partner. And body is best text for learning. We have a body stretching method and body alignment series called “Body Manipulations”. Between two partners: no talking for two hours to commit with each other’s body. Stretching like a body alignment. And after to talk to each other about the experience, responding to it fully. To share what had happened during the two hours of mutual commitment. And to share again and again. And learn that bodies are never the same, ever changing. Again, here we have all the concepts of Body Weather: never stay the same and take responsibility for sharing time and space with others. These principles were maintained over time.
 
[See Inventaire (Archive Christine Quoiraud, Centre national de la Danse Mediatheque).]

It’s a little bit related to the idea of the Japanese mentor. It doesn’t matter if it’s Japanese or not. But about mentorship or morals or ethics, it’s there: we learn that technique includes the space. As in martial arts, we always start to clean the space and start with a salut. That kind of morality and respect of the space. In dance, we’re learning space. And that each is a mentor to the other. I learned a lot from Min Tanaka, and from Noguchi San, operating lighting backstage at the theater. Or producing vegetables on the farm, or from the area farmers acting as mentors. And even after five years becoming known as a skilled dancer or skilled farmer. For sometimes I had to act as a leader for young people or beginners. The relationships I had with these people also taught me a lot. So, all this is also related to the communs. In that community, it’s also very much learning from each other. Everyone is a mentor to everything, it’s everywhere. Our producer, Kazue Kobata was one. Our colleagues, like Christine or Katerina, all came from different backgrounds, this is a very unique part of Body Weather: Europeans, Japanese, Americans, we all lived together too. And the common language is English, which I still don’t speak very well. So, that’s how we communicate and make things happen. And still, we have this kind of strong relationship after so many years.

Christine Quoiraud:

I think I’m very grateful for the mutual relationships between us. We helped each other. We influenced each other. I mean, I was, like Oguri. Oguri helped me somehow on the farm to get a glimpse of the Japanese state of mind and maybe, as we discussed, I was transmitting the Western individualistic state of mind – I was more into thinking about encounters and exchanges. We influenced each other, maybe without being conscious of it, but mediated by the fact that we spent so much time together. It seems to be very banal, but it wasn’t so banal. As Oguri said, we continue to have the same kind of relationship after so many decades, after such a long time, it’s a very strong connection. And I want to share the idea that I don’t think I went there to learn a technique or how to dance. But I know that at the end of that experience, as Oguri said, I also felt that I was totally ready to go out into the world and dance. I really had this feeling, not that I was proud or pretentious, but I had the guts, the courage, yeah! And the most difficult thing for me when I came back to Europe, was to be able to continue this intensity of life. And at that time in France, in Europe, it was a totally different logic. It was the beginning of the “intermittents du spectacle” in France, similar to this state of mind of a civil servant, a fonctionnaire state of mind, and I couldn’t enter that state of mind. Yes.

Katerina Bakatsaki:

In terms of technique, I think that we all know that technique has different states, different forms, different ways of understanding or disseminating. I think that the whole training including M.B. was there to answer the core question, which was, if I may say so, how to embody oneself in a plural way, in multiple bodies. I mean, if you consider training as research and not as a methodology for becoming something, that already clarifies things a lot. And, for me again, the question that constantly arises is how to be embodied in a plurality of bodies. You might question that possibility, maybe seeing from other points of view, that this plurality is problematic, but anyway, as a philosophical question, you have to ask yourselves: what if the body is never one, is more than one, and if it’s more than human? So, this is why the whole training is research, is finding ways to explore this fundamental question. In that sense, I don’t think that technique serves to become something, but it is a very clear, a very coherent, however not closed, methodology for questioning things. This is how I perceive it. Now, how does it lead to performance, how does it become a presentation on stage, very basic things that I can pick up? Once again, it’s all about cultivating the body’s permeability, and also its capacity to be lucid, clear, attentive, but without being self-absorbed, so as to have the tools to exist in performance. However, it is not a training that leads to performance, it’s, as Deborah Hay[15] also puts it: you are always training, you are always practicing also while you are performing; or you are never practicing, because you are always in the process of performing. There is the need to pay attention both to the body and to everything that isn’t the body, and it’s this aspect that needs to be the focus of training. So, in that sense, this is a technique, a non-formal technique, which is present in other artists such as Deborah Hay, Anna Halprin, Simone Forti, etc. So, it’s a non-formal based practice. The question I asked myself in relation to technique or the lack of it, after I left Japan (and to this day), goes something like this: “How can I keep training, how can I keep practicing?” How can I practice the life and all aspects of that life when I’m no longer in Japan?

