11 consignes partagées en préambule de l’exécution de « Treatise » de Cornelius Cardew, pp.141-162, par Pedro Branco, percussion, José Leitão, piano et Etienne Lamaison, clarinette.
Didier Aschour, version de Treatise de Cornelius Cardew par l’ensemble Dedalus, pp.1-19.
Avant de commencer à jouer à partir de cette partition, nous nous sommes mis d’accord sur les points suivants, sachant que d’autres ont été évoqués et n’ont pas été retenus :
Se laisser provoquer par les formes qui défilent. Prendre les traits et formes comme s’ils étaient en mouvements et que ces tracés en mouvement se transforment en sources d’énergie sonore.
Reconnaitre dans ce que joue l’autre la forme qu’il est en train de « jouer » et y participer, ou au contraire, jouer le reste.
Les graphismes « fermés » sont des contours, à la manière des contours de la bande dessinée. Il nous appartient de les remplir, de leur donner volumes, texture et couleurs.
Il y a un « dessus et un dessous » visuel qui ne correspond pas automatiquement à un «plus aigu, plus grave ». On ne considère pas un axe vertical qui correspondrait exclusivement à des hauteurs. Ça peut être aussi une différence de plan sonore, un « devant et un derrière » comme si, malgré le défilement horizontal de la partition, on pouvait aussi considérer la verticalité, comme dans une image arrêtée, avec les notions de « poids » des formes dans l’espace visuel.
L’axe visuel central et continu n’est rien de plus que la ligne d’horizon et n’a pas de correspondance sonore spécifique.
Individuellement, mais aussi collectivement, ne pas vouloir tout jouer.
Laisser la priorité au temps musical par rapport au temps de défilement de la vidéo. La mémoire visuelle peut permettre de jouer des éléments qui ne sont plus « affichés ».
L’interruption d’une ligne visuelle correspond à une interruption de jeu sonore.
Pour notre version de Treatise, Dedalus était composé de : Amélie Berson, flûte, Deborah Walker, violoncelle, Carole Rieussec, électro-acoustique, Thierry Madiot, trombone, Stéphane Garin, percussions, Didier Aschour, guitares.
Nous avons joué les 19 premières pages. Graphiquement elles forment une section et contiennent principalement des lignes parallèles, convergentes ou divergentes, droites, obliques, courbes, plus ou moins espacées. On y trouve également des chiffres, présents dans tout le reste de la partition. Rétrospectivement, mon goût prononcé pour les sons continus et les répétitions a dû considérablement influencer ce choix des 19 premières pages…
Nous l’avons tout d’abord observée séparément, analysée pendant des mois avant de nous réunir pour lui donner une réalité sonore. Le Treatise Handbook, détaillant le processus d’écriture et surtout les différentes interprétations dirigées par Cardew, fut pour moi un précieux outil.
Nous avons travaillé pendant une résidence de quatre jours aux Instants Chavirés. Je crois qu’à la fin de la première matinée nous avons trouvé une manière de procéder qui nous a fait avancer à grands pas. En fait le travail s’est rapproché du travail d’instrumentation auquel nous sommes déjà habitués avec Dedalus.
Qui joue quoi ?, décidé par chacun en fonction de son “instrument”, ici, il fallait en plus proposer sa propre interprétation des symboles. L’idée était de “réaliser” la partition, de se répartir les éléments graphiques et de les synchroniser.
Finalement, chacun a interprété les symboles en fonction de ses idées musicales. Cela pouvait concerner un type de son pour certains, un registre ou un mode de jeu pour d’autres. Les variations des symboles, par contre unifièrent les différentes interprétations en se rapportant à des durées ou des dynamiques communes.
Dès le début, Carole Rieussec, seule à jouer d’un “instrument” électro-acoustique a pris le parti de réaliser cette ligne. Ce qui a permis aux autres de se positionner par rapport à elle.
Nous avons interprété les chiffres comme nombres de répétition d’un accord, donc cela a conditionné certaines durées. Pour certaines pages, des proportions spatiales nous ont semblé mériter d’être respectées et nous avons fixé des unités de temps.
Première partie : Relations entre le visuel et le sonore
Introduction
La comparaison entre les arts, la complémentarité ou la primauté de l’un sur l’autre est un sujet qui occupe particulièrement la pensée occidentale, sans doute plus que dans d’autres civilisations. Dans un premier temps, il convient en ce sens de resituer l’héritage de la pensée de Saint Augustin en ce qui concerne le rôle que doit occuper l’art selon lui, ce que cette vision a eu comme conséquence sur le développement des diverses formes artistiques et les conséquences sur le discours des artistes pour s’affirmer ou justifier leur pratique créatrice.
Saint Augustin, héritier d’une philosophie néo-platonicienne et s’employant à y introduire une pensée chrétienne, va produire une philosophie de l’art, et de la musique en particulier, imprégnée de concepts anciens et reformulés dans une perspective nouvelle[1]. Il place l’artiste comme celui qui fait de « beaux et harmonieux ouvrages » (Saint Augustin, 388-395, question 78), mais qui restent une imitation imparfaite de la nature. Ils sont faits d’éléments matériels, mais leur « proportion, l’accord des lignes qu’ils impriment par leur corps sur un corps, ils les reçoivent par leur intelligence de cette souveraine Sagesse » (Saint Augustin, 388-395, question 78). Ce qui fait l’objet d’art n’est donc pas sa matérialité, mais ce en quoi il est la trace de la perfection inspirée par le Créateur, Dieu, à l’artiste. Cette immatérialité de l’artistique place la musique comme étant le plus spirituel de tous les arts dans l’esprit de Saint Augustin, mais également comme une science, à l’égal de l’arithmétique, la géométrie ou l’astronomie ; elle serait « une science qui apprend à bien moduler » (Saint Augustin, 388-391, chap. II), moduler étant entendu ici comme ce qui est soumis une « juste mesure », à la « règle ». Reprenant les traditions platoniciennes et pythagoriciennes de calcul des hauteurs sonores et des intervalles, la musique aurait également la particularité d’être un art du nombre, ces mêmes nombres qui régiraient le cosmos. La musique, vue ainsi, serait donc avant tout une connaissance que l’on acquerrait plus par l’étude que par la pratique, elle préexisterait et l’on en découvrirait les lois, des lois universelles semblables à celles qui régiraient le cosmos.
L’art, créateur d’un idéal de beauté inatteignable dans ce monde, devrait découler de l’unité et de l’harmonie entre les parties. L’harmonie dont parle Saint Augustin « est celle qui seule assure à chaque œuvre beauté et intégrité ; l’harmonie à son tour cherche l’égalité et l’unité, soit dans la ressemblance des parties égales, soit dans la proportion des parties inégales » (Saint Augustin, 390, Chapitre XXX, 55).
En unifiant ainsi la pensée artistique grâce à une vérité supérieure, Saint Augustin crée indéniablement les ponts nécessaires à la rencontre entre les diverses formes artistiques. Il n’est pas question de faire un amalgame entre les diverses choses matérielles et la perception que nous en avons :
Mais qui pourra montrer dans les corps l’égalité ou la ressemblance absolue ? Qui osera affirmer, après y avoir bien réfléchi, que chaque corps est véritablement un ? Tous ne changent-ils pas, soit d’espèce, soit de lieu ? Tous ne se composent-ils pas de parties dont chacune occupe sa place, et ces corps ne sont-ils pas ainsi comme divisés par l’espace ? D’ailleurs, l’égalité et la ressemblance véritables, l’unité première et absolue ne sont accessibles ni à notre œil, ni à aucun autre sens ; elles ne tombent que sous le regard de l’esprit. (Saint Augustin, 390, Chapitre XXX, 55)
Lorsque quelques siècles plus tard, Léonard de Vinci s’exprime sur la musique dans son Traité de la peinture, il déclare qu’ « il n’en est pas de la peinture comme de la musique, qui passe en un instant, et qui meurt, pour ainsi dire, aussitôt qu’elle est produite » (De Vinci, 1820, p.18). La question de ce qui différencie les arts ou les rapproche n’est pas réservée à la musique et à la peinture, cette dernière ayant cependant, aux yeux de Da Vinci, une nette primauté sur toutes les autres, due à l’harmonie qu’elle crée sans avoir à se soumettre au temps :
Quand le poète renonce à figurer, au moyen des mots, ce qui existe dans la nature, il n’est plus l’égal du peintre : car si, abandonnant cette description, il reproduit les paroles fleuries et persuasives de celui qu’il veut faire discourir, il deviendra orateur et non plus poète ou peintre. Et s’il parle des cieux, il devient astrologue ; et philosophe ou théologien en dissertant des choses de la nature ou de Dieu. Mais qu’il retourne à la description d’un objet, il serait l’émule du peintre, s’il pouvait avec des mots satisfaire l’œil comme fait avec la couleur et le pinceau le peintre, qui, grâce à eux, crée une harmonie pour l’œil comme la musique. (Da Vinci, cité dans Seris, 2009, p.6)
Faisons encore un saut dans le temps et nous voyons Schoenberg qui considère l’oreille comme étant supérieure, car elle ne s’attarde pas sur ce qui est concret.
Pour beaucoup d’artistes, entremêler les sources d’inspirations fait partie des processus routiniers pour stimuler leur créativité. À la fois, le bon sens de chacun fait comprendre que les expériences auditives et visuelles sont de nature très différente, mais dans le même temps, des associations sont imaginées, désirées, insinuées, créées, entretenues, psychologiquement vécues de manière très forte par certains ; l’illusion d’une immédiateté de correspondances sensorielles paraît opérer naturellement. Du grand mélange enthousiaste des sensations à la différenciation discriminatoire, du mysticisme du rapprochement à la collaboration féconde, de l’hyperspécialisation des disciplines aux répertoires polysémiques, il existe autant de sensibilités que d’êtres humains et ce rapprochement du visuel et de l’auditif en cristallise les positions idéologiques et les expressions qui les accompagnent.
1. Des correspondances contraintes
1.1 Les correspondances linguistiques
Le visuel[2] et l’auditif[3] ont de tout temps eu des relations complexes au point de se rejoindre dans ce qu’on appelle l’audiovisuel. Non que ce rapprochement linguistique puisse signifier une osmose d’un couple enfin réconcilié, car les techniques qui les rassemblent réalisent plus une cohabitation profitable à une fin qui leur échappe (par exemple raconter une histoire dans un film ou dans un « spectacle-son-et-lumière »). Il ne s’agit donc pas vraiment d’une pratique artistique qui considérerait chacun au même niveau, avec ses particularités. Pourtant, une pratique dans laquelle le visuel et l’auditif participeraient dans un même élan à une expression commune a souvent été recherchée par les artistes.
Il existe, dans nos sociétés occidentales, un fort cloisonnement entre ces deux disciplines ; l’une serait l’art de l’espace, les arts visuels (les arts plastiques), et l’autre serait l’art de la durée, les arts auditifs (la musique). Les lieux d’enseignement de ces disciplines sont le plus souvent séparés et obéissent à des logiques pédagogiques qui ont peu de choses en commun. Rares sont les institutions qui favorisent les rencontres des disciplines, des artistes et de leurs publics. Les artistes ayant touché à plus qu’une discipline sont suffisamment rares pour être relevés en tant que tels, comme des êtres hors du commun. Malgré tout cela, les partitions graphiques sont une de ces manifestations où une intersection se produit, tout comme le théâtre musical rejoint parfois les classes de percussions, les classes de chant organisent une formation d’acteur, les installations d’art plastique deviennent parfois « sculptures sonores », les classes de danse font appel à des musiciens improvisateurs sensibles aux expressions corporelles, etc. Le cloisonnement ne saurait être étanche, malgré les institutions.
Le vocabulaire lui-même contient un grand nombre de mots qui sont communs à ces deux formes d’expression : ton, nuance, harmonie, rythme, couleur, variation, ligne, courbe, contrepoint, espace, chromatique, accorder, forme en arche, chaud, froid, brillant, et bien d’autres encore, plus spécifiques, comme la Klangfarbenmelodie (mélodie de couleur sonore). Ces termes créent des ponts, voulus ou malgré eux, entre l’un ou l’autre de ces domaines. Tous ces termes correspondent à des réalités qui n’ont le plus souvent rien à voir les unes avec les autres. Prenons par exemple nuance qui est souvent utilisé en musique pour parler de variations des intensités sonores, alors qu’au niveau visuel, elle désigne les degrés par lesquels peut passer une couleur, du plus pâle au plus foncé, en conservant le nom qui la distingue des autres. Si dans le premier cas il s’agit de l’amplitude de l’onde sonore, dans l’autre cas il s’agit d’une variation du spectre lumineux, pas de son intensité. Prenons un autre mot comme celui de ligne. La ligne visuelle est continue, sinon il serait spécifié dans la plupart des cas qu’elle est discontinue ou pointillée, ou autres termes appropriés ; alors que la ligne mélodique peut être discontinue dans tous ses paramètres, fréquence (le passage d’une note à l’autre se fait rarement pas glissement continu de fréquence), dynamique (tout instrument à sons percutés, à commencer par le piano, introduit une discontinuité dynamique dans le passage d’un son à l’autre), timbre (la Klangfarbenmelodie en est un exemple type), et même des interruptions (des silences) ne suffisent pas à rompre l’idée de ligne mélodique sans que personne n’ait besoin de spécifier par un qualificatif sa continuité ou non. Nous pourrions prendre tous les mots énumérés ci-dessus et vérifier que les correspondances n’en sont pas. Elles sont une vue de l’esprit, des traits de notre imagination individuelle ou collective.
1.2 L’impasse des machines de transformation
Avant même le rêve d’une œuvre d’art total qui nourrit les ambitions romantiques, l’idée que le son et l’image puissent concourir à une même expression dans une symbiose absolue avait déjà alimenté des élucubrations telles que celle du père Louis-Bertrand Castel, en 1725 : un clavecin pour les yeux, dont l’idée annoncée était bien de
peindre ce son et toute la musique dont il est capable ; de les peindre, dis-je réellement, ce qui s’appelle peindre, avec des couleurs, et avec leurs propres couleurs ; en un mot, de les rendre sensibles et présents aux yeux, comme ils le sont aux oreilles de manière qu’un sourd puisse jouir et juger de la beauté d’une musique […] et qu’un aveugle puisse juger par les oreilles de la beauté des couleurs. (Warszawski, 1999)
Nous ne rentrerons pas en détail sur le fonctionnement qu’aurait dû avoir cette machine si elle avait vu le jour[4], ni sur les motivations diverses (scientifiques, artistiques et socio-historiques) qui ont conduit à l’imaginer. Ce qui nous intéresse ici est plutôt de relever les impasses dans lesquelles se fourvoient ce genre de projets qui pourtant ne cessent de voir le jour.
La première impasse est une impasse d’ordre physique qui concerne les ondes. Il est entendu que le son et la lumière sont des ondes et que par conséquent on retrouve des natures analogues : leur propagation est rectiligne et uniforme, elles se réfléchissent sur un obstacle, on observe des phénomènes d’interférences, de réfraction, de « mirage », etc. Il n’en reste pas moins que le son est une onde mécanique. Cette onde a donc besoin d’un milieu matériel qu’elle va déformer pour se propager, alors que l’onde lumineuse est électromagnétique et ne nécessite pas de milieu pour se propager. Leurs vitesses de propagation sont très différentes, beaucoup plus rapide dans le cas de la lumière. Les longueurs d’ondes contribuent à les différencier également : les effets de diffraction sont beaucoup plus importants pour les longueurs d’onde relativement petites comme celles du son que pour la lumière. Localiser un son sera pour cette raison moins précis. On parle difficilement de rayon sonore car ses conditions d’existence ne font pas partie de nos expériences quotidiennes : notre monde nous fournit plus d’images lumineuses que d’images sonores. Un « reflet sonore », c’est-à-dire la réflexion d’un son sur une paroi de manière à retrouver ce même son dans un autre point de l’espace avec quasiment les mêmes caractéristiques, est en réalité très rare et demande une architecture spécifique, comme cela arrive avec certaines voûtes (couvent, métro parisien). Mais en général, le son dans une pièce se reflète contre toutes les parois ; on a donc une multitude d’échos plutôt qu’une image unique. Notons au passage que les processus de transformation mélodique « en miroir » (mouvement rétrograde) concernent le miroir de l’écriture de la mélodie, en aucun cas du son.
La seconde impasse concerne nos perceptions du son et de la lumière qui sont différentes : entre les organes de l’ouïe et de la vision, les traitements des informations par le cerveau sont différents. L’œil, pour percevoir les couleurs (c’est-à-dire les fréquences des ondes qui lui parviennent) dispose de cellules spécifiques à la vision colorée : les cônes. Ceux-ci sont de trois sortes et de ce fait, l’information sur le spectre d’une lumière polychromatique va être traduite par les cônes par trois paramètres seulement. La somme de deux lumières de couleurs différentes est perçue comme une troisième couleur : on n’arrive pas à percevoir les fréquences composant le mélange, mais seulement une fréquence dont l’effet est équivalent pour nos yeux. A contrario, l’oreille dispose de milliers de cellules ciliées de sensibilités différentes. Ces nombreuses cellules permettent une bien plus grande discrimination en fréquence que les trois sortes de cônes de l’œil. Ainsi, l’oreille ne perçoit pas seulement une « résultante » de l’ensemble des fréquences composant un son mais est capable d’entendre le spectre d’un mélange de plusieurs fréquences sonores. Les orchestres n’auraient plus grand sens si un mélange de notes était perçu comme une note unique, de la même façon qu’un mélange de couleurs différentes est perçu comme une unique couleur résultant de « l’addition » de ces couleurs.
Si l’oreille semble supérieure à l’œil lorsqu’on considère son aptitude à discerner des fréquences différentes, elle lui est par contre très inférieure en ce qui concerne la perception de l’espace. La rétine dispose d’un très grand nombre de capteurs permettant d’obtenir une information spatiale sur les sources lumineuses. Un œil unique est capable de discerner un déplacement de 1 millimètre à 4 mètres. Une oreille unique ne possède aucun capteur de l’origine spatiale d’un son. Cependant trois informations (différence de temps interaural, déphasage et atténuation) contribuent à identifier l’angle que fait la source sonore avec l’axe des oreilles et permettent ainsi une estimation de la localisation d’origine d’un son, complétées par d’autres stratégies qui ne seront pas développées ici. Notons au passage que cette localisation spatiale est plus fine pour les sons qui nous viennent de devant et des côtés que pour les sons qui viennent de derrière.
De plus, lorsque les informations provenant de notre vue et celles de notre ouïe sont en conflit, celles en provenance de notre vue tendent à dominer. À ce titre, on peut avoir regardé un film sans se souvenir de la musique qui l’accompagnait.
La troisième impasse est d’ordre symbolique : pour qu’il y ait traduction d’un langage à l’autre, faudrait-il encore que nous ayons affaire à des systèmes symboliques. Or si l’écriture de la musique en est un, la musique en elle-même n’en est pas un. On pourrait imaginer des associations de symboles de domaines différents, mais qui risquent d’être relativement limitées et rares (image de cheval/son du galop), ou inexistantes (quel est le son d’une selle de cheval). Ceci ne signifie pas que l’on ne puisse construire un langage avec les sons (c’est d’ailleurs ce qui se passe avec les mots !). Mais si l’on cherche à court-circuiter l’impasse physique précédente en soutenant qu’il pourrait y avoir correspondance de symbole entre le visuel et l’auditif et que, par conséquent, c’est ce symbole qui serait exprimé, on oublie qu’on est en train de prendre la question à contre-sens : celui où un système symbolique préétabli autorise la production d’une expression ou d’une représentation, et non le sens où une expression/représentation produirait une autre expression/représentation au travers d’un langage.
La quatrième impasse est liée à l’idée d’œuvre, tant plastique que musicale. L’œuvre d’art, qu’elle suive l’étendue de l’espace ou se succède dans le temps, n’est pas une suite d’éléments juxtaposés ou successifs. Elle est une forme composée, unique, en partie ineffable, qui ne peut se traduire que de manière imparfaite et partielle.
Ceci étant éclairci, continuons donc notre inventaire de machines de transformation : Scriabine en son temps a également conçu un orgue de lumière pour projeter au rythme de l’évolution musicale des faisceaux lumineux prédéterminés dans la partition par des encres aux couleurs correspondantes. Depuis, nombre d’instruments ont été imaginés, tel l’optophone. La théorie sur l’optophonie a consisté à montrer l’équivalence des phénomènes optiques et sonores, et la transformation automatique des vibrations de la lumière et du son est établie en 1922 par Raoul Haussmann; Claude Bagdon[5] avait son propre orgue-à-couleurs quand il donna des concerts en 1915 et 1916 alors que Thomas Wilfred développa son premier Clavilux en 1921, cherchant avant tout l’autonomie imaginative de ce médium quadridimensionnel, avec une préoccupation d’immatérialité de l’image, d’une « couleur sans forme » qui serait « une âme sans le corps » (T. Wilfred, cité par Cage, 1993, p.246), telle la lumière produite par les vitraux des cathédrales. D’autres encore cherchent d’autres rapports entre le son et la lumière, et depuis Xenakis (Polytopes) à Montréal en 1967 et Paris (musée de Cluny) en 1972, les créations lumières et/ou vidéos de certains spectacles musicaux sont de véritables contrepoints réciproques (Miroglio parle de « conjonction » entre ces disciplines artistiques). Des spectacles de lumières (plus connus sous l’appellation anglaise de light-show) sont conçus sans pour autant rallier ce que Daniel Charles (1989-88, p.99) propose sous l’appellation d’œuvres « intermédias[6] », c’est-à-dire des œuvres qui « poursuivent l’interdépendance rigoureuse des diverses composantes »
Dans un autre registre que celui de la lumière colorée en mouvement, ce qui était alors appelé tablettes graphiques sont d’autres machines qui associent le visuel au sonore. Leurs programmes permettent des transformations directes d’images ou de graphiques en sons. Après « l’UPIC », tablette graphique à la base d’un outil de composition musicale assisté par ordinateur inventé par Xenakis, d’autres programmes lui ont succédé dont « IanniX » et « HighC », qui permettent de dessiner des formes qui seront rattachées à des sons. Il existe même de petites applications, dont « The vOICe », qui permettent de charger une image digitale quelconque (une photo de portrait, un dessin de paysage, etc.) et qui va « jouer » cette image. Il va sans dire que tous ces programmes ont une lecture dont l’axe horizontal est le temps ; ils « lisent » la succession du déroulement des traits, un trait fin horizontal correspondant à une fréquence tenue dans le temps, alors que le même trait fin vertical correspondra à un cluster bref et le même en oblique correspondra à un glissando. S’il y a une indéniable visualisation d’éléments sonores et/ou sonorisation d’éléments visuels, on est encore loin d’une quelconque correspondance : notre œil « photographie » l’image, et l’analyse qu’il en extrait, la description qu’il fait des éléments qui la constituent, ne suit en aucun cas un axe de lecture horizontal avec le temps en abscisse, les hauteurs en ordonnée. Qu’en est-il du reste des éléments de l’image, des couleurs, des textures ? La technique avançant, elle n’offre pas encore de solutions aux questions des divergences perceptives et compositionnelles du sonore et du visuel. Nous verrons qu’il faudra aller encore beaucoup plus loin pour comprendre en quoi la musique et sa relation avec une expression visuelle ne peut se réduire dans un programme d’intelligence artificielle, aussi développé qu’il soit.
1.3 D’étranges paramètres d’images-sons
La préoccupation de notre sujet est essentiellement de savoir ce qu’un musicien trouve lorsqu’il est confronté à une image visuelle. Nous considérerons donc essentiellement le sens du visuel vers l’auditif sans toutefois nous empêcher quelques allers-retours dans le sens inverse. Nous ne traiterons donc pas particulièrement des œuvres musicales inspirées par des œuvres graphiques.
S’il est certain que les considérations paramétriques du son s’adaptaient mal à la réalité sonore, acoustique et à l’expression musicale, de même, d’autres outils différents de ceux habituellement mis en avant dans l’écriture standard étaient souhaitables afin de pouvoir manipuler des éléments adéquats aux finalités d’exploration de ces situations sonores. Il en est de même au niveau visuel : les progrès en optique ont montré (Massaux, 2006) que l’examen de l’effet produit par des formes visuelles sur une surface (un graphisme) ne peut se réduire à l’observation des couleurs et des formes (points, lignes, surfaces). Dans cette section, nous allons voir comment ces jugements paramétriques se retrouvent dans le langage des artistes, parfois érigés en vérité absolue, mais le plus souvent fruit de leur imagination et de leur immersion dans leurs pratiques. Il faut ne les prendre que pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire rien de plus que des verbalisations, nécessaires certes, mais nécessairement réductrices d’expériences esthétiques vécues. À ce sujet, Kandinsky (1926, p.37) fait la distinction, utile selon nous,
[…] entre élément et « élément », en comprenant par « élément » la forme dépourvue de tension, et par élément la tension contenue dans cette forme. Ainsi les éléments sont abstraits, au sens profond, et la forme même est « abstraite ». S’il était effectivement possible de travailler avec des éléments abstraits, la forme extérieure de la peinture contemporaine changerait profondément, ce qui ne signifierait pas que toute peinture deviendrait superflue : car même les éléments picturaux abstraits garderaient leur valeur picturale, tout comme les éléments de la musique.
Opérant ainsi, Kandinsky ouvre la possibilité, et pas seulement aux œuvres abstraites, que l’expression des arts plastiques ne soit pas dépendante d’un langage symbolique lié aux formes qu’elle présente.
Analysons donc maintenant quelques paramètres pour leur pertinence de passage entre le visuel et l’auditif, pour vérifier quelles limites ils imposent, ou, au contraire, quelles ouvertures ils imposent à la considération de ceux qui s’en emparent.
1.3.1 Les temporalités de l’image du son
Il existe divers temps de lecture d’une image, entre le moment où on en perçoit ses divers aspects, le temps de compréhension et celui de construction du sens. Ces temps peuvent se superposer, avoir des durées instantanées ou très longues et être plus ou moins stimulés par leurs auteurs. Nous avons par exemple celui de Paul Klee qui recherche, dans la composition d’un tableau, une temporalité « rythmée » par des motifs.
Kandinsky parle de la brièveté d’un point, du minimum de temps nécessaire à sa perception « de sorte que l’élément temps est presque exclu du point » (Kandinsky, 1911, p.37). C’est presque son « temps » qui donnerait au point sa définition visuelle, plus que sa taille ou ses caractéristiques graphiques (dimension, forme, couleur) dans le sens où celles-ci peuvent être fort variables suivant le contexte[7].
Notons en guise de transition avec la ligne, que « le pointillisme musical, la musique sans mélodie (évacuant par là même ce qui est devenu une manière de sixième sens !) » (von der Weid, 2012, p.23) avait pour but de se débarrasser de toute syntaxe[8] qui reliait les sons entre eux, de les isoler, ou plutôt de les rendre autonomes les uns des autres dans le temps et dans l’espace. Pour cela, il fallait que ces points sonores ne constituent plus des mélodies, des lignes sonores.
La notion de temps va se retrouver dans l’imaginaire traçant des lignes dont les vitesses vont pouvoir varier. Kandinsky estime que « l’élément temps est en général plus perceptible dans la ligne que dans le point » (Kandinsky, 1911, p. 117). Il semblerait pour cela que la longueur, l’orientation et la courbure conditionnent la temporalité de la ligne qui offre ainsi une plus grande diversité d’expression. Ce point de vue sur la temporalité de la ligne se complexifie dès qu’on lui considère d’autres aspects comme l’épaisseur de la ligne que Kandinsky attribue très curieusement à un couple instrument/tessiture et non à un attribut de vitesse/accélération ou d’intensité ou hauteur, comme on aurait pu s’y attendre[9]. Kandinsky (1926, p. 117-118) estime que
[…] le caractère de la ligne trouve une transposition plus ou moins précise dans les autres arts. […] La plupart des instruments de musique correspondent au caractère linéaire. Le volume du son des différents instruments correspond à l’épaisseur de la ligne : le violon, la flûte, le piccolo produisent une ligne très mince ; d’une ligne plus épaisse – produite par [l’alto] et la clarinette – nous arrivons par les sons les plus graves de la contrebasse et du tuba jusqu’aux lignes les plus épaisses.
Pourtant, dans cette logique, on pourrait considérer que la flûte dans le grave ait une épaisseur certaine. C’est un autre problème de ce genre de propos que de réduire un instrument à une sonorité type, qui ne révèle qu’un aspect trop restreint de sa réalité, et qui, par ce fait, introduit une unicité là où il n’y a que multiplicité et complexité. Ce qui serait valide pour un instrument seul, perdrait aussitôt tout fondement dès qu’il serait agencé avec un autre ou plusieurs autres. Nous supposons encore une fois que cette situation puisse être un des résultats de la manière dont l’écriture standard apparaît non seulement dans sa graphie, mais aussi dans son mode de fonctionnement.
Delaunay fut également un peintre pour qui la notion de temps musical était un critère de comparaison valable lorsqu’il évoque le rythme que les interpénétrations de ses disques simultanés provoquent comme mouvement rotatif et déplacement de l’œil d’un cercle coloré à l’autre. Gérard Denizeau (1995, p. 225) ressent dans ce contexte le rapport de deux couleurs en termes de « simultanéité harmonique » ou en termes de « juxtaposition mélodique ».
