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Itinéraire entre "Cardew" et "Cefedem"

 

Cornelius Cardew :
Revenir à Buffalo était particulièrement émouvant, dans la lumière étincelante au couché du soleil. Le soleil se couche sur le lac Erie et il doit lutter avec toute la fumée de Bethlehem Steel, ce qui le rend complètement rouge. Surtout ma vieille bibliothèque phallique favorite, son sommet brillant en mosaïques de couleurs dont je ne me souviens pas de les avoir vues auparavant. Je me souviens de m’être assis au bord du lac sous les rayons glacés du soleil en train de dessiner les esquisses des 40 dernières pages de Treatise. Alors, j’ai inclus la bibliothèque en retravaillant le début, mais pour une raison ou une autre je l’ai couchée sur le côté.

 

Extraits de dialogues d’étudiant·es du Cefedem :
[Transcription : Nicolas Sidoroff]
L’hiver est doux en cette mi-janvier 2017, au centre de Lyon. Un stage de lancement ouvre la Formation Diplômante en Cours d’Emploi (FDCE) du Cefedem Auvergne Rhône-Alpes. Des activités « musicalo-réflexives » viennent questionner les notions de procédures et de contextes. Deux groupes de quatre personnes ont choisi chacun une page différente de Treatise.
Au moment de cette discussion, un de ces groupes a commencé à jouer la page 83. Pour cette occasion, il joue d’un vibraphone, elle d’une clarinette, il joue d’une guitare acoustique, elle chante, et beaucoup utiliseront la voix. Illes sont en arc de cercle, un pupitre est devant le vibraphoniste, et les trois autres se partagent deux pupitres, chacun avec la p. 83 posée, format paysage, le numéro en bas.

Illes jouent le tout début [env. 8 sec].

– Et là, on va marquer ce truc, je pense, on est d’accord ?

– Oui parce qu’on n’a pas…

– Ça on ne l’a pas fait

– On n’a pas évoqué aussi le fait que si, qu’il peut y avoir des silences, aussi

– Ouais, ça, ça pourrait être un silence. Bon, on fait un coup pareil et nous, on marque l’arrivée

– Ou alors est-ce que ça, ça ne serait pas… on est parti sur l’idée que c’était un son, mais est-ce que ce n’est pas la ligne de…

– Oui, un référent

– …la ligne de temps, et que, en fait, tes sons, ils sont là, et donc tu as tout ça de silence ?

– Ça marche bien là notre système, c’est-à-dire que, là, tu as fait la clarinette, là, moi j’ai fait ça, là tu as la voix qui arrive, moi je peux encore faire ce petit bout, ou toi ?

– Moi je faisais une croix… vous n’avez pas entendu ma croix [rires].

Démonstration de la « croix » à la guitare [3 sec].

– Donc moi, je fais l’intersection [en tapant sur le pupitre à l’endroit où]

– Oui, donc moi je ne fais pas…

– Ah oui, la croix c’est ça

– Toi, tu interprètes en termes de, ouais c’est une croix c’est donc…

– Lui, il fait des sons

– Je fais ce qui me passe par la tête

– Et du coup, la croix tu l’interprètes comment ?

– Comme ça…

Démonstration de la « croix » à la guitare [3 sec].

– On se dit que ça c’est la croix, OK et bien moi je vais marquer l’arrivée de la voix, en bas. On refait ça ?

– Allez

– D’accord !

– Alors moi j’attends la chute et…

– Ouais, donc il faut qu’on se synchronise tous les deux

– Du coup, sur ton départ

– C’est parti ?

Illes rejouent le début [env. 8 sec].

– On la refait, j’étais pas… [rires]

– Bon, on a le début, c’est vachement bien

– Allez !

Illes rejouent le début [env. 10 sec].

– Moi je veux bien la refaire, parce que du coup, ça, ça arrive plus tard

– Ouais parce que, en fait, il faut que je le fasse plus court

– On a rallongé notre bout, faut que nous on fasse plus court, très bien

– Ouais c’est plus petit, il faut que ça soit peut-être un peu plus petit

– J’ai essayé de te suivre mais du coup il ne faut pas…

– Je peux faire le geste aussi

– Ouais mais la guitare est censée commencer avant… enfin non

– Non, elle ne fait que la croix

– C’est vrai, mais c’est un bon point de repère, musicalement ça va… c’est plus cohérent en fait

– Il est trop bien ce morceau, il va déchirer.

 

Cornelius Cardew :
Donc, de manière idéale, on devrait en composant essayer d’éliminer toute forme d’interprétation, et se concentrer sur la notation elle-même, qui devrait être nouvelle et aussi fraîche que possible (par là moins susceptible de provoquer chez l’interprète des préconceptions – pourtant, si c’est un bon interprète ses préconceptions ne risquent-elles pas d’en être aussi de bonnes ?) et devrait implicitement contenir dans sa structure interne, sans avoir le besoin de la moindre directive, toutes les implications nécessaires pour une interprétation vivante.

 

Étudiant·es du Cefedem :
Après un travail d’1h15 environ, le groupe joue sa version de la p. 83, devant le groupe qui a travaillé, lui, sur la page 56…
Quelques mots sur les choix principaux et les questions qui sont apparues ? Comment le groupe a fonctionné ?

– Il y a eu un grand débat sur la ligne horizontale, est-ce qu’on la joue ou est-ce que c’est juste une notion de temps ?

– Moi je pense que c’est un bourdon…

– Un référent…

– Mais on a lâché l’idée

– Au début on a pensé à une pédale, un bourdon, un truc, quelque chose qui serait tenu

– Mais après l’idée a été abandonnée, pour que ce soit le fil conducteur, en fait.

 

Brian Dennis :
A la page 191 la « ligne de vie » s’arrête et après deux boucles superbement dessinées les portées émergent comme suit : la portée du haut est dessinée à la main (sauf la deuxième ligne), celle du bas est dessinée à la règle (sauf la deuxième ligne) et le processus continue pendant encore deux pages, de manière identique, excepté les fluctuations infimes de la main incontrôlée du compositeur.