 

7. Relationship to Music

Presentation

The relationships between dance and music in Body Weather is open to conjectures. Is this a story of dance gaining gradual autonomy from any illustration of musical discourse, or is music part of a general sound environment in which dance takes place in various modes of relationships? The notion of environmental sounds might include everyday life sounds (urban, rural, and natural), musical composition of a given space, improvised interactions with a musician, or recorded music in many styles. Are the sounds of the environment points of contact for Body Weather supports for body movements or sources of inspiration?


Katerina Bakatsaki:

Before music there was listening. I mean, before the conscience of music, there was the conscience of listening. By the way, when we talk about language, it’s not as if language was not there. Language was present, but perhaps because we didn’t understand each other, there were different ways of listening to language. I am not saying something new, but I just want to say that language wasn’t eliminated. All sorts of different languages were present, broken English, broken Japanese, attempt to speak without losing the sense of what you are saying, trying to understand with the eye and the ear at the same time while somebody is talking, etc. So, language was present as a mode of listening, as something that you clearly can’t understand, but you attempt to, but not in terms of semantics. By the way, I’ll never forget the Obon festival [Traditional summer festival, around August 15, celebrating the deaths].[16] The music, the dancing, and the singing, at Obon festival. Anyway, music…? There is a lot to say, right? Oguri? Christine?

Oguri:

Music, music at the farm, [laugh]… I have still strong memory of the sound of frogs. There is a second house on the farm that served as storage. And formally they used the upstairs for the silkworm. It was just one floor. Actually, the farmhouse has no doors, except for the toilets, it’s just… you know… Anyway, one big room upstairs, and originally there were no windows… At the early summer, the water from the rice field was prepared. The surface of the water is very clear, and there are frogs, frogs making a sound, from one field to the other field, they are making some chorus, and copulating in open air. It was… I’ll never forget it. “Hrogh, ghrogh, hrogh, ghrogh”, [he imitates a frog] I don’t know, like a thousand of frogs, like hundred frogs making noise, and setting these two fields in motion…

Christine Quoiraud:

… and constant sound of running water.

Oguri:

Ah yes! And water is so beautiful, trrrrrrrrrrp, and… And, I don’t know if it’s still there today or not.

Christine Quoiraud:

Yes, it’s the same.

Oguri:

I mean, water is running but it’s a different water too. Doesn’t make the same sound. And the houses, and traffic, it’s all changed. It’s not so quiet anymore…

Christine Quoiraud:

… and the sound of fireworks…

Oguri:

Sound of fireworks? Yeah… But anyway, there were always some noises in the house, like Katerina said, lot of languages in the house, no doors. Yeah… and some girls are fighting… only girls… [laugh] Oh! I shouldn’t say that. [laugh]…

Christine Quoiraud:

…and also singing songs a lot, I’ve often been asked to sing in French…

Oguri:

Oh, yeah! yeah! You have a beautiful voice, Christine!

Christine Quoiraud:

… one of the first solo of Oguri in Plan B, he danced on Klaus Nomi… [singing] “I’m wasting my time… on you———-” (souncloud.com).

Oguri:

[laugh] You sound worse! I mean, there was…

Christine Quoiraud:

We had M.B.Training on music like the Beatles, like “Stand by me”, like “bla, bla, bla,” Michael Jackson… And so on… And there was the music from traditional groups. Sometimes we had also visitors, like foreigners coming with guitar or other instruments. And there was also mainly Cecil Taylor, Derek Bailey…

Derek Bailey & Min Tanaka – Mountain Stage (1993) by Ian Greaves (at 12’24”).

 

Oguri:

We didn’t talk about “Art Camp”, the Hakushu annual festival (international summer festival organized by the whole group and with the villagers).[17] You know, I think the second year we lived on the farm, we started organizing the annual festival. We were not farmers yet, but we started this annual festival, that was another remarkable event.
 

Summer Art Camp, Hakushu, 1990, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque
Summer Art Camp, Hakushu, 1990,
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Katerina Bakatsaki:

I would like to go back to music. In terms of music, like instrumental music, there’s a lot to say. I don’t want to speak about Min, because Min as an artist has had incredible collaborations with a lot of musicians, and thinkers too. But as far as we were concern, and the way we were relating to music, I think we were questioning, – maybe I’m speaking for myself – about how to do it, we were playing a little bit the perspective of the autonomy of dance in relation to music, which wasn’t new, because it had already been done in the United States and in Europe. But we were sort of eager to understand how dance could stand on its own independently from what music is or can be. And from there, little by little, we built, we researched the connections to music.