La transformation imaginaire des structures visuelles et de l’espace en temps et succession d’événements musicaux constitue un processus courant des façons de penser ce rapport du visuel au sonore. Elle est à l’origine de bien des sources d’analogies qui ouvrent aux partitions graphiques son champ d’activité. Elle transforme la pensée du musical et du pictural. Messiaen s’enthousiasme de cette transformation enfin possible : « La musique est un perpétuel dialogue entre l’espace et le temps […], dialogue qui aboutit à une unification : le Temps est un espace […], l’espace est un complexe de temps superposés » (Messiaen, cité par von der Weid, 2012, p.145). Donatoni exprime un enthousiasme du même ordre, mais plus lié à sa pratique : « si je pense le signe, je pense le signe du son ; si je pense le son, je pense le son du signe » (von der Weid, 2012, p.175). Ainsi une structure aux multiples facettes peut apparaître dans des graphies comme celles que le cubisme aurait pu réaliser et qu’aucune notation ne permet d’appréhender puisqu’il s’agit de simultanéité d’aspects d’un même objet, tels les éclats d’un miroir ou d’un kaléidoscope. Il s’agirait dans ce cas de se concentrer sur la perception et non pas sur la cognition, comme le suggère Slavek Kwi.
La dimension monumentale de certaines toiles a souvent pour but d’intégrer le spectateur au tableau comme chez Rothko par exemple (voir figure 1), ou stimuler une circulation du regard chez Pollock (voir figure 2), un procédé qui peut contraindre à des regards parcellaires de la toile souvent flanquées d’une pléthore d’éléments. « D’où recours à la notion de durée propre à la musique, l’œil se déplaçant dans l’espace » (Sabatier, 1998, p.666). Cette notion temporelle de la peinture qui se manifeste autant par sa forme d’exécution qu’au moment de sa contemplation, semble avoir touché plus particulièrement les peintres qui ont été assimilés à l’expressionnisme abstrait. On y trouve des temporalités extrêmes telles celles de l’action painting (peinture active) ou celle méditative de la mouvance qualifiée des colorfield painting (champs colorés).
Figure 1 : Mark Rothko, nº 61
Figure 2 : Jackson Pollock, 1948, Silver over black, white, yellow and red
Alors que l’art graphique est souvent dynamique, il incarne en maintes occasions cette notion du temps figé que nous avions vue chez Klee et que l’on retrouve, avec le point de vue d’un musicien, chez Brian Ferneyhough (cité par Von der Weid, 2012, p.36) :
À l’origine de ces reflets sonores d’images visuelles, aucune fredaine illustrative, mais toujours une espèce d’image interne, fréquemment une sensation de temps figé sur quelque chose qui se tient à l’extérieur, à l’écart du temps (ou qui, peut-être, n’existe pas dans le temps subjectif d’observation de mon imagination). Souvent, on ressent d’abord des processus possibles, comme des constructions baroques, de leviers et de pivots qui inclinent le caillot du temps d’un côté ou de l’autre. L’acte de transférer cette image en notes représentant un certain laps de temps (écrites elles-mêmes dans un laps de temps réel éventuellement assez différent) finit inévitablement par générer un objet complètement différent.
Les considérations temporelles ne sont pas toutes le fait de l’intention de l’artiste ou de la forme prise par l’objet graphique, d’autres viennent du spectateur qui pense au travers de ses sens. Il crée sa propre durée, ses rythmes et ses structures perceptives. La construction de son émotion, l’épanouissement de sa sensibilité ont une durée. La compréhension sensible a une durée[10] qui peut varier du coup-de-foudre à toute-une-vie ; et ceci est valide aussi bien pour une image qui nous accompagne dans nos pensées que pour une musique qu’on aurait écoutée une seule fois et dont on aurait gardé en mémoire une sorte d’image instantanée. Car le temps qui est n’est pas le temps qui passe.
1.3.2 Le silence de l’absence ou l’absence de silence
Le silence paraît une évidence en musique, et même une condition nécessaire à son existence, alors que nous savons que le silence absolu du vide intersidéral aurait plutôt tendance à réveiller en nous des angoisses de mort. Si Cage nous fait la démonstration du pouvoir expressif de ce non-silence dans ses 4’33’’, un de ses amis, Dick Higgins, que nous avons déjà mentionné comme étant le créateur de la notion d’intermédia, crée la composition Danger Music #6, qui ne consiste que dans son titre ; une musique, une vision, une méditation ( ?) qui inviterait à penser que même l’absence apparente n’est pas rien. Le cri silencieux de Munch n’est-il pas plus assourdissant et désespéré précisément à cause de son absence acoustique ? Et le Tristan de Wagner, avant de mourir, n’entend-il pas la lumière ?[11]
Le blanc de la page, l’absence de trace, ne représente pas l’absence ; l’absence n’est pas rien car elle suppose une présence qui n’est pas. Le carré Blanc sur fond blanc de Malevitch est une trace et quand bien même elle n’existerait plus, à l’instar de Cage, le principe des imperfections « rend une feuille [de papier] plus importante qu’une autre parce que chaque feuille a les siennes propres. […] Je me donne une durée pour rechercher des imperfections […] » (Cage, cité par Bosseur, 1992, p.128). De même qu’il y existe des jeux d’ombres et de lumières sur une feuille blanche, le silence contient ses mouvements subtils. De même que la trace entrecoupée ou interrompue ne s’arrête pas à sa limite, le son suspendu ne s’interrompt pas dans le silence du néant, mais dans une mémoire active qui n’est pas vide de sons. Et de même que la trace peut représenter une harmonie silencieuse, Jean-Jacques Rousseau relève que « le silence entre dans nombre des grands tableaux de la Musique » (Von der Weid, 2012, p.13).
Là encore, l’analogie s’arrête en chemin car il est plus facile de faire le noir que le silence absolu. De plus, nos paupières nous permettent d’interrompre instantanément notre vision, on peut non seulement ne pas regarder, mais ne pas voir alors que nos oreilles sont condamnées, si ce n’est à écouter, du moins à entendre. L’expression silencieuse ne peut être un processus, elle est un fait vécu.
1.3.3 Les couleurs
Nous avons déjà évoqué les couleurs à propos de la lumière et des délires d’incohérences que provoquaient leur association directe et systématique avec des hauteurs sonores ou des timbres. Dans le même registre, le compositeur italien Salvatore Sciarrino raconte comment il explique l’origine de sa perception synesthésique par la couleur des instruments :
Pour quelle raison les sonorités d’un violon sont-elles rouges ? La teinte des violons est rougeâtre. Donc il est possible que de semblables relations influencent la perception de quelques couleurs, et que cette expérience ne soit pas seulement individuelle mais sociale. Pour quelle raison le Mi majeur est-il doré ? Est-ce à cause du son doré du clavecin, ou parce que la première fois que l’on a expérimenté cette association, cette lumière dorée nous a éblouis ? (Sciarrino, cité par Von der Weid, 2012, p.36).
Dans cette section, nous nous devons également de mentionner Olivier Messiaen qui affirme qu’il « essaie de traduire en musique des couleurs », même s’il n’a pas composé d’œuvre en puisant son inspiration dans la contemplation des couleurs d’une toile.
Certaines sonorités sont liées pour moi à certains complexes de couleurs […]. Les deux principaux modes [à transposition limitée] sont liés pour moi à des colorations très précises : le mode nº2, dans sa première transposition, tourne autour de certains violets, de certains bleus et du pourpre violacé, tandis que le mode nº3, dans sa première transposition, correspond à un orangé avec pigmentations rouges et vertes, des taches d’or, et aussi un blanc laiteux aux reflets irisés comme des opales. (Messiaen cité par Samuel, 1999, p.66)
Que cette prédisposition paraisse stimuler un imaginaire pour certains, c’est indéniable. Mais il parait difficilement possible de pouvoir se baser dessus pour un quelconque travail musical à partir d’images, bien que Messiaen persiste à ajouter, à cette époque, que cette correspondance du son et de la couleur « repose sur une vérité scientifique altérée par la personnalité de celui qui subit le phénomène, à laquelle s’ajoute aussi une part d’imagination, d’influence littéraire très difficile à déceler »[12] (Messiaen cité par Samuel, 1999, p.66).
Des codes de couleurs continuent à alimenter certaines partitions graphiques (voir figure 3 ci-dessous), une manière de permettre une lecture facile, sans apprentissage du solfège, à l’égal de ce que l’on trouve dans certaines méthodes infantiles. Cage a recours également à un code de couleurs dans son Aria (voir figure 4) où les couleurs surlignent les courbes tracées en noir et doivent correspondre à des modes de chant que le chanteur devra définir en fonction de celles-ci.
Figure 3 : Steve Roden, Pavilion score #2, 2005
Pourtant, on sait que les couleurs ont un pouvoir expressif très riche et complexe dans tous les domaines des arts graphiques et il serait regrettable de réduire leur utilisation à une fonctionnalité pratique ou d’application systématique ; elles peuvent être des plus stimulatrices aux sensibilités émotionnelles. À considérer la couleur comme un paramètre du visuel, on retrouve au niveau des arts graphiques la situation précédemment évoquée lorsqu’on parlait des paramètres musicaux que l’écriture musicale dissociait et surtout hiérarchisait ; la couleur est indissociable des autres éléments visuels, le point, la ligne, la surface, l’espace, la texture, la brillance, etc. Une notation picturale n’a pas eu lieu et c’est peut-être cela qui fait qu’on n’a pas assisté à cette paramétrisation hiérarchisée du pictural. Les formes colorées ne prennent leur sens que dans leur totalité.
1.3.4 L’espace, le plan, la ligne et la touche
L’exercice de dissociation d’éléments picturaux et leur association avec des éléments musicaux également dissociés est nécessairement périlleux. Boulez s’y exerce à propos de Klee en ce qui concerne la dichotomie entre l’espace et le temps. Lorsque Boulez, avec une intention très pédagogique, propose d’expliquer la notion de rythme pictural, il le fait en comparaison avec le rythme musical. Il souligne que la perception du temps musical ne se fait pas sur la base de la durée totale d’un morceau (dont la conscience du « temps qui passe » reste floue), mais se fait par rapport à des pulsations (régulières ou irrégulières), et autres unités de temps assez petites, qui permettent de concevoir le temps en plus ou moins petits modules sonores qu’on mettra en relations les uns avec les autres pour déterminer leur organisation. « La pulsation […] aide à mesurer le temps comme le module de l’espace permet de concevoir la distance » (Boulez, 1989, p.84). On voit là encore un passage ouvert entre l’organisation de l’espace et l’organisation temporelle. Pourtant, Boulez dégage l’une de l’autre, ainsi que les dangers encourus par un tel amalgame de transposition directe : il relève qu’on appréhende un tableau même grand, dans un premier temps, d’un seul regard, et que ce n’est qu’après que l’œil circule et s’attarde sur des modules plus petits. Alors qu’en musique, la perception est inverse puisque ce sont les rapports des instants avec les autres instants qui vont nous permettre de vérifier rétrospectivement les relations temporelles et comment on est passé d’un point à un autre. « En arrivant à l’aboutissement on a enfin une vue globale, mais c’est une vue globale virtuelle. La vue globale du tableau, elle est une vue réelle, et sa vue divisée une vue presque virtuelle puisque l’on est contraint de l’isoler » (Boulez, 1989, p.86). Une composition picturale ne peut d’aucune manière fonctionner comme une composition musicale. Ce n’est que l’imaginaire rétrospectif qui va autoriser des reconstitutions temporelles architecturales et spatiales, mais aussi « les harmoniques des étagements d’odeurs, les préhensions tactiles, les sonorités en mouvement, […] dans une forme de carrousel polysensoriel d’un tranquille […] délire » (Boulez, 1989, p.39).
Selon Milan Knizak (cité par Bosseur, 1992, pp. 55-61), son expérience de développer des procédures de transformations qui n’ont pas de rationalité, ainsi que le fait d’accepter de créer des dispositifs qui ne contrôlent pas tous les sens, d’avoir du bonheur à se laisser surprendre par le résultat d’opérations insensées, peut être une méthode efficace pour stimuler un imaginaire autre, une manière de penser différente. Par exemple on peut « jouer une maison, ou un immeuble » comme le suggère Knizak, simplement en attribuant à chacun des trois axes de l’espace un paramètre sonore. Cela lui a permis de jouer des choses qu’il n’«aurait pas imaginées de lui-même ». Il déclare que cela fut pour lui une expérience déterminante pour pouvoir opérer n’importe quel transfert entre les différents médias. Ensuite, non seulement il avait la capacité de regarder les choses qui l’entouraient d’une autre manière, ou plutôt, d’autres manières, mais cela l’a conduit également à une autre étape consistant à « jouer des musiques pensées » ou « musiques intuitives ». Ces musiques consistent à imaginer des musiques impossibles à jouer, par exemple, « la musique qui est sous mes ongles » (Bosseur, 1992, p. 56). Là, ne se pose pas la question de savoir si on pourra l’entendre un jour, mais seulement de l’imaginer. Knizak se demande juste si « c’est nécessaire à ce moment précis » (Bosseur, 1992, p. 56). Ces expériences laisseront une trace ou non, mais le caractère abstrait de la musique fait qu’elle possède, selon lui, quelque chose d’intouchable, et que l’objet seul, suggérant une musique dans l’imaginaire de celui qui le contemple, peut provoquer la plus forte des musiques intérieures. Or tout support musical est un objet visuel, que ce soit un instrument ou un support de mémorisation ; la musique est donc nécessairement quelque chose de très abstrait selon lui, mais en relation avec quelque chose de tangible ; « là réside peut-être le lien entre la musique et les êtres humains », conclut Knizak (Bosseur, 1992, p. 61).
Dans le domaine de la perspective, Boulez cite un exemple qu’il tire du deuxième mouvement, Jeux de vagues de la Mer de Debussy. Il doit là aussi exister des processus de transformation imaginaires sonores/visuels qui doivent être à l’œuvre, car Boulez décèle des figures mélodiques ondulatoires jouées à une certaine vitesse auxquelles se superposent d’autres figures, mais plus rapides. Boulez estime que « sans que le musicien ait voulu jouer de manière expresse sur une perspective musicale, celle-ci a été créée » (Boulez, 1989, p.72). Des solutions du même ordre peuvent se rencontrer dans d’autres musiques de Debussy, mais aussi chez Stravinsky, notamment dans la 2ème pièce des trois poésies de la lyrique japonaise, alors qu’il avait lui-même remarqué dans l’art de l’estampe japonaise de fortes analogies « entre la solution graphique des problèmes de la perspective et des volumes qu’on y voit et la musique » (Stravinsky, cité dans Von der Weid, 2012, p.23).
Examinons maintenant la relation plan visuel / plan sonore : ce qui est présenté sur le même plan est dans bien des cas ce qui est symboliquement simultané. C’est le cas dans les arts graphiques, mais le théâtre joue aussi de cet artifice. Au niveau visuel cela semble couler de source : les arts graphiques, par principe inhérent, présentent leurs éléments au spectateur dans une simultanéité (relative, nous en avons déjà discuté). Mais, alors que l’illusion d’espace en musique peut être donnée par des plans sonores différenciés (au moyen des artifices de différenciations de registres, de timbres, de dynamiques, de textures, etc.), les arts visuels semblent envier à la musique une autre simultanéité qui concerne la polyphonie, c’est-à-dire suivre plusieurs idées, complémentaires ou non, en simultané. Il s’agit là d’une simultanéité qui n’opère pas dans l’instant, mais dans la durée et l’évolution de celle-ci. Klee fait revenir le mot polyphonie dans plusieurs de ses titres, et bien que la polyphonie soit un phénomène que l’on retrouve dans beaucoup de domaines, ce point nous a semblé un fait suffisamment remarquable pour être mentionné. Cette manière d’aborder le visuel et le sonore dans certains cas peut stimuler notre forme de penser et d’imaginer.
Le concept de densité est également un concept dont la transposition d’un domaine à l’autre peut apparaître comme une évidence. Xenakis le mentionne par rapport à sa double préoccupation d’architecture et de musique ; un nombre de point par unité de longueur dans le cas de la première, ou par unité de temps et/ou de rythme, dans le cas de la seconde : « une densité forte qui peut aller à une densité faible – une façon de jouer sur les intensités. » (Xenakis cité par Bosseur 1989, p.48) Pourtant, la densité en musique n’est pas aussi dépendante du temps que d’autres aspects musicaux : une sonorité possède en elle-même une densité ; une texture sonore homogène dont la densité varierait n’aurait pas besoin de plus de temps que le temps nécessaire pour que cette variation soit notable, à la différence par exemple de la variation d’un motif rythmique dont il faut attendre les énoncés intégraux pour en avoir la perception. La densité d’un nuage de points dans l’espace est perceptible au premier regard ; si cette densité est forte, elle n’aura besoin que de très peu d’espace, si elle est faible, elle aura besoin de plus d’espace ; tout comme la densité d’une texture sonore homogène (telle que l’on en trouve chez Ligeti, dans la corrente du Kammerkonzert par exemple) n’aura besoin que de peu de temps pour être comprise si sa densité est forte, alors qu’il lui en sera nécessaire de plus si elle est faible. C’est sans doute en ce sens que Francis Miroglio considère la sonorité comme « un des ponts les plus importants sur lequel peuvent se rejoindre le visuel et l’auditif » (Bosseur 1989, p.24).
Nous finirons notre passage en revue de quelques-uns des divers éléments des arts graphiques par la touche qui, au-delà de la brièveté déjà mentionnée du point, fonctionne, du fait de son mouvement, de son accumulation et de sa juxtaposition avec ses congénères, comme un mode vibratoire : vibration de la lumière, vibration de la surface, vibration de la texture et de la matière plastique, vibration des reflets. Tant de vibrations ne peuvent qu’entrer en résonance avec les vibrations sonores pour qu’elles s’en fassent leur écho. Ces vibrations visuelles peuvent être bien réelles, mais sont parfois le fruit de notre imaginaire, parfois des illusions que nous souhaitons cultiver, mais peuvent être plus que cela : un effet d’optique que notre cerveau produit pour mieux nous rendre compte des réalités dont nous avons besoin pour comprendre notre entourage ou en jouir. Debussy reprendra le procédé à son compte puisqu’il compose de la même façon, par juxtapositions de petites touches vibratoires de notes, imprévisibles, subtiles, libérant le temps, donnant l’illusion, par la combinaison d’accords sans logique harmonique discursive, d’instants en mouvement, du flux dans le fixe[13]. S’il a été qualifié de compositeur impressionniste pour avoir procédé de cette manière, il nous semble que ce n’est pas tant pour donner l’impression de créer un tableau visuel avec du sonore, que pour inventer un mystère esthétique dont le musical suffit en lui-même.
Deuxième partie : Les partitions graphiques
2. Une définition instable
Donner une définition que ce qui est ou serait une partition graphique est particulièrement difficile. Même s’il s’agit d’un objet matériel, les formes qu’il peut prendre et l’utilisation qui en est fait le rend inapte à entrer dans le moule d’une définition. Bien souvent, de graphique, nombre d’entre eux n’ont aucune prétention à être autre chose qu’un stimulus à la production musicale, « un catalyseur pour le jeu musical » (Bouissou, Goubault, Bosseur, 2005, p.235), sans prétention d’esthétique visuelle ; d’une certaine manière, un rôle basiquement « fonctionnel ». Si les objets existent bien en eux-mêmes, leur utilisation diversifiable à l’infini fait qu’ils échappent à tout cloisonnement ; de partition musicale, ils n’en n’ont ni l’aspect notationnel, ni l’aspect de division entre le rôle du compositeur et celui de l’interprète. Si on reprend les principes de Nelson Goodman à savoir : «une partition […] a pour fonction primordiale d’être l’autorité qui identifie une œuvre, d’exécution à exécution » (Goodman, 1990, p.166), et «les partitions et les exécutions doivent être dans un rapport tel que […] toutes les exécutions appartiennent à la même œuvre et toutes les copies de partitions définissent la même classe d’exécutions »(Goodman, 1990, p.167), dans ce cas, les partitions graphiques ne sont pas des partitions! Si toute demande précise, toute organisation objective, toute instruction définie, toute « marche à suivre », tout élément notationnel ne font plus partie de ce sur quoi l’interprète peut s’appuyer pour réaliser la partition, on peut en toute bonne foi se poser la question à savoir si ce qui est fourni est encore une partition, s’il y a lieu de la désigner par ce terme, et plus encore, si elle sert à quelque chose. Dans quelle mesure ces propositions sont-elles des partitions ? Sans doute faut-il reprendre le sens étymologique de partition qui vient du latin partitio : partage, division, répartition. Si la partition, telle que définie par Goodman, accentue l’idée de division (division des fonctions créatrices/interprétative, division en paramètres sonores, division temporelle, etc., jusqu’à la division sociale des multiples tâches musiciennes), les partitions graphiques s’attacheraient, elles, plus à la notion de partage (dans le sens partager avec) et à l’idée de répartition (répartition dans l’espace, du mouvement, des tâches…).
Dans le même sens de partager avec un autre la réalisation, le cas des basses chiffrées, des ornements, des grilles d’accords sont des signes dont la vue déclenche un comportement global déjà intériorisé, un peu à la manière d’idéogrammes. Les cadences de concertos, avant de devenir tout à fait écrites, étaient également un espace ouvert de partage, dans lequel l’interprète pouvait créer un lien entre son propre imaginaire et celui du compositeur. Dans les processus de création musicale collectifs, on a très souvent recours après coup à la notation pour simplement se rappeler de moments importants ou de sonorités spécifiques. Nous y reviendrons plus loin.
Si nous faisons un rapide détour historique sur la notation de la musique occidentale, il est intéressant de remarquer que cette situation de partage s’est déjà produite et on comprendra que « des musiciens comme Earl Brown aient pu se sentir plus proches des pratiques de la Renaissance ou de l’ère Baroque que de celle du Romantisme qui tend à sacraliser l’acte de création en le fixant le plus rigoureusement possible » (Bouissou, Goubault, Bosseur, 2005, p.235). La notation neumatique à partir du IXème siècle est essentiellement une représentation d’objets musicaux déjà constitués (oralement) et intériorisés par le musicien, un aide-mémoire. On avait un groupement graphique reflétant des figures mélodico-rythmiques qui s’appliquaient à une syllabe, avec leur caractère ornemental propre. Il est indéniable que cela permettait de visualiser d’un seul coup d’œil la forme musicale, les concentrations d’activité et les mouvements sonores. Concernant l’importance de l’aspect visuel comme étant une forme d’extériorisation de gestes musicaux intériorisés au préalable, les manuscrits de Bach ou Couperin[14] et de bien d’autres compositeurs de cette époque montrent les ligatures et les liaisons faites de courbes gracieuses et dynamiques dont on peut considérer bien souvent qu’elles vont au-delà de leur aspect purement fonctionnel, qui n’était d’ailleurs pas bien défini ; elles sont d’une incroyable esthétique et semblent communiquer visuellement la pensée intérieure du compositeur en introduisant un élément visuel dynamique à la partition, comme une invitation à un mouvement de la courbe du temps et du geste musical.
2.1 Une volonté de renouveler la graphie musicale
À partir des années 1950[15], au-delà de partitions qui maintiennent dans leur écriture des catégories traditionnelles de notation, mais pour lesquelles un aspect visuel est ostensiblement recherché, les notes et les portées dessinant des figures diverses comme des branches d’arbre de Noël[16] ou qu’elles soient inclues dans des formes[17], et pour lesquelles il pourrait être légitime de se demander si l’aspect décoratif de la graphie n’a pas pris le dessus sur les intentions musicales, nous nous trouvons devant d’autres types de motivations pour renouveler les formes d’écriture musicale. La volonté de contrôler de manière toujours plus stricte l’exécution et l’extension des modes de jeu instrumentaux avaient conduit les compositeurs à augmenter et adapter des symboles de la notation standard. Mais, dans une autre direction, à partir des années 1960, la réalité des pièces mixtes (électroacoustique/instrument acoustique), a conforté les compositeurs à reconsidérer la notation de sons devenus non notables, et à élaborer des graphismes permettant au musicien de se repérer au cours de l’exécution. Ces graphismes ont bien évidemment influencé fortement les productions de partitions graphiques : si le son pouvait trouver une correspondance visuelle aussi directe, il n’y avait donc qu’un pas dans le sens inverse, du visuel au sonore. Certains compositeurs, dont Earle Brown, auraient voulu se retrouver dans la position du peintre qui passe directement sa propre sensibilité au travers de sa production, sans passer par un « interprète ». Il raconte ceci :
J’étais très envieux des peintres qui pouvaient traiter directement de l’existence vive de leurs propres œuvres sans passer par une étape de « traduction » indirecte et imprécise. J’aurais bien voulu leur demander d’imaginer d’avoir à s’asseoir pour écrire un ensemble d’instructions qui auraient permis à quelqu’un d’autre de peindre dans les moindres détails ce qu’eux-mêmes auraient peint. (Brown, 1986, p.186)
Les compositeurs ont cherché à s’émanciper de leur rôle, allant jusqu’à nier leur autorité, qui se traduisait par une écriture devenue chaque fois plus précise et donc directive : il fallait renouveler le rapport à l’interprète. Selon Bosseur (1992, p.17), « le compositeur ne rejetait pas sur l’interprète l’autorité qu’il avait jusqu’alors assumée, mais tendait à partager le potentiel d’indétermination contenu dans ce qui était plus un processus ». Pour certains, comme Boulez ou Stockhausen, ce fut au travers d’« œuvres ouvertes ». Pour d’autres, comme Brown, il s’agissait de radicalement repenser la question et de créer non plus des compositions qui seraient ensuite exécutées, mais des « exécutions composées », la composition devenant ainsi « l’organisation d’une entité temporelle sonore ».
Des propositions diverses sont apparues qui visaient à provoquer chez l’interprète une participation active à la création à partir de sa propre subjectivité, lui offrant ainsi un maximum d’initiative. Il ne serait plus dépendant du texte d’une œuvre préétablie, d’une œuvre déterminée à l’avance, mais l’acteur d’un processus de création. Il est intéressant de voir le glissement qu’opère Cardew de sa propre vision de l’indétermination lorsqu’il se réapproprie la définition de Cage : ce dernier parle de « pièces qui sont indéterminées au regard de leur performance », là où Cardew va introduire dans ce mot la notion d’activité constructrice du joueur dans la formation de la pièce.[18] Ces propositions peuvent être faites sous forme d’instructions verbales, plus ou moins séquentielles et/ou poétiques (Textkomposition, comme les « Intuitive Musik » de Stockhausen[19] mais aussi certaines formes chorégraphiques qui « dictent » la musique) et, pour ce qui nous concerne dans cette recherche, les formes graphiques, qu’elles soient de simples tracés jusqu’à des objets plastiques. Ces pictogrammes prennent des formes extrêmement variées non seulement d’un compositeur à l’autre mais également d’une pièce à l’autre, chaque forme d’écriture motivant son propre concept compositionnel, sa propre motivation esthétique et son propre processus créatif. Il peut s’agir de représentations qui sont directement influencées par les arts plastiques ou qui sont en elles-mêmes déjà des tableaux à part entière et dont le musicien devra se pénétrer pour en déduire une représentation sonore. Il peut arriver dans certains cas que le compositeur effectue la transposition des rapports spatio-temporels de la musique en rapports spatiaux de la figure visuelle, figure dont la valeur esthétique peut aussi être source d’inspiration pour l’interprète. Mais la plupart du temps, la partition est avant tout un objet visuel qui s’écarte de tout rôle fonctionnel ; elle a pour objectif avant tout de stimuler l’imagination.
2.2 Divers types de partitions graphiques
Même si les graphies sonores se prêtent mal à une quelconque classification, on peut en distinguer cinq formes qui vont définir, d’une part, divers degrés d’ouverture et de liberté pour l’interprète, et, d’autre part, des degrés de contrôle du résultat sonore, de la forme ou de la structure, de la part du compositeur. La mise en œuvre de ces différents aspects des partitions se construit de manière si spécifique pour chacune des pièces qu’il serait très difficile d’en extraire quelque principe unificateur. Beaucoup de partitions peuvent être incluses dans plusieurs des quatre premières catégories qui suivent. La cinquième catégorie que je désigne comme partitions graphiques strictement non-procédurales (ou partitions tableaux) ne devraient pas inclure des caractéristiques contenues dans les quatre premières catégories. Ce parti pris que nous assumons pour ce travail devrait, selon nous, nous permettre de délimiter de manière plus ou moins précise des œuvres pour lesquelles l’interprète devra définir ses actions de manière autonome, sans recours ni à une tradition, ni à des données culturelles préétablies, ni à quelque forme d’autorité. Il se trouve face à sa propre responsabilité, sans possibilité de s’en remettre à des instructions ou des codes qu’il appliquerait à la lettre, et qui le protègeraient donc d’un défaut de contenu sur le plan musical. Nous verrons cependant dans la pratique que la limite entre cette cinquième catégorie et les autres n’est pas possible non plus à tracer de manière absolue. Quoiqu’il en soit, voici donc ces cinq catégories :
Les propositions qui définissent une succession d’événements. Dans ces partitions, il est souvent établi que l’axe horizontal correspond à un axe temporel, régulier ou non, avec bien souvent une lecture de gauche à droite. L’axe vertical correspond souvent aux hauteurs, le bas de la page correspondant au registre le plus grave de l’instrument, et le haut au registre le plus aigu. Par exemple l’Aria de John Cage (Figure 4) schématise graphiquement des lignes courbes supposées être réalisées en mélodies dont les hauteurs relatives devraient correspondre à ces lignes. Ces lignes qui sont bien supposées être jouées dans l’ordre, sont le support de mots. Il y a dans ce cas un moyen d’une certaine vérification que l’exécution musicale est bien conforme à la proposition visuelle.