 

Étudiant·es du Cefedem (suite de la discussion).

– Un référent, et pour la hauteur, on est parti du fait de se dire que ce qui était au-dessus de la ligne médiane, c’était plus aigu, en-dessous plus grave ; et aussi un référent de temps qui n’est pas quantifié, on ne s’est pas fixé un tempo, on s’est juste dit ça va suivre l’ordre chronologique dans ce sens là, jusqu’à la fin

– Et les petites bulles, on a pensé à des sons…

– Des sons très courts, des impacts, et puis il y avait, un espèce de gros… pâté au milieu, là

– La partie centrale

– On arrivait pas à s’en sortir, donc on s’est dit qu’on allait faire une espèce d’improvisation

– Oui, on s’est dit voilà, ça peut, peut-être, plus représenter les courbes

– Mais en gardant quand même les impacts, que…

– Que je joue

– Moi, ça me faisait penser un peu à un feu d’artifice

– Donc on était parti là-dessus…

– Et après on a fait aussi figure par figure, on a détaillé un peu

– On a bien bossé le début

– Voir si on pouvait rester homogène sur la durée du morceau, sur tous les graphismes

– On est aussi parti du fait qu’il y a des traits en gras et des traits qui ne sont pas en gras, donc on est parti sur la notion d’intensité. Quand c’est en gras, on joue plus fort, quand ce n’est pas en gras, on joue moins fort. Et après, on a essayé aussi de respecter, si possible, toutes les relations entre ça et ça : ça se joue en même temps que ça, essayer de voir si on peut arriver à…

– A garder une verticalité

– A avoir une cohérence temporelle

– Mais bon, il a fallu faire un choix, il y a plein d’interprétations possibles ! Ce qu’on s’est dit, c’est surtout qu’on n’avait pas forcément les mêmes idées au départ, on a pensé que c’était, mais peut être que c’est trop fermé, on s’est dit qu’il faut quand même essayer de voir la partition tous de la même façon, si on veut arriver à la jouer ensemble, ce qui n’était pas forcément obligatoire

– On s’est dit, on va essayer de se faire un code commun

– Voilà. On a quand même été tenté de se dire qu’il faut trouver une signification à tout

– Et c’est à ce moment-là qu’on s’est dit que, si on donnait cette partition à des enfants, ils se poseraient beaucoup moins de questions, ils verraient des impacts, ils verraient un son qui descend, ils prendraient une baguette sur un carillon et ils descendraient, et si les lignes montaient…

– On a commencé par dire on joue dans quelle tonalité, et après on a fini par dire non, non, on va faire un truc

– On s’est posé la question : est-ce qu’on reste dans une tonalité ou on joue de manière atonale ?

– Et après, on s’est dit non, on va essayer de respecter le ressenti de chacun, ce qui vient à ce moment-là, ce qui sort…

 

Cornelius Cardew :
Supposons que l’instrumentiste se comporte de la manière suivante : il lit la notation et construit une image du son (dans son esprit – un son imaginé comme une hypothèse). Il essaie ensuite de reproduire cette image en sonorité ; il joue, et ensuite il écoute le son qu’il a produit ; il le compare à l’image du son qu’il avait auparavant dans son esprit, et il pourra faire quelques changements, en réduisant les divergences, se dégageant rapidement des fausses notes, jouant moins fort les notes qu’il trouve trop envahissantes, etc. etc.

 

Étudiant·es du Cefedem :
L’autre groupe a travaillé la p. 56, dans la salle bien nommée “du bout du monde”, petite et toute en longueur. Ce groupe joue à son tour la page devant l’autre groupe…
Des explications sur les différents chemins entrepris pour arriver à cela ?

– Tout d’abord, on a choisi nos instruments : violon, trombone, harpe, et puis on s’est dit finalement qu’on pouvait essayer des choses avec une possibilité de changer en cours de route. On a commencé chacun à donner nos impressions aux autres, sur ce qu’on voyait sur la partition et sur ce que ça nous inspirait, en associant le graphique à des idées. Et puis, au bout de peu de temps, peut-être une minute ou deux en fait, on a décidé de se jeter à l’eau et de faire un premier essai, de jouer, voir, sans rien se dire. Après cette première fois, on s’est échangé nos impressions, chacun a expliqué ce qu’il en avait fait. Finalement, au bout d’un certain temps, on avait lâché cette partition parce qu’on avait besoin de se retrouver avec une écoute commune, c’est ce qu’on n’avait pas en essayant de chercher à quoi correspondaient les graphiques par rapport à des idées musicales. Donc on avait finalement, tous, lâché l’affaire afin de jouer ensemble…

– Vous n’avez pas le droit [rires]

– Comment ça, on n’aurait pas le droit ?

– Nous, on a suivi la partition !

– Alors justement…

– C’est ce qu’on a fait après

– C’est venu de cette constatation : qu’est-ce qu’on fait de cette partition ? Quelles ont été les intentions de l’auteur, du compositeur ? On a cherché ce que voulait dire le titre, donc on a trouvé « traité » en anglais, eh bien on s’est dit que peut-être, il avait voulu faire un traité graphique sur les possibilités de jouer ? Donc on a cherché à signifier plus précisément quelles étaient les consignes, plutôt que de chercher à spécifier plus précisément l’interprétation des graphismes. Alors, on s’est dit qu’on allait refaire un deuxième essai avec quelques consignes… Il y avait des numéros sur la partition, qu’est-ce qu’ils veulent dire ? On avait plusieurs possibilités, il y a eu l’idée du nombre de fois, alors on a divisé la partition en tronçons, en petites sections. Le « 1 » voulant dire une fois ce qui suit ; le « 2 » deux fois ce qui suit ; etc. Jusqu’au « 4 » : le quatre ne correspondait plus à rien ! Alors on s’est dit que, peut-être, c’était la suite : dans le fameux traité, peut-être qu’il y avait quelque chose après cette p. 56 [rires]. Du coup, on se dit qu’on allait quand même en faire quelque chose, le trait fixe continuait et il y avait rien d’autre, on a gardé l’idée de ce trait fixe, qu’on avait évoqué un petit peu avant. Est-ce qu’il est un bourdon, est-ce que c’est un repère entre les hauteurs ? On a décidé de le traiter en bourdon et de faire quatre fois quelque chose : quatre fois un silence. On a aussi pensé à quatre saluts à la fin. On s’est posé des questions sur les durées de chaque section, on s’est dit que ce serait variable suivant ce qu’on en fait, mais qu’on avait quand même l’idée de silence à la fin de chaque section, hormis le bourdon. On s’est aussi posé la question du registre, et de ce choix : il y avait une petite clé de fa dessinée, dans le premier tronçon, en haut… On s’est dit que oui, c’était peut-être plus aigu en haut et plus grave en bas, mais quand même, il y avait cette petite clé de fa là, donc finalement on s’est demandé ce qu’on pouvait en faire. Au final, pour toute la suite, on a décidé de faire aigu au-dessus grave en dessous, mais pour ce début on ne l’a pas vraiment gardé…