I don’t have the answer as to what is the relationship for anything to the thing we call Body Weather. There’s also a difference that’s perhaps more specific, between on the one hand the use of the experience of music and the sharing of space with music during performances, and on the other hand in practice, in training, in the ways we conduct our lives, in our mutual engagement with each other and with the work. So, we’re talking about different territories that interact, of course, but also imply different situations. That’s something I need to clarify. Also, if we place this experience, or experimentation in the context of our training and our performances, it’s because our relationships to music and sound were different in both cases. It was also something that wasn’t exclusive to the work happening within that community. I mean, to draw the bigger context, we know the post-modern experimentation and all the work of the pioneers of the Judson Church,[18] it’s also the same kind of experimentation, an exploration. So, I don’t believe that it was something unique to the work we were doing. It was something that put a light on what was present in a great many different artists and in different places around the world: the primordial importance of listening (I already said this), that is, activating the body to listening. Of course, I think that seeing and looking are important, but orality was a fundamental thing in the training itself, the activation to listening to anything that sounds. So, a lot of silent work was taking place in natural environments – I am talking about training here – so, that was an activation of the ear to tune into micro-sounds, to micro-sounds that one makes in one’s own body, in relation to the sounds of the environment, and to the sounds that are produced by interaction.

And then also, I do remember, we were dealing with animals, so learning to listen also literally to the sounds that animals make was essential, was necessary, to actually find a proximity. But here again, it’s nothing new, I mean, it’s not an innovative thing, it’s a thing that all farmers know. It’s also very present among anyone who deal with animals. And so, as you can see, I am still not addressing the question of music and I am dealing with listening to different types of sounds that are produced, and the possible responses that can be made to them.

Christine Quoiraud:

During the early days of his visits to Europe, Min Tanaka proposed in his workshops listening exercises such as the one I described above, where participants were blindfolded and had to point with their index finger to the place of sounds produced at various locations in space.

Oguri:

I remember those workshops, and what Katerina said about them. Yes, I agree. Just few things. In performance, there was not anything directly relating rhythm with movement, in Maï-Juku or in Min Tanaka’s dance. And I don’t remember any movements that corresponded exactly to the music, such as a moody melody.[19] So, dance wasn’t related to music in this way. I think really that music is not like making construction of the dance, it was not this kind of relationship. Music is possibly an important element as environment. With music, we could feel something like an emotional trigger or encounter the sounds and silence allowing an understanding of the space. That is what we learned from the natural environment, like I said of the frog sounds, how that sound passed from one field to another, a total experience of the environment in space and time… all night long until I fell asleep. And so, it is in a daily life or artistic creation, or in workshops, where we are experiencing, stimulated by life… this whole life. For me, farming and performing are not separated from living. I don’t separate, our life is one.

And what else? Oh, there was one composer always invited. Mister Noguchi.[20] He plays the synthesizer. So, he always plays music live, he never used records, sampled material, or recorded compositions. He never records his compositions, as dance only happens once. Mr. Noguchi’s sounds happen only one time. It’s easy to say “improvisation”, but it is live music, and it’s not, you know, making a living. How to say? It’s not a question of finding a reason to make the body move through a moody sound that elicit a floating movement. With him, it’s not the case. It’s very much like a stimulation and a space facing. Yes, spatial, spatiality. Yes, he creates a sonic space. That’s my memory.

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Minori Noguchi (live electronics) and Min Tanaka (dance), 2006, Tokyo.
Click on the logo opposite, as the owner of the video has deactivated playback on other websites.

 

Minoru Noguchi is a composer who uses electronics, noise, and various equipments. I remember he installed many micro-speakers in the space where the audience was seated. And before the performance starts, in the pre-performance time, that’s start making “t… ttt… tt… t… tttt…” [faint vocal noises], very, very subtle noises happening, yes, and this would gradually change to make like a “free———-” [almost singing]… Yeah. Very much sounds related to space and to the consciousness of the people in the audience, or of performers, consciousness that awakens, that kind of composition and what it could arouse.