Fig. 4 : John Cage, Aria. Ed. Peters, New York, nº EP 6701
C’est le même genre de principe que l’on trouve dans De Natura Sonorum – Natures éphémères de Bernard Parmegiani (figure 5) ou l’on trouve un procédé similaire de succession de cellules rythmiques brèves sur un axe temporel horizontal. Les têtes de notes sont substituées par des notations d’articulations (accents, traits, points, etc.), placées plus ou moins hautes par rapport à l’axe horizontal, ce qui indique des hauteurs relatives.
Figure 5 : Bernard Parmegiani : Natures Éphémères (début) (extrait de Gruwé-Court, 2004, p.122)
Les propositions pour lesquelles la durée totale d’exécution est établie au préalable de l’exécution. Dans le Concerto a tre R. Haubenstock-Ramati (Figure 6), la durée d’exécution d’une figure est établie par « chronométrage » tandis que chez John Cage dans sa Variation 2 c’est l’interprète lui-même qui définira la durée totale dans laquelle vont s’inclure tous les événements tirés au sort. Là aussi, l’imposition du contrôle de la (ou des) durée(s) permet une certaine vérification de la réalisation de la structure des événements et contraint l’interprète à se donner les moyens de respecter cette consigne objective.
Figure 6 : R. Haubenstock-Ramati, Concerto a tre, 1973. Édition Wilhelm Hansen, Francfort/Main, 1976, planche 120
Les propositions qui orientent des hauteurs, que ce soit fait sous forme de registres, comme dans Score for Moths de Cilla McQueen, ou définies en « réservoirs », comme la partition de Roman Haubenstock-Ramati, Mobile for Shakespeare (Figure 7). C’est aussi le cas de celle de Robert Fleisher, Mandala 3, ou celle de Barbara Heller, Le Triple Accord.
Des partitions mixtes, qui font se côtoyer des graphismes avec des éléments écrits en notation standard. Par exemple la partition de David Rosenboom Zones of coherence ou Correspondances de Globokar, pièce qui commence complètement écrite en notation standard et qui petit à petit détermine de plus en plus d’éléments improvisés pour déboucher à la fin sur une improvisation libre. D’autres transforment le graphisme de la notation standard, sans lui retirer ses caractéristiques notationnelles majeures, mais déformant certains aspects dans une intention idiosyncrasique comme Magic Circle of Infinity de Georges Crumb (Figure 8), ou Sixty Lurid Albumblatts de Gary Noland.
Figure 8 : Georges Crumb, Magic Circle of Infinity
Les propositions qui sont strictement non-procédurales, dessinant justes des formes, des tracés géométriques ou non, des taches, des images abstraites ou non, dont le sens de lecture n’est pas explicite, qui ne définissent pas de temporalité objective, pour lesquelles même des symboles de la notation standard (des chiffres par exemple, des points assimilables à des têtes de notes, des hampes de note isolées, des bouts de portées aux lignes non parallèles, interrompues ou ne supportant ni clés ni notes, etc.), ne sont pas mis dans une disposition qui leur donne un sens prédéfini, ou dans un contexte graphique tel que leur lecture habituelle serait en contradiction avec ce contexte, perdant ainsi toute fonction notationnelle. Ces propositions sont livrées telles quelles, sans synopse, sans mode d’emploi, sans instructions de la marche à suivre, ou si une explication de ce type existe, son contenu ne résout en rien les questions de praxis auxquelles se trouvent confrontés les producteurs-de-sons-jouant-et-créant-ensemble, voire au contraire, il en accentue les contradictions de manière ostentatoire. C’est ce que l’on trouve dans Alone I de Roman Haubenstock-Ramati (Figure 9).
Figure 9 : Roman Haubenstock-Ramati, Alone I, 1974 (Ariadne, Vienne)
Pour finir, d’autres catégories doivent être également mentionnées ici. Il s’agit de partitions de type « algorithmiques » ou qui ressemblent à des équations comme Autumn 60 (voir Figure 10) et Solo with Accompaniment de Cornelius Cardew. Ainsi que des notations que l’on pourrait qualifier de « topographiques », des sortes de cartes qui déterminent le placement des actions dans l’espace, comme ce que l’on trouve chez Kagel dans Pas de Cinq, ou chez Cardew dans memories of you.
Figure 10 : Cornelius Cardew, Automne 60, p.11 (extrait de Tilbury, 2008, p.106)
Figure 11 : Cornelius Cardew, Memories of you, (extrait de Tilbury, 2008, p.262)
2.3 Spécificité des partitions graphiques non-procédurales
Lorsque nous parlons de “partitions graphiques non-procédurales”, il s’agit d’une terminologie qui nous est propre, et qui, bien qu’elle ait l’avantage de centrer le point de vue sur celui de l’interprète, nous verrons qu’elle ne parvient pas à restreindre complètement le domaine d’étude concerné. Ce ne sera finalement pas tant les caractéristiques de l’objet partition graphique en lui-même qui permettront de sélectionner celles qui feront partie ou non de nos considérations, que l’absence d’instructions décrivant comment procéder à son exécution, ou l’absence de quelque autre code de lecture indiquant la procédure à suivre pour déchiffrer[20] ces partitions. Ceci est indépendant du fait de savoir si ces instructions sont réellement écrites dans la partition, ou si ce sont des indications données de manière orale par le compositeur, ou encore si elles font partie d’une convention admise de longue date par une ֓grande quantité de personnes dans une sorte de « tradition ». La notation standard est procédurale : elle permet à un tiers de définir des gestes à effectuer dans un ordre précis. S’il n’y a plus de d’instructions procédurales données, nous nous trouvons devant un objet énigmatique qui appellera des processus idiosyncratiques permettant une mise en relation synergique des réalités sensorielles du visuel et du sonore. Voici la définition que donne Wikipedia :
Le mot processus vient du latin pro (au sens de « vers l’avant ») et de cessus, cedere (aller, marcher) ce qui signifie donc aller vers l’avant, avancer. Ce mot est également à l’origine du mot procédure qui désigne plutôt la méthode d’organisation, la stratégie du changement.
De façon générique, le mot processus désigne une suite d’états ou de phases de l’organisation d’une opération ou d’une transformation. Processus et procédure ne peuvent se rejoindre dans la finalité. Toutefois, nous pouvons reconnaître un processus par sa souplesse et la procédure par sa rigidité. Les deux peuvent comporter des étapes et des règles. Tandis que dans le système du processus elles peuvent être transgressables, dans celui de la procédure elles sont incontournables. Ainsi, nous pouvons parler de « cahier de procédures », tandis que le processus laisse une marge (parfois très large) à l’improvisation.
Un processus peut être considéré comme un système organisé d’activités qui utilise des ressources (personnel, équipement, matériels et machines, matière première et informations) pour transformer des éléments entrants (les intrants) en éléments de sortie (les extrants) dont le résultat final attendu est un produit. Enfin, le processus a un propriétaire qui est garant de la bonne fin et du bon fonctionnement de celui-ci.[21]
Autrement dit, selon cet article, le processus répond à la question « quoi faire ? », tandis que la procédure répond à la question « comment faire ? ». Il en résulte que la caractéristique première d’un processus ne tient pas tant dans le résultat final, mais dans la manière de trouver une solution satisfaisante, tandis que la caractéristique d’une procédure tient dans l’ensemble des règles qu’elle contient pour parvenir à un résultat plus ou moins prédéfini.
La notion d’identité a été certainement une préoccupation de ceux qui se souciaient plus de provoquer une activité créatrice qu’un résultat fini, car Cardew a éprouvé la nécessité de définir l’identité d’une pièce de musique comme « un concept insensé mais utile : ce qui est essentiel dans une pièce de musique constitue son identité. Bien sûr, idéalement parlant, tout ce qui concerne une pièce est essentiel pour elle »[22]. Dans le même article, Cardew (Cardew, 1961, p. 23) donne également cet exemple :
Constituting the identity of e.g. Winter Music is the fact that there should be more or less complex eruptions into silence, and that these should come from one or more pianos. This being the unmistakable identity of the piece, there is room for free inter-penetration at all points in the process (composition, notation, performance, audition). ‘Mistaken identity’ is excluded, and ‘anything may happen’. (Cage has opened the gate into a field.) (Cardew, 1961, p. 22).
Dans les collectifs d’improvisation on retrouve ce rattachement à une identité incarnée par une des personnalités du groupe, comme le fut Cardew avec AMM ou The Scratch Orchestra; le nom mis en avant est là avant tout pour concrétiser une certaine manière de faire, un processus aux contenus multiples, imprévisibles et indéfinissables, mais identifiables. Lorsqu’ils proposent des partitions graphiques non-procédurales, cette revendication des compositeurs en faveur de la mise en place de processus de création plutôt que de l’application de procédures d’exécutions ne trouverait-elle pas un écho dans la suggestion de Yves Michaud concernant la fin de l’art et le triomphe de l’esthétique, voire de l’esthétisant ? Michaud introduit ici l’idée de la disparition des « œuvres d’art » au profit des expériences individuelles. La beauté n’existe plus en elle-même. L’objet n’est plus le point le plus important du dispositif, ce qui compte en premier lieu est celui qui le regarde. L’œuvre matérielle laisse sa place à la production d’expériences. C’est ainsi que l’art, perdant cette caractéristique matérielle, devient diffus, « à l’état gazeux » comme le qualifie Michaud (2003) dans le titre de son essai. L’art ne disparait pas, c’est seulement le régime de l’objet d’art qui se volatilise.
2.3.1 Exposé des raisons du choix des partitions non-procédurales
Ce qui nous intéresse plus particulièrement à propos des partitions graphiques non-procédurales est surtout le fait que les interprètes ne peuvent faire autrement que de prendre toutes les décisions concernant le contenu sonore ; en ce sens-là, rien ne leur est fourni et il ne s’agit plus de reconstruire selon des règles préétablies. Il n’y a pas de refuge possible par lequel l’exécutant pourrait se dédouaner en appliquant les éléments écrits sans pensée créatrice. Si des éléments sont encore écrits, par exemple sous forme d’un algorithme, il faut encore déduire de l’image le principe qui les fait naitre pour réinventer un procédé de production ; ceci est en soit un acte de création.
De plus, une image est on ne peut plus énigmatique du point de vue du passage du visuel au sonore. En effet, si le bon sens commun admet que la réception de la musique se fasse par l’écoute de la succession des sons, nombre d’expériences[23] ont montré que la perception musicale ne se fait pas de manière linéaire et continue, mais également par des mises en relations dans le temps des sons, des proportions des idées musicales, par des sélections, la mémoire faisant des allers-retours, permettant ainsi de se créer une « image instantanée » de ce qu’on a entendu. Si on parle d’une pièce de musique que l’on connait bien, il n’est pas besoin de se passer toute la musique en temps réel dans la tête pour recréer l’image mentale de la pièce, pour rappeler en mémoire de manière synthétique et instantanée les moments les plus marquants pour nous, et l’on circule aisément d’un de ces moments à l’autre, comme avec des points de repère ou de fixation, comme l’œil sur un tableau ; l’œuvre n’est plus séquentielle. De même, on sait qu’il existe plusieurs temporalités de lecture d’une image pour le spectateur ainsi que diverses temporalités transmises par l’image elle-même.
Alors donc que la production du sonore ne saurait se passer de la notion de succession des événements dans le temps, cette forme graphique d’écriture de la production sonore efface toute représentation objective des notions temporelles. Qu’un compositeur fasse un tel choix montre bien qu’il existe une volonté d’entrer dans un autre mode relationnel avec l’interprète ainsi qu’avec l’objet sonore lui-même. Le compositeur n’est plus le donneur d’ordres, un organisateur des tâches précises à accomplir qui, mises bout à bout, imposeront une certaine direction au travers d’une praxis déterminée.
A partir du moment où les compositeurs ont fait disparaitre les signes conventionnels ainsi que toutes références centrées sur les hauteurs et les durées, que reste-t-il aux interprètes formés au moule de la musique occidentale comme point d’entrée pour accéder à ces partitions ? Il faut reconnaitre que ces musiciens ont à faire un « grand écart » dans leur mode de fonctionnement tant intellectuel que pratique : les automatismes acquis sont faits pour fonctionner essentiellement sur le mode de la musique tonale (ou modale dans le meilleur des cas) et toutes les conséquences que cela engendre. Il y a là une véritable remise en cause du rapport de l’interprète avec l’écrit puisque ces formes d’écritures sont également une manière que les compositeurs ont de remettre en question l’organisation sociale de la pratique musicale, abolissant ainsi les frontières entre compositeur et interprète, mais également entre professionnels et amateurs, professeur/maître et élève, instrumentistes spécialisés et « artistes-musiciens touche-à-tout », jusqu’à la remise en cause du statut de la musique en relation avec les autres formes d’expression artistique.
Avec la partition graphique non-procédurale, l’interprète est directement confronté avec une praxis menant à une forme possible de l’œuvre ; ce qui est indéterminé est plus que le résultat sonore : c’est le « quoi faire » lui-même qui est laissé à son entière responsabilité. Il doit absolument tout choisir, sans guide, sans contraintes objectives.
Sans durée, sans hauteur, sans indication de registre ni même de séquence d’événements, il n’y a plus de vérification possible à savoir si ce qui est joué est encore la partition. Si Cage a beaucoup travaillé sur l’indétermination, il s’agit presque toujours de l’indétermination du résultat sonore, non pas de ce que doit faire l’interprète. Dans les 4’33 de Cage, la durée est définie et même, dans cette durée, 3 « moments » sont définis. Ils permettent de faire apparaître une forme finalement proche d’une forme classique. De plus, il a une consigne sonore très précise : ne pas émettre de son avec son instrument. Le cadre des actions de l’interprète est tout à fait défini et précis, et on peut vérifier que ce cadre est bien respecté par l’interprète. Au contraire, une partition graphique non-procédurale, par son absence d’ordres imposés, est finalement beaucoup moins directive : si l’on imagine qu’une interprétation d’une partition graphique comme December 1952 d’Earle Brown arrive exactement au même résultat musical que les 4’33 de Cage, dans ce dernier cas, Cage pourra affirmer qu’on a joué sa pièce, Brown ne pourra pas prouver que c’était la sienne. Il en serait sans doute de même de toutes partitions graphiques non-procédurales et on comprend bien que l’objet de la question se trouve ailleurs, en dehors de la définition d’une musique ; c’est un acte gratuit, abandonné à qui veut bien s’en emparer, un objet qui crée l’instant et non le devenir, il ne sert à rien, mais celui qui choisit de s’en servir s’invente des mondes qu’il n’aurait pas imaginés lui-même, puis il peut le jeter…
En effet, dans certaines classes de composition ou d’improvisation, ces partitions graphiques sont données comme point de départ à des travaux de création. Dans ces situations, la partition-tableau est assumée dans son rôle d’autorité-référence, relayée par une autre autorité qu’est le professeur. Mais signalons un cas particulier où la partition graphique serait recomposée par un compositeur, sous-entendu dans un acte d’écriture permettant des « repentirs » et une temporalité élargie par rapport à celle de la production musicale. C’est un cas de figure sans doute assez fréquent et que nous ne posons pas comme possédant une séparation nette d’autres formes d’interprétation. Nous voulions juste soulever que, dans cette situation, il est assez peu probable que l’attribution de la paternité de l’œuvre musicale qui en découlerait soit laissée à l’auteur de la partition graphique ; si dans un acte « d’abnégation » le compositeur le faisait, les divers acteurs en relation avec l’œuvre ainsi composée (interprètes, organisateurs de concert, public, critiques, médiathèques, etc.) auraient quelques difficultés à considérer la situation de ce point de vue[24]. Si la partition graphique engendre des exemples possibles parmi d’autres, ou une œuvre en perpétuel devenir, une « œuvre désœuvrée » (Stoïanova), sa pétrification court-circuite la relation directe qui était supposée exister entre l’exécutant-créateur et l’auditeur. Il est notable à ce sujet, que Cardew ait attribué des noms différents aux « réalisations » directement dérivées de Treatise écrites par lui-même[25], alors qu’on suppose qu’il serait considéré qu’un groupe ayant travaillé à partir de cette partition serait, en quelque sorte, en « dette » ; il aurait le devoir moral (ou peut être en tirerait-il avantage) de mentionner le titre et l’auteur de la partition à laquelle il se réfère. Le compositeur s’inspirerait de la partition graphique tandis que l’improvisateur la jouerait, stimulé par celle-ci.
Nous avons pu constater plusieurs types de réactions chez les musiciens confrontés aux partitions graphiques, suivant les contextes dans lesquelles elles sont proposées, parmi lesquels :
Un enthousiasme d’avoir enfin un espace de liberté où exercer sa propre créativité, un matériel lui donnant accès à un monde sonore non-clos qu’il puisse imaginer et développer lui-même, avec ses propres compétences, sa propre sensibilité.
Une réelle curiosité et un déclencheur d’un « droit » à des modes de pensées différents, une ouverture sur une conscience musicale élargie.
Une perplexité, une incompréhension de ce qui est « demandé » par le compositeur : comment exécuter ces signes qui n’ont pas été codifiés, qui sont en dehors de la « notation » apprise pendant des années et pour laquelle chaque signifiant avait son signifié. Le musicien se trouve devant une énigme à résoudre pour laquelle au mieux il n’a que peu d’indices, au pire il ne guidera ses choix que dans le sens opposé à ce qu’un certain bon sens aurait suggéré.
une révolte par rapport au compositeur qui n’aurait pas achevé son travail, démissionnerait de sa fonction de créateur, serait accusé de ne pas assumer son manque d’idée ou de compétence et trouverait par là-même un moyen de reporter sur l’interprète le soin de pallier ses faiblesses.
Une occasion de faire n’importe quoi, de se moquer du compositeur, de sortir complètement du contexte proposé puisque « j’ai le droit de faire ce que je veux sans être responsable du résultat », puisque ce qui est écrit peut être interprété d’une infinité de manières différentes. L’interprète ne changerait donc pas de logique par rapport à ce qui est considéré comme la position « normale » de chacune des parties en présence : faire ce que veut le compositeur est le rôle de l’interprète.
Les interprètes ont tellement intériorisé le système de notation traditionnelle qu’ils n’ont plus à penser quelle note est jouée, mais plutôt comment elle s’inscrit dans une globalité signifiante. Lorsqu’ils se trouvent confrontés à des partitions graphiques, déstabilisés par des signes qu’ils ne maîtrisent pas bien, ils finissent par se focaliser sur ceux-ci sans plus penser à la globalité de la production sonore.
Ils vont parfois chercher des ressources de rationalisation leur permettant de justifier leurs choix d’actions par des moyens très irrationnels, mais qu’ils se mettent soudain vouloir assumer pleinement…
On le voit, ces partitions remettent en cause bien des strates de la production sonore. Le contexte dans lequel elles sont introduites, si c’est une autorité contraignante, bienveillante, s’il y a un enjeu personnel ou par rapport à un groupe, est primordiale quant à l’attitude de collaboration et participation à la réalisation de la création sonore. Elles ont un impact qui n’est jamais neutre sur le rapport entre le compositeur et l’interprète, souvent passionnel, quelquefois conflictuel, jamais routinier…
2.4 Contexte historique et philosophique – Les élans d’après-guerre
Nous ne tracerons pas ici l’évolution qui a conduit à l’apparition des pensées qui ont généré les partitions graphiques. Faut-il en tracer l’origine dans les avant-gardes du début du XXème siècle (notamment dada et Futurismes), dans la poésie visuelle et sonore, dans les calligrammes d’Apollinaire ? Feldman, Brown et Cage étaient très proches de ces mouvements et des artistes de l’abstraction expressionniste. Une autre influence possible est celle d’Erik Satie, au moins sur Cage, qui fut le premier à sortir dans les partitions des éléments de pure représentation des sons. Stockhausen dans l’article « Graphique et Musique » (1959) explique l’avènement de ces pratiques par l’autonomie croissante de la partition vis-à-vis de son exécution sonore, un long processus depuis le moyen-âge.
On sait comment les musiques et les musiciens du romantisme ont été instrumentalisés pour servir les thèses du nazisme et autres formes de dictatures. On ne s’étonnera pas que dans l’après-guerre, à l’heure où tout était en reconstruction, tout remis à plat, les musiciens aient cherché également à se questionner sur leurs pratiques, sur leurs rapports avec ce qu’ils produisaient et la manière dont ils le faisaient. En réaction aux horreurs qui venaient d’être vécues pendant la guerre, les motivations et l’engagement des individus avaient été exacerbés pour que la paix soit une réalité absolue. Ainsi, cette période obscure a fait naitre nombre de vocations dont l’objectif de vie serait : plus jamais ça! Sociologues, philosophes, psychologues, psychanalystes, politologues et scientifiques ont produit un nombre considérable d’études et de textes qui, de par le contexte historique du moment, ont revêtu une signification d’autant plus forte qu’ils apportaient des éléments de réponses à un traumatisme généralisé. Ils ont ouvert et formulé de nouvelles voies sur lesquelles se sont appuyés avec plus d’assurance et d’engagement des artistes qui n’avaient cessé pendant les conflits de profiter de leur forme d’expression artistique pour dénoncer les systèmes totalitaires et les crimes qui les accompagnaient. Il fallait reconstruire la relation avec autrui, la communication musicale se devait de ne plus servir un pouvoir établi. Sur le plan sociologique, la dynamique de groupe s’est répandue pendant les années 1960 dans les formations des responsables de toutes les organisations et des entreprises. La mode était au débat, les esthétiques remises en question.
La pensée sérielle généralisée de la composition musicale et les détails infinis qui accompagnaient son écriture ont fait apparaitre des partitions pour lesquelles l’idée d’interprétation devenait inexistante[26]. L’exécutant devenait avant tout un virtuose soumis aux exigences d’une notation chaque fois plus complexe et exigeante, ne laissant plus d’espace à l’instrumentiste pour qu’il ait un quelconque recul sur la conception de la matière et de la forme musicale. Les œuvres sont la plupart du temps travaillées pendant de longues heures afin d’être maitrisées techniquement, puis jouées une seule fois en public. Les reprises des concerts sont trop rares, l’enregistrement comblant rapidement le désir de curiosité, avant même que l’œuvre n’ait pu jouer[27]. Toutes ces idées sont ainsi exprimées ainsi par Cornelius Cardew :
The relation between musical score and performance cannot be determined. If this is not realized, difficulties will always be encountered in composing, rehearsing and performing (not to mention listening). The indeterminacies of traditional notation became to such an extent accepted that it was forgotten that they existed, and of what sort they were. The results of this can be seen in much of the pointillist music of the ‘5os (Boulez, Berio, Goeyvaerts, Pousseur, Stockhausen, Van San, etc.). The music seemed to exclude all possibility of interpretation in any real sense; the utmost differentiation, refinement and exactitude were demanded of the players. Just because of this contradiction it is stimulating work, and sometimes rewarding to interpret this music, for any interpretation is forced to transcend the rigidity of the compositional procedure, and music results (but the feeling is almost unavoidable that one is misrepresenting the composer!). (Cardew, 1961, p.22)
Pourtant, certains compositeurs ont vu au contraire dans cette constatation d’indétermination de la notation standard une formidable occasion de provoquer une ouverture basée sur les expériences des musiques aléatoires et des partitions graphiques pour développer la responsabilité de l’exécutant et sa conscience musicale :
Nous voudrions qu’il [l’exécutant] s’engage totalement, qu’il n’engage pas seulement ses connaissances techniques dans l’œuvre, mais aussi ses capacités inventives, ses facultés de décisions, ses facultés de réactions plus ou moins spontanées, en un mot : son « contenu psychique ». Nous voudrions tout de même garder la possibilité de pouvoir « diriger » (canaliser) les différentes formes de cette participation. (Globokar, 1970, p.70)
Des compositeurs, surtout américains dans les années 1950, qui ont été rassemblés sous l’appellation « d’école de New York [28]» observant les travaux d’artistes plastiques comme Alexandre Calder ou Jackson Pollock, ont curieusement réalisé la « chance » qu’avaient ces derniers de pouvoir concrétiser sans intermédiaire leurs impulsions artistiques ; leur réflexion leur a fait admettre leur impuissance pour la production d’un objet contrôlable au long de tout son processus d’élaboration, à la manière de ces artistes plastiques. Earl Brown affirmait :
It is well known that notation has been a constant difficulty and frustration to composers, since it is a relatively inefficient and incomplete transcription of the infinite totality which a composer traditionally « hears, » and it should not be at all surprising that it continues to evolve[29].(Brown, 1986, p.186)
Et de s’enthousiasmer ainsi :
I had the impulse to do something with this highly spontaneous performing attitude (improvisational attitude that is) from a score that would have many multiple possibilities of interpretation. Under the influence of Calder, I considered this kind of thing to be mobility, which is to say – a score which was mobile. A score which had more than one potential form and performance realization (Brown, 2008, p.1).
Leur point commun est sans doute d’avoir cherché des systèmes d’écriture de la musique qui ne prennent plus uniquement en compte la note comme unité de base, puisque celle-ci éventuellement pouvait ne plus exister, et qu’ils s’intéressèrent à retrouver au travers de la notation musicale un média plus proche de leur spontanéité créatrice ou de leurs concepts compositionnels. Comme le dit Jean-Yves Bosseur :
Certains compositeurs […] ont pu se sentir plus proches – dans leur travail de conceptualisation, puis de notation et de composition – des conceptions de la Renaissance et de l’ère Baroque, que celles affichées par le Romantisme qui visent à sacraliser la création du compositeur en s’efforçant d’en arrêter les contours d’une manière immuable. (Bosseur, 1992, p.10)
Même si dans la perspective de Brown, le contrôle musical s’opère finalement encore par la direction (gestuelle) du compositeur/chef, faire de la musique appelle avant tout la participation active et « de bonne volonté » d’un groupe participant au projet créatif, et la conception de la partition se devait de prendre cette dimension en considération :
… But it was a considerable leap, or difficulty to conceive of a score that would in itself be something and in itself imply many more things… I’m intrigued by the performance itself. I like very much conducting and rehearsing the music, but I’m not so much as interested in the piece ultimately being a monument, as I am in the piece existing as a field of activity, of music making activity, which exists between sympathetic and reasonable kinds of people (Brown, 2008, p.1).
On voit bien ici que le jouer de la musique, l’instant de la praxis est la préoccupation première, voire unique. La notation n’intervient dans ce contexte que de manière presque accessoire, comme un outil. Brown avait d’ailleurs pointé que la prétention d’utiliser la notation comme moyen de contrôler tous les paramètres musicaux était un développement relativement récent :
[Brown] observed that in music written before 1600, the intentions of the composer could be notated in diverse ways, and the relationship between intention and performance was quite different from what came to be the nineteenth-century ideal [30] (Alden, 2007, p.316).
Plusieurs types de notations expérimentales furent imaginés, qui allaient au-delà de l’ajout de signes à ceux préexistants ou d’une notation qui permettrait une amélioration de l’efficacité d’un système somme toute équivalent d’écriture. Pour certains, l’idée est que la feuille puisse représenter un espace-de-temps, de la même manière que la feuille puisse être un espace graphique délimitant, incluant éventuellement d’autres dimensions allant au-delà du plan. Au-delà de la puissance qu’avait acquise la notation standard, détourner un signe de sa fonction ou lui donner des significations multiples a stimulé des compositeurs à penser que cette plurivocité pourrait être un facteur de création. L’introduction de l’aléatoire, des méthodes de calculs par ordinateur, l’évolution rapide des sciences et des techniques, ont permis d’imaginer des procédés, tant pour la composition que la réalisation des partitions, auxquels les compositeurs des générations antérieures n’avaient pas eu accès. Peu s’en fallait alors pour franchir le pas qui mènerait à un abandon quasi-total du signe comme signifiant au profit de la subjectivité de l’individu ou du groupe.
Conclusion
Nous avons examiné quelles sont les ouvertures qui ont été offertes au musicien-interprète, par l’avènement des partitions graphiques non-procédurales, à partir des années 1950. Ces graphies sonores ont bouleversé les rapports à la notation musicale. Lire une partition graphique ne consisterait donc pas à une transformation directe des signes graphiques d’un objet visuel en musique constituée d’objets sonores, mais en une invitation pour l’interprète à développer une action créatrice par la maîtrise dans l’instant de ses sonorités, des timbres infinis de son instrument et de son corps. Les partitions graphiques non-procédurales sont en cela proche des « Textkomposition » pour être des musiques intuitives qui ne définissent pas une suite de sons à produire, une procédure d’exécution, mais invitent l’interprète à élaborer des processus dont le résultat ne sera concrètement déterminé que par celui-ci.
La compréhension du contexte historique de l’après-guerre, les concepts introduits par la philosophie postmoderne, le développement des techniques électroacoustiques, les réalisations d’artistes plastiques comme Alexandre Calder ou Jackson Pollock, sont autant d’éléments qui peuvent expliquer les motivations des compositeurs à rechercher une manière moins autoritaire et moins directive de communiquer leur art et leur pensée, tout en étant plus proche de la représentation qu’ils se faisaient de la matière sonore. Si l’analyse de pièces comme celles d’Earle Brown ou de Cornelius Cardew permet de dégager diverses méthodes d’interprétation de la graphie musicale, la correspondance entre le domaine visuel et le domaine sonore produit bien des confusions car il n’y a ni équivalence, ni traduction d’un domaine à l’autre. Les champs d’intérêts d’artistes comme Kandinsky, Klee, Boulez ou Cage, ont souvent passé la frontière de l’un à l’autre, mais chacun d’eux maintenait à sa manière une certaine forme de domination sur l’acte créateur, sans laisser à l’interprète d’initiatives décisives sur la production musicale.