– Eh bien si, parce que je finis mon glissando en bas, en clé de Fa

– Oui, tu finis ton glissando en bas, c’est vrai, mais ça se mêle entre nous quatre. Et il y a les portées du début qui sont petites puis grosses là… En fait, pardon mais là j’ouvre une parenthèse : il y a la portée en bas. L’un de nous a dit « eh bien ça c’est une invitation à l’écriture, parce que cette portée est partout là sur son traité ». A quoi elle peut bien servir ? Est-ce que c’est pour noter ses idées ou est-ce que c’est quand même une invitation à "écrire" quelque chose ? Du coup, il y avait cette petite portée au début, on s’est dit : on va faire une petite mélodie, quelque chose qui ressort, et après la portée est amplifiée, donc on va reprendre cette mélodie qui se retrouve grossie en intensité et qui change d’instrument. On pourrait détailler tous les graphiques qu’on a vus ensemble, on ne va peut-être pas tout faire. On a fait des essais successifs sur chaque tronçon pour voir ce qui nous plaisait, on a discuté ensemble selon si ça nous parlait, si ça ne nous parlait pas, si c’était quelque chose qui correspondait à notre vue de la partition. Certaines choses, certains graphiques correspondaient à quelque chose de formaté chez nous, comme les ronds et les harmoniques…

– Oui, c’est des harmoniques, voilà

– Ah… mais c’est pour ça que tu n’arrêtais pas d’en parler toi aussi dans notre groupe [rires]

– Les ronds, les harmoniques, ou pas, les portées, ou pas, il y a eu écho ou non et discussion, et on a décidé de garder au final ce qui nous parlait le plus. On a ajouté des repères sur la partition aussi, on en a ressenti le besoin pour certaines petites choses, par exemple la mélodie qu’on a écrite là succinctement, ou ce signe pour ne pas oublier de revenir quand ça se joue deux fois, des petites pêches au trombone là, des petits traits verticaux qui se retrouvaient à plusieurs endroits, donc on a rajouté des petites choses pour ne pas oublier. Le carré a été une carrure, on a décidé de le traiter en 4 × 4 mesures

– Et c’est là qu’on a fait nos bruitages

– On s’est posé la question : à l’intérieur du carré ça pouvait servir comme une boîte blanche, une boîte pour des bruits qu’on a décidé de faire

– En fait, on a inventé nos signes

– On s’est inventé notre interprétation

– Et à la fin, on s’est posé la question du public avec la contrainte de la salle. On s’était mis face au mur pour jouer, et on s’est dit : où va-t-on mettre le public ? Finalement, on s’est fait plaisir et on a joué ensemble, on s’était dit que vous vous installeriez peut-être au milieu de nous, bon alors c’est vrai qu’il y a tout le mobilier qui invitent à s’asseoir autrement… donc on a improvisé une autre disposition. Quand on monte quelque chose, quand on veut ensuite le restituer, quelle est la place du public ? Où est-ce qu’il s’insère ? Est-ce que ce ne serait pas intéressant, pour voir les choses autrement, de mettre le public ailleurs, au milieu, différemment ? Ça nous a fait poser des questions sur pas mal de choses

– C’était une première pour nous tous

– Pas tout à fait première pour moi

– Ha oui ?

– Je suis habituée à ce genre d’expérimentations

– Ah, tu nous avais pas dit [rires]

– Maintenant tu peux l’avouer…

 

Cornelius Cardew :
Dans beaucoup de cas, on n’imagine pas le son sur la base de la notation, mais sur la base d’expériences antérieures, c’est-à-dire, (aussi) en travaillant la pièce, et en conséquence le son “imaginé” n’a pas du tout la prétention d’être exact, et en conséquence une comparaison de la réalité du son avec celui-ci ne fait aucun sens.

 

Étudiant·es du Cefedem (suite de la discussion).

– J’ai trouvé étonnant le fait qu’il ait appelé ça un « traité », donc quelque chose d’exhaustif, d’approfondi et de complet, et qu’il précise « sans instruction », il y a quelque chose d’un peu "oxymorique". Mais malgré tout, je vois qu’on ne sort pas des instructions. C’est-à-dire que, par exemple, l’idée de grave et d’aigu par rapport à la ligne de référence, en fait, on n’arrive pas à en sortir, on en a discuté, mais on est quand même resté dedans. Et voilà, dessous il y a des portées, mais des portées qui n’ont pas de clé, est-ce que c’est une portée ou est-ce que c’est simplement qu’il y a cinq lignes posées là ?