Katerina Bakatsaki:

I think it is very interesting, Oguri, the way you raise the question of spatiality of sound. And also, you’re careful to stress the importance of distinguishing the function of the work of Noguchi, of the sounds, of the music made by Noguchi. It wasn’t an ambient music, as you said, it was not creating an atmosphere, but rather to create a space literally in terms of vibrations whose nature is actually very concrete. By this I mean creating space, different types of space, micro-spaces, or different senses of space, different imagination spaces, different sensitivities, or triggering through the ear different sensitivities to space, to space as it exists. I think Noguchi’s input was of this order. Of course, he was also aware that his contribution was part of a work of art in its totality. But his constant input was perceived by us as layers of space superimposed on each other. And that brings me back to training and how training comes into performance. I agree with you Oguri, there are constant interrelationships, flowing into each other, and at the same time, I think there is a combination of ever different situations. The training was really about training the body to listen in different ways, to respond to acoustic experience in many different ways, and to orient oneself in the ability to know where one is, and to situate oneself, to place oneself somewhere in relation to sound. So, in this respect, any acoustic production, the music if you want, the sound matter, during performance was actually received in the same way. Or to put it another way, the bodies were trained or alerted to respond to sound as if it were material, and as if there were also a space that constantly ask the body to orient itself from the nervous system, to orient and re-orient itself, to reposition itself, to place itself again and again. I hope it makes sense what I am saying. Yeah, it was a constant activation of the body trying to orient itself in relationship to sound.

Christine Quoiraud:

As we speak about performance, I have one more memory of early Tanaka Min in Europe. And, at that time, he was performing like almost naked, dancing in slow motion with no music. Except for some duets with Derek Bailey, in Le Palace in Paris, and later with Milford Graves. But then, he started this series called “Emotion”, that was in the early 1980s. But it was “a motion”, as in the sense of setting oneself in motion. And it was accompanied with very strong emotional music, like a very popular music, but it was really a clear decision on his part to play on the audience’s affects. But when we took part in Maï-Juku, if I remember correctly, there were several different kinds of performances. Sometimes we would perform indoors. Most of the time Minoru Noguchi was the sound space maker. But sometimes for solo work, Min would come in with music of his own choosing. Or many times also, we performed outside, for example in rivers. In the movie by Eric Sandrin “Min Tanaka et Maï-Juku”,[21] a sequence of dance in the river is shown, it was an exercise, it was not a performance. The movie maker chose to put some music for the film that had nothing to do with the circumstances. It was at the end of the intensive Maï-Juku in 1985.

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Body Weather Dance in the River. Eric Sandrin, « Min Tanaka et Maï-Juku » Part 4/5.
Click on the logo, as the owner of the video has deactivated playback on other websites (2’56” to 5’46”).


 

Here is another part of the Eric Sandrin’s video in which you can see Hisako Horikawa in rehearsal. She is working with the music by Noguchi (at 8’17”):

Eric Sandrin, « Min Tanaka et Maï-Juku » Part 2/5 (8’17” to 9’27”).

 

Katerina Bakatsaki:

And of course, the soundtrack of the documentary is the artistic choice of the maker of the film.

To go back to the question of music’s relationship with dancing, practicing, performing, moving or exploring, researching dance, again, I feel the need to say that it was through practice and performance, by which I mean the totality of the work, that the main focus was to raise the question of “what is dance?” again and again, and again. And then seeing dance not as a discipline, but as a phenomenon that belongs to life, not only to humans but also to entities other than human. Dance was explored as a thing of its own. You know, maybe the question of dance and music was not even raised. Because dance was seen as a phenomenon in relation to anything else. So, what sounds, sounds, what moves, moves, and that’s it, to put it that way. From this point of view, the major concern was not with the music, but the question was how does the body listen? For me, looking back, I understand that when we talk about dance and music, one of the core questions was not about the music, but how the body listens when it’s dancing, even if it’s outside of any performance.

Christine Quoiraud:

I just want to add something on this point. In my memory you have to distinguish between two situations: on the one hand, there were times when Tanaka was choreographing, and then he would sometimes propose recorded music. On the other hand, at other times, he would perform with a musician, improvising. He would be improvising the dance, and the music would be improvised, with live music. And Noguchi also took part in this process. And by the way, Noguchi had been working with Min for several decades. They knew each other for a very long time, and they worked together for long periods. And, yes, I remember that when Min was choreographing group pieces in a closed theatre, he really organized everything. For example, he would organize the lights, the set, and also the movements, the choreographic movements, he would organize things by giving a kind of narration to the sound somehow, including the silences. He proposed a narrative that would give sounds a raison d’être, a purpose, an objective. I remember feeling that way. And I also remember, for example, that for the solos he choreographed for me, it was pretty clear that it was a form of organization with a peak, a summit, and maybe something perhaps flatter, and at a given moment, I was on a kind of rupture, a silence, a long silence which I had to confront as a dancer on stage. And it was like he forced the dancer’s attention, but also that of the audience.