Nous avons senti la nécessité de réfléchir sur ce qui nous est apparu comme étant l’impossibilité d’une correspondance directe et univoque entre des figures graphiques et des sons. Même des éléments comme ceux de la théorie de la Gestalt appliqués aux arts graphiques, ne permet pas, selon nous, de définir des procédures qui mettraient en relation le visuel et le sonore sans le devoir de passer par un imaginaire propre. Il n’y aurait finalement pas d’échappatoire objective à l’initiative et à l’acte créatif de la part de l’interprète confronté à une partition graphique.
La situation dans laquelle se trouve l’interprète face à une telle partition se rapproche en bien des points de celle où se trouve un improvisateur qui réagit à son environnement tout en allant chercher ce dont il a besoin dans son expérience, dans sa gestualité, pour reprendre le mot abondamment utilisé dans ce contexte par Ivanka Stoïanova. Mais l’acte de création autour d’une partition-tableau induit des contraintes et des consignes qui sont élaborées en autonomie par les participants ; sans imposition de résultat fixe, ce que chaque créateur-interprète aura élaboré introduira un cadre décisif sur la production finale que l’on pourra retrouver d’exécution en exécution. Ce qui est joué à base d’une partition graphique impose des contraintes, oriente des matières sonores, des attitudes de jeu, des structures ou des formes musicales, des pensées, des comportements sociaux, qui n’auraient pas vu le jour de la même manière dans un contexte d’improvisation dit libre. La partition graphique a, en cela, une conséquence réelle et objective sur la production musicale.
Cependant, la production de partitions graphiques ne permet pas au compositeur de se valoriser comme dans le travail d’écriture traditionnelle. Celui-ci peut même être amené à complètement disparaître dans ce contexte puisque les interprètes peuvent cacher complètement l’origine de leurs motivations musicales. Ceci explique sans doute, en partie, l’intérêt quelquefois très limité, voire dédaigneux, que le milieu musical occidental, attaché à l’œuvre, leur consacre. Afin de restaurer une certaine reconnaissance et la diffusion de leur production graphique, certains compositeurs-artistes se sont spécialisés dans l’orientation/direction de leur interprétation au cours de stages et de préparations de concerts. Pourtant, on peut se demander si cette initiative, aussi louable et nécessaire soit-elle, ne dénature pas à sa base le projet inhérent au dispositif proposé. L’obstacle principal reste que les interprètes dans leur ensemble, et indépendamment des styles musicaux, ne sont pas formés pour avoir les capacités à prendre les initiatives nécessaires à l’exécution de partitions graphiques non-procédurales, alors qu’elles offrent un réel espace de stimulation créative et de liberté musicale. On constate trop souvent que la liberté fait peur. Les musiciens de formation traditionnelle ayant acquis un bagage de hautes compétences techniques, ne sont pas prêts à accepter de se défaire du moule dans lequel ils ont été préparés. Il est assurément difficile de s’ouvrir à des espaces suspectés de vacuité, alors qu’ils ne sont pourtant autres que l’inconnu. Plus les interprètes accepteront de prendre des initiatives créatrices et plus ils diversifieront leurs accès à l’expression artistique, plus les partitions graphiques trouveront leur place dans le paysage des pratiques artistiques. Il y a une urgente nécessité de diffusion et de mise en jeu de ce corpus de partitions graphiques. Ceci passe par une nécessité non moins urgente d’ouvrir des espaces physiques et institutionnels pour les accueillir ces pratiques, former les artistes, professeurs et élèves, pour qu’elles ne soient plus un objet de curiosité momentanée, dépassé avant même d’avoir vécu. Elles ont toute leur place dans la formation et la créativité musicale d’aujourd’hui, grâce à toutes les qualités d’ouverture, d’autonomie et de générosité qu’elles provoquent et qui leur sont intrinsèques.
[1] Voir son écrit De Musica rédigé entre 388 et 391.
[2] Nous considérerons dans cet article les partitions graphiques prises dans leur fixité ; nous avions émis l’hypothèse qu’elles pouvaient également se présenter sous forme de vidéos et autres formes visuelles kinésiques, mais nous nous en tiendrons aux graphies fixes afin de délimiter notre propos, et les considérant comme suffisantes pour appuyer l’argumentation que nous défendrons dans cette relation.
[3] John Cage (Cité dans Bosseur, 1992 p.128) évoque une réflexion sur la possibilité d’existence d’un mot qui pourrait être l’équivalent de visualité, dans le sens de l’importance absolue de ce qui est montré, mais rapporté à l’audition. Il est vrai que le sonore, substantif souvent employé, est construit à partir de du mot son, relatif à la source productrice, et non pas du mot auditif, correspondant au sens de perception.
[6] L’intermédia est, selon Dick Higgins, membre du mouvement Fluxus et créateur de cette notion, une ouverture de la pensée créatrice en dehors de toute restriction à un seul domaine de l’art.
[7] Dans une image de 4mx5m, serait considérée comme étant un point une tache de 10 cm de diamètre ; la même forme sur une feuille de format A4 ne serait très probablement pas considérée comme pouvant être un point mais une grosse tache.
[8] John Cage raconte: « là où les gens avaient ressenti la nécessité de coller les sons ensembles pour obtenir une continuité, nous ressentions tous les quatre la nécessité opposée de nous débarrasser de la colle afin que les sons soient eux-mêmes » (Cage, cité par von der Weid, 2012, p.182).
[9] J’ai pu vérifier cela à diverses occasions lors de mes classes de créativité musicale à l’ANSO entre 1998 et 2004 où nous travaillions des improvisations individuelles à partir de graphismes abstraits du dessinateur de bande dessinée Vasco Colombo.
[10] Daniel Arasse dit, à propos d’une toile que l’on a longtemps observée pour chercher à en percer le mystère, « qu’elle se lève ».
[11] Quelle étrange phrase, tirée hors de son contexte, que celle de la dernière réplique (nº330) de Tristan dans acte 3, scène 2 :“Wie, hör’ ich das Licht?” (Quoi ? Est-ce la lumière que j’entends ?), à la suite de laquelle il meurt.
[12] Il reviendra plus tard sur ces affirmations en les modérant et sans jamais avoir pu en établir la scientificité.
[13] Nous empruntons cette expression à Jean-Noël Von der Weid, en référence au titre de son livre.
[14] Par exemple, pour J. S. Bach, la copie au net de 1720 des soli pour violon (Faksimile des Autographs, Edition Bärenreiter, 1988), et pour L. Couperin, le Prélude non mesuré en Sol mineur (extrait dans Bouissou, Goubault, Bosseur, 2005, p.50-51).
[15] Il est considéré dans “The Concise Oxford Dictionary of Music” que le plus ancien exemple de partition graphique soit Projections de M. Feldman qui date de 1950. Mais il est clair que nous ne débattrons dans cet article sur l’aspect de la graphie de toutes sortes de notations musicales remontant jusqu’à l’Égypte du 7ème siècle av. JC.
[16] Chez Luigi Dallapiccola (Concerto fatto per la nette di Natale – 1956) ainsi que chez Stockhausen (Stockhausen, Die zehn wichtigsten Wörter – 1991).
[17] Par exemple dans des formes de lettres chez de Sylvano Bussotti, (Raragramma –1982).
[18] Voici la définition donnée par Cornelius Cradew (1961, p. 21): « Indeterminacy. (Cage: ‘pieces which are indeterminate as regards their performance’.) I would say that a piece is indeterminate when the player (or players) has an active hand in giving the piece a form. »
[19] Par exemple: Stockhausen, Aus dem sieben Tagen.
[20] Le chiffre est pris dans le même sens que l’utilise Daniel Charles, à savoir le code. Déchiffrer une partition consisterait donc, au-delà de la lecture à vue, à décoder les signes musicaux.
[21] Processus. (2013, mars 12). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée à 12:38, le 8 Avril 2013.
[22] “Identity (of a piece of music): a senseless but useful concept. What is essential to a piece of music constitutes its identity. Of course, ideally speaking, every- thing about a piece is essential to it. » (Cardew, 1961, p. 21).
[23] Voir par exemple les expériences menées par Robert Francès dans « la perception de la musique », Librairie Philosophique J. VRIN, 1984,2002.
[24] Rappelons la situation de la partition de Stockhausen « Aus den sieben Tagen » se retrouvant classée à la Bibliothèque Nationale parmi les textes littéraires et non parmi les œuvres musicales…, ainsi que les partitions graphiques classées dans la section arts plastiques.
[25] Il s’agit de Bun nº2 pour orchestre (dont Cardew considère que c’est une « analyse » des pages 45 à 51) et de Volo Solo (qui « contracterait » la forme entière de Treatise).
[26] Dont on trouve l’origine dans « Poétique Musicale », l’essai de Stravinsky de 1945, dans lequel il explique sa conception de la « musique pure ».
[27] Pris ici dans le sens de bouger, trouver sa place, comme lorsqu’on dit jouer des coudes.
[28] L’École de New York fait référence à un groupe artistique informel de poètes, peintres, danseurs et musiciens parmi lesquels John Cage, Morton Feldmann, Earl Brown, Christian Wolff, entre autres pour les compositeurs, Willem de Kooning, Jackson Pollock ou Robert Rauschenberg entre autres pour les peintres. Cette École de New York à eu une forte influence sur des compositeurs comme Cornelius Cardew et Frederic Rzewski, entre autres.
[29] Il est bien connu que la notation a été une constante difficulté et frustration chez les compositeurs, puisque ce n’est qu’une transcription relativement inefficace et incomplète de la totalité infinie de ce qu’un compositeur « entend », et il ne serait pas surprenant du tout que cela continue ainsi.
[30] il avait observé que dans la musique écrite avant 1600, les intentions des compositeurs pouvaient être notées de différentes façons et que les différences de relations entre l’intention et son exécution était bien différente de ce qui se passait dans l’idéal du XIXème siècle. (Tdla)
Bibliographie
Alden, Jane, From Neume to Folio: Mediaeval Influences on Earle Brown’s Graphic Notation, Contemporary Music Review, 26: 3, 315 — 332, 2007.
Boulez. Pierre, Le pays fertile – Paul Klee, Gallimard, 1989.
Bosseur, Jean-Yves, Le sonore et le visuel, intersection musiques/arts plastiques aujourd’hui, Editions Dis voir, 1992.
Bouissou, Sylvie, Christian Goubault, Jean-Yves Bosseur, Histoire de la Notation, Minerve 2005.
Brown, Earle, On december 1952, Monologue enregistré par Earle Brown le 27 Novembre1970, à la demande de Marceau C. Myers, retranscrit par Brian Jones et édité d’abord par Michael Hicks et ensuite par Susan Sollins-Brown, la veuve d’Earle Brown. 2008.
Brown, Earle, The Notation and Performance of New Music. Source: The Musical Quarterly, Vol. 72, No. 2, pp. 180-201 Published by: Oxford University Press, 1986.
Cage, John, Colour and culture, London, Thomas and Hudson, 1993.
Cardew, Cornelius, Notation : interpretation, etc., in Tempo, New Series, Nº58, pp 21-33, 1961.
De Vinci, Leonard, Traité de la peinture, in Traité de la peinture, de léonard de Vinci, Gault de Siant Germain, édition Sestié, 1820.
Globokar Vinko, Réflexions sur l’improvisation: le point de vue d’un praticien, In: Analyse Musicale, p.9, 1er trimestre 1989.
Globokar Vinko, Réagir…, in Musique en jeu nº1, pp.70-77, Editions du Seuil, Novembre 1970.
Goodman, Nelson, Langages de l’Art, Une approche de la Théorie des Symboles, Traduction Jacques Moritzot, Ed. Hachette Littérature, 1990.
Gruwé-Court, François, Leclère, Roland et Triby, Jean-Jacques, 50 activités d’éducation musicale à l’école élémentaire, publié par Marc Blanchet – CRDP Midi-Pyrénées, 2004.
Massaux, Aurélie, La perception visuelle, ou l’art de voir, in Découverte nº 341, p54-65, octobre 2006.
Sabatier, François, Miroirs de la musique, la musique et ses correspondances avec la littérature et les beaux-arts, XIXe – XXe, Tome II, Editions Fayard, 1998.
Saint Augustin, De Diversis questionibus 83 (quatre-vingt-trois questions), in Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites en français par M. l’abbé Devoille, sous la direction de M. Raulx, Tome V, p. 428-489, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867, 388-395. http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/comecr2/83questions.htm
Saint Augustin, De Musica (traité de la musique), livre I in Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites en français par MM. Thénard et Citolieux, Tome III, pp. 393-490, L. Guérins & Cie éditeurs, 1864, 388-391. http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/musique/index.htm
Weid, Jean-Noël von der, Le flux et le fixe, Librairie Arthème Fayard, 2012.
Annexe A : Liste des partitions graphiques
Cette liste est non exhaustive et inclut surtout des partitions graphiques que nous considérons comme non procédurales. Cependant, trois recueils (Cage, Karkoshka, Sauer) regroupent nombres de partitions graphiques qui ne sont pas détaillées dans cette annexe, même si d’autres, pourtant incluses dans un de ces livres, sont mentionnées ici pour être particulièrement significatives à notre propos.
Austin, Larry, Square (1963).
Brown, Earle, Folio (1952/53) and 4 systems (1954), associated music publishers, inc.
Bussotti, Sylvano, Rara, Romamor (dessin d’analyse), from the Rara Requiem, 1969.
Bussotti, Sylvano, Sette Fogli « Mobile-Stabile per Chitarre, Canto e Piano » (dédié à C. Cardew), 1931.
Cage, John, Variation II, Edition Peters, nº6768, 1961.
Cage, John, Notations, Something Else Press, Inc. (livre incluant des partitions de divers auteurs), 1969.
Cardew, Cornelius, Scratch Music, the MIT Press. Cambridge, Mass.
Cardew, Cornelius, Octet 61.
Childs, Barney, Operation Flabby Slepp – Pembroke Music Co. Inc.
Dallapiccola, Luigi, Concerto fatto per la nette di Natale, 1956.
Donatoni, Franco, Babai, 1963.
Globokar, Vinko par une forêt de symboles, Ricordi, 1986.
Globokar, Vinko, Correspondances (partie finale).
Feldman, Morton, Atlantis.
Feldman, Morton, Intersection.
Feldman, Morton, …Out of “last pieces”.
Feldman, Morton, The straights of Magellan.
Feldman, Morton, The King of Denmark, 1964.
Frith, Fred, Stone, Brick, Glass, Wood, Wire (Graphic Scores 1986 – 96). Voir album de 1999.
Haubenstock-Ramati, Roman, Decisions, 1961.
Haubenstock-Ramati, Roman, Alone nº1, 1974.
Holland, John, 5 sonatas for any solo player, 1974.
Kagel, Mauricio, prima vista, for diapositive and a sound sources, 1962/1964.
Kagel, Mauricio, Die Himmelsmechanikel, 1965.
Karkoschka Erhardt, Das Schriftsbild des Neuen Musik, Celle, Herman Moeck, 1966. traduit sous le titre Notation in new music: a critical guide to the interpretation, par Ruth Koenig, Universal Edition, 1972.
Knowles, Allison, Shoestring Song, 1982.
Kosugi, Takehisa, «+ -« , 1987.
Kupkovic, Ladislav, Maso Kriza, Universal Edition 1961-62.
Logothesis, Anastesis, Grafishe Notationen, Ed Modern-München, 1967.
Moran, Robert, Interiors, edition Peters, pour ensemble de chambre, 2011.
Sauer, Therese, Notations 21, Mark Batty Publisher, (livre incluant des partitions de divers auteurs) 2009.
Schnebel, Dieter, MO-NO. Musik z.Lesen, 1969.
Schäfer, Murray, Divan I Shams I Tabriz, for Orchestra, seven singers and electronic sounds, 1970.
Stockhausen, Karlheinz, Die zehn wichtigsten Wörter (Weihnachten / Christmas), 1991.
Surges, Greg, Fission, 2009.
Tenney, James, String Complement, 1964.
Udo, Kasemets, Trigon, Ed BMI Canada limited (Ontario).
Le texte qui suit est tiré de l’enregistrement d’une interview de Pascal Pariaud réalisée en novembre 2016 par Jean-Charles François et Nicolas Sidoroff.
Pascal Pariaud est clarinettiste et professeur à l’Ecole Nationale de Musique (ENM) de Villeurbanne. Dans ce cadre, il anime des ateliers où la pratique des partitions graphiques occupe une place importante. Il est membre du trio d’improvisation PFL Traject et du collectif PaaLabRes.
Il y a plusieurs aspects à l’utilisation de partitions graphiques dans le cadre de mon travail pédagogique à l’ENM de Villeurbanne. Lorsque Fred Frith est venu en résidence à l’école, en 1994, cela a donné l’occasion après son départ d’organiser des ateliers d’improvisation. Dans ces ateliers, sur une année, il y avait des périodes où l’on travaillait sur les graphic scores de Fred Frith. En même temps (c’était aussi le début de mon travail au Cefedem Rhône-Alpes) il y avait aussi Individuum Collectivum de Vinko Globokar dont certaines pages nous servaient aussi de support. Dans ces ateliers d’improvisation, petit à petit, les étudiants ont pu imaginer eux-mêmes des graphic scores. Ils apportaient leurs propositions de partition avec leurs propres modes d’emploi. J’en ai retrouvées quelques unes. Donc il y a eu les ateliers d’improvisation qui généraient beaucoup de tentatives de travaux sur les graphic scores. Plus récemment, il y a deux ans, avec une centaine de jeunes élèves, nous avons mené un projet avec KompleX KapharnaüM sur des partitions graphiques, associant des symboles à des sonorités ou à des modes de jeu. Nous avons aussi abordé des créations contemporaines réalisées par les enfants à partir de leurs propres modes de lecture : c’est eux qui déterminaient les sonorités et comment interpréter ces graphismes.
Les partitions graphiques de Fred Frith :
Dans les ateliers d’improvisation, on a joué beaucoup de graphic scores de Fred Frith. Les partitions graphiques de Fred Frith sont composées de photos qu’il retraite à l’ordinateur et dont il tire un mode d’emploi.
Prenons par exemple la partition de Fred Frith qui s’appelle Dry Stones : c’est un mur de pierres sèches. Chaque pierre correspond à un solo. Le premier musicien joue un solo représenté par la première pierre ; dès que le deuxième musicien se met à jouer la deuxième pierre, il oblige le premier à mettre en boucle l’extrême fin de ce qu’il est en train de faire. Il faut que ce soit un motif très court, une grappe de sons, ou même un seul son, que le musicien répète en boucle jusqu’à la fin, sur sa propre pulsation. Les solos doivent être assez énergiques et les boucles s’inscrivent dans un diminuendo général sur toute la durée de la pièce. Cette pièce peut être éventuellement dirigée afin de permettre au chef de choisir le matériau qui va être mis en boucle pour chaque solo. Dans ce cas là le geste déclenche la mise en boucle et le départ d’un autre solo. Et dans ce processus, ce qui est intéressant, c’est que tout s’empile et à la fin cela donne la superposition de toutes les cellules en boucle des participants qui s’entrechoquent entre elles, pour finalement arriver à un pianissimo total, et le dernier soliste se met en boucle à son tour. C’est une très belle pièce.
Dry Stones II de Fred Frith
Dans Dry stones, il faut que le solo soit évolutif et n’utilise pas un seul mode de jeu. C’est-à-dire qu’il ne doit pas être statique, parce que sinon, cela va être la même chose tout au long de la pièce. Ce qui me plait dans cette idée, c’est de profiter du moindre accident, du moindre petit truc, la petite chose qui change de timbre pour déclencher la mise en boucle du solo… Donc, quand je propose cette partition, je donne la consigne qui suit : « essayez de faire un solo qui soit évolutif, qui n’ait pas la même couleur tout le temps et qui permette à celui qui va rentrer d’avoir à choisir un matériau, qui ne soit pas donné au début et qui reste le même jusqu’à la fin ». Et toujours, les phrases seront de plus en plus calmes et de plus en plus pianissimo : « quieter and quieter », donc de plus en plus calme. Parce que la pièce part de façon énergique. En fait, « quieter » cela peut être dans la nuance, mais aussi dans le tempo. Les élèves ont le mode d’emploi, et quand ils ré-écoutent les enregistrements (enregistrer systématiquement les prestations des participants est un des principes importants dans les ateliers), ils sont tous à même de pouvoir dire quelque chose sur ce qui vient de se passer. L’idée c’est vraiment d’imaginer un solo qui évolue.
Fred Frith travaille souvent sur ce genre de chose dans ses graphiques, par exemple, Firewood : chacun part fortissimo sur une cellule, cela peut être quelque chose qui dure de deux à plusieurs secondes, qu’on joue en boucle. Il y a des instruments faibles qu’on ne va jamais entendre au départ, mais comme c’est un diminuendo global, à la fin, on entend émerger ces instruments que l’on n’avait jamais entendus jusqu’alors ; les instruments à vent qui sont très forts ont besoin de beaucoup de pression d’air, mais petit à petit, dès qu’il y a moins de pression on ne les entend plus, ce n’est plus que du souffle, cela fait donc émerger le guitariste ou ce genre d’instruments ; cette métamorphose est magnifique. Dans Firewood, les consignes sont assez prescriptives. C’est improvisé dans le sens où les gens choisissent leur matériau, mais une fois qu’on est parti, il convient de suivre les prescriptions. Il s’agit de diminuer pendant à peu près onze ou douze minutes. Il va falloir gérer les paliers et il s’agit là d’une difficulté liée à la technique instrumentale. Dans cette pièce il n’y a aucune interactivité entre les musiciens. Ce qui n’est pas le cas des autres partitions. Cela dépend des graphismes.
Firewood de Fred Frith
Voici maintenant Screen : tout se déroule dans le temps. Il y a deux mesures à cinq temps (noire égale 60) et chacun doit placer une cellule et la jouer en boucle toujours à la même place dans ces deux mesures (1 cellule toutes les 10 secondes) ; il faut que ce soit tout le temps la même cellule. Les taches blanches sur la partition représentent deux solistes (celui du haut et celui du bas) qui se répondent dans un dialogue évolutif ; ils s’appuient sur ce tapis sonore, lancinant et immuable.
Screen de Fred Frith
Zürich, de Fred Frith, est un paysage de feuilles sur la neige. On lit de bas en haut. Le bas est dense et le haut est parsemé de feuilles éparses. On part donc d’une masse sonore forte, grave et dense et on opère une métamorphose en quelques minutes vers des sons épars, aigus, pianissimo.
Zürich de Fred Frith
Souvent, avec les partitions graphiques de Fred Frith, il s’agit plutôt de photos conceptuelles. Avec la plupart des partitions de Fred, c’est le mode d’emploi qui compte le plus. En général, une fois que le concept est édicté, il n’y a pas besoin d’avoir la partition sous les yeux.
Voici comment une séance se déroule lors des ateliers d’improvisation, par exemple avec la partition de Fred Frith Firewood : je lis le mode d’emploi, un texte en anglais qu’on va traduire ensemble et je présente la photo. Tout ce qu’on va faire est enregistré. On enregistre tout et on réécoute tout de suite après. Il peut y avoir ensuite des discussions. Si je prends par exemple Dry Stones, on ne donne aucune consigne autre que celles indiquées dans la partition ; Frith ne donne pas de consignes de contenu. S’il s’agit de gens qui ont peu d’expérience dans l’improvisation, alors ils vont peut-être être tentés de rejouer des choses qu’ils connaissent déjà. Après avoir joué, en réécoutant l’enregistrement, les débats vont porter sur la question de savoir si on est obligé de faire des citations, si on s’en donne le droit de le faire, ou pas, ou dans ce cas là comment cela va influencer l’esthétique. La discussion va porter sur ce qui est faisable ou pas, ce qui est permis ou pas, sur le contenu a donner. Si on ne lit que le mode d’emploi, a priori tout est possible. Après, ce sont des choix esthétiques. Mais cela peut être aussi le cas d’enregistrer une prise unique et rien d’autre. On peut aussi écouter les versions qui ont été faites par Fred – il y a eu des disques de ces graphiques – pour voir comment d’autres musiciens s’y sont pris.
KompleX KapharnaüM :
C’était il y a deux ans à peu près, il y a eu ce projet développé en collaboration avec KompleX KapharnaüM, une compagnie « qui réunit des vidéastes, musiciens, techniciens, écrivains, performers, plasticiens, concepteurs constructeurs… autant de compétences indispensables à la création » d’interventions dans la cité. C’était un travail sur un personnage imaginaire qui racontait des histoires. Il y avait plusieurs manifestations dans la ville pour petit à petit cerner un petit peu mieux ce personnage. Il racontait une histoire de l’immigration de l’Algérie à Villeurbanne. Komplex KapharnaüM travaille souvent sur un lien avec la vie des habitants. Il y avait donc une bonne soixantaine d’élèves de premier cycle de l’ENM de Villeurbanne (dans le programme intitulé “EPO” [L’Ecole par l’Orchestre]) qui ont joué dispersés en petits groupes sur un terrain vague à partir de symboles, et c’était une partition qui était minutée. Chaque groupe jouait sa propre partition avec son propre minutage. Le minutage était conçu pour que des évènements se répondent, se juxtaposent ou se superposent. Chaque symbole correspondait à une mélodie ou à une sonorité.
Avec KompleX KapharnaüM, j’ai trouvé que c’était un projet qui était globalement intéressant par cette quête de savoir d’où l’on venait, développée dans la cité. J’ai toutefois regretté qu’il n’y ait pas eu plus d’initiative de la part des élèves dans le projet. Mais musicalement il est possible d’aller peut-être vers quelque chose de plus intéressant pour les élèves, parce que le fait de vouloir aller vite crée la tentation de leur donner des consignes trop prescriptives.
Projet avec KompleX KapharnaüM
Projet avec KompleX KapaharnaüM
L’écriture de partitions graphiques par les participants eux-mêmes :
Voici des exemples parmi toutes les partitions qu’ont pu écrire les élèves. Je pense à la grande partition qu’ils avaient faite au “Grenier à musique” il y a deux ou trois ans, dans un atelier avec Gérald Venturi (professeur de saxophone à l’ENM de Villeurbanne). Ils avaient élaboré une grande partition qui, par terre, couvrait la totalité du “Grenier à musique”. Les jeunes élèves avaient tout construit, c’était leur langage à eux, leur graphisme, leur truc. Le résultat était une pièce d’à peu près un quart d’heure de musique.
Exemple de réalisation d’une partition graphique écrite par les élèves de l’ENM de Villeurbanne
Pour eux la partition était davantage un outil pour se remémorer ce qu’il y avait à faire. Ils étaient tellement impliqués dans leur création qu’ils n’avaient pratiquement pas besoin de la lire. La partition se construisait de semaine en semaine et mesurait au moins dix mètres de long ; ils se l’appropriaient au fur et à mesure.
Il y avait aussi un groupe qui avait fait une création, ils étaient cinq. Là aussi, ils n’avaient jamais eu besoin de regarder leur partition pendant qu’ils la jouaient, ils l’avaient intégrée.
Ce qui m’a intéressé dans l’élaboration par les étudiants eux-mêmes de partitions graphiques, c’est qu’elles devaient être compréhensibles pour tout le monde, pour tous les autres participants.
Le projet autour de l’exposition de tableaux :
Il y a une expérience qu’on est en train de mener en ce moment, avec Gérald Venturi et la professeur de danse Marie Zénobie-Harlay : dans le hall de l’école qui donne sur la cour, il y a en ce moment une exposition de tableaux Delphine Coindet. Ces tableaux ont été exposés au Musée d’Art Contemporain de Villeurbanne. Il y a des tableaux de toutes les couleurs, ce sont des tableaux dont les graphismes sont en tout point identiques, mais chaque tableau a une couleur différente ; ce sont des copies avec des couleurs différentes.
Les élèves ont passé du temps devant ces tableaux pour en dégager les éléments saillants ; ils ont notés notamment le côté griffonnage des tableaux. On s’est dit alors qu’on allait réfléchir à une forme musicale. Nous avons décidé que chaque tableau serait considéré comme un refrain ; dans chaque refrain on retrouvait la matière agitée liée au griffonnage ; cela donnait une matière un peu énergique et rapide ; pour la couleur de chaque tableau il s’agissait de trouver un mode de jeu qui corresponde à tous les instruments. Chaque tableau est un refrain d’une couleur sonore légèrement différente à partir d’un point commun : l’action de gratter.
Des “couplets” s’intercalaient entre les refrains : on a essayé de répertorier avec les enfants tout ce qu’il n’y avait pas dans ces tableaux, par exemple des lignes, des courbes, des points, etc. ; les couplets devaient avoir un matériau différent pour qu’on puisse reconnaître à chaque fois les différentes versions des refrains. Les danseurs ont travaillé à caractériser les éléments graphiques contenus dans les tableaux selon les mêmes principes adoptés par les musiciens : par exemple rechercher des micro-différences pour illustrer les différentes couleurs.
Réflexions sur les partitions graphiques :
Du côté de ma vie professionnelle de musicien, j’ai joué beaucoup de pièces contemporaines, il s’agissait rarement de graphismes, c’était plutôt de la musique écrite en notation musicale traditionnelle. Avant de rencontrer les partitions graphiques de Fred Frith, j’avais vu la pièce de Cardew, Treatise, mais je n’ai jamais eu l’occasion de la jouer ; en fait, je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de jouer des partitions graphiques. Pourtant j’ai fait partie de Forum, qui était un groupe de musique contemporaine à Lyon dirigé par Mark Foster pendant pas mal d’années, c’était toujours de la musique plutôt écrite de manière traditionnelle. J’ai travaillé avec Ohana et Kagel, c’était aussi des pièces écrites souvent en notation musicale traditionnelle.