– Je trouve qu’on cherche beaucoup aussi la signification des choses. C’est difficile de se mettre d’accord tous ensemble, parce qu’il y a mille manières d’interpréter ces codes sans significations écrites. Du coup, on passe beaucoup de temps à se mettre d’accord et moins à jouer. C’est pour ça que j’avais fait la réflexion tout à l’heure, d’essayer de se dire qu’on pouvait faire deux parties : une où on ne se dit pas les codes, on joue, chacun interprète la musique en fonction de l’image qu’il se fait des codes ; et puis une autre partie où on se dit vraiment ce que veulent dire les codes

– Et c’est vrai que ça a marché ! J’ai trouvé que ça avait bien marché la première fois, où on ne s’était encore rien dit. Et une fois qu’on s’est déjà dit des choses, c’est plus dur de les lâcher, et de repartir à zéro comme si on n’avait rien dit, comme si on n’avait rien fait, rien décidé

– Dès l’instant où l’on a une partition, je trouve que ça engendre un certain processus…

– Justement, c’est ça qui est génial ! Quand on vous regarde de l’extérieur, on vous voit tous regarder vers le pupitre…

– Comme une partition classique tu veux dire ?

– Voilà, c’est comme si vous aviez une partition classique sous les yeux. Ça m’a vraiment interpellé le fait que vous regardiez tous le pupitre comme ça, on avait vraiment l’impression que vous suiviez quelque chose de très écrit

– C’était très écrit.

– Est-ce que vous avez reconnu ce qu’il y avait sur le papier ? Est-ce que c’était possible de suivre la partition pour vous ?

– Moi non

– Au début, je me suis dit : je vois bien où on est, puis à un moment, j’ai dit… non [rires]

– Nous, on avait une autre temporalité aussi, plutôt courte, donc forcément on l’a lu avec notre temporalité, enfin je pense…

– Vous avez mis la partition à l’horizontale ?

– Et on a suivi de gauche à droite, oui

– En fait, on a énormément de conventions, on a suivi des conventions malgré nous

– Oui, on s’est dit qu’on était formaté par plusieurs choses

– C’est normal en même temps

– Mais on est obligé d’interpréter quelque chose, on ne peut pas laisser un truc comme ça, sans…

– Et à la fois, il a laissé traîner des signes conventionnels, il y a des chiffres, il y a une clé de fa

– Il y a une portée en bas

– Donc on ne sait pas trop à quoi s’en tenir

– C’est pour ça qu’il dit « sans instruction » [rires]

– Et ce n’est pas vraiment sans instruction parce qu’il y a des signes reconnaissables quand même, disons qu’il y a des signes interprétables

– Mais qu’est-ce qu’on en fait… c’est ça les instructions, et là, on n’en a pas !

– Un chiffre, c’est déjà plus signifiant qu’un trait.

 

Cornelius Cardew :
Chaque musicien interprète la partition selon sa propre perspicacité et sensibilité. Il peut être guidé par de nombreuses choses – par la structure interne de la partition elle-même, par son expérience personnelle de la pratique musicale, en faisant référence à diverses traditions qui se sont développées autour d’œuvres indéterminées particulières, par l’action des autres musiciens qui travaillent sur la pièce, et – si tout cela échoue – par des conversations avec le compositeur pendant les répétitions.

 

Etudiant·es du Cefedem :
Ensuite, chacun des groupes avaient à faire deux versions de cette même page, dans deux styles différents.
Cette discussion a lieu après la dernière répétition d’une version « inuit » de la p. 56…

– Voilà, ouf, ça chauffe…

– Ouais, moi j’y étais

– Est-ce que tu peux marquer « pentatonique » en plus gros parce que, avec la harpe devant, je n’arrive pas à voir

– Et après on le répète comme on le sent, la fin on la sent naturellement, et on passe à autre chose

– Là, oui on fait une pause, en fait, on s’arrête, c’est la porte pour autre chose

– Et puis là, il y a ton tambour, frotté

– Oui, là c’est juste frotté, mais est-ce que c’est en rythme ? ou alors est-ce que c’est juste…

– Moi je verrais bien, le bruit du vent, des vagues, en frottant comme ça à la main, comme un truc, sans rythme d’abord, puis après rentrer dans du rythme

– Et là-dessus, en rythme aussi ?

– Là par contre, ça, c’est rythmique, c’est les petites notes et elles sont bien rythmiques.

 

Cornelius Cardew :
La notation devrait mettre l’interprète sur le droit chemin. Il peut s’élever au-dessus de la notation s’il travaille à travers la notation. Interpréter d’après des règles devrait lui permettre d’accéder à l’identité de la pièce ; une fois qu’il a compris, il pourra rejeter les règles et les interpréter librement, sécurisé par le fait qu’il sait ce qu’il fait – il connaît la pièce.

 

Étudiant·es du Cefedem (suite de la discussion).

– Quelle heure est-il ?

– Hé bien… il est l’heure, allons écouter les versions de l’autre groupe !

Les deux groupes jouent ensuite chacun leurs deux versions et discutent de la manière dont illes s’y sont pris·es.

Le groupe travaillant sur la p. 83 a proposé une version « "grégorien" avec plus ou moins d’ostentation »

– Au départ, on voulait musique Moyen-Âge qu’on ne connaissait pas trop, alors on a regardé les sous-genres

– Deux heures d’études et il nous restait plus que cinq minutes à la fin [rires]

– et, donc on a trouvé chant grégorien, et puis on s’est dit que c’était bien de faire quelque chose a cappella sans les instruments, pour que ça change un peu

– Et c’était du chant, c’était monodique, le cahier des charges était super clair

– On a cherché les paroles

– Mais la partition ?

– C’est par rapport à un texte qu’on a trouvé sur Internet

– Je parlais de la partition contrainte

– Mais c’est ça : on est parti du fait qu’il nous fallait un texte puisqu’on faisait un chant, et on a essayé de le découper. On met « salve » là, après ça solo, puis on met « mater » ici, et on s’est dit les cinq points, on va faire cinq fois la même note

– On n’a pas du tout interprété la partition de la même façon

– Ce sont les paroles qui nous ont mis les contraintes, en fait, plus que le schéma

– Mais la mélodie que vous avez choisie, elle est fonction du dessin, ou pas forcément ?