Katerina Bakatsaki:

Do you mean, Christine, that it was somehow scored? I mean, the acoustic environment was scored in some way and imposed to other people, is that what you’re saying?

Christine Quoiraud:

Somehow scored, yes, as was the lighting design. Actually, when Min encouraged us, advise us to choreograph our own pieces at Plan B, to develop our own work, and I remember very well that we were like helping each other, one dancer helping another dancer. We all tried to construct the stage, the scenography of our performances, with an organization of the lights, with a set, even though the absence of set was of course a set as such, and also the sounds. It was like giving a distribution of elements over the course of the performance. And for me, this was something very important, to have the opportunity, this great chance, this chance to try to do things by myself. It gave me also the possibility to come closer to what Min Tanaka had developed in relation to music. Maybe I’m not just describing what Body Weather was as such, but rather talking about my personal experience, there with Min, with training, with life, and with the other dancers.

Oguri:

Just one thing. I remember that during the creation and in the relationship between lighting and sound, there is a kind of communication between the performers, the dancers, and the musician, and with the lighting too. Yes, it is a meeting that happens like that, I think Christine already told you, for the audience and for the dancer. We also felt not an artistic vibration but a spiritual vibration, something to push us to do things, yeah. But I have personally the feeling that… it’s like a secondary thing. I remember that I have a lot to do with lighting at Noguchi’s side. So, I worked a lot as a lighting designer too. I was operating in the lighting booth during the performances, beside dancing. And Noguchi, you know, sometimes provoked the dancers. As I said, he had a synthesizer and a mixer. Sometimes, you know, it was just “boom, boom”, to provoke reactions from the dancers by playing disruptive sounds… OK, “go on, go, go on, go on!”, this kind of noise that urged us to go on. In his company, I felt that it was very much like life itself, rather than a matter of aesthetic experience, a very spiritual matter of being during the performance. Yes, definitively something extra.

Katerina Bakatsaki:

I like what you’re saying, I like this term “spiritual”, I just want to say this: I would use for my part, again, the expression “material”. By this I mean that Noguchi’s sounds and Oguri’s lights, by their presence as an integral part of the performance, implied an interaction, an independence, a resistance, etc… And once again, it wasn’t the type of music, the musical aspect of the music, that counted, but the material, the power of the material itself. The power of the material was what mattered most. Music as material, as very concrete living matter, with all the other bodies and lights alive on stage. I mean, it’s the idea that everything that sounds or moves is part of the totality of the performance and is interrelating constantly. I think this is the way I saw it, that’s how I can voice it today, and how it speaks to me, looking at what it was then.

Oguri:

I think so, material, yeah. In a good way, I understand. And I think that, again, when I was in the lighting booth with Noguchi, we had these kinds of reactions or approaches, aesthetic, and material, spiritual. I learned a lot, later on, when I was dancing with musicians. Because we were like sharing the space, not at any time interrupting each other, but with this kind of almost provocation “come on!”, this kind of relationship. I learned from this experience: how Min Tanaka approached dancing in free improvisation, that relationship. It is this part of interrelationships I learned from when I was in the lighting booth. I am involved at the same time as a third person, working with Noguchi and with Min, we were building a kind of relationship. And it was another kind of material on stage, another being present in the performance. I learned a lot, later on, when I was dancing with musicians.

Katerina Bakatsaki:

Yes, just to clarify my position, when I say “material” I don’t mean ideas, but materiality, just like bodies, such like light, such like the objects that are present, such like the audience, that’s what I’m referring to.

Oguri:

It’s not an ambivalent, invisible thing, and it’s not something that happens backstage, it is really actual, right in front of the audience.

Katerina Bakatsaki:

Yes.

Oguri:

I did not say that dance and music should form a package, in which they are intrinsically linked. It’s about sharing the same space, yeah, and not encroaching on each other’s territory.

Christine Quoiraud:

I have two more memories that come back to me:

a) At the very beginning of Body Weather, there was also Hisako Horikawa. She was exploring voice. She was – I think I read somewhere that exploring voice was part of Body Weather in the early years. I believe she started out as a vocalist, then she became a dancer.

b) I remember once or twice, in a solo performance Tanaka Min choreographed for me, he asked me to speak. To talk, to make my voice heard on stage, improvising. And once, he asked me very clearly: “Please can you evoke a memory of your childhood on stage”. And another time, I forgot what it was exactly. Twice, at least, he asked me to speak during my performance. It was more giving words, sentences. He asked me to tell a story. And of course, I could have lied, and I was speaking in French to a Japanese audience. Yes, I could have lied, but did not think about it [laugh].