Il y avait bien des tentatives de graphismes comme dans les pièces de Crumb, mais cela restait tout de même dans le cadre de la musique écrite conventionnelle ; ces pièces me paraissent différentes des partitions graphiques. Chez Crumb les portées sont simplement présentées dans des formes circulaires ou des formes de ce genre, mais cela reste une partition écrite qui se lit de manière traditionnelle. Les partitions graphiques ne sont pas seulement des partitions qui impliquent des instructions pour jouer, il y a un aspect subjectif qu’il faut peut-être prendre en compte. Si je compare les partitions graphiques de Fred Frith avec Eleven Echoes of Autumn de Crumb, pour violon, clarinette et piano – en fait, les moments où il y a des cercles ou des choses de ce genre – dans cette dernière, tout est prescrit, la moindre nuance, la moindre note, et c’est très précis, alors que dans celles de Fred, il y a beaucoup plus de subjectivité puisque le matériau musical n’est pas défini, il est simplement suggéré. A mon avis, Firewood de Fred Frith se présente de la manière suivante : il y a des creux, il y a des choses qui apparaissent, qui vont disparaître, c’est-à-dire que le concept général de la pièce va être qu’il y a des choses qui vont être au lointain et qui, à un moment donné, vont émerger. Pour moi, c’est vraiment cela, il y a des choses profondes, comme s’il y avait plusieurs plans. Si j’écoute différentes versions du Crumb, celles-ci seront, à mon avis, souvent assez proches, parce que tout est tellement précis et écrit. Alors que, j’imagine que Firewood interprété par deux groupes, ce sera très, très différent.
Les clochers de Llorenç Barber :
Il y a une autre expérience que l’on a menée qui utilisait un chronomètre : une partition graphique du compositeur espagnol Llorenç Barber, dans le cadre du festival Musiques en scène à Lyon. Llorenç Barber est un compositeur et percussionniste qui travaille sur des cloches. La pièce consistait à faire sonner ensemble tous les clochers de Lyon avec 150 participants. Et le public déambulait dans la ville : selon l’endroit où les gens étaient placés, leur écoute de la pièce allait être complètement différente. Sur la partition, il y avait différents graphismes pour symboliser les différents modes de jeu, le frapper, le gratter, etc. Et pour que tout le monde parte en même temps il y avait une fusée de feu d’artifice qui déclenchait un chronomètre dans chaque clocher, et à partir de là les groupes réalisaient ce qui était noté dans la partition. Moi, je me rappelle, j’étais dans un clocher pourri, avec un tas considérable de merdes de pigeons, et j’étais avec Llorenç justement dans ce truc, avec des bottes. Au bout d’un moment, tout à coup il y a un policier qui monte dans le clocher et qui nous dit : « arrêtez moi ça tout de suite, il y a des mecs en bas avec des barres de fer qui vont vous péter la gueule ». Alors nous on était là à crier : « Non ! non ! » (déjà les cloches faisaient mal aux oreilles, on avait mis des bouchons) ; on a dit « Non ! On a le droit, c’est un festival, Musiques en scène, on nous a donné l’autorisation ». Alors, après le policier est parti, on avait les jetons quand il a fallu descendre, parce qu’on s’est dit : « s’il y a des mecs en bas qui nous attendent avec des barres de fer, on est mal ». Ils n’étaient pas contents parce qu’on faisait trop de bruit. En plus on était dans une église qui ne sonnait plus ses cloches depuis des années. C’est pour ça qu’il y avait tant de fientes de pigeons toutes sèches, et que nous portions des bottes… En arrivant en bas, on s’attendait à voir des mecs vraiment furieux, et là on voit un petit pépé dans un grand pardessus qui vient : il pleurait. C’était l’ancien bedeau de l’église qui avait reconnu ses cloches ; il était couché dans son lit, il a entendu ses cloches ; alors il s’est vite rhabillé, il faisait un froid de canard, il est venu voir ce qui se passait ; il était tout ému et il a dit « ce sont mes cloches, qu’est-ce qui se passe ? ». Alors on lui a expliqué ; on était content de le rencontrer, lui, plutôt que des vieux fachos qui avaient sommeil. Donc finalement, c’était chouette. Parmi les 150 participants, il y avait des étudiants du CFMI, il y avait plein d’étudiants de l’ENM de Villeurbanne (je coordonnais ce projet au niveau de l’école) et puis on faisait des répétitions dans le “Grenier à musique” avec des casseroles et des ustensiles de cuisine, c’était assez sympathique.
Les ateliers d’improvisation :
Les partitions graphiques, dans les premiers temps de l’atelier d’improvisation, permettaient aux élèves de rentrer facilement dans l’improvisation avec des consignes qui étaient assez claires et qui les mettaient sur un même pied d’égalité. Quand il y avait besoin de faire un petit solo, tout le monde était obligé de s’y coller, il n’y avait pas le choix. Si je prends Dry Stones de Fred Frith, tout le monde devait s’y coller, il n’y avait pas de peur vraiment vis-à-vis de ce processus. C’était une entrée qui permettait à tout le monde de rentrer dans l’improvisation assez facilement, sans crainte. Si on dit à un gamin « bon, eh bien vas-y, improvise », il y en a qui vont peut-être être à l’aise, et d’autres vont être complètement paniqués ou n’avoir pas du tout envie de le faire. C’était une entrée parmi d’autres entrées qui n’étaient pas liées aux graphiques, mais qui permettait aussi cela.
Dans les partitions graphiques, il y a un petit côté qui sort de l’ordinaire par rapport à une partition classique, qui permet aussi de se dire : « Eh bien, on peut toujours imaginer que n’importe quel support peut devenir un mode d’accès à une pratique », comme on peut dire par exemple que tout ce qui nous entoure est son. On peut aussi dire que tout ce qui peut être visuel peut être décliné musicalement d’une façon ou d’une autre. Il est aussi possible de considérer n’importe quelle photo comme une partition, on peut en imaginer un mode d’emploi, en vue de produire des sons. Et puis, les partitions de Fred avaient quand même l’avantage de faire travailler les participants sur une matière sonore. Ce qui me gênait parfois quand je demandais à des élèves d’imaginer un moment d’improvisation – surtout chez les petits – c’était souvent qu’ils proposaient des manières d’illustrer un volcan, la mer… C’était ce genre d’illustration anecdotique qui revenait, et au bout d’un moment c’était un peu restreint. Tandis que là, on pouvait rentrer vraiment dans le travail sur les sonorités. Et les pages de Globokar, aussi. Je prends par exemple la page appelée « Circulaire » de Globokar, où quelqu’un donne chacun à son tour des cercles différents, des sonorités différentes, et doit se sentir au centre, donc improviser au centre, mais en se créant son environnement sonore. Voilà, il s’agit ici de travailler sur des sonorités. Voilà ce qui a été tenté.
Au début, quand j’ai créé l’atelier, je n’avais pas des milliers de pistes de travail devant moi. J’aimais bien cette piste des partitions graphiques, parce que je trouvais que c’était une entrée qui était assez ludique pour les élèves : ils se sentaient à l’aise. Petit à petit, on a développé d’autres choses qui n’étaient pas du tout liées à des graphismes.
Je me suis aperçu que la culture du XXe siècle était faible chez les étudiants. On n’entend pas tant que ça de musique contemporaine, j’ai le sentiment que la grande culture du XXe siècle n’est pas assez connue. Je m’étais dit « j’associerais bien à l’intérieur de ce moment-là – l’atelier d’improvisation – plus de relation entre les compositeurs et les improvisateurs ». L’idée était de créer un lieu où les élèves repartent avec un bagage un peu plus large de cette période des années 1950-60 jusqu’à nos jours. Vingt séances d’une heure et demie, ça passe vite. Du coup, les graphic scores ont pris de moins en moins de place. Pas par un rejet, mais aussi parce que je trouvais de l’intérêt d’aborder d’autres manières de procéder. Le fait de travailler dans le cadre de PFL Traject m’a aussi donné des façons de travailler différentes, que j’ai réinjectées dans ces ateliers-là. Le fait d’avoir travaillé sur des protocoles, cela a donné l’envie d’en imaginer d’autres avec les élèves. Cela crée d’autres entrées qui sont assez passionnantes, ce qui fait que les graphic scores ne constituent maintenant qu’une facette d’entrée parmi d’autres. Comme le « Sound painting » peut l’être aussi : il est arrivé aussi qu’on fasse une séance là-dessus, même en considérant les limites que suscitent cette pratique. Mais cela n’empêche pas qu’on puisse l’essayer et en parler.
Au début des ateliers, je me suis servi assez fréquemment des partitions graphiques de Fred Frith. Cela fait quelques années que je ne m’en suis presque plus servi. Disons que c’est une des facettes de l’atelier d’improvisation : sur une année, on va aborder cela pendant une séance ou deux. En fait, l’atelier d’improvisation – cette année ils sont à peu près huit ou neuf participants – est un lieu ou l’on va un peu essayer de voir les apports qu’ont eu les compositeurs et les improvisateurs entre eux. C’est-à-dire, on va voir un peu ce qui s’est passé aux Etats-Unis, on va par exemple regarder des DVD sur Cage, comment il traitait les instruments, sur Harry Partch, comment il a construit ses instruments, comment il a trouvé de nouvelles échelles, sur la manière avec laquelle le piano a évolué. Il y a une femme pianiste, Margaret Leng Tan, qui a fait un DVD là-dessus (sur Cowell, Cage et Crumb) de grande qualité, qui montre un peu l’évolution de la façon de toucher le piano. Donc il s’agit d’un lieu où l’on va aborder un peu la culture du XXe siècle, à travers des compositeurs, pour voir comment une partition peut être traitée : comme une matière sonore qui se déplace, comme c’est par exemple le cas de certaines partitions de Ligeti. Il s’agit d’établir un lien entre la musique écrite et la musique improvisée, de voir les apports de chacun dans l’évolution des pratiques. Le graphic score n’est donc abordé qu’un moment dans l’année, cela ne va pas prendre une place énorme, il s’agit juste de montrer qu’il y a aussi cette façon de procéder. Il faut aussi profiter des compétences des gens qui sont là : par exemple, cette année dans mon atelier, il y a une flûtiste dont le métier est de faire du dessin animé ; ainsi nous profitons de ses compétences comme prétexte pour travailler sur un dessin animé (Voir le lieu-dit Bois). Avec vingt séances dans l’année, ce sera vite rempli. On travaille aussi sur d’autres choses : cette année nous allons travailler sur un Lied de Schubert et chacun va donner sa version du Lied de Schubert pour le groupe ; l’idée est de voir comment s’approprier une musique déjà existante.
Faut-il alors appeler l’atelier « atelier d’improvisation » ? En fait, je l’appelle ainsi parce qu’on improvise beaucoup dans cet atelier. Mais quand je présente l’atelier, je fais un préambule pour expliquer ce qu’on va y faire. Je parle un peu de tout ce qu’on va faire, de comment on va développer soi-même un matériau musical, comment on va co-construire une sonorité, comment on va travailler éventuellement sur le film, toutes les facettes qu’on va faire à l’intérieur de cet atelier, c’est très large. Je ne saurais pas en conséquence le définir. Je sais seulement que l’improvisation y est présente. C’est vraiment un atelier où l’on va beaucoup improviser, mais avec plein d’entrées différentes. Et puis lié à une connaissance un peu de la culture du XXe, qui me semble un peu laissée sur le côté.
En ce qui concerne le protocole de réécoute des enregistrements réalisés pendant l’atelier, on ne parle pas beaucoup pendant la réécoute. Quand il s’agit de petites plages, comme par exemple chercher une sonorité, essayer d’imiter une sonorité, on peut tout de suite réécouter. Mais il y a parfois des plages qui sont très longues, et si à la fin on termine par un quart d’heure d’improvisation, le cours est fini au moment où l’on s’arrête de jouer. C’est pour cette raison que je leur envoie sur internet des plages qu’ils vont réécouter seuls. Je mets tous les enregistrements dans mon ordinateur que je leur envoie le jour même. Ils établissent un dossier « atelier d’improvisation » et c’est à eux de réécouter. En conséquence il y a des choses dont on ne rediscute pas ; parce que quand je leur envoie un fichier-son, ils l’écoutent (ou pas!), mais on sait que cette archive existe.
Les partitions graphiques dans les cours de clarinette :
Il est arrivé d’aborder les graphic scores dans mes cours de clarinette, quand je regroupe mes élèves, parce qu’il faut être un certain nombre pour faire cette activité.
Nous avons souvent joué avec mes élèves clarinettistes la pièce dont la consigne est : « Faites comme vous voulez » (de Fred Frith). Il s’agit dans cette pièce de suivre une personne qui joue un son sur une expiration ; elle respire ; tout le monde reprend le premier son et cette personne rajoute un deuxième son ; alors, il faut que les autres trouvent la bonne note ; ainsi il y a les élèves qui vont regarder le doigté (on pourrait dire comme consigne qu’on ferme les yeux) ; la personne ajoute ensuite une troisième note, tout le monde se greffe sur sa deuxième note, et ainsi de suite. Donc cela développe la mémoire et puis aussi le sens de gérer son expiration pour que tout tienne, et c’est arrivé que des élèves arrivent à aller jusqu’à quinze notes à la suite. Moi, au bout de la septième, je n’ai plus de mémoire, moi, ça commence à partir en « live » ! C’est une pièce très reposante et calme. Je l’ai fait souvent au cours de clarinette, quand je les regroupe tous, parce que si c’est réalisé avec trois élèves, cela n’a aucun intérêt. Ce qui est beau c’est d’avoir ce son global, d’avoir cette masse de musiciens qui font la même chose.
Dans un cours d’instrument, il peut se passer aussi des tas de choses liées à l’improvisation mais qui vont être peut-être de nature différente que dans l’atelier d’improvisation où l’intérêt est d’avoir la présence d’une variété de timbres. Quand il y a trois ou quatre instruments identiques, on ne va pas faire les mêmes exercices d’improvisation qu’il est possible de faire avec des instruments différents. Parce que s’il s’agit d’imiter le timbre d’un autre instrument, il faut le faire avec des instruments qui sont divers, mais si c’est pour ne le faire qu’avec des clarinettes, cela n’a aucun intérêt. L’improvisation peut se décliner de différentes façons selon les contextes.
Le « Sound painting » :
Associer des symboles écrits – comme ce qu’on a fait avec « KompleX » – ça ressemble un petit peu au « Sound painting », parce que, que ce soit un signe qui est écrit, ou que ce soit un chef qui donne des indications, à mon avis, c’est très proche.
Il m’est arrivé d’utiliser le « Sound painting » pour que les élèves prennent en main un petit peu le groupe, c’est-à-dire oser être en mesure d’imaginer des sonorités. Cela les met en situation d’être responsables devant tout le monde. Mais j’ai vu les limites que cela peut avoir. J’ai assisté une fois à un concert de « Sound painting< » ici, à Villeurbanne dans la salle Duhamel, avec quelqu’un de très connu, comment il s’appelle ce saxophoniste de jazz ? Je crois que c’était François Jeanneau. J’avais été très déçu, parce que des élèves de l’atelier d’improvisation y participaient et que je les observais dans cette situation particulière. Cela m’avait fait un peu mal au ventre de voir qu’en fait ils n’avaient aucune initiative. C’était lié un peu au jazz, et ces étudiants-là qui faisaient partie de mon atelier d’improvisation et qui venaient du secteur classique, avaient eux les yeux rivés sur le chef et il ne se passait absolument rien en interaction entre tous les étudiants. Cela m’avait un peu mis mal à l’aise de les voir ainsi tétanisés, et puis les seuls moments où l’on commençait à improviser, c’était forcément fait par des gens qui venaient du jazz ; eux seuls avaient le droit de le faire. Et puis on en avait souvent discuté, et un jour un étudiant qui était pianiste, dans un programme de DEM, qui avait choisi de participer à l’atelier avait fait des stages de « Sound painting » et il avait envie d’essayer une expérience dans ce sens. Donc on lui avait laissé tenter cette expérience, qui avait été assez concluante dans le sens où il embarquait bien les élèves dans des processus intéressants. Justement, cela avait été une source de débat entre nous : il s’agissait de prendre conscience des limites qui pouvaient exister dans le fait que les participants restent quand même des exécutants, et du coup, ont peu d’initiative. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en faire, mais il faut en connaître les limites. J’utilise assez peu cette manière de procéder, mais il m’est arrivé de m’en servir pour que les gens puissent la connaître. Ne pas avoir envie de faire quelque chose ne veut pas dire qu’il ne faut pas la montrer aux élèves : si cela existe, c’est de cela qu’il s’agit, et voilà ce que cela peut produire. Mais justement, si l’on sent qu’il y a des limites dans le fait que ça ne communique pas, que les élèves ne communiquent pas entre eux, on peut imaginer justement des symboles qui vont faire qu’ils puissent communiquer entre eux. On peut toujours trouver des moyens d’arriver à des objectifs.
J’ai parfois parlé du « Sound painting » avec des gens qui le pratiquaient et qui me disaient que ce que j’avais vu c’était peut-être une très mauvaise expérience, mais qu’il y en avait de très bonnes. Alors, je demande à voir ; je n’ai pas assisté à beaucoup d’expériences de ce genre, j’imagine que cela peut être différent.
La sonorisations des films :
Nous avons souvent abordé la sonorisation d’un film avec les ateliers d’improvisation. A l’époque (2000-2012) il y avait un festival de « musique et image » organisé au sein de l’école et donc les ateliers d’improvisation jouaient souvent dans ce contexte. On essayait toujours de ne pas trop aller dans l’illustration, de ne pas trop coller à l’image, mais d’avoir plutôt une lecture un petit peu plus globale. Parfois c’était difficile, car cela dépendait du film : si c’était vraiment un film genre dessin animé avec de l’action, il était difficile de ne pas tomber dans l’illustration. Alors on demandait le plus possible des films expérimentaux, avec des images qui se déforment et des choses plus abstraites, mais on ne tombait pas forcément tout le temps sur ce type de film. Je trouvais que c’était plus facile pour nous quand c’était des films de ce genre.
L’année dernière il y a eu un étudiant du Cefedem, Alvin, qui est venu faire six semaines de résidence avec un atelier d’enfants (dans le programme EPO), sous la supervision d’Adrien, un ancien étudiant, et de moi-même. Ce qu’il a fait était assez passionnant, parce qu’il a montré aux élèves plusieurs films différents ; il a demandé aux élèves d’essayer de dégager tout ce qui concernait la musique dans un film, quel type de musique il y avait dans un film. Alors, les élèves ont pu comparer de la musique vraiment illustrative sur des gestes précis, de la musique plus globale, les ambiances, etc. Les élèves avaient une grande capacité de vraiment bien capter les différentes strates qui pouvaient exister, et les différentes fonctions de la musique. C’était un atelier vraiment très bien mené.
Et du coup, après cette expérience, les élèves ont choisi de travailler sur un des films proposés. Ils n’avaient jamais écouté la musique de ce film-là car la piste audio ne leur avait pas été donnée. Et ils ont créé leur univers en faisant vraiment tout : ce qui était plage, plage globale, et puis rajouter les choses sonores spécifiques correspondant à des évènements précis, etc. Le résultat était vraiment remarquable. Alvin les faisait travailler par petits groupes, ils se mettaient dans les coins de la salle par petits groupes, un groupe s’occupait de la musique globale, d’autres qui intervenaient sur différents trucs, et le résultat était franchement enthousiasmant. Et les enfants voyaient souvent des choses que moi, par exemple, je ne voyais jamais. Ils captaient des trucs incroyables, des détails, des petites choses, ils comprenaient souvent le film mieux que moi. Ils comprenaient vraiment bien ce qui se passait dans le film. Et donc de savoir que dans mon atelier, il y a cette année une étudiante qui fait des films d’animation, (Lucie Marchais, qui sort de l’école Emile Cohl), je trouve que c’est chouette, parce que ça va être vraiment riche, je suis donc bien content ! (Voir le lieu-dit Bois).
En ce moment, j’ai une amie instit’, une super institutrice, qui travaille avec des méthodes vraiment très chouettes, qui a un vrai respect pour les élèves et qui encourage la communication dans sa classe. Je vais dans cette classe une matinée par semaine pour travailler avec ces élèves, à la sonorisation d’un film expérimental. Dans ce projet qui concerne toute l’école – c’est ça que je trouve intéressant – chaque élève va se retrouver avec un bout de pellicule de 35 millimètres d’une durée d’une seconde. Donc ils auront une pellicule chacun d’une seconde à griffonner ou à gratter. Soit ils “javelliseront” cette pellicule afin de la rendre vierge, et ensuite ils colleront, mettront de l’encre, dessineront, etc… Chacun va faire son petit bout, ça correspond à une seconde, il y a 24 images. Il y a cinq cent élèves à peu près dans toute l’école, donc il y aura à peu près quatre minutes de film avec de la musique à fabriquer. C’est la classe de Delphine qui est chargée de réaliser la bande sonore. Toutes les semaines, j’y vais avec des pailles, et autres objets, on fait des enregistrements, on co-construit des matières. Cela va donner un film expérimental, enfin, qui n’aura pas d’histoire, qui ne va rien raconter. L’autre jour on a enregistré toutes les sonorités possibles qu’on pouvait faire avec une paille et un verre d’eau. Je suis allé acheter des pailles beaucoup plus grandes pour pouvoir travailler avec des volumes plus gros, avec des sons plus intéressants. On va aussi travailler sur la voix, sur les rires, sur les sons vocaux, parce qu’il n’y a pas d’instruments (Voir le lieu-dit École Zola).
En rapport avec les relations entre les arts plastiques et la musique, le fils d’un de mes amis qui a fait l’école de design à Saint-Etienne, est en ce moment à Rotterdam chez un artiste qui fabrique des hyper grosses structures. Et lui, qui n’a pas fait spécialement de musique, il s’occupe uniquement du son. Et il fabrique des sons avec d’énormes tuyaux, des ventilateurs, enfin tout un tas de choses. Il a une idée de la matière sonore. Je pense qu’il y aurait matière à travailler avec des plasticiens. On a quelquefois des envies communes, et eux ont des représentations de ce que peut être l’univers sonore.
Vous pouvez continuer votre parcours en allant vers différentes « réalisations » et lieux-dits adjacent·es :
A version in English will be soon on acrossthebridges.org
And a pdf (in English) can be found right there :
(8p, A4 landscape format in 2 columns, 350Ko)
Cette rencontre a été organisée à l’initiative d’Alexandre Pierrepont,
à l’occasion du concert de l’ensemble The Bridge 4 au Périscope à Lyon, le jeudi 6 octobre 2016 Shore to shore (The Bridge #4) : Mwata Bowden, Julien Desprez, Matt Lux, Rob Mazurek et Mathieu Sourisseau.
Merci au Périscope d’avoir accueilli cette rencontre.
The Bridge forme un réseau d’échanges, de production et de diffusion, un pont transatlantique régulièrement traversé par les musiciens français et par les musiciens américains dans le cadre de projets coopératifs. Et, complémentairement aux projets ponctuels auxquels The Bridge donne lieu et accès, ce réseau favorise et pérennise les rencontres et les relations, sur la durée, entre musiciens créateurs. C’est-à-dire : leur donner le temps et les espaces pour se joindre et se rejoindre, des deux côtés de l’océan, et pour approfondir leurs échanges.
PaaLabRes (Pratiques Artistiques en Actes, Laboratoire de Recherches) est un collectif de musiciens, en existence depuis 2011, qui tente de définir les contours d’une recherche menée par les praticiens eux-mêmes autour d’expressions artistiques qui ne débouchent pas sur des œuvres définitives.
présents pour The Bridge :
Rob Mazurek
Julien Desprez
Alexandre Pierrepont
présents pour PaaLabRes :
Gilles Laval
Nicolas Sidoroff
Jean-Charles François
Et vous, qu’est-ce que vous faites ? Alexandre nous a dit que vous êtes des scientifiques.
Nicolas S. :
(rire) Ouais !
Rob M. :
Un percussionniste scientifique, un trompettiste scientifique, un guitariste scientifique…
Nicolas S. :
C’est très logique…
Rob M. :
Vous êtes des chercheurs dans le domaine de l’improvisation ? Quel genre de travail faites-vous ? Est-ce de la théorie ou de la pratique ?
Jean-Charles F. :
Il s’agit aussi de pédagogie.
Rob M. :
C’est bien !
Jean-Charles F. :
Nous sommes un collectif, ce qui veut dire qu’il y a plusieurs groupes…
Julien D. :
Quel est le nom du collectif ?
Jean-Charles F. :
PaaLabRes (avec deux « aa », p a a l a b r e s).
Julien D. :
Paaaalaabres…
Rob M. :
C’est du français ?
Jean-Charles F. :
Pratiques Artistiques en Actes, Laboratoire de Recherche.
Rob M. :
Et vous connaissez Alexandre depuis longtemps ?
Jean-Charles F. :
Non, on s’est rencontré à Paris en mars dernier, et j’ai lu son livre, c’est un livre de très haute qualité.
Rob M. :
Et vous, vous écrivez des livres ?
Jean-Charles F. :
Oui.
Nicolas S. :
Il écrit des livres, il écrit des articles… Nous essayons de mener des recherches en parallèle avec le monde universitaire, de mener la recherche de différentes manières, de publier les produits de la recherche en les présentant dans différents formats.
Rob M. :
Des manières alternatives de partager la circulation des idées plutôt que dans une façon trop académique de le faire ?
Nicolas S. :
Oui. C’est pourquoi nous avons ri quand vous avez dit qu’on était des « scientifiques ».
Julien D. :
C’était juste pour essayer de savoir ce que vous faisiez.
Rob M. :
Qu’est-ce que vous voulez savoir sur nous ?
Jean-Charles F. :
On voudrait savoir ce que c’est que The Bridge.
Alexandre P. :
Il s’agit de… On peut parler au sujet du Bridge, et je peux en parler. Ce n’est pas que je ne veuille pas leur laisser le soin d’en parler…
Julien D. :
Ce Bridge en particulier [l’ensemble Bridge 4]…
Alexandre P. :
Oh ! Ce Bridge, bien sûr ! Excusez-moi. Ils voulaient parler de ce Bridge, et de l’improvisation, ce n’est pas seulement de parler de The Bridge.
Le Bridge 4
Rob M. :
Le Bridge est une aventure extraordinaire, je veux dire qu’il n’y a pas beaucoup de gens au monde qui ont pu faire cela comme Alexandre en a été capable. Il y a douze groupes.
Julien D. :
Douze groupes, douze « Bridges ». En trois ans.
Rob M. :
Douze unités de travail en existence, et la possibilité de les mélanger…
Julien D. :
On s’est rencontré avec The Bridge et après, on s’est croisé dans plusieurs endroits dans le monde, comme en Italie… Il s’agit d’établir des connexions entre les gens.
Rob M. :
Oui ! C’est une manière intéressante d’apprendre des choses sur le jeu de quelqu’un d’autre. C’est tout à fait spécial, vous savez. Et peu de temps après, ayant joué ensemble un concert en duo à Paris, nous avons pu partager nos univers musicaux. Le réseau du Bridge s’agrandit, vous savez, et se contracte. Ce sont toutes ces activités qui produisent vraiment un son particulier, ou l’opposé d’un son particulier. Ainsi on peut avoir l’envie de jouer avec quelqu’un avec lequel vous êtes très à l’aise, mais parfois on peut avoir l’envie de jouer avec la personne avec laquelle vous êtes le moins à l’aise, et alors, vous savez, je pense que si socialement tout le monde faisait cela dans le monde, il n’y aurait plus de guerres.
Jean-Charles F. :
Si vous jouez avec la pire des personnes…
Rob M. :
Il ne s’agit pas de la pire des personnes !
Jean-Charles F. :
… il n’y aurait que des guerres !
Rob M. :
Ou au contraire (rire) la guerre la plus pacifique !
Nicolas S. :
Quand on va naviguer sur le site du Bridge, on n’est pas sûr de comprendre comment vous vous êtes rencontrés et si vous vous êtes choisis ou non.
Julien D. :
Je pense que cela a été différent pour chaque groupe. Pour notre groupe, je pense que c’est toi, Rob, qui a suggéré à Alexandre de la composition d’un Bridge, ou quelque chose comme ça, ou bien on s’est rencontré pour jouer en duo en France…
Rob M. :
Oui, j’ai proposé quelque chose et puis on a d’abord joué en duo… J’ai probablement dit que je voulais travailler avec toi, et ensuite Alexandre a eu l’idée d’inclure des cordes, d’avoir deux basses et une guitare, avec deux soufflants, et d’avoir aussi un saxophone baryton et une clarinette ayant un répertoire très vaste de possibilités, et un cornet qui en a un minime… Cela semblait être une combinaison intéressante que je n’avais jamais essayée auparavant. Je n’ai sans doute jamais eu l’opportunité de créer un tel ensemble. J’ai trouvé qu’il était bon de faire partie de ce projet auquel je n’aurais jamais pensé. Car j’ai mes propres manières de procéder. Je suis très à cheval sur le choix des personnes avec qui j’accepte de jouer de la musique, et je ne suis pas sûr que c’est toujours la solution la plus souhaitable, si tu vois ce que je veux dire.
Julien D. :
Oui, je trouve aussi que l’orchestration du groupe est intéressante. Et, sans doute, pour nous le son qu’on peut produire toi et moi est assez nouveau. Je suis encore surpris par tous les sons que les membres du groupe font et de ce qu’ils sont capables de proposer. Et aussi par rapport aux différentes cultures en présence, je pense.
Gilles L. :
Vous êtes les compositeurs pour cet ensemble ?
Rob M. :
C’est complètement improvisé.
Julien D. :
Oui, il n’y a pas de compositeur ou de leader.