– Un peu

– Oui, par exemple quand tu vois effectivement une descente comme celle-là, on est descendu. Et après, ça, on s’est dit que ce pourrait être une indication plus de gestes que de notes

– Le fait d’avoir des paroles oblige à regarder la partition différemment, et que notamment, le temps ne se déroule plus de gauche à droite sur la ligne médiane de référence, mais suit le trajet du chant

– Le temps, le déroulement, c’est juste la courbe

– Pour le chant c’est ça, on peut se dire qu’on va partir ensemble ici et puis qu’on va finir là… mais non, parce qu’on va se retrouver sur une harmonisation et c’est impossible, donc il faut le voir autrement

– Et la mélodie, vous l’avez inventée ?

– Oui, on a pris juste le texte. Et ce qui est assez étrange justement, c’est qu’on a regardé les partitions d’époque, quand ils faisaient les premiers chants grégoriens, sans le système de notations de maintenant

– Avant les neumes

– Il y a juste le texte avec des petites apostrophes, des virgules et des choses comme ça pour savoir si ça monte ou si ça descend. C’est pour ça qu’on a suivi la courbe, mais bon… c’est vrai que là, à et endroit, ça commence à être un petit peu compliqué [rires] mais disons que c’est justement plus mélodieux, là on voit bien qu’il y a quelque chose qui se passe.

– Et puis, le fait que nous, les femmes, normalement, on n’aurait pas dû chanter, mais on s’est dit : c’est pas grave, on chante !

Puis une version « "blues" un peu après le début du XXe siècle »

– On voulait partir sur un blues vraiment traditionnel

– Mais instrumental pour trancher avec ce qu’on avait fait avant

– Mais voilà, si on part vraiment sur l’origine du blues, c’est plutôt la voix et la guitare, donc on s’est dit qu’il fallait se placer un peu après dans le temps si on voulait mettre d’autres instruments

– Et que la washboard, ça ressemblait vachement à un pied de table [en rejouant son geste vertical, avec des balais et pas des dés à coudre] [rires]

– Et j’ai pris une chanson de Bessie Smith, donc plutôt début XXe siècle, et on est parti là-dessus

– On s’est donné une tonalité et j’ai fait une rythmique basique à la guitare…

– Et là, on a fait complètement autre chose au niveau de l’interprétation de la partition. On s’est dit, ça, ça va être carrément notre première grille, notre tourne, après, ça, on se dit que ça va être des arrêts, puis ça c’est le solo de guitare et on refait une grille, puis ça on estime que c’est une répétition et là, la descente de guitare. Donc on l’a interprété plus au niveau structure que de note à note

– Un peu par paquets, alors que le travail sur la toute première version était plutôt hyper pointilliste

– Oui, on a été rigoriste sur la partition à un moment, mais plus ça va, plus j’ai l’impression qu’on se focalise moins sur des choses, qu’on prend plus en globalité.

Le groupe avec la p. 56 a proposé une version « Les inouïs des inuits du Canada », et une autre « "celtique" façon Alan Stivell »

– Pour la version "inuit", comme on avait moins de référence, comme on connaissait moins cette musique, j’ai l’impression qu’on était plus libre

– On s’est presque plus amusé à faire celle-là, même si au début on était bien désemparé parce qu’on ne savait pas où aller. Alors que pour la version "celtique", on est dans des carcans, où il faut s’en tenir à un style qu’on se représente chacun d’une façon différente, et on essaye de s’y coller. On est plus contraint

– Pour ma part, ce n’est pas ça qui a joué. Pour la version "inuit", j’ai trouvé qu’on avait assez rapidement fait le tour du moule. On avait repéré trois modes de jeu dans nos recherches et écoutes, et finalement on n’avait pas trop de multiplicités possibles. Alors que, peut-être, sur le "celtique" qu’on connaît plus, on sait qu’il existe plein de choses différentes, plein de modes de jeu, que le réservoir de possibles est plus vaste

– Mais dans ce petit truc "inuit" on s’est bien amusé

– Oui, c’était quand même bien riche et… complètement de la découverte

– C’était plus expérimental, et c’est l’occasion de faire des trucs qu’on aurait jamais fait autrement

– Ah bah ça c’est sûr [rires]

– Disons plutôt qu’on ne se donne pas le temps de ces « autrement », on pourrait très bien le faire

– Oui, mais si on n’a pas la contrainte limite absurde au départ… Souvent les bons plans partent comme ça, d’une espèce de contrainte absurde qui décuple l’imagination. On est contraint dans un truc qui n’est pas le nôtre et il faut trouver quelque chose…

– Et la partition nous a contraint aussi, de se dire mais là comment ça va coller alors qu’on n’a que ces trois modes de jeu, comment est-ce qu’on adapte ça ?

– Je trouve que c’était plus difficile sur le "celtique" de faire coller à la partition que pour l’autre

– On avait notre partition là, avec ce carré central qui nous séparait un peu les choses en deux, il y avait les chiffres « 1 » et « 2 » qui revenaient. Pour ces versions, on a pris globalement de part et d’autres du carré, puis on est allé un peu en détail après

– Mais l’interprétation du dessin était un peu la même, dans tous les cas, dans notre première version comme dans les deux « dans un style » ?

– Oui, la montée en puissance restait. Au début il y a cette sorte de cinq petites lignes, un petit tronçon de portée et puis après une grande, avec cette montée et cet élargissement. Alors sur le "celtique", on a fait l’improvisation de manière progressive, pour augmenter ce qu’on avait fait avant. Et à chaque fois, ce carré central nous a fait passer dans une autre phase, dans le "celtique" comme dans l’"inuit". C’est la porte vers un autre monde, de l’autre côté. Finalement la partition est moins dense de ce côté-là.

– Oui, il y a vraiment moins d’infos

– Et il y a beaucoup de petits traits mais c’est tout, et à chaque fois on a défini ces petits traits, sur les deux versions.

 

Matthieu Saladin :
Le sens que les interprètes donnent aux graphiques ne relèveraient pas d’un sens caché qu’ils découvriraient, non seulement parce que Treatise interdit dans son principe même ce genre d’enquête, mais aussi tout simplement – et plus généralement – parce qu’un tel sens en soi n’existe pas. Ce sens, ils le produisent, ils le créent dans et par leurs usages.