Katerina Bakatsaki:

Concerning the difference between the sounds of everyday life and music, I don’t remember a conversation as such on this subject, but I do remember that music was used as such, also with recorded pieces already in existence. I don’t remember having to choose a particular relationship to music, I don’t recall that, like being invited to relate in a particular way to music. But different types of musical scores were used. When I say “music”, I mean the sounds produced during the performance, like sounds produced by another person being part of the performance, or the musical scores. But I don’t recall any particular, specific invitations to relate to music as such in a particular way. That didn’t mean that there was no distinction between different kinds of music. And also, Min himself worked with a lot of musicians playing live music, I mean, in improvisation. So, the music as such was there, present.

Christine Quoiraud:

And also, in his performances he would sometimes produce gibberish. I remember very well at Plan B, sometimes he was like a drunken guy on stage, using his voice. He wasn’t using intelligible words anymore, it didn’t make any sense, the meaning was more into the tone of the voice…

 

8. Conclusion: After the Body Weather Farm

Presentation

In conclusion, Katerina Bakatsaki, Oguri and Christine Quoiraud briefly describe their artistic trajectory after leaving (around 1990) the Body Weather farm. Katerina and Christine returned to Europe and Oguri emigrated to California. It’s interesting to note that, while continuing to be greatly inspired by their experience on the farm, they went on to develop very different artistic initiatives in very different living contexts and places.


Katerina Bakatsaki:

When I came back to Europe, the Japanese context for me was of course inevitably very present at the time, and at the same time also not so much. Many aspects of life there remained important, interesting, fascinating, and relevant to me no matter where I was, or at least I thought so at the time. So, the main question then was how relevant was that experience of life and work in Japan here? Who could I share it with, how could I continue it, who could be my peers, who could understand me? Because when I landed back in Amsterdam, all the work, the way of looking at it, and its ethics could not be understood at all, it was as if I was coming from another planet.

When I arrived in Amsterdam in 1993, there was a lot going on: the milieu of the modern dance, post-modern dance, was in a way much oriented towards the individual as such, I mean, all the methodologies were concern with “what do I feel”, and “this is the truth, this is relevant and good”. But if you were coming from another place, you would constantly ask question like: “Ah! Ah! Hm! Hm! is this OK? Is this how I feel? And yet, is it true? Is it relevant? And how what I experience does meet the other, the other’s body, or the other’s space and time?” The practice that I was embodying didn’t correspond to the contexts prevailing in Europe at that time. So, little by little, we had to create our own working environments with people who were willing to participate. We built up ways of training ourselves, of practicing and then engaging others, and so on.

It might sound tedious or cheesy, but the biggest lessons for me, the biggest place for practice, was to give birth to a being, to have a little body next to you, to deal with a little baby, a little young body, and to have to understand what it was and to be patient, to learn to live with it, etc. And then, I had to work with people who did not choose to work with me. So, I had a long period of working with people who did not have any background in movement or anything like that. I would not choose them, but for some irrelevant reasons, they would be part of my project. So, I had to be at their service, I had to understand their needs, then invent and devise ways and methodologies to share my work with them. This was for me the biggest school after coming back from Japan. Because of course, in Japan, everyone shared a similar motivation to be there: “I want to be here, and you know, whatever happens I can take care of myself somehow”. Now, I had to work with people who were working with me almost by chance. This created a difference, that dynamic was very interesting for me, and I had to find the appropriate words, ways of devising exercises and methodologies, determining ways of working.

Now, I am not dancing anymore, I am not performing as such anymore, but I am working a lot with others. I am not interested in choreography as such, as a way of presenting work anyway. I did a lot of work developing pieces for non-theatrical spaces. There was a period when I worked with a group of dancers, and we would work in marginalized urban environments. And that meant homeless shelters, or shelters for people who lived with psychiatric or mental illnesses, or houses for victims of domestic violence. So, it’s true that my interest as a maker wasn’t so much in making pieces but rather devising practices geared towards questioning what a practice is and what are the bodies that could be relevant to exist in such spaces. This was rounded up and then I moved on. Now I am working most of the time as a mentor, artistic advisor, and teacher.