Rob M. :
Pas de leader.
Gilles L. :
Comment travaillez-vous lors des répétitions ?
Julien D. :
Il n’y a pas de répétitions, on joue directement. On ne se rencontre que quand on joue sur scène, lors des tournées…
Rob M. :
On a fait les premiers concerts à Chicago – combien de concerts a-t-on joués ? Cinq ? Dix ?
Et c’est comme cela qu’on a commencé ce projet… Et même si les concerts de Chicago ont été l’occasion de déterminer de quoi il s’agissait, dès le début tout a fonctionné dès la première note jouée. Mais je pense qu’on est en train de réaliser que cette époque des premiers concerts, c’est comme si c’était hier.
Julien D. :
C’est vraiment marrant, si les deux ou trois premières dates de Chicago ont été de très bonne qualité, on savait aussi, comme tu viens de le dire, que quelque chose pouvait se développer.
Rob M. :
Et vraiment, je pense que c’était une rencontre culturelle et aussi une manière de percevoir nos manières d’agir…
Julien D. :
Exactement !
Rob M. :
Il nous fallait en quelque sorte apprendre… ou désapprendre. Désapprendre nos propres partis pris et apprendre des autres par rapport à ce qu’ils font. Parce qu’il s’agit d’un groupe plutôt basé sur la diversité, par rapport à ce que chacun d’entre nous fait, a déjà fait, et pense faire à l’avenir. Mais en même temps il est remarquablement similaire et, j’en suis sûr, il est très singulier dans ses manières de jouer.
Julien D. :
Au fur et à mesure des concerts, tout est devenu de plus en plus facile. Je me souviens que la dernière date [à Chicago] a été « fucking » grandiose, très sympa. Et après cela on a fait une pause de deux ans, et on a recommencé samedi dernier à Toulouse, et tout s’est déroulé de manière naturelle, c’est comme si cela s’inscrivait dans une continuité…
Rob M. :
Exactement comme le jour du dernier concert à Chicago…
Julien D. :
Oui, on a laissé les affaires en plan pendant deux ans, mais on s’est tout de suite retrouvé dans le même état d’esprit.
Improvisation et enregistrement
Rob M. :
Et on a travaillé à l’un des deux enregistrements qu’on a faits, il s’agissait de réaliser le CD qui vient juste de sortir. C’est un peu à cela qu’on pensait pendant les trois ou quatre derniers mois.
Nicolas S. :
C’est à Chicago que l’enregistrement a eu lieu ?
Julien D. :
On a enregistré le premier concert et…
Alexandre P. :
Il y a eu une session d’enregistrement en studio.
Julien D. :
… et une session d’enregistrement en studio.
Rob M. :
C’est bien cela, une session en studio.
Nicolas S. :
À Chicago au moment des premiers concerts ?
Julien D. :
Oui.
Rob M. :
Oui. Au même moment et avec les mêmes musiciens. C’est formidable de pouvoir continuer ici.
Nicolas S. :
Comment se passe votre préparation ? Qu’est-ce qui se passe quand vous jouez en duo ? Est-ce que c’est différent ? Et pourquoi ce duo, comment cela s’est produit ?
Rob M. :
Je pense que nous aimons tous les deux faire du bruit (rire). C’est sans doute ce qui nous a attirés dès le début. Bien sûr c’est beaucoup plus que cela, mais… je pense que c’est de cela qu’il s’agit, c’est de ne pas avoir d’inhibition à le faire. Nous n’avons pas la sensation d’avoir besoin qu’on nous donne la permission de le faire, je ne sais pas si c’est cela exactement. Je ne souhaite pas d’être mis en situation de marcher sur des œufs, tu vois ce que je veux dire ? Ou bien de jouer avec quelqu’un qui voudrait tout contrôler. Cela serait très ennuyeux ! Aussi, c’est très agréable de jouer dans une situation où vous vous sentez libre.
Julien D. :
Oui. C’est formidable. C’est cela qui veut dire qu’on est prêt à toute éventualité.
Rob M. :
Relax et prêt à tout. Et aussi d’avoir assez de respect pour chaque musicien, d’être toujours en alerte à tout moment. Nous créons des silences intentionnellement, sans pour autant s’arrêter. Et c’est ce que j’aime particulièrement dans ce groupe. Car certaines personnes ne s’arrêtent de jouer que pour s’arrêter, mais n’écoutent pas ce que les autres jouent ; ça, ce n’est pas possible, tu sais ! Tu ne dois t’arrêter que si tu as l’intention de créer un silence à ce moment-là, ou de ne pas le faire. Au moins c’est ce que je pense, je ne sais pas si c’est le cas pour vous, mais c’est comme cela que je le ressens. C’est un processus collectif qui nous fait improviser.
Gilles L. :
Qu’en est-il de l’improvisation dans un studio ? – Pour moi cela me paraît étrange – Comment cela s’organise ? Parce que c’est très étrange d’improviser dans un studio.
Julien D. :
Oui, pour moi c’est un peu la même chose, si l’on improvise et que ce n’est pas un concert.
Gilles L. :
Si on est dans un studio, on peut faire des choix, on peut vouloir faire cela ou…
Julien D. :
Après un enregistrement on a le choix, c’est exact, on peut garder la piste audio telle quelle, ou on peut choisir de l’éditer. Pour moi c’est comme cela que ça marche. Mais il n’y a pas de contradiction entre l’improvisation et l’enregistrement, je pense. C’est plus quelque chose qui fait partie d’un processus, pour moi. C’est comme ce qu’a dit Rob, nous ne nous voyons pas pendant trois ans et demi, mais c’est comme si on venait de faire cet enregistrement, et aujourd’hui on joue. Et l’enregistrement n’est pas une trace de ce qu’on faisait alors, qui serait quelque chose de grandiose…
Rob M. :
… élaboré…
Julien D. :
… comme le « Sacre du printemps », ou quelque chose comme ça. Cela fait plutôt partie d’un processus. Mais ensuite, pour moi, si on décide de le faire, cela va dépendre du processus dans lequel on va choisir de se placer. Si on choisit d’enregistrer un album de pop, ce qui voudra dire qu’on sera seul dans un espace avec un casque sur les oreilles, en train d’écouter un autre gus ; je pense qu’il ne s’agit pas d’un bon processus pour faire de l’improvisation. Mais si on fait l’enregistrement [tous] dans la même salle, dans le même espace, c’est pratiquement la même situation que quand on est dans une répétition.
Rob M. :
On en revient à ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet d’avoir un respect total pour ceux avec qui l’on va jouer. Parce que, si l’on n’en a pas, on va sans doute être paresseux et se dire : « je ne sais pas ce que je fais là ». Si on a un studio ce week-end et qu’on est tous disponibles, alors on peut se dire qu’on va pouvoir s’enregistrer pendant neuf heures. Ayons tout le respect possible non seulement pour les musiciens, mais pour l’acte d’improviser en tant que tel.
Nicolas S. :
Et vous faites des séances d’enregistrement de neuf heures ?
(Rires)
Julien D. :
Non.
Rob M. :
L’enregistrement a pu durer une heure. Je me rappelle d’avoir enregistré pendant une heure. Je pense que c’est ça, mon pote.
Nicolas S. :
L’enregistrement a duré une heure ?
Rob M. :
C’est possible. Je pense qu’on a fait une seule prise, ou bien une prise puis une seconde. Je ne sais plus.
Nicolas S. :
Et vous avez gardé tout sur le disque ?
Rob M. :
Je pense qu’on a gardé presque tout.
Nicolas S. :
Depuis le début ?
Alexandre P. :
Il y a eu deux sessions différentes. Cela s’est fait en deux sessions. Une session en studio et une en concert. Alors, il s’agit de deux pièces longues, chacune de plus ou moins trente minutes, une en public et une en studio.
Julien D. :
Par rapport à l’enregistrement, c’est aussi l’occasion d’enregistrer quelque chose et quand on l’a écouté, de changer son propre point de vue. Quand on joue à l’intérieur du groupe et quand on écoute après à l’extérieur, c’est très important pour le travail du groupe – que ce soit un ensemble qui joue de la musique écrite ou de la musique improvisée – je pense définitivement que cette idée est vraiment très importante. Parce que cela crée une distance par rapport à ce qu’on fait, et de plus c’est assez « cool », cela vous fait réfléchir et comprendre plus de choses. Pour moi c’est très important. Avec chacun des groupes avec lesquels je joue, j’aime faire cela. Et je le fais parfois avec des enregistrements merdiques, pas forcément avec des beaux sons de studio… Il s’agit d’une sorte de miroir, et j’aime bien enregistrer des trucs et les laisser de côté, et un ou deux mois après, je les écoute après les avoir complètement oubliés. Cela change vraiment la perception, on se place vraiment à l’extérieur et on peut commencer à écouter en mettant son ego de côté ; on se met en situation de ne penser qu’à la musique et de réfléchir à son sujet.
Rob M. :
Parce que dans l’acte de faire de la musique et dans l’acte de l’écouter, je suis complètement contre l’idée de critiquer la musique pendant qu’on la joue. Je peux dire qu’il y a certaines personnes qui, dès après avoir fini de jouer, se mettent à dire : « Oh ! Et vous avez fait ceci, cela, cette chose et encore cette chose… Mais j’ai pensé que cette chose superposée à celle-là était comme… » Eh ! Mec ! Qu’est-ce que tu penses ? Est-ce que t’es en train de jouer ? Ou bien est-ce que tu es un critique ? Et quelqu’un dira alors : « Mais il faut être un critique sur la scène parce que – tu sais – on improvise de manière critique, on écoute ce que les autres produisent de manière analytique ». Mais je pense que c’est une erreur, je ne pense pas qu’on puisse être critique et en même temps jouer de la musique. Je pense que c’est impossible, il y a beaucoup de gens qui le font, et c’est ce qui me trouble. Il faudrait être comme une pieuvre, avoir deux cerveaux.
(Rires)
Jean-Charles F. :
Si on fait un enregistrement, on devient forcément critique.
Rob M. :
C’est vrai ! C’est ce que je veux dire : il s’agit de deux actes séparés.
Julien D. :
Je ressens un peu la même chose que Rob. J’aime parler de la musique, sauf que si on joue de la musique, on peut en parler avant ou après, mais quand on joue, on joue.
Comment se construisent les sonorités
Jean-Charles F. :
Je viens d’une tradition différente, car je suis un musicien de formation classique, qui, par ailleurs, a fait de l’improvisation depuis 1972.
Rob M. :
OK.
Jean-Charles F. :
Mais je l’ai fait dans une perspective assez différente, j’ai toujours développé ma musique à travers des groupes permanents.
Julien D. :
Non éphémères.
Jean-Charles F. :
Il pouvait y avoir beaucoup de rencontres avec d’autres groupes, mais la focalisation était vraiment de tenter de développer un son collectif à l’intérieur d’un groupe particulier. C’est donc une situation différente. Peut-il y avoir ou non une coexistence entre les deux modèles ?
Rob M. :
Absolument ! Il s’agit juste de deux approches différentes. On peut choisir l’une ou l’autre.
Jean-Charles F. :
Parce que le problème, je pense, de la scène de l’improvisation peut s’articuler comme suit : si ce n’est qu’une question de se rencontrer, et que c’est une communauté de personnes qui se rencontrent, sans pour autant avoir des liens permanents, alors cela devient un son collectif global, et tous les concerts risquent d’utiliser les mêmes sons. Comment faire pour que les sonorités se différencient ? Pourtant, bien sûr, mon point de vue sur l’improvisation n’a rien à voir avec la composition : rien n’est écrit, rien du tout, il s’agit de la même philosophie de ce dont vous parliez à l’instant : jouer sans planification, jouer sans formuler de critiques sur ce qu’on est en train de faire, ou bien de penser que ceci ou cela est bien ou mal, c’est la même philosophie. Mais la différence majeure est la suivante : comment peut-on co-construire la sonorité d’une manière collective… d’élaborer un son collectif différent des autres groupes… ?
Julien D. :
Le réseau de l’improvisation est certainement une grande communauté, c’est une communauté mondiale…
Jean-Charles F. :
D’accord.
Julien D. :
Il y a beaucoup de monde partout et quand vous jouez dans ce type de réseau, vous rencontrez beaucoup de gens… Et c’est en quelque sorte… Oui ! C’est en quelque sorte un groupe permanent.
Jean-Charles F. :
C’est aussi quelque chose que j’ai plus souvent trouvé dans les groupes de rock : l’idée de travailler ensemble pour construire un son collectif.
Alexandre P. :
Je voudrais juste dire ceci pour ma part, et il ne s’agit pas du Bridge, on sait tous que dans l’histoire de la musique improvisée, Derek Bailey était partisan de ce qu’il appelait les ensembles « ad-hoc », afin de garantir de se surprendre les uns les autres de manière la plus étonnante, et on sait que Evan Parker, lui, jouait dans un trio avec Paul Evans et Alexander von Schlippenbach pendant plus de trente ans… peut-être même maintenant quarante ans, c’est-à-dire justement le contraire. Eh bien, ce que je vais dire maintenant – et c’est aussi vrai à propos de ce que Julien et Rob font ensemble des deux côtés de l’Atlantique – représente le point de vue de l’auditeur : très souvent, quand j’écoute un ensemble d’improvisation composé de gens qui ne se connaissent pas, il peut se produire de la magie, mais ils vont toujours s’arrêter à un moment donné, soit parce qu’ils sont trop polis en se disant : « Oh ! Je ne dois pas jouer un solo trop long, parce que, vous savez, je sais qu’ils ne me connaissent pas, je ne sais pas ce qu’ils ont en tête ». Ou bien ils se placent trop en contradiction, parce qu’il s’agit d’être dans la provocation. Vous savez, avec un groupe qui marche ensemble [walking band], pas un ensemble « ad-hoc », des musiciens qui se connaissent bien entre eux – comme c’est le cas pour Julien, qui est habitué à Rob, et pour Rob, qui est habitué à Julien, et avec les trois autres membres du groupe – et pas seulement eux, pas seulement les ensembles du Bridge, avec tous les groupes qui marchent ensemble, ils savent ceci : « OK, si je veux jouer des trucs fous, du bruit, du bruit blanc pendant vingt minutes, ça va être une décision forte, mais ils me connaissent, et donc je ne vais pas avoir peur qu’ils soient d’accord ou pas d’accord, de savoir si oui ou non ils aiment ce que je fais, je sais qu’ils vont trouver leur chemin ; parce que nous avons une relation étroite entre nous, ils vont se débrouiller avec ça, et avec assurance, tu sais, et je me sens libre de le faire si j’en ai envie ». C’est pourquoi, encore du point de vue de l’auditeur que je suis, la magie d’une première rencontre m’enthousiasme, mais je le suis encore plus par la liberté des groupes qui marchent ensemble.
Rob M. :
Oui, c’est certain.
Alexandre P. :
(en français) Tu vois ce que je veux dire, c’est qu’à ce moment-là, tu peux y aller, tu n’as aucune peur, l’autre te connaît, il ne sera peut-être pas content, mais il saura se débrouiller avec ça.
Jean-Charles F. :
Il y a une phrase dans ton livre qui m’a frappé : celle où Anthony Braxton, parlant de Derek Bailey et de la scène britannique de l’improvisation [à l’époque des années 1960-70], a dit que ce qu’ils faisaient sonnait comme du Webern1.
Alexandre P. :
Oui, et je pense que c’était vrai à l’époque, mais sans doute que ce n’est plus le cas maintenant pour la nouvelle génération.
Jean-Charles F. :
Et alors qu’ils prétendaient créer une musique de manière immédiate, dans la spontanéité, pour les oreilles de Braxton cela sonnait comme du Webern. Alors voici ma question, comment faites-vous pour que votre musique ne sonne pas comme une autre ? C’est ma question.
Rob M. :
C’est la question. Je pense à cela tous les jours. On a, comme on le sait, des centaines d’influences, et on les réduit à quelques-unes seulement. Cela vous colle à la peau. Mais alors, à un certain point il faut vous débarrasser de ce bagage. J’étais un fanatique de Miles quand j’étais plus jeune, à vingt ans et plus, et même quand j’étais plus vieux. Quand tu es en train d’apprendre, tu n’as pas beaucoup d’occasions d’entendre des musiciens de ce calibre, tu vois ce que je veux dire. Lester Bowie, Bill Dixon et quelques autres ont été importants pour moi. Cela se passe comme ces personnes qui accusent leurs parents pendant leur vie entière : « … parce que mes parents m’ont élevé de cette façon, c’est pourquoi je suis comme cela… c’est foutu… ou c’est pas foutu… peu importe ! » Mais à un moment donné il faut devenir sa propre foutue personne… En ce qui me concerne, à un moment donné, j’ai complètement arrêté d’écouter la musique qui m’avait énormément influencé. Je n’ai plus écouté du Miles pendant dix ans. Ce n’est qu’un exemple. Ce que je veux dire c’est qu’il me fallait absolument rompre avec toutes ces choses et vraiment rechercher le centre de mon propre son. Aujourd’hui, il y a tant de choses qui servent de références. J’ai cinquante ans maintenant et les gens continuent d’écrire des chansons. Cela sonne comme untel ou untel, ceci sonne comme untel ou untel… et ceci sonne comme untel et untel… Je ne sais pas si cela s’applique à tout le monde, mais je me demande à quel moment on va arrêter de dire que Bowie, ça sonne comme untel ou untel. Non ! Cela sonne comme du foutu Lester Bowie.
(Rires)
Ou bien Don Cherry, un de mes potes… Je veux dire qu’il y a tant de sons à écouter… Il n’y a que vingt-quatre heures dans la journée… Ainsi, il faut travailler sur son propre son, le trouver, et en le faisant vous allez continuer à vous brancher sur le son de quelqu’un d’autre… C’est sans doute la combinaison des deux. Est-ce que c’est de cela qu’il s’agit par rapport à la question ?
Jean-Charles F. :
Oui, en partie…
Rob M. :
Les influences peuvent être dangereuses, et tout aussi dangereuse l’absence d’influences. Sans influences, il n’y a pas de vocabulaire.
Julien D. :
Pour moi, c’est un peu la même chose : j’ai été influencé par les guitaristes Bill Frisel et Marc Ducret quand j’avais vingt ans. Et à un moment donné j’ai décidé d’arrêter cela, un peu comme Rob, en me disant « OK, arrête de les écouter ». D’abord, je les ai tellement écoutés qu’ils ne suscitaient plus de surprises chez moi, cela devenait un peu ennuyeux, et après, quand j’étais en train de jouer, je percevais mon jeu réflexe, mes propres productions habituelles, comme provenant directement de ceci ou de cela. Alors j’ai décidé de casser cela et d’y travailler, et quand je sentais que ce que je faisais était un réflexe, je m’arrêtais de jouer, j’essayais tout le temps d’expérimenter différents trucs, et de temps en temps des choses ont commencé à apparaître, je pense. On n’oublie pas ce qu’on a fait dans sa jeunesse, parce que cela fait partie de nous-mêmes bien évidemment.
Rob M. :
Cela ne vous lâche jamais.
Julien D. :
Mais à un moment donné il faut prendre position avec ça, il faut se dire « OK, je sais que ce sont mes influences », et vous pouvez vous dire « non, ce n’est pas vrai, je n’ai jamais écouté ces mecs et blablabla… » ; mais vous pouvez aussi vous dire « oui, je les ai bien écoutés, mais maintenant je m’en éloigne »…
Rob M. :
C’est alors que vous êtes capable de commencer à construire votre propre vocabulaire…
Julien D. :
Oui, exactement !
Improvisation : production, communication immédiate ? Production collective ?
Jean-Charles F. :
Oui, mais c’est en quelque sorte un paradoxe parce qu’il y a cette idée que l’improvisation implique une production immédiate – une communication immédiate –…
Julien D. :
Mais c’est un concept qui ne fonctionne pas…
Jean-Charles F. :
… et en même temps, individuellement, il y a un énorme travail de préparation…
Julien D. :
… Oui, mais pour moi, ce concept, qui prétend que l’improvisation veut dire qu’on fait quelque chose dans l’immédiat et que cette chose est complètement nouvelle, n’est pas exact. Et après avoir constaté cela, je pense que ce n’est pas une question intéressante, parce que, comme cela a été dit, nous travaillons tous pour développer quelque chose, une personnalité, en cherchant à savoir qui on est, et tout cela crée une mémoire…
Jean-Charles F. :
Mais c’est une démarche individuelle, ce n’est pas une démarche de groupe, ce n’est pas un travail collectif.
Rob M. :
Cela peut être une démarche collective…
Julien D. :
Cela peut être aussi une chose collective, parce que, si on improvise pendant deux ans avec les mêmes musiciens, on crée aussi des réflexes.
Jean-Charles F. :
C’est vrai.
Julien D. :
Donc… il fut un temps où j’aimais bien ce concept : quand je me mets à improviser, je suis vraiment dedans. Mais aujourd’hui, je ne sais pas. Pour moi, ce n’est pas une question intéressante ; l’improvisation est seulement un processus en vue de faire de la musique. De la même façon qu’écrire de la musique est un processus. Ainsi, pour moi, il ne s’agit que de cela. Après, j’aime bien écouter de la musique et de jouer de la musique, et de la bonne. Mais en écrire serait aussi une bonne chose, et j’avais un bon professeur, un Chilien pendant les années 1970 en France, et son argument principal était constamment celui-ci : « Tu sais, quand tu joues de la musique improvisée, il faut que cela sonne comme de la musique écrite, et quand tu joues de la musique écrite, il faut que cela sonne comme de la musique improvisée ». D’après cette conception, il ne s’agit que d’un processus. Ce n’est pas un but en soi. Le but c’est de jouer de la musique avec l’improvisation, c’est mon sentiment.
Nicolas S. :
Tu as parlé d’un phénomène de réflexe dans le groupe ?
Julien D. :
Oui.
Nicolas S. :
Vous avez joué douze dates et une séance de studio à Chicago le processus a consisté à juste jouer ensemble et d’en parler pour créer le son du groupe. Y a-t-il un réflexe maintenant, est-ce qu’après les huit concerts vous avez pu noter des réflexes dans le rapport des uns aux autres ?
Julien D. :
Oui… oui. Je ne sais pas si c’est déjà un réflexe, mais je pense que lorsqu’on a commencé à jouer samedi dernier, après deux ans sans se voir, cela a été vraiment facile. Je pense que le réflexe était présent, mais il s’agit d’un réflexe allant dans le bon sens, qui n’exclut pas la surprise. Je pense qu’on a acquis un peu de réflexes ensemble, mais pas trop. C’est toujours une question d’équilibre, tu sais…
Rob M. :
Oui, mais c’est aussi à mettre par exemple du côté d’une meilleure compréhension du vocabulaire des participants, absolument, et au fur et à mesure que s’accumulent les connaissances dans le temps, et en pensant aux années passées, il s’agit définitivement d’une prise de conscience des vocabulaires des partenaires. Et aussi, pas seulement cela, mais la connaissance que ce truc a évolué pendant les deux années passées, ce que nous n’avons pas encore vécu ensemble, ce qui fait qu’il y a aussi énormément de surprises. Je joue avec deux groupes – le Chicago Underground Duo, depuis une vingtaine d’années, et le São Paulo Underground aussi, nous sommes ensemble depuis dix ans – au moins une fois par an séparément. Ce sont deux groupes qui sont réellement de bons exemples de ce dont je parle. Lors de nos rencontres, voilà comment cela se passe : pas besoin de dire le moindre foutu mot, mon pote, tu peux juste entrer en jeu et ressentir la joie de faire des sons ensemble, et, à ce moment, même si tu trouves que tu as joué le pire des concerts de tous les temps, tu réécoutes et cela reste de la magie. L’idée, je pense, est de continuer à construire, continuer à imaginer, continuer à faire évoluer le vocabulaire dans le respect de l’autre, et de continuer à parler du respect… Mais de cela, personne n’en parle, il s’agit juste d’avoir le plus grand respect pour chacun des musiciens. Et si tu ne l’as pas, alors ne le fais plus, sauf si tu veux le faire comme un exercice et si tu refuses que cela marche (rire)… Il s’agit de le faire ou de cesser de le faire.
Jean-Charles F. :
Oui.
Rob M. :
Tu sais, c’est possible que j’aie eu des difficultés à tenter de comprendre ce qui se passait…
Quelqu’un :
Quoi ?
Rob M. :
Quand on est sur scène, ça n’accroche pas obligatoirement, je veux dire que c’est impossible du premier coup. Cela prend du temps, cela demande de l’énergie, cela demande du respect.
Julien D. :
Oui ! C’est pourquoi quand tu joues, tu dois écouter les autres musiciens d’une manière innocente. La qualité de la production peut varier, mais il faut garder la même attitude, tu peux jouer avec tout ce qui est susceptible de se passer.
Rob M. :
Bien sûr. Je crois énormément à l’idée de se mettre dans l’esprit d’un débutant, tout doit être possible…
Le collectif PaaLabRes
Jean-Charles F. :
Quelques mots sur le collectif PaaLabRes. À l’origine du collectif a été la création en 1990, il y a 26 ans d’un centre de formation des futurs enseignants en écoles de musique2. Le projet s’est développé petit à petit. Au début il n’y avait que des étudiants issus de la musique classique, parce que les écoles en France étaient encore à l’époque dominées par le modèle de la musique classique – il y avait un peu de jazz – les autres musiques en étaient exclues et les méthodes étaient complètement orientées vers la lecture et le jeu de la musique écrite sur partitions. Nous avons développé un centre dans lequel pourraient se rencontrer des étudiants des musiques traditionnelles (ou des musiques du monde), du jazz, des musiques populaires (comme le rock) et de la musique classique, dans un programme qui n’était pas seulement basé sur le respect mutuel des différentes façons de pratiquer la musique en tant que telles, mais aussi obligeant les étudiants à développer des situations interactives et des projets en commun. Il s’agit là encore aujourd’hui dans le cadre de l’enseignement supérieur, d’un lieu unique en France dans les perspectives de cette rencontre des pratiques.
Rob M. :
Oh, c’est bien.
Jean-Charles F. :
Et je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’endroits dans le monde dans lesquels les différents styles de musique se rencontrent… Il y a beaucoup d’institutions où les différentes musiques existent, mais elles tendent à s’ignorer de belle façon, et ainsi elles ne se rencontrent véritablement que très rarement. Et puis, il y a un autre endroit très important tout près de Lyon : L’ENM de Villeurbanne, l’école de musique où Gilles enseigne et qui a été développée par un compositeur…
Gilles L. :
Duhamel.
Nicolas S. :
Antoine Duhamel.
Jean-Charles F. :
C’est exactement la même idée qui y a été développée dès le début (dans les années 1980) d’avoir dans un même lieu du rock, du jazz, de la musique classique, des musiques traditionnelles africaines et latino-américaines…
Gilles L. :
… de la musique baroque…
Jean-Charles F. :
etc.
Gilles L. :
… de la musique électroacoustique…
Jean-Charles F. :
… de la musique électroacoustique, et c’est encore aujourd’hui un lieu important développant des projets multiculturels. Ainsi, l’un des objectifs de notre collectif est de rassembler les actes artistiques, comme ceux qui se produisent sur une scène, avec les situations pédagogiques et aussi avec les études théoriques plus académiques sur la musique et les arts, domaines qui restent encore aujourd’hui fondamentalement très séparés (tout au moins en France). C’est–à-dire, si vous êtes un professeur, vous n’êtes pas considéré comme étant un musicien et si vous êtes un musicien, probablement vous êtes aussi un enseignant, mais surtout vous ne le dites pas à qui que ce soit. Il y a aussi des relations difficiles entre le monde universitaire et les réalités des pratiques musicales, deux milieux très fermés. Nous essayons de combler les fossés entre ces mondes contradictoires. Et aussi l’écart qui existe entre les domaines artistiques. En ce moment nous sommes en train de développer un projet expérimental au Ramdam, près de Lyon, un lieu dirigé par la chorégraphe Maguy Marin, où sa Compagnie de danse est en résidence. Il s’agit d’une rencontre entre danseurs et musiciens autour de l’improvisation.
Gilles L. :
(en français) C’est notre quotidien.
Jean-Charles F. :
Voici ce que nous faisons.
Rob M. :
OK.
Nicolas S. :
Il ne s’agit pas de danse et de musique, mais de pratique de la danse et de pratique de la musique. Cela implique un autre type d‘attitude…
Jean-Charles F. :
… de perspective…
Nicolas S. :
Il ne s’agit pas de parler de la musique, mais de la manière de faire de la musique.
Rob M. :
Bien sûr…
Nicolas S. :
Qu’en pensez-vous ?
Rob M. :
C’est fantastique. Cela me fait penser à ce qui se passe actuellement à Chicago, où le mélange de différentes pratiques artistiques, jazz, free jazz, musique classique, musique électronique, est devenu de plus en plus respecté et varié. C’est ce que je perçois.
Improvisation et musique contemporaine écrite
Jean-Charles F. :
As-tu été associé avec l’AACM ?
Rob M. :
J’ai joué avec beaucoup des musiciens de l’AACM et je me considère évidemment comme issu de cette esthétique. Bien sûr l’AACM est un bon exemple. Mais à Chicago, des gens de l’orchestre symphonique, des improvisateurs de la « North Side », des gens du milieu de l’AACM, improvisent ensemble, tu sais. Je pense que certains des groupes – je n’en suis pas certain – du Bridge sont composés dans cette perspective, je pense à un violoncelliste ou à des gens comme cela. Je pense que cette rencontre avec vous était une bonne idée. De nouveau, il faut invoquer le respect. Il faut dire que l’improvisation est l’activité intellectuelle la plus stimulante qu’on peut faire dans sa vie. Je pense qu’on peut apprendre à jouer une partition de Xenakis, vous pouvez apprendre la musique la plus difficile au monde…
Jean-Charles F. :
… Certains musiciens de la musique contemporaine écrite manifesteraient leur mécontentement en entendant tes propos ! Ils pourraient bien même vous donner un coup de poing dans le nez (virtuel !)… (rire).