 

 

Itinéraire entre "Ishtar" et "Saïki"

Extraits du livret “Treatise” – projet “Sombres précurseurs” – Ishtar

Interview de Xavier Saïki

 

Nul besoin de savoir lire la musique pour l’apprécier, Treatise s’adressant à ceux que Cardew appelle les « innocents musicaux ». De durée et d’instrumentation libres, jouables en un seul morceau ou séparément, les 194 pages de Treatise exigent néanmoins une patiente approche, seule à même de conjuguer la spontanéité des interprètes et la cohérence de l’œuvre.

Ishtar est avant tout un collectif d’artistes au sens le plus horizontal possible. Au sein de ce collectif, notre quotidien c’est plutôt l’improvisation : faire naître ce qui sort sur le moment, travailler avec ce qui est là, fabriquer ensemble dans un temps donné. Treatise est arrivé à un moment où on commençait à se questionner sur comment fixer des choses.

 

Loin d’abandonner la posture de l’artiste en état d’improvisation, nous voulons tendre cette posture par la confrontation interne, individuelle et collective induite par la présence des partitions graphiques de Cornelius Cardew.

Dans notre réflexion des pratiques improvisées, on travaille avec ce que le travail personnel et singulier de chacun, avec ce que chacun est, sans imposer un chef ou une direction, un axe venant d’une seule intention. Avec Treatise, certains ont vraiment écrit, fixé des choses, mais pour d’autres, c’était plutôt une globalité. Et à un moment est arrivée cette confrontation-là : « comment, en fixant les choses, rester à l’écoute de ce qui se passe ? ». Cela vient soulever la question de jouer l’écriture : être improvisateur, se donner une ligne, mais être disponible à ce qui se passe.

 

Composée de deux instruments acoustiques et deux instruments électriques cette formation explore un univers sonore où le jeu est notamment axé sur le croisement des différents timbres. L’association de ces timbres, parfois réunis en une matière sonore épurée, parfois en une matière sonore complexe, contribue à jouer sur les perceptions des auditeurs, et l’amène parfois vers des zones plus « troubles » ou il est plus difficile de déterminer les sources en jeu.

En termes de matière, de matériau sonore, cela nous a emmenés dans des endroits dans lesquels on n’était jamais allé. On n’aurait pas pu les trouver sans cet apport de l’écriture, qui fait que tout le monde est au même endroit à un moment donné. On l’a plus abordé sur un cadrage du temps que sur un cadrage de matériaux sonores, d’harmonie, de timbre. C’est vraiment la question du temps qui nous a centrés et réunis sur cette partition.

 

 

Itinéraire entre "Cefedem" et "Trio"

Dispositif musical en groupe [pour travailler autour des notions de procédures et de contexte] dans le cadre de la FDCE (Formation Diplômante en Cours d’Emploi) du Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes, en janvier 2017 [proposé par Nicolas Sidoroff].
au départ de Treatise (1963-67) de Cornelius Cardew
Deux groupes, indépendants, choisissaient une page différente de cette partition et partaient avec les consignes suivantes :
-1) En 1h30 (pause comprise), vous avez à construire votre interprétation de cette page. Tout au long du travail, vous devez tenir une sorte de « journal de bord » régulier afin de garder une trace écrite de « comment vous vous y êtes pris ». Parmi des entrées possibles pour tenir ce journal : les idées que vous avez gardées (ou pas) et pourquoi, les choix que vous faîtes, leurs arguments, les temps de jeu musicaux, avec quelles consignes, les discussions, sur quoi, comment sont apparu·es et ont été traité·es les problèmes et/ou les questions, les ressources individuelles et/ou communes que vous mobilisez, celles qui aident (ou pas), etc.
Puis jouez cette interprétation à l’autre groupe, explicitez vos manières de faire ; discutons.

Eddy Schepens :
D’abord, toute production musicale est dépendante de ce qu’on nommera ici, en première intention, un contexte.
: Etienne Lamaison
Dans l’interprétation des partitions graphiques, la collaboration conditionne le choix de ses partenaires : s’assurer que ceux-ci sont dans un volontariat, un désir de réaliser jusqu’au bout le projet qui sera défini entre les participants, se compromettant à respecter les règles. Dans l’instant du jeu, l’attitude doit être une attitude éminemment sociable, sans laquelle il n’y a pas de jouer ensemble possible : ne pas imposer aux autres, être avec soi-même et avec les autres en même temps, ne pas prendre le pouvoir mais décider sans cesse pour et avec les autres, ne pas se perdre soi-même, s’effacer quand on a rien à dire, oser prendre la parole, écouter constamment.
E. Schepens :
Un contexte est ce qui a rassemblé ou rassemble des musiciens, des instruments (y compris électroniques), des procédés de diffusion spécifiques (en temps réel, par Internet, via les CD ou DVD…), un public (fût-il non présent en temps réel), les pactes d’audition/réception de ce ou ces publics (pactes eux-mêmes travaillés par l’histoire de l’édition phonographique ou écrite, etc.), des modes de coopération entre les musiciens, bref une foule de médiateurs au sens que donne Antoine Hennion à ce terme, c’est-à-dire agissant, et non simple intermédiaires-réalisateurs d’une intention – d’une « œuvre » – première.
: E. Lamaison
Il s’agit d’acquérir une expérience commune : jouer le plus possible ensemble, passer du temps pour se comprendre et partager à travers la parole ou à travers le jeu paraissent des conditions indispensables à la réalisation de partitions graphiques.
E. Schepens :
Insistons encore sur l’apport des travaux de Howard Becker en reformulant l’importance qu’il accorde aux « conventions » : il les décrit très précisément comme ce qui permet aux artistes de « faire [leur] monde de l’art », c’est-à-dire de le produire.