Christine Quoiraud:

Well, when I came back, I was pretty lost. It took me a while to readjust to the French state of mind, as I’ve already said, and for two years I was living with my bag on the shoulder. I couldn’t stay in one place. I was just performing and giving workshops. With nowhere to stay really. I lived in a very, very great poverty. But it suited me, and I took charge of my life as a soloist somehow. And then, gradually, I started trying to organize a farm with a dream of repeating somehow the experience. In the South of France. But very quickly that failed totally. It gave me the opportunity to start what I call the “dance camp”, the Summer Dance Camp [Camp de Danse d’Été]. And that’s how I started the Body Landscape projects [Corps/Paysages]. And that lasted over five years.

And then I started developing projects over periods of five years or so. The “Body/Landscape” projects happened everywhere, in countryside, in big cities. I shared a lot of that with Frank Van de Ven at the time. Each year these projects took different profiles. I wanted them to be evolutive, and they did. I also tried to play the role of mentor for young artists, for young dancers. In a way, I was reproducing a bit what I’d learned Japan. Not as a teacher, but as someone who can give the tools to be independent and autonomous in production and exploration. And during these “Body/Landscape” projects, I also managed to bring together the dancers I’d met in Japan. Like Katerina who came several times and others like Andrés Corchero, Frank van de Ven.

And then, Frank and I split up. And I started the walking projects. And that was for me a way of getting closer to the essential questions: What is dance? What is art for? For whom? Is art separated from life? So, the walking projects were developed over many years, in fact seven years. I focused everything into the fact of walking, on the notion of being a collective in movement. For, say, one month, one thousand kilometers. Nothing was planned, nothing was organized. I called that an “improvisation workshop”. And the first improvisation was to find a place to stay at night. Sometimes it was raining outside. We had no tent. And gradually I took people along towards doing public performances. It was a question of meeting the public. So, it was also dealing with the reasons of life, of the ordinary life in the places we were passing by, whether crossing cities or in the countryside. We behaved differently if there was a group of ten people, or twelve people. If you are in the middle of the mountain, or suddenly you are in Pamplona or in a big city, you’re obliged to change, to adjust your behavior to what you’re encountering.[22] And for me, those walks were the happiest period of my life. Because in the end, there was no “teaching”, no “performing”. It was just a matter of walking, sometimes without taking anything, not even a toothbrush. And since then, I’m just getting old, that’s all, [laugh] busy with archives and telling stories. But I am still teaching, giving workshops a little bit. Sometimes being a mentor when asked.
 

Marche et danse, Maroc, 2005, Photo Christine Quoiraud, Personal collection, Christine Quoiraud
Marche et danse, Maroc, 2005 (photo Christine Quoiraud),
Personal collection, Christine Quoiraud.
Marche et danse, Tro Breizh, 2004, Photo Younes Rahmoun, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque
Marche et danse, Tro Breizh, 2004 (photo Younes Rahmoun),
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Oguri:

OK, what happened to me? I found, yeah, gold, I got a life partner, Roxanne Steinberg,[25] and I moved to the United States thirty years ago. She participated to the sixth Maï-Juku (1986). With Roxanne and Melinda Ring, we started the Body Weather Training in Los Angeles. And we were invited to participate in an artistic residency program at a homeless women’s shelter in downtown Los Angeles. So, that was my new platform for teaching and performing. And with that program, I made a contract for transforming an old chapel into a theatre space, called Sunshine Mission, as part of the homeless women’s shelter. That was the beginning of my career in Los Angeles, we had a space, a studio to teach and perform. It formed the Body Weather Laboratory/Los Angeles. And we applied to be recognized as a non-profit organization. That way we could get support from the city, like the Cultural Affairs department, or the County of Los Angeles, the State of California, and so on… We started presenting an art program. And after five or six years, we moved to Venice, west of Los Angeles, to set up our own studio. Now I am in artistic residency at the Electric Lodge, a studio theatre. I continue the Body Weather workshops and performing and producing by myself, or in group work. And I present emerging dancers or master dancers in the city, and my old colleagues. I invited Christine, Andrés Corchero, Frank van de Ven to be here, teaching and performing here in Los Angeles. So, in doing that, and also since my experience in Japan was very much related with the land, I developed projects in the lands in California. I spent a couple of years to a project in the desert, a research for ways to find dance resources in the United States. So, I was digging desert land to produce site specific works, working with non-dancers. Working with a big group of people, in a specific site, without taking any permission, something like a happening performance in a public space. And seasonally, I am invited to be guest faculty at UCLA or Bennington College (Vermont), in a university teaching context. And I’m still presenting my solo dance and group work. And I’ve been collaborating a lot with Andrés Corchero from Barcelona, and collaborating with Christine Quoiraud as well.
 