Rob M. :
Cela déclencherait une guerre !
Jean-Charles F. :
Parce qu’ils diraient exactement le contraire, ils ne veulent rien entendre au sujet de l’improvisation…
Rob M. :
… S’ils ne peuvent pas le faire !… Il s’agit d’être capable de faire quelque chose ou ne pas être capable de le faire. Mais si on va très à fond dans les choses, et pas seulement apprendre à jouer la partition de Xenakis, mais qu’on est capable de l’interpréter, oui, alors il s’agit d’un travail de longue haleine. Je comprends cela, mais je ne vois pas pourquoi on voudrait faire cela, je n’en suis pas sûr, tu vois… Mais cela fait partie de mes musiques favorites, oui, tu sais, je les aime beaucoup. Et je connais aussi Boulez, en dépit de sa violente diatribe sur l’improvisation et le jazz et tout et tout…
Jean-Charles F. :
Oui, oui, il a dit beaucoup de choses stupides.
Rob M. :
Vous n’avez pas besoin de me respecter, mais je peux continuer à vous respecter.
(Rires)
Vous savez ce que je veux dire. Alors qui est le gagnant dans l’affaire ? C’est encore cette affaire avec Stockhausen, hein ? Je suis dans ce cercle-là et dans ce cercle-ci, mais je vais être dans le cercle complet, ou quelque chose de ce genre. Et je ne connais pas vraiment la totalité des activités de Stockhausen. J’en sais assez pour dire que, aussi savant soit-il, il ne sait pas tout (rire)… Maintenant je sais ce que vous faites et si vous ne savez pas ce que je fais, alors il vous faut faire quelque chose… si vous le voulez bien… Ou vous pouvez utiliser la violence et me donner un coup de poing dans le nez, mais vous ne saurez toujours pas ce que je fais. Maintenant je sais encore mieux ce que vous faites…
(Rires)
En conclusion
Gilles L. :
Et pour revenir à ce que nous faisons, nous avons un premier cercle à Lyon, nous avons un deuxième cercle en France et un troisième cercle international. Mais notre problème c’est de ne pas avoir de lieu…
Jean-Charles F. :
Il n’y a pas de place pour nous !
(Rires)
Gilles L. :
Pas d’endroit pour nos pratiques musicales.
Jean-Charles F. :
C’est bien pourquoi nous avons développé le site PaaLabRes
Gilles L. :
Mais l’école elle-même peut être parfois dangereuse, parce que l’école fait partie de mon projet personnel. On a besoin ici d’avoir une certaine indépendance par rapport à nos lieux d’enseignement. Mais à l’ENM de Villeurbanne, il y a déjà longtemps, j’ai invité Fred Frith, René Lussier Joëlle Léandre et , parce qu’il y avait alors des budgets à disposition, mais maintenant il n’y a plus d’argent public.
Rob M. :
Oui, les subventions culturelles sont partout en baisse, s’écroulant à presque rien.
Alexandre P. :
On est supposé aller dîner maintenant, pour pouvoir avoir un temps de repos avant le concert. Je suis désolé d’arrêter ce débat, mais…
Gilles L. :
À quelle heure est le concert ?
Alexandre P. :
À 20 h 30.
Julien D. :
C’est à 20 h 30, mais à mon avis, on ne va pas jouer avant 21 heures.
Rob M. :
J’ai été très content de parler avec vous.
Tous :
Oui.
Jean-Charles F. :
Merci.
Julien D. :
Si vous restez après le concert, on peut boire une bière ensemble.
Jean-Charles F. :
On se réjouit d’écouter votre concert.
Gilles L. :
(en français) On va rester !
(Rires)
Julien D. :
(en français) Bon, ben, à tout à l’heure alors.
Version française en .pdf
Vous pouvez aussi télécharger cette discussion en pdf :
(8p, A4 paysage en 2 colonnes, 360Ko)
1. Anthony Braxton : « Les musiciens britanniques disent que leur musique est libre : c’est faux. J’ai joué avec eux et j’ai entendu une synthèse de Webern, de pointillisme, avec une logique de masses sonores et de changements de timbres. Mais c’est un langage et tout langage a une identité et est constitué d’éléments qui fonctionnent ensemble d’une certaine manière. On n’est jamais totalement libre, ni totalement prisonnier. » (Entretien réalisé à Vienne et à Lisbonne, juillet-août 2000). Alexandre Pierrepont La Nuée, L’AACM : un jeu de société musicale, Marseille : Parenthèses, 2015, p. 207, note de bas de page 178.
2. Cefedem Rhône-Alpes (aujourd’hui Cefedem AuRA). Centre de formation des enseignants de la musique, Auvergne Rhône-Alpes.
Since 1950, at the initiative of composers such as Morton Feldman, John Cage, Earl Brown, Sylvano Bussotti, Karlheinz Stockhausen, Cornelius Cardew, Anestis Logothetis (etc.), the use of graphic scores, requiring performers themselves to decide the meaning of the signs inscribed on paper, has been largely experimented. These practices have resulted in a major controversy on the impossibility of determining how a sound result could be attributed without ambiguity to a specific score written by a particular composer (see for example Nelson Goodman, Languages of Art: An Approach to a Theory of Symbols, Hackett Publishing, 1968). The concept of a work of art as the ideal creative object produced by a specific author was directly questioned.
In 1969, the architect Lawrence Halprin, in collaboration with the choreographer Ann Halprin, presented in a book, The RSVP Cycles: Creative Processes in the Human Environment (G. Brazilier, 1970), the idea that in all creative processes, a score (S of RSVP) was present in graphic form (as for example architectural plans), and consequently any graphic form could be used to determine productions in all the different artistic domains: using materials (resources, R of RSVP, value systems (V) and particular processes (P).
After a period of intensive experimentation (1950-70), it seems that the use of graphic scores in Western contemporary music has practically disappeared. However, the use of graphic scores can be found in a more anonymous manner in musical practices in which improvisation takes an important place: the score is no longer considered as a major object of identification of a work of art, but as a simple tool (among others) for developing forms. In this context, graphic scores play an important role in instrumental and vocal pedagogy, allowing a reflection on sound production to take place and on how this can be contemplated in a collective context.
Today, it seems interesting to attempt to see to what extent the phenomenon of graphic scores continues to play a role in artistic practices. The broadened definition of “graphic score” in the context of this call for contributions can be as follows:
A graphic form, combinations of visual signs, determining actions realized by human beings according to various modalities. Or on the contrary, actions realized by human beings producing some graphic forms according to various modalities.
A graphic form can be a source of action for music, dance, theatre, poetry, etc. In the case of music, the signs of the traditional musical notation are not excluded, but the task of transforming the signs into sounds, has to be determined (at least in part) by the performer.
A new line: “Graphic Scores”
In the perspective of an evolving internet site or digital space, PaaLabRes envisages another new multimedia form for the coming year: a new line would be added to the ‘metro map’, called “Graphic Scores” – similar to the central line “Cartographie PaaLabRes” of the existing version:
The stations on the Graphic Scores line would be composed of extracts of performances of graphic scores (for example a sound track accompanied with the score)
Travelling between stations would be composed by texts (collages) providing a transition between the artistic content of one station and that of the next one on the line.
Some stations (maximum 3 or 4) would comprise referent research texts relative to the use of graphic scores.
Call for contributions
The collective PaaLabRes (Lyon, France), in the perspective of developing its digital space, calls for contributions in the realm of artistic practices using graphic scores. The call implies three types of contribution:
An extract of an artistic act using a graphic score combining a graphic support and its artistic rendering – performance or other forms (maximum 5 minutes in duration). For example the sound track can be accompanied with a visual track, showing the score itself (which would have to be free of rights). This is only one example among other forms which can be proposed.
Same constraints as in (1), but this time using exclusively an extract from the score Treatise by Cornelius Cardew (Peters Edition, 1963-67).
Research articles (no limit of size) on the general subject of graphic scores as defined above. Our intent is to publish only three or four such contributions.
For propositions (1) and (2), a text (in English, could be very short, and maximum 1500 words) should mandatorily accompany the artistic content. This corresponds to PaaLabRes’ initial intent to systematically associate in each of its projects, research and invented artistic forms. We propose for this text three possible forms:
A text describing the processes used by the participant(s) in the realization of the graphic score.
A free text, which can be poetical or expressing some ideas to juxtapose to the artistic realization.
A text dealing with theoretical aspects linked to the processes.
This text will be translated in French. It will be used by the PaaLabRes editorial committee to build, through collage procedures, a transition between two stations, mixing two texts belonging to two adjacent stations, with eventual additions by the editorial committee. All the texts will be published integrally, but in a format chosen by PaaLabRes. Different character fonts will allow the reader to identify the authors of the texts. If possible, an English version will eventually be also presented.
Schedule
Closing date for submission of proposals: December 31, 2016.
Announcement of accepted proposals by PaaLabRes: February 1, 2017.
Publication of the new version of the digital space PaaLabRes: May/June 2017.
Proposals should be sent to contribution[]paalabres[]org
If you have questions concerning this call for contributions, they can be sent to the same address.
The submitted texts can be in French or English. In the first case, they will be presented with an English abstract. In the second case, they will be published in English with a French abstract, or if possible in a bilingual version. The English texts already published will be translated in French with references to their initial publication.
The members of PaaLabRes collective form the editorial committee, which will determine the content of the digital space.
The members of the production committee are: Samuel Chagnard , Jean-Charles François, Noémi Lefebvre and Nicolas Sidoroff.
« Actes artistiques à partir de partitions graphiques »
Exposé du problème
Depuis les années 1950, à l’initiative de compositeurs tels que Morton Feldman, John Cage, Earl Brown, Sylvano Bussotti, Karlheinz Stockhausen, Cornelius Cardew, Anestis Logothetis (etc.), l’utilisation de partitions graphiques, exigeant des interprètes d’inventer par eux-mêmes la signification sonore des signes inscrits sur le papier, a été largement expérimentée. Ces pratiques ont suscitées une controverse majeure sur l’impossibilité de déterminer comment un résultat sonore pouvait être attribué sans ambiguïté à une partition spécifique produite par un auteur déterminé (voir Nelson Goodman, Langages de l’art : Une approche de la théorie des symboles, tr. fr. J. Morizot, Paris, Hachette, 2005). La notion d’œuvre dans ses dimensions d’objet idéal de création par un auteur déterminé était directement remise en question.
En 1969, l’architecte Lawrence Halprin en collaboration avec la chorégraphe Ann Halprin a présenté dans un livre The RSVP Cycles : Creative Processes in the Human Environment (G. Brazilier, 1970) l’idée que dans tous les processus de création, une partition (Score, S de RSVP) intervenait sous forme de graphisme (les plans d’architectes par exemple) et que, en conséquence, toute forme graphique pouvait donner lieu à des productions dans tous les différents domaines artistiques : en utilisant des matériaux (Ressources, R de RSVP), des systèmes de valeurs (Values) et des processus particuliers (Process).
Après une période d’expérimentations intense (1950-70), il semble que l’utilisation des partitions graphiques dans la musique contemporaine occidentale ait quelque peu disparu. Mais on retrouve souvent l’utilisation des partitions graphiques de manière plus anonyme dans les musiques où l’improvisation tient une place importante, non plus comme objet majeur de l’identification de l’œuvre, mais comme simple outil (parmi d’autres) d’élaboration des formes. Dans ce contexte les partitions graphiques tiennent une place importante dans la pédagogie des pratiques instrumentales et vocales permettant de focaliser la réflexion sur l’émission des sons et sur la manière de l’envisager de manière collective.
Il semble intéressant aujourd’hui de tenter de voir dans quelle mesure le phénomène des partitions graphiques perdure dans les pratiques artistiques. La définition élargie de « partition graphique » dans le cadre de cet appel à contributions s’établit comme suit :
Un graphisme, assemblage de signes visuels, déterminant des actions réalisées par des humains selon des modalités diverses. Ou au contraire des actions réalisées par des humains donnant lieu à un graphisme selon des modalités diverses.
Un graphisme peut donc donner lieu à de la musique, de la danse, du théâtre, de la poésie, etc. Dans le cas de la musique, les signes de la notation musicale traditionnelle ne sont pas exclus, mais la tâche de transformation du signe à sa signification en terme de sonorité doit rester (au moins en partie) déterminée par le musicien qui va jouer.
Une nouvelle ligne « Partitions graphiques »
Dans l’idée d’un site internet, espace numérique évolutif, PaaLabRes envisage une nouvelle forme multimédia pour l’année à venir : une nouvelle ligne serait intégrée dans le plan du métro intitulée « Partitions graphiques », inspirée de la ligne centrale « Cartographie PaaLabRes » :
Les stations seraient composées d’extraits de réalisation de partitions graphiques (par exemple sons accompagnés de la partition) ;
Le passage entre les stations serait composé de textes (collages) assurant la transition d’une réalisation à une autre ;
Quelques stations (3 ou 4 au maximum) seraient constituées par des textes de référence concernant les questions relatives à l’utilisation des partitions graphiques.
Appels à contributions
Le collectif PaaLabRes (Lyon) dans le cadre de son espace numérique, fait un appel à contributions concernant les réalisations de partitions graphiques. L’appel concerne trois catégories de contribution :
Un extrait d’une réalisation d’une partition graphique (maximum 5 minutes) combinant un support graphique et son rendu artistique. Par exemple la piste audio peut être une réalisation sonore d’une partition graphique (nécessairement libre de droits) apparaissant sur la piste « visuelle ». Ceci n’est qu’un exemple, d’autres formes peuvent être proposées.
Mêmes conditions que dans le premier cas, mais cette fois concernant exclusivement une réalisation en terme d’actions (pas forcément musicales) d’un extrait de la partition Treatise de Cornelius Cardew (Peters Edition 1963-67).
Articles de recherche (sans limite de taille) sur le sujet général des partitions graphiques telles qu’elles sont définies en ci-dessus. Notre intention est de ne publier que quelques contributions de ce type (jusqu’à trois ou quatre articles).
Pour les propositions (1), et (2), un texte (même très court, jusqu’à 1500 mots) doit obligatoirement accompagner le contenu artistique. Cela s’inscrit dans la volonté initiale de PaaLabRes d’associer systématiquement dans chacun de ses projets, recherche et formes artistiques en invention. Nous proposons trois formes possibles pour ce texte :
Un texte décrivant les processus qui ont amenés le (ou les) participant(s) à réaliser ou transformer la partition graphique en actions (ou les actions en graphismes).
Un texte libre, poétique ou exprimant des idées à juxtaposer à la réalisation artistique.
Un texte traitant des aspects théoriques des processus.
Ce texte sera utilisé par l’équipe éditoriale de PaaLabRes pour construire par collage une transition entre les stations, mêlant les deux textes de deux stations adjacentes avec éventuellement des ajouts de l’équipe éditoriale. Tous les textes seront publiés dans leur intégralité, mais dans des formes choisies par PaaLabRes. La mise en forme des textes permettra au lecteur d’identifier à quel(s) auteur(s) se réfèrent les différentes parties du texte.
Calendrier
Date limite de déposition des propositions : 31 décembre 2016.
Réponse PaaLabRes : 1er février 2017.
Publication : mai-juin 2017.
Les propositions doivent être envoyées à contribution[]paalabres[]org
S’il y a des questions concernant cet appel à contributions, elles peuvent être envoyées à la même adresse.
Autres contributions
Par ailleurs, PaaLabRes sollicite des contributions pour enrichir les lignes déjà en existence de son espace numérique : Improvisation, Recherche artistique, Politique et Compte-rendu de pratique (voir en particulier l’Editorial). La ligne « Cartographie PaaLabRes » est définitivement constituée, il n’est pas prévu d’y ajouter de nouvelles contributions. Nous encourageons la diversité des formes de contributions : articles de recherche, textes libres ou poétiques, vidéos, enregistrements sonores, graphismes, formes hybrides multimédias, etc.
Les textes peuvent être proposés en français ou en anglais. Dans le premier cas ils seront présentés comme tels avec un résumé en anglais. Dans le deuxième cas, ils seront soit publiés en anglais avec un résumé en français, soit accompagnés d’une traduction française. Les articles déjà publiés dans une langue étrangère au français, seront traduits en français avec références à leur publication initiale.
Le collectif PaaLabRes est constitué en comité éditorial. Il se réserve le droit de déterminer le contenu de l’espace numérique.
L’équipe de rédaction est constituée de : Samuel Chagnard, Jean-Charles François, Noémi Lefebvre et Nicolas Sidoroff.
I / O + IOU: The original text by Ben Boretz, « I / O » was published in Open Space Magazine, Issue 3, Spring 2001, Red Hook, New York. The text IOU by Jean-Charles François was written for Ben Boretz’s 80th birthday and will be published (alongside with Ben Boretz’s text) in the next issue of Open Space Magazine, under the title « I.O.U.A.lot, ComplE/Imentary to I / O by Benjamin Boretz ».
You can access these two texts in two different ways :
1) A video composed by a slide show of the texts accompanied by the recorded voices (in French) of:
In the role of Ben Boretz: Jean-Charles François
In the role of Jean-Charles François: Monica Jordan
Titles of works in Boretz: Nancy François
Non-titles in François: Dan Haffner
2) A pdf version of the two parallel texts (in French).
Musique, Recherche et Politique: One of the principal preoccupations of the collective Paalabres is the concern with the role of the artist in today’s global (or eminently localized) society, which is perforce political in nature. With the emphasis on practices rather than on the result (the works of art), the political characteristics of the interactions between participants cannot be avoided: especially the issues of access to artistic practices, to hierarchies, to participation in a democratic process, to the degree of self-determination of groups, etc. What is at stake is not to develop the communication of political postures, or to consider to overturning existing structures, but rather to be aware of the political and social nature of artistic acts. In this text Karine Hahn and Nicolas Sidoroff basically describe Karine’s research on musical practices in French rural contexts, and Nicolas’ work on popular education and its possible applications to musical practices. Some illustrative vignettes, more or less lengthy, more or less anecdotal, accompany the main text, bringing some elements of reason/resonance.
Gunkanjima is a place, a ghost island, a warship, an accumulation of buildings, an urban system, concrete composition, a mining town, an energy era, a geological hole, some pure coal called diamond. It is a switched-off function, a cemetery of objects, beds, tables, TVs, radios, calculating machines, sewing machines, typewriters, toys, curtains, fans, shoes, papers, bowls, sinks, fallen roofs, broken window panes, bird calls, rubble, a telluric city in the middle of the sea, outpost of chaos, nature after man, a silent place from where music begins.
Gunkanjima is a musical place of research and creation, an open construct, a sound fabric, an ensemble associating timbres, some broken up language, ancient poetry, bruitism, onomatopoeia, animal-human song and screaming, organism and machine, a territory of invention situated in this post-industrial time and in this globalized space where we have to live. This ensemble of six musicians demonstrates that research and creation are not two separated domains, but that they are as indispensable one to another as are work and play, memory and forgetfulness, knowledge and uncertainty, intention and invention.
This music of the present, in the making, obliges us to break with habits and classifications in trends, aesthetics, genres, cultural influences, to refuse decidedly any identification to already known consensual frameworks, which tend to place the artists in front of a paradox: one should invent in continuity, look for ideas without crossing the prescribed limits, create something new following the line, without getting out of the context organized by designations, as if these designations were here to stay for ever, whereas they appeared themselves at a given moment in order to burst other paradigms apart, define something that the old classifications were unable to grasp.
We may try to situate Gunjanjima in a trend: rock without a doubt, free evidently, electroacoustic indisputably, contemporary music absolutely!
At the same time no; it would be equally inappropriate to say that this creation is under European or Japanese influence, from somewhere or from nowhere, best not to look for a provenance or an affiliation, we have even to renounce discovering a multicultural origin in hearing it, or an expression of “world music”. The origin of Gunkanjima is not somewhere, here, elsewhere or everywhere: its origin is a project, and the origin of the project a desire for a shared project by musicians who bring to it their personality, their energy and their imaginary.
The habits of classifying, in which overlap the modes of acknowledgement of socio-musical spaces, the organizations of distribution networks, the formalizations of musical criticism, the commercial rationales, tend to be prolonged in listening criteria and to prescribe a sort of attention displacement on to categories. Do they necessarily discard the possibility to hear what is being played? It does not matter if our listening is informed by a history of representations, by an acculturation or by education, because even if we have evidently some sound references, there is a moment in which experience cannot rely on experience, a moment in which what we hear is awaking clear audible understanding, is disconnecting knowledge from erudition, awareness from boredom, listening from memory, perception from prejudgments, acculturation from cultural history. This moment is what Gunkanjima realizes.
But how?
Hashima was a black rock island off Nagasaki, where the first big concrete apartment complexes in Japan were built for a population that came to work at the exploitation of coal. This island, progressively enlarged to reach 480 meters long by 160 wide, overcrowded, transformed into “Gunkanjima”, “warship” in Japanese, for the intensive coal exploitation by Mitsubishi, was never conceived according to a general plan of urban development. The buildings were gradually added, as the mining activity intensified, until it was decided, in 1974, to close the mine and that all the inhabitants should leave the island within a few weeks. Nevertheless, all these buildings, impressive by their height and imbrication, are linked to each other through several levels and form a mega-structure and some circulations, which integrate some public spaces, aisles, terraces, a main square “Ginza Hashima”, as if there could have been an initial urban design.
Of course, this mode of urban construction is not specific to the Hashima island. Most towns, described a posteriori as extremely complex and coherent organisms, can display ingenuity of general structure and of circulation nevertheless invisible to those who built it. But the ghost-towns reveal it better than others: it seems that the cessation of all activities and the disappearance of any human presence render possible an organic analysis coldly after the fact. Sometimes the dead bodies have to be observed in order to understand the living ones.
To observe coldly after the fact the music of Gunkanjima is not possible: even if it is burned on a CD, it is not fixed! For the concert is not the public restitution of the recorded work; instead, through the gathering of musicians in rehearsals and on stage, at each performance, Gunkanjima is created and recreated. Therefore the musicological analysis of a “musical text” defined once and for all would most probably not be able to seize the creative energy, which determines its strength and its form, in the first place because there is no text, and then because this non existent text is constantly modified. The graphic scores created for Gunkanjima have a musical function inscribed in play. In this passage, for example, called the space, in which the musical idea of a “living space but with almost nothing” is developed, the graphic score is used foremost as a reminder of what, in improvisation and in the proposed ideas, will serve as benchmark or as thread, from which is developed a freedom of play. Everything is constructed, nothing is determined in advance.
No way to relate the realization to a prior idea, no certainty, no prediction, and nevertheless there is a circulation, an ensemble of networks. The musical elaborations of Gunkanjima are elaborated little by little, in a common research, with some materials, chosen constraints and a lot of imagination. These music pieces have their specific form and their own matter, and little by little, these pieces connect in a pathway. As the musician guitarist Gilles Laval says concerning the initial creation of the group: “we arrive somewhere, we come out again, then it continues, we don’t know where it leads, I like this idea of some cooking that is grasped at a given moment, it opens and it closes, and in fact, the cooking continues, it still leaves some traces”. As in the case of the island, of which the human history, linked to the intensive coal exploitation, does not constitute a whole as such outside history, in Gunkanjima there is no beginning nor ending, but a living, poetic and violent moment, fugitive with regard to the thousand years of necessary sedimentations to transform the vegetal and organic debris into coal, a human time in a long history without humans, which as such lets itself be grasped, immediately, as soon as it begins, this is why, in concert as in CD form, the pieces are not pieces.
It is possible to listen to an isolated track of the CD, but in reality the music is made up by a single continuous piece; “I cannot imagine that the piece could be stopped at some moment, and then to start again; for me it is a single piece from beginning to end, there are things happening, and then in the same way I started off from this story, from this island, and then I could not see how to divide this town into fragments of town”, explains Gilles Laval.
The vitality of this ensemble lies in the rapprochement of personalities whose musical worlds are already present. “When I gathered together this group, I knew that they were individualities. Each person is able to develop her/his projects alone”. The equilibrium is found in co-construction, in which whoever pretends to be the leader [chef] is nothing more than a liar [menteur]: “each person is at his/her place and the detail is discussed more and more. These are musical discussions in the course of elaborating propositions, each one speaks and may intervene. The decisions are always based on common choices”.
Gunkanjima, the island, is not a distant theme, exotic pretext to make music, it is constitutive of its architecture. It is not a stylistic subject, an allegory, a theme from the past, this is why there is no point in looking for Japanizing references or anything that is overplaying Japanese music. If there is something of Japan in this music, it is because three out of the six musicians are Japanese. The time is creation or is nothing at all.
On November 2, 2015, the Study Center of the Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes[1] and the Collective PaaLabRes[2] organized a discussion session on questions related to artistic research. The theme of the imaginative and dynamic evening, was based on two questions: how to define, conceive, develop artistic research? And why?
Two texts were proposed to the participants before the debate: a) a summary in French of the book by Kathleen Coessens, Darla Crispin and Anne Douglas, The Artistic Turn, A Manifesto (CRCIM, Orpheus Institute, Ghent, Belgium, distributed by Leuven University Press, 2000); b) Jean-Charles François, “La question de la recherché artistique dans le cadre de l’enseignement supérieur musical” (“The Question of Artistic Research in Higher Music Education”), November 2014 (unpublished).
Were present in the debate:
Jean-Louis Baillard, writer, director of research at the School of Architecture in Saint-Etienne.
Sophie Blandeau, collective Polycarpe.
Samuel Chagnard, musician, teaches at the Cefedem AuRA, member of PaaLabRes.
Marion Chavet, visual artist.
Dominique Clément, clarinetist, composer, adjunct director of the Cefedem AuRA.
Jean-Charles François, percussionist, composer, retired director of the Cefedem AuRA and member of PaaLabRes.
Hélène Gonon, lecturer in Educational Sciences at the Cefedem AuRA.
Laurent Grappe, electro-acoustic musician, member of PaaLabRes.
Aurélien Joly,jazz musician and improvisator.
François Journet, administrator of the Cefedem AuRA.
Gilles Laval, musician, director of the Rock department at the ENM of Villeurbanne and member of PaaLabRes.
Noémi Lefebvre, in charge of the Study Center at the Cefedem AuRA, writer and researcher in Political Sciences, member ofe PaaLabRes.
Valérie Louis, lecturer in Educational Sciences at the CNSMD of Lyon, formerly Freinet primary teacher.
Ralph Marcon, in charge of the Documentation Center at the Cefedem AuRA.
Jacques Moreau, pianist, Director of the Cefedem AuRA.
Pascal Pariaud, musician, clarinet teacher at the ENM of Villeurbanne and member of PaaLabRes.
Didier Renard, professor at the Institut d’Etudes Politiques of Lyon, director of a laboratory at the CNRS.
Eddy Schepens, researcher in Educational Sciences, formerly adjunct director of Cefedem AuRA, chief editor of Enseigner la Musique.
Nicolas Sidoroff, musician, teaches at the Cefedem AuRA and member of PaaLaBbRes
Gérald Venturi, musician, saxophone teacher at the ENM of Villeurbanne, member of PaaLabRes.
Introduction
The concert that serves only to concert, who does it concern? Concentrate! Because one centers the concert on the works served “in concert”, They have to be conserved in served concerts, they are serried in severe terms and serve only for the purpose of concerts. To serve works in concerts in front of consorts, serves to conserve, and to converse, but the conversation is already a concerted activity for those concerned, a concerting concern. The concerting concern serves to concentrate oneself on the concerts served to consorts, the concerting concern is the raison d’être of the concert, it serves in gathering consorts in concert of concepts more or less disconcerting. The concerting and disconcerting concern concentrates action and reflection. The concerting and disconcerting concern is the research on action and reflection. The concerting and disconcerting concern is the research on action and reflection about the concerting concert and object of concerting actions. The research is not concerned in conserving converts, but it conserves, it converses on the health of concerts served as concerting concern. The research without which there is no higher education, the research concerns us.[3]
In order to open up the debate, a certain number of questions were formulated by Noémi Lefebvre in the name of the Study Center of the Cefedem AuRA, and by Jean-Charles François in the name of PaaLabRes:
Even if the European reform of higher education “LMD” gives a strong institutional framework, with injunctions made to conservatories and art schools to develop some research, the intention of this debate is to formulate the problems as if we were starting from nothing. Thus, two aspects of artistic research need to be distinguished: a) the real content of actions, what is happening within the given different groups and b) where can it be happening, to what extent are these actions allowed and recognized by institutions.
It is therefore important in this debate to put forward the following questions: a) “who speaks” about artistic research today? b) “from where does one speak”, from which institutional context or from outside the institutions? And c) “in what circumstances does one speak” about it? Who has something to say about it? Artists? Political representatives?
Another dimension of artistic research concerns the fact that many people who carry out artistic research do not speak about it, either because they do not feel the need to, or because they deliberately refuse to. Who are they exactly? Where do they work, these anonymous researchers? What are their objects? What are the ideas linked to their research acts?
In this first series of questions, a strong tension appears between on the one hand the institutional frameworks, what they allow and do not allow, and on the other hand the real topography of the actions realized here and there claiming the term of research, or also the more frequent number of actions that do not pretend to deserve such qualification:
Is there then an obligation to develop artistic research as an answer to the requirements imposed by the European or national instances? Nothing would be more absurd than to simply obey the injunctions to conform to a single model of higher education, if the conditions are not fulfilled in a given discipline to create a meaningful context.
The question of the different disciplinary fields is complicated by the fact that they are not stable entities, they constantly evolve. There is a tendency to consider the disciplinary fields as fixed objects. In these conditions of instability how does one contemplate the question of the signification? If it is possible to envision research as seeking to find sense in actions, the question arises of how to create meaning? How to highlight the meaning of the actions?
There is no higher education in a determined field without the presence of a definition of research linked to that domain. Is it really the case? Is it necessary in the artistic domains? Symmetrical question: is it possible to contemplate research outside university study programs that lead to it?
Artistic research is considered as concerning in the first instance the elaboration of artistic practices. The still dominant thought is that practice is separated from theory: practitioners do very well what they are doing, they do not have to think about what they do. Higher education is still divided in the mind between professional training on the one hand, and theoretical tracks on the other hand. Are the artists capable of a specific thought when they practice their art?
Another strong representation maintains that only those who are placed as onlookers from outside a practice are able to analyze what is at stake in it. The practitioners tend to be blinded by their own objects. In what conditions could the arts practitioners have access to reflection on their own actions?
Is artistic research an internal necessity for today’s artistic practices? Does the situation of the artist in society impose on whoever is practicing the arts a capacity to carry out systematic reflection?
The question of temporality seems essential. During the 1970s, it is striking to note, musicians had time at hand: the public grants allowed the development of long term projects, the fundamental research was at the center of university activities. Do we have time today? Without a reasonable amount of time, has artistic research any sense?
The question of the usefulness of research should be considered in an artistic context that strongly refuses to carry particular utilitarian purposes. What is the purpose of art? But above all what should be the purpose of artistic research? Here there is a subsidiary question: isn’t it a fact that the very notion of research is linked to the concepts of progress and modernity? Would artistic research be yet another way to measure the degree of innovation of a given practice?
In the text that follows, the totality of the persons present participates in the debate. The selected option is to not mention in the text the name of the speakers, and to classify what was said in well-identified chapters. The contradictions that are expressed from time to time in the text reflect a constructive debate respecting the point of view of each participant. The text has been established on the basis of the excellent note-taking by Jacques Moreau in collaboration with Nicolas Sidoroff and François Journet.
Definition of Research
To define the term research is difficult, and consequently even more difficult to define artistic research. Is it a question of any manifestation of a cerebral activity, or of what is well delineated by the framework determined by universities? In the course of elaborating curricula, it is easy to create education cells that can be qualified as “research”. Facing certain courses you think: “in this case it has definitively something to do with research”. We could refer to the doctoral program at the Lyon CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse), exclusively modeled on the existing university model. Yet, it is possible to begin to reflect on the notion of research specific to the arts outside the higher education institutions. It is a matter of defining, in the framework of the internal aspects of artistic creation and of its transmission:
What is artistic research?
Who is concerned by it?
How can this type of research exist in social environments?
The places in which it makes sense.
The ways by which it may succeed.
In summary, it is a matter of defining on what basis artistic research is capable of developing larger paradigms, which would justify its legitimacy within higher education. What is the breeding ground on which this legitimacy can be built? And incidentally what is happening in the universities?
The term “research” is perhaps too much loaded with precise references, linked to the professional status of researchers. It can be considered as a false nose for a posture that can be qualified as “reflexive”. The idea of the “reflective practitioner” seems to offer more democratic perspectives, allowing a great number of persons to find in it a framework less imposing than the one implied by the term “research”. This is a posture that anybody can assume as part of his/her activities. This idea is inspired from the work of the American philosopher John Dewey, around the practice of the enquiry that any citizen should be able to carry out in order to develop an awareness of the stakes inherent to a particular field of investigation. The reflexive posture would allow consideration of all the contributive approaches of the diverse artistic practices.
But there is something much more important than a precise definition of what exactly the terms of research or of reflexivity entail: it is the indispensable presence of places, of circumstances, of structures that gather people together, and the presence of production tools the nature of which is necessarily composite, hybrid. The criteria for defining the reflexive or research activities have to be determined after the fact. To start with the very meaning of what research could be seems an inauspicious way to give any result. The most important task is the capacity to assemble – cf. the winemakers’ assemblage or blending – people who are in a reflexive posture, but who work often in a great solitude. How to assemble them together?
Some years ago the French Ministry of Culture organized a conference on artistic research, inviting above all some philosophers, and a few art practitioners, scrupulously avoiding posing the question of teaching and learning the artistic things.[4] What were the criteria developed by these philosophers? It was above all question of confronting the ideas of one chapel in connection with those of other chapels. It did not give us viable tools to proceed further.
It is established that in order to find a place in the actual system of research, there is no other choice than to tackle questions, which in advance have already been resolved. This phenomenon should not be underestimated. To counter this, we should propose the idea of something existing, which is determined in the course of its elaboration. And it is also perhaps for this reason that, with the term of research – taken now in the sense of combat – it becomes important to affirm alternatives to practices that are instituted in some too peremptory manner.
The Research Institutions, the Institution of Research
Should we completely refuse to be situated outside the arbitrary impositions of the LMD process (Europe imposing Licence-Master-Doctorate on all Higher Education) and of its normative institutional injunctions, or on the contrary consider that it is an ideal occasion to tackle the issues of research in order to invent new situations? The Ministry of Culture tends to launch some watchwords without defining what they imply as possible directions to take. This gives an opportunity to take up the ideas in order to adapt them to situations going in a different direction than the intended one.
Two debates should be distinguished: on the one hand the institutional debate that concerns acknowledging activities as legitimate research, allowing to access grants. All institutions have to face the problems of recognition of research. Such debate has nothing to do with the one, on the other hand, which poses the question of the reflexive attitudes that one can have starting from one’s own practices. In the first case, in order for a research activity to be recognized, we are in presence of more and more violent criteria, over which the teachers-researchers have absolutely no control. In the second case, we find pockets of resistance that refuse the arbitrary injunctions of non-pertinent criteria, and then go on to seek alternative processes of gaining legitimacy. To stress the difference between these two debates seems absolutely essential. A book like the Artistic Turn, for example, is written by artists fighting to find a legitimate place in the university while preserving the specificities of their art. This book, however, is very preoccupied with the institutional rationalities for evaluating artistic research, and not enough with an intellectual content, which would be completely independent from them. When we read this book, it is necessary to make a keen distinction between these two positions.
One of the preoccupations of The Artistic Turn is to attempt to position artistic research in relation to the dominant model, which automatically assimilates research to hard sciences and to their criteria of truth. This reduces the reflection to a prebuilt modality, since artistic research has always to be placed within criteria that are elaborated elsewhere. It should be noted that a part of scientific research tries to be inspired by artistic experimental situations.[5] Bringing artistic research closer to that of social sciences, which also has to deal with subjective elements difficult to stabilize, seems a more propitious way to develop the understanding of many things in the domains proper to artistic activities.
Some despair is apparent today among those who work in French higher education. They deplore the recent development of savage evaluation rationales, centered perversely on research in quantitative terms (publications, participation in conferences, quotes in books, etc.), which does not at all go in the direction of an opening of research to the instability of results that cannot be predicted. Research, devoid of its intellectual qualitative content, becomes solely an instrument of normalization, in order to align universities on a single conception and above all in order to hierarchically compare them. The notion of excellence turns into submission to a certain number of injunctions dictated by centralizing policies. This is what allows funding appropriations to take place. Another important injunction concerns the requirement for research to be only occupied with what is considered as useful to society, notably in encouraging establishing privileged relationships with industry and the market place.
These approaches announce the programmed disappearance of Social Sciences and Humanities departments. A certain number of disciplines in the social sciences, literature and arts find themselves caught between the necessity to conform to criteria that are external to their essence and to constantly justify their usefulness to society, which considerably weakens them and directly threatens their existence. Consequently, there is a tendency today in universities to align research on the lowest intellectual educational level. The researchers are therefore strongly encouraged to turn their attention towards practical domains, but this has nothing to do evidently with artistic concerns.
The race for quantitative recognition in research produces also the recourse to “ready-made thinking” and to “ready-made evaluation”, which soon become the obliged pathways to which everybody has to conform and in which many participants find reassuring and comfortable situations. The association of domains that are deemed subjective, such as the arts, with scientific domains that are deemed objective, such as for example the neurosciences, suggests at the same time that research envisioned in this way contributes to the progress of humanity and that it allows the access to undeniable proofs. The scientific method falsely applied to the arts becomes an obligation without which nobody can pretend to claim legitimacy in research.
The injunctions coming from European instances carry with them many constraints, but they have also the merit to open new spaces. In architecture, the doctorate has been put in place only very recently, one does not know yet what it exactly entails. A Canadian attempted to describe what is a thesis in architecture. He studied forty theses and mapped them out according to the elements that orientated the research. This is the kind of approach that creates some openings towards the spaces of creation: how to create your own great book on architecture. On the condition to not fall into the elaboration of a between ourselves sub-culture, as it is often the case when the methods and the language have primacy over the contents. On the condition also to respect the small objects of research, as much as the ones with larger perspectives.
All the same, one has the impression that the race for control could well collapse on itself: with the increase in criterization rationales and a society going ever faster and faster in combining things and matters, have we not arrived at a point of rupture, at the end of a system? By definition, it will be more and more difficult to continue in the same register of normalization and controls, because the system in itself generates a capacity to get out from the boxes, to surpass the imposed frameworks. For reasons of efficiency, and the social issues raised by the system, it is difficult to imagine that the university can continue for a very long time in this way. Even if the technocratic imagination can make these absurd systems last for a very long time, it is conceivable that some dynamic reassessments are about to emerge inside and outside the institutions.
The Models of Research in Tension
1. Relationships to other Disciplinary Fields
Artistic research seems to make sense only in the perspectives in which art is not considered any more as autonomous in relation to the banality of its ordinary environment. To continue to consider art as preserved from the conditions in which it is produced (art for art’s sake), is an ideal that research cannot fulfill. In this posture, the artist does not need to devote attention to research, since this could threaten the purity of the creative act, research in this context should be considered as external to art, it should content itself with the contemplation of its high achievements. Only in perspectives opening enquiries about the way to practice art can one approach in an internal manner the field of artistic research: how do artists and other (human or non-human) beings or entities contributing to artistic practice interact to obtain their results. This central idea of interaction opens the field of artistic reflection to fields such as sociology, psychology, educational sciences, technologies, cultural policies, mingling artistic domains, literature, philosophy, etc. Artistic research seems to make sense if – within artistic practice itself – other elements are contributing, coming from other fields of practice (outside the arts). But in the case in which a disciplinary field outside the arts comes to influence research, it is not normal that the artistic research should conform in all aspects to the rules that apply to the imported discipline.
There is one positive aspect of the process linked to the obligation to develop research in sectors of higher education that until now were oblivious to it: collaborations with other research groups or entities become absolutely necessary. For example, concerning the Schools of Architecture, the corollary of research is a partnership in the framework of the creation of the UMR (Unité Mixte de Recherche, Mixt Unity of Research). A Mixt Unity of Research is a federation of laboratories. The objective is, in order to remedy the difficulty of being confined to ones’ own questions, to look for issues aroused by others, and to build collaborations. The projects involve the presence of funding and partners. For the Schools of Architecture it offers very interesting questions: who should we turn to? Towards the Schools of Architecture? Or towards the researchers who exist in close vicinity, but who are very different, that is Schools of Engineering, University Schools, Schools of the Arts? These partnerships lead to interesting fields. In the Schools of Architecture, the architectural project remains at the center of the study program and is nourished by four domains: engineering science, imagery, arts’ history, and philosophy/ethnology/sociology. This program of study lacks a course on writing. Architecture and writing have things to develop in common, for in research the capacity to write is indispensable.[6] All these issues lead to alterity, within domains that until now were confined to a certain insularity.
2. Theory and Practice
The separation between theory and practice remains a dominant representation in the arts.
Artistic research is thought as being primarily concerned with reflection on practices. In this context, the still dominant idea is that the practice (tacit) domain reserved to artists, remains separated from the theoretical (explicit). The theoretic thought is considered as an analysis realized after the fact, made preferably by outside observers. In the Schools of Architecture, for at least twenty years, the separation between practice and theory was dominant: separation between the architects and the engineers, separation between professional practitioners and teachers. Today, because of the State’s injunction, this separation is called into question in the requirement of a double competency to which research has to be also added. However the status of teacher/researcher still does not exist. Since last year the Schools of Architecture have a double tutelage, one from the Ministry of Culture and Communication, and one from the Ministry of Higher Education and Research.
In the case of the Institut d’Etudes Politiques de Lyon, up to now there was no training for practitioners. Here, the violent injunction of the State is that it is now necessary to train some practitioners, that is to give the students some perspectives of professionalization. For example, some courses on entrepreneurship are now organized during the first year at the Lyon II University. We are facing a delicious paradox linked to research: at the University, a stronghold of theoretical studies, there is the injunction to train practitioners, and in the Schools of Architecture and Arts, strongholds of practices, theoreticians should be trained. In the two cases it is a matter to start doing what one was not used to doing, and what one does not know how to do.
3. The Status of the Written Text
There is an astonishing uncertainty in the fact that the transposition into words, the writing of a text, is a practice that can be either creative, or be content with being an explanation tool. Is the transposition into words directly an integral part of the research processes or of artistic production, or is it only the tool for a descriptive or speculative presentation of this research or artistic production content? In the usual conceptions of university research, the transposition into words of the results tends to be exclusively considered as a process that is separated from the content and from any creative elaboration. The mechanical application of the concepts borrowed from scientific research, in order to justify the existence of artistic research, creates a strange state of mind: the artistic act is innovative, creating something new that will be directly injected into intellectual circles. What cannot be explicated by words creates some forms of distance, of exclusion, certain modes of innovation becoming in this way excluded from the field of research. The discourses around the conditions of artistic practices, notably with Bruno Latour, overshadow innovation forms that cannot be articulated with words; the words come after and outside the fact. In this scheme of thought, if someone does some research grounded on artistic practices, the language (putting into words, taking up a pencil, or using a computer) comes after, and in this way does not take part in the research process, but only in its restitution.
This separation between creative research processes and their communication by means of a text has to be questioned in two ways. On the one hand the creative transposition into words can become a tool inserted into the heart of the research process: one thinks of John Cage’s lectures,[7] which textually did not explicit much, but which described in their form in itself the processes of elaboration of the author’s musical compositions. Through these lectures, one has a direct access to the author’s experimental procedures, his modes of thinking, but without having to go through a narrative telling us how they could be explained. On the other hand, the communication of the research contents can use different medias other than text: films, videos, recorded speech, graphisms, sounds, images.
Behind the term research, there are many words that come to complicate its effective implementation: “innovation”, “scientific aspects”, “discourses”, etc. Is there a loss of sense when the discourse comes after the fact? The Cage lectures are no less, nor more research than his musical works. The criteria “discourse” is not sufficient to define research, nor the one of “science”, because a whole number of things should be summoned. One cannot therefore proceed with a single entry. What is complicated is to intertwine all the elements with each other.
Artistic Research – Avenues to Reflect
1. Research through the Elaboration of the Artistic Act
The principal enigma that needs to be resolved has to do with the situation of the artist in today’s society: is research an inherent obligation for the artistic act today? And, if the answer is positive, how can research be distinguished from the artistic act? In the perspectives of a coexistence of historical times, which is an important aspect of our society of electronic communication, it is quite possible to continue to consider that autonomous art – the one exclusively devoted to the production of works outside any circumstantial or contingent consideration – still plays an important part in the field of practices. But the possibilities offered by the new media fundamentally change the deal of artistic practices in considerably facilitating their access and in allowing amateurs to create their own means of production. These amateurs have time at hand – that professionals often have difficulty to find – for thinking through their own practice or for getting in a position favoring experimentation. The stakes of the obligation to present the work on stage – the living spectacle – are modified: processes limited to small groups, devoid of the objective to produce definitive works of art, devoid of the obligatory presence of a contemplative external public, become possible. In this type of context, it is possible to envision research as an integral part of practice, because the practice addresses at once the rationales of the production, of the interactivity between participants, and between the participants with the materials to be used.
Several factors contribute to identify artistic research to practical processes. The research linked to artistic education leads directly to practical artistic acts.: there is no pedagogical action without a direct effect on artistic practice, on ways to envisage the material production of the artistic objects, and consequently on their plasticity itself; and vice-versa, a given practice leading to particular artistic results always implies some methods of knowledge transmission in order to attain it. As soon as one is preoccupied by education, one realizes how until now effective practices have failed to concern researchers, that is the processes leading to artistic productions, everything that occurs before the emergence of the work.
2. Alternative Research Models
Other models should be considered that do not correspond to what is done in the world of the university, notably those already elaborated by personalities such as Bruno Latour, Antoine Hennion and Isabelle Stengers. In spite of the fact that since about twenty years, we have been facing a movement, over the medium to long term, of normalization of research, other models can be envisioned if we limit ourselves to an independent intellectual content. But it is not evident how to adopt these models in order to realize, at the margins of the institutions, something different while using the same terms. There are no other alternatives than to create some pockets of resistance using a diversity of models. The pockets of resistance become necessary in face of the great complexity of globalization and the challenges it poses to the great democratic models. Deindustrialization has risen to unbelievable proportions, the working class movement disappeared in less than twenty years. There should be some places and circumstances that allow people to maintain a spirit of resistance for at least a certain time. It is necessary to have some kaïros, some reaction to opportune time, in seizing all the occasions that can occur.
The question of markets and their role in the control of artistic production is increasingly disturbing. At the same time, the markets succeeded in liberating and disseminating the techniques that allow alternative inventions, something the musicians from the elite could not achieve. It is important to be able to develop a reflective approach to the tools of dissemination, to software, to the issues raised by business markets, in order to develop possible rationales for alternative public policies.
An institution like the Cefedem AuRA remains determined by the professional context in which it develops its actions. In general, musicians are less preoccupied by research issues than the actors of the other artistic domains. We can see that musicians have a strong tendency to return to an outdated corporatism. Concerning the norms of the definition of a musician and her/his activities in the professional milieu, the development of the Cefedem AuRA as a place of questioning these norms was completely improbable. This pocket of resistance allowed many people to invent their own line of action. Today, a possible focus of resistance is not to limit the Cefedem’s program of study to teacher’s training, but to turn to the education of practicing musicians at the heart of their practices both of transmission and of elaboration of their art: a reflexive thinking on music and art, on accompanying amateur practices, on the double social and artistic rationale that underlies the actual role of musicians in society. One can assert a singular approach.
3. Administrative Obstacles
There is an astonishing paradox between the reality of the institutions of artistic education and the injunction to develop research and intellectual thinking. All the schools of the arts have to face budget reductions; all the sectors of practices have made great efforts. The incitation to research is developed in an environment that remains very rigid and without the means to provide adequate responses. As soon as new pedagogical projects are proposed, even if they are neither exceptional nor experimental, but that are near the realities of what it is possible to do, many obstacles and roadblocks appear. The arts schools lag behind in the use of new technologies (video, image rights, diffusion issues), and the few tools they are capable of developing are not available to students and teachers. In the domain of popular music (officially called in France musiques actuelles amplifiées, amplified actual music), there exists in Copenhagen an “incredible” department: spaces full of the newest technologies available to users. However, the department collaborates directly with the record labels that impose their criteria, this does not correspond to the role of public institutions. In the public service of music education, the participants are not there to obey the demands of the market place, to produce groups conforming to its rules and to release commercial products. The public service has to bring its own independent vision. People are encouraged to do new things, but as soon as a proposition is formulated, it comes up against the rigidity of the system. The only thing that we do not know how to do, it is to change the system.
4. The question of Research Spaces and Publications
One can see the importance of the existence of research spaces, precisely in order to change the rigid systems just mentioned. It is very important for a research group to have an adequate place and to be able to make it function: this is linked to the available time of the participants and their ability to attract some funding. In order for artistic research to be viable, militant approaches are not enough. It is also necessary to have the capacity to develop some forms of visibility associated with the public expression of the practices (the stage, education). How should we proceed so that what has been discovered, updated, can be heard somewhere as an element that cannot be ignored. In order for this research-resistance to exist, the conditions that would move the constraints imposed by the institutions have to be determined. How can we make sure that this research would be promoted and could cross the threshold of confidentiality, of self-confinement?
What is important is to build some traces. Resistance should be conducted through some existent things, through the “bringing to life”, it implies therefore publications that give full account of the different aspects of the place one occupies. The absence in the musicians’ world of an association that would be capable of defending something other than traditional (if not reactionary) objects is sorely evident. Why is it so difficult to federate the points of view that are not along those lines? How to get out of isolation? Making the path in life by walking would be a good start.
Those who exist in an institutional place often think that the things that are possible have to be envisaged outside the institutions. But those who are outside suffer from isolation and anonymity, from the plethora of information. A public place, whatever it might be, has the merit to exist, it gives a margin of possibilities. The Cefedem has had the good fortune to have been able to develop independently from the conservatories and the universities. The PaaLabRes collective hopes that the digital space paalabres.org being developed will be to some extent the equivalent of a place that seems up to now unavailable. Enseigner la Musique has been the essential tool for disseminating the practices developed at the Cefedem AuRA and other associated places.
Widening Research
1. Research Before the Doctorate
In the world of universities, real research starts at the doctorate level. Nevertheless, the idea that one can carry some research project from the very start of higher education, or even before that, is perfectly viable. Several places in Europe and in the world have been able to experiment this idea with success.[8] To introduce research from undergraduate level onwards is a way to refuse that the laws of the market place should define what could be expected of students at the end of their studies. The Rector of the Lille University said recently[9] that today the social sciences and the arts are no longer just tools to be acquired to shine in society, but are becoming completely indispensable to surpass the fact that machines in the hard sciences are going to be able to do all possible things replacing the humans. In music, the historical definitions of professional occupation are collapsing: we do not know to what we should train the students. The issue is not to train musicians to acquire a pre-established technique, but to do research would give them a more distanced point of view on their actions. They will be able in that way to continually reinvent their practices, rather than to reproduce fixed models. This creates another rationale for resistance: to imagine what will be the nature of the professional occupation tomorrow is not possible anymore, but it is also necessary to realize that the “professional occupation invented by contemporaries never existed”, it is invented along the way throughout history.
In the process of widening the concept of research to contexts fairly different from the one limited to doctoral studies and accredited laboratories, three levels can be observed in the education framework: a) the formal research of university doctoral studies and laboratories; b) preparation to research that concerns higher education as a whole; and c) learning through research that can be done at any level, including at that of children beginners. Moreover, it must be realized that these three levels are themselves distinct from experimental postures that are in operation today in many domains. Numerous approaches of this type exist at the same time in education institutions, in working places, in everyday life and in artistic practices that can be qualified as “reflective practices”.
2. Research Before and Outside Higher Education
Within the music schools (specialized music education at primary and secondary levels) there is a surprising presence of high-level groups whose members do not particularly demand rehearsal spaces, or supports for technical production or advertising. They come to these public institutions specifically to develop research projects, outside any consideration for acquiring a professional trade. These projects are very often centered on meeting other aesthetics and different ways to practice music.
Today, in music schools, there are many study programs (in the process of experimentation) in which the students are solicited in collective situations to learn specific things in an active manner by trial and error, in a different temporality than the one traditionally used and by varying in diverse ways the learning situations.[10] In these programs, research is inextricably a corollary to learning, not only on the side of the leadership of the teachers who have to continually redefine their actions in relation to the contexts given by the students, but also on the side of the students putting themselves in research situations. The idea of research is a posture that is assumed on an everyday basis, it is not a pretentious access to formalism, and it changes completely the sense of artistic studies. The goal is to develop enlightened practitioners, capable of carrying out inventive actions in an autonomous manner.
Performers are often the butt of caricatures, incapable of carrying research on their own, but, to take an example, a model exists today in the revitalization of old music in which there is a collective work on interpretation, which can be qualified as a research in acts. It is then possible to start with an affirmative that what one is doing is research.
It is very important, even necessary, to be able to document these numerous new manners to envision teaching in music schools, the practitioners should be encouraged to write texts, producing videos, using all the possible media so that a collective knowledge can be developed, which would nourish the reflection on practices.
This documentation would help to see more precisely what constitutes artistic research; there is by the way a strong demand in the artistic world for the diffusion of such documents.
3. Research Outside the Norms
Many activities of research are carried out by people who never speak about it, who never write a single line about it. It does not prevent them from inventing things that do not inevitably correspond to the sense of innovation promoted by the governmental instances. How can we give full account of what remains a blind spot? To make these practices known would be a way to restore the meaning that one can give to democracy. In effect, there is an obvious unfairness in the large number of closures instituted to control access to research: in music, perfect pitch, dictation, standard sound, etc. It does not function in this way in reality, as there are many people whose practice does not correspond to these norms. The ones who feel they can legitimately speak about their practices, and who are willing to do it, do not do it for clearly argued reasons. They are willing to speak about them, and do it because they have some ideas in their mind. Behind their initiatives, some social strategies are in process. It is necessary to determine why one does things, to recognize what strategies are in place, to fully assume them, to make them known to the public. There is the need to break down some walls, of not thinking all this out of the blue, outside a context, without the presence of strategic objectives, to explicit what one is ready to defend.
Report realized and translated by Jean-Charles François – 2015-18.
English translation realized in collaboration with Nancy François.
Post-scriptum to the debate:
Exchange Forum PAALabRes “Artistic Research”
Following the debate organized on Novermber 2, 2015 on artistic research several questions remain to be clarified or discussed. We propose an exchange forum on the following questions:
To what extent do artistic practices today necessitate processes of research inherent to their acts, yet remaining distinct from them?
The issue of methods and criteria specific to research carried out by the practitioners themselves in relationship to their own artistic practices.
The issue of a strong representation in people’s minds of a dichotomy between theory and practice. Is it the case that the distinction between fundamental, intellectual or formal research (considered as theoretical) and professional training (considered as practical) introduces more confusion in this debate between practice and theory (practicing theory and theorizing implicitly the practices)? Is the questioning on artistic practices – professional or other – of the domain of theory? Can it be done without some references to practical examples?
Issues concerning the usefulness of research: the distance between the usefulness of a research activity for a given group of humans and the fact that if things are defined as useful from the beginning of a fundamental or artistic research, one refuses to accept that the results might be unpredictable. Is there the necessity to make a distinction between “usefulness” and “utilitarianism”?
Issues concerned with the status of written texts in relation to artistic research and creation: to what extent are they part of the research in itself? To what extent are they only tools for communicating the research results?
The contradictions between study tracks that are very often orientated towards individual work and the collective actions of laboratories.
Stories chronicling experiences would be welcome in connection with this notion of artistic research. The description of contexts in which disciplinary fields are in interaction, notably in the confrontation between arts and sciences, would be of great interest for this forum.
PaaLabRes accepts to consider for this debate very short contributions (6 lines for example) as well as more developed texts (one page). The research articles would be considered as potential contributions outside this “debate forum”.
PaaLabRes is in charge of the processes of presentation and of edition of the contributions in a spirit of exchange. Different types of encounters and interactions will be organized in order to continue working on these issues.
[1] The Cefedem AuRA, Centre de Formation des Enseignants de la Musique was created in 1990 by the Ministry of Culture in order to organize a study program leading to the State Diploma for Teaching Music within specialized music education (schools of music and conservatories). The Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes based in Lyon developed a research publication, Enseigner la Musique, and created a Study Center on teaching artistic practices and their cultural mediations. See the site: cefedem-aura.org
[2] The collective PaaLabRes, Pratiques Artistiques en Actes, Laboratoire de Recherches, was created in 2011 by ten musicians working in the Lyon region, with the objective to reflect on their own practices,including both the logics of artistic production and of transmission, the logics of research and free reflection.
[3] Informal text by Jean-Charles François, 2012 (unpublished).
[4] Voir La Recherche en art(s), ed. Jehanne Dautrey, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris : Editions MF, 2010.
[5] Voir Experimental Systems, Future Knowledge in Artistic Research, Michael Schwab (ed.), Ghent, Belgium : Orpheus Institute, distributed by Leuwen University Press, 2013. This series of articles is centered on the research of Hans-Jörg Rheinberger, Director at the Max-Planck Institute of the history of sciences department, on the epristemology of experimentation.
[6] For example, the School of Architecture of Saint-Etienne is now developing a track with the Lyon ENS (Ecole Normale Supérieure de Lyon), mixing architecture and writing.
[7] See John Cage, Silence, Cambridge, Mass. And London, England: The M.I.T. Press, 1966; see also John Cage, Empty Words, Middletown, Conn.: Wesleyan University Press, 1981.
[8] See notably The Reflexive Conservatoire, Studies in Music Education Eds. George Odam and Nicholas Bannan, London : Guildhall School of Music & Drama, Aldershot, England : Ashgate Publishing Limited, 2005. The Cefedem AuRA in its program leading to the Diplôme d’Etat centered the curriculum on students’ projects in the domain of artistic practices, pedagogy and reflection (writing an essay); Jean-Charles François, Eddy Schepens, Karine Hahn, Dominique Clément, « Processus contractuels dans les projets de réalisation musicale des étudiants au Cefedem Rhône-Alpes », Enseigner la Musique N° 9/10, Cefedem Rhône-Alpes, pp. 173-94.
[9] Private conversation with Jacques Moreau, director of the Cefedem AuRA, 2015.
[10] The ENM (Ecole Nationale de Musique) of Villeurbanne is one of the very active places working in this direction, notably in the program EPO (Ecole Par l’Orchestre, Learning through Orchestra) developed by Philippe Genet, Pascal Pariaud and Gérald Venturi, and the one from the Rock department with Gilles Laval.