Dans une deuxième phase :
-2) Décidez de deux « styles » (chanson française de la Renaissance italienne, prélude piano de Debussy pour un salon littéraire, worksong de pénitencier au début du siècle dernier, be-bop très mais très rapide, afro-beat façon Fela Kuti façon Egypt’80, ambient-rave de lever de soleil sur la mer, etc.) dans lesquels vous allez faire une interprétation de cette même page de Treatise. Un de ces styles doit être « suffisamment connu » par au moins quelques personnes dans le groupe (c’est-à-dire qu’on peut faire l’hypothèse qu’il y a déjà suffisamment de connaissances en présence pour commencer à travailler). L’autre doit être « suffisamment méconnu » par l’ensemble du groupe (hypothèse qu’il y ait besoin de chercher et construire des références pour commencer à travailler).
En 1h30 (pause comprise), préparez une interprétation de cette même page dans chacun des deux styles choisis, en tenant un « journal de bord ». Vous devez être capable d’argumenter les relations entre votre réalisation et le « style » correspondant.
Puis jouez ces interprétations à l’autre groupe, explicitez vos manières de faire ; discutons.

: E. Lamaison
Si aucune restriction ne vient empêcher la mise en œuvre d’une partition graphique, le groupe qui s’apprête à travailler ensemble doit être en mesure de créer et maintenir des liens qui lui permettront de pouvoir s’exprimer en toute confiance, en sachant qu’on sera soutenu tant au niveau musical humain, en sachant également que chacun apporte au groupe des éléments indispensables.
E. Schepens :
Les modes de coopération élaborés et utilisés par les artistes sont donc bien autant de pratiques que des musiciens élaborent et partagent pour pouvoir produire leurs musiques (dans tous les sens de ce terme), et ce à l’intérieur d’une enveloppe déterminée par le système de « conventions » qu’ils ont en commun, ou qu’ils décident de partager l’espace d’un moment pour une production musicale particulière. Il est donc plus que pertinent de donner aux musiciens l’occasion de repérer divers systèmes de coopérations et de conventions, de manière au passage à réfléchir les siens propres.

Cornelius Cardew, Treatise
par Pedro Branco (percussion), José Leitão (piano)
et Etienne Lamaison (clarinette).

 


Le texte d’Eddy Schepens est tiré de son article “Différences de genres musicaux ou différences de pratiques ? Une voie pour renouveler les pratiques pédagogiques en musique”, dans les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, Volume 15, N°1, « L’apprentissage et l’enseignement de la musique : Regard francophone international », printemps 2014. Ce numéro reprend des communications présentées à l’occasion du colloque international « L’apprentissage de la musique : son apport pour la vie de l’apprenant du XXIe siècle » tenu au Centre des congrès de Québec, du 22 au 24 septembre 2012.

Des extraits de cet article ont été distribués aux étudiant·es de la Formation Diplômante en Cours d’Emploi (FDCE) du Cefedem AuRA au cours d’un travail sur Treatise de Cornelius Cardew en janvier 2017.

Le texte d’Etienne Lamaison est tiré de sa thèse de doctorat
L’interprétation des partitions graphiques non-procédurales,
Université d’Evora, Portugal, avril 2013.

 

 

 

Itinéraire entre "Cardew" et "Saïki"

 

Cardew :
Avant de rejoindre le groupe d’improvisation AMM, Treatise a été un essai élaboré de notation musicale graphique…
Saïki :
Mais c’est vrai que Treatise a un côté, je trouve, très brut, très aride, il n’a pas de couleur…
Cardew :
…après cette expérience au sein d’AMM, la partition est devenue simplement une musique graphique.
Saïki :
C’est très radical aussi dans le trait…
Cardew :
…que je ne peux que définir comme une partition graphique qui produit sur le lecteur, sans aucun son, quelque chose d’analogue à l’expérience de la musique…
Saïki :
Et je pense que ça peut se rapprocher de réflexions, de travaux de musiciens improvisateurs qui prennent un propos, une singularité, quelque chose qui leur appartient et qu’ils développent, affinent, ressentent, travaillent sur cette chose unique.
Cardew :
…un réseau de lignes et d’espaces sans noms qui poursuivent leur propre géométrie sans aucune liaison avec des thèmes ou des modulations, avec des séries dodécaphoniques et avec leurs transformations, avec les règles ou les lois de la composition musicale et toutes les autres inventions de l’imagination musicologique.
Saïki :
Pas mal d’artistes dans ces champs-là se centrent beaucoup sur un mode, une façon de faire, et je pense que, du coup, Treatise peut faire écho à ces fonctionnements-là.

 

 

Itinéraire entre "Dedalus" et "Miribel"

 

AMD de Miribel – Claire Ségui
Lors du stage « complètement timbrés » à l’Académie de Musique et de Danse de Miribel, les élèves avaient à réaliser un extrait de Treatise de Cardew dans des groupes de 3 ou 4.

Ensemble Dedalus – Didier Aschour
Finalement, chacun a interprété les symboles en fonction de ses idées musicales. Cela pouvait concerner un type de son pour certains, un registre ou un mode de jeu pour d’autres. Les variations de symboles, par contre unifièrent les différentes interprétations en se rapportant à des durées ou des dynamiques communes.

AMD-CS
Une partie du stage était consacré au fait d’apprivoiser et de s’approprier des outils du son amplifié : micro, ampli, pédale de loop, pédale d’effet.

EDed-DA
Dès le début, Carole Rieussec, seule à jouer d’un “instrument” électro-acoustique a pris le parti de réaliser cette ligne.

AMD-CS
La consigne était : « inventez ensemble une petite pièce de musique au départ de cette partition, vous avez 15 minutes. ».

EDed-DA
Nous avons interprétés les chiffres comme nombre de répétitions d’un accord, donc cela a conditionné certaines durées. Pour certaines pages, des proportions spatiales nous ont semblé mériter d’être respectées précisément et nous avons fixé des unités de temps.

 

 

Encounter with Xavier Saïki – English Abstract

Encounter between Xavier Saïki

and

Samuel Chagnard & Jean-Charles François

2017

 

Discussion about the project developed by the Ishtar Collective on Treatise by Cornelius Cardew

http://collectif.ishtar.free.fr/Sombresprecurseurs.html

English Abstract

The collective Ishtar has evolved from having a large number of members of dancers, performers, musicians, actors (1993-1999) to a more limited group of musicians interested in free jazz and improvisation (2003…). They like to call their activity “noise music” as part of the field of sonic arts : the world of making music with objects and modified instruments. Improvisation for them is a way to question listening, time unfolding, space and public participation. They mix acoustical sources with electroacoustic ones.

The interest of the collective for Treatise by Cornelius Cardew stems, in comparison to other graphic scores, from its radical uncompromising approach to visual layout. They became acquainted with this score at the moment in which they wished to fix certain things in their improvisations. In a first approach to the piece, they decided to play the totality of the 193 pages with a clock, each page having a duration of 2 minutes. Immediately some graphics were more striking than others. They concentrated on very minimal lines. They selected the pages that interested them mostly and they applied their usual modes of playing to the strict temporality of the score.

In their realization of Treatise, the ensemble tried to combine a very strict approach to time organization determined by the layout of graphic elements on the pages, with their usual approach to free improvisation. In the Ishtar collective, each player is independent from the others, there are no decisions in common. For the realization of Treatise, they might have been working on the same page and the same time frame, but each player interpreted the graphics in his own way. Some players strictly respected the signs on paper, others had a more general loose way of translating the visual graphics into sound.

The question of the central line or “time line” has been discussed in relation with Cardew’s Handbook. Difficult choices had to be made between the possibility for the musicians to choose individually what pages to be played and what duration they might last, or on the contrary to use the time line as a common point of time unfolding. The work on Treatise had an important impact a lot on the group’s own practice of improvisation, especially concerning the relation to time.

The collective has also organized workshops for amateur musicians, or young students from music schools and primary schools, in which graphic scores played an important role, and Treatise was often used in this context. The use of graphic scores allows inexperienced players to access improvisation, the score is used as a pathway towards sound production not completely determined by some kind of notation. Pieces like Treatise are at the same time “works” in the traditional sense, and open to modes of playing independent from visual structuring. Treatise is a tool to fabricate possible worlds, to make music in the large sense of the word. But from the graphic point of view, the score presents itself as a sacred object, something fixed, untouchable. There is a very precise continuity in the piece, there is a real graphic development.

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Itinéraire entre "Dedalus" et "Trio"

 

11 consignes partagées en préambule de l’exécution de « Treatise » de Cornelius Cardew, pp.141-162, par Pedro Branco, percussion, José Leitão, piano et Etienne Lamaison, clarinette.

Didier Aschour, version de Treatise de Cornelius Cardew par l’ensemble Dedalus, pp.1-19.

Avant de commencer à jouer à partir de cette partition, nous nous sommes mis d’accord sur les points suivants, sachant que d’autres ont été évoqués et n’ont pas été retenus :

  • Se laisser provoquer par les formes qui défilent. Prendre les traits et formes comme s’ils étaient en mouvements et que ces tracés en mouvement se transforment en sources d’énergie sonore.
  • Reconnaitre dans ce que joue l’autre la forme qu’il est en train de « jouer » et y participer, ou au contraire, jouer le reste.
  • Les graphismes « fermés » sont des contours, à la manière des contours de la bande dessinée. Il nous appartient de les remplir, de leur donner volumes, texture et couleurs.
  • Il y a un « dessus et un dessous » visuel qui ne correspond pas automatiquement à un «plus aigu, plus grave ». On ne considère pas un axe vertical qui correspondrait exclusivement à des hauteurs. Ça peut être aussi une différence de plan sonore, un « devant et un derrière » comme si, malgré le défilement horizontal de la partition, on pouvait aussi considérer la verticalité, comme dans une image arrêtée, avec les notions de « poids » des formes dans l’espace visuel.
  • L’axe visuel central et continu n’est rien de plus que la ligne d’horizon et n’a pas de correspondance sonore spécifique.
  • Individuellement, mais aussi collectivement, ne pas vouloir tout jouer.
  • Laisser la priorité au temps musical par rapport au temps de défilement de la vidéo. La mémoire visuelle peut permettre de jouer des éléments qui ne sont plus « affichés ».
  • L’interruption d’une ligne visuelle correspond à une interruption de jeu sonore.

Pour notre version de Treatise, Dedalus était composé de : Amélie Berson, flûte, Deborah Walker, violoncelle, Carole Rieussec, électro-acoustique, Thierry Madiot, trombone, Stéphane Garin, percussions, Didier Aschour, guitares.

Nous avons joué les 19 premières pages. Graphiquement elles forment une section et contiennent principalement des lignes parallèles, convergentes ou divergentes, droites, obliques, courbes, plus ou moins espacées. On y trouve également des chiffres, présents dans tout le reste de la partition. Rétrospectivement, mon goût prononcé pour les sons continus et les répétitions a dû considérablement influencer ce choix des 19 premières pages…

Nous l’avons tout d’abord observée séparément, analysée pendant des mois avant de nous réunir pour lui donner une réalité sonore. Le Treatise Handbook, détaillant le processus d’écriture et surtout les différentes interprétations dirigées par Cardew, fut pour moi un précieux outil.

Nous avons travaillé pendant une résidence de quatre jours aux Instants Chavirés. Je crois qu’à la fin de la première matinée nous avons trouvé une manière de procéder qui nous a fait avancer à grands pas. En fait le travail s’est rapproché du travail d’instrumentation auquel nous sommes déjà habitués avec Dedalus.

Qui joue quoi ?, décidé par chacun en fonction de son “instrument”, ici, il fallait en plus proposer sa propre interprétation des symboles. L’idée était de “réaliser” la partition, de se répartir les éléments graphiques et de les synchroniser.

Finalement, chacun a interprété les symboles en fonction de ses idées musicales. Cela pouvait concerner un type de son pour certains, un registre ou un mode de jeu pour d’autres. Les variations des symboles, par contre unifièrent les différentes interprétations en se rapportant à des durées ou des dynamiques communes.