Advertising for a dance workshop by Oguri, 2014
Advertising for a dance workshop by Oguri, 2014.

 

 


1.Hijikata Tatsumi (1928-1986), Japanese dancer, choreograph and teacher, well-known as the creator of butōh dance. See
See: wikipedia and Encyclopédie Universalis

2.Tess de Quincey is a choreographer and dancer who has worked extensively in Australia, Europe, Japan and India as a solo performer, teacher and director. She founded De Quincey Co in 2000. See de Quincey Co

Duo Two women dance, Quoiraud-De Quincey, Ménagerie de Verre, Paris, 1992, Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.
Duo Two women dance, Quoiraud-De Quincey, Ménagerie de Verre, Paris, 1992,
Archive Christine Quoiraud, CND Mediatheque.

Frank van de Ven is a dancer and choreographer who spent his formative years in Japan working with Min Tanaka and the Maijuku Performance Company. In 1993 he, together with Katerina Bakatsaki, founded Body Weather Amsterdam, a platform for training and performance. See Centre national de la Danse
Andrés Corchero, dancer, resident of Catalonia, explorer of body languages, he worked in Japan with Kazuo Ohno and Min Tanaka. See Body Weather

3.Kazue Kobata (1946-2019) was a Japanese curator, professor, translator, and former Artforum contributing editor, whose interests spanned film, architecture, avant-garde music, and dance improvisation.
See: artforum.org
See also in Christine Quoiraud archives, CND research, “Dive in in fine”: Médiathèque du CND

4.Masanobu Fukuoka (1913-2008) is a Japanese farmer, known for his commitment in favor of natural agriculture.
See: wikipedia

5. Kagura : Shinto artistic rite, theatrical dance. wikipedia

6.Seigow Matsuoka: essayist, specialized in art, author of numerous works on culture, Japanese and Chinese art. Director of Editorial Engineering Laboratory, Tokyo.
data.bnf

7.M.B. training, muscles and bones, mind, and body, etc.: dynamic training on music, with jumps, squats, stretching, rhythms, coordination, flexibility, anchoring, etc. See Centre National de la Danse

8.Christine Quoiraud’s note: At the farm, there were a lot of people who were just passing through, not necessarily involved in performances. Sometimes there were also dance artists who were not performing at Plan B. There was a lot of passage and variable geometry at the farm. Oguri was at the main core of all Body Weather activities, at all times. A life entirely committed and dedicated to Min Tanaka’s vision.

9.Christine Quoiraud’s note: It happened that a large sum of money came from big productions or participation in commercial films. The money was then used for the life on the farm.

10. Nario Goda, dance critic and journalist. specialist of Butōh. See “Interview avec Sherwood Chen, 7 février 2019, Paris”, translation and notes by Christine Quoiraud, note 232, p. 11. Médiathèque du CND

11. This can be verified by consulting the “Plan B calendars” in Christine Quoiraud’s archives at the CND/Pantin. See CND

12. Christine Quoiraud’s notes: Min was briefing us after the performances with clear feedback comments. He was constantly changing, improving the composition, adjusting for each one. His wish was that nothing should be fixed. No version in advance. He worked by shaping performances with the dancers.

13. Ankoku butō = the dance of the darkness. [la danse des ténèbres]

14. Christine Quoiraud’s note: Min Tanaka transmitted this learning received from Hijikata to us, dancers, first in a workshop situation and then in the use of this practice in performance.

15. Deborah Hay is an American experimental choreographer working in the domain of postmodern dance. She is one of the funding members of the Judson Dance Theater. wikipedia

16. Obon (…) is a fusion of the ancient Japanese belief in ancestral spirits and a Japanese Buddhist custom to honor the spirits of one’s ancestors. wikipedia

17. See Christine Quoiraud’s archives at the CND, Eric Sandrin’s film “Min Tanaka et Maï-Juku”, and by the same author, the film “Milford Graves and the Japanese” on YouTube.

18. Judson Dance Theater was a collective of dancers, composers, and visual artists who performed at the Judson Memorial Church in New York between 1962 and 1964. wikipedia

19. Christine Quoiraud’s note : Min Tanaka often danced to well-known salsa tunes or other very sentimental music.

20. Minoru Noguchi, a musician and composer who worked with Min Tanaka up to today. See Youtube

21. See « Min Tanaka & Maijuku”, documentary part 4/5 (at 2’58 »): Youtube

22. My watchword then was “circuler, circulez” (pass by, go through, let’s move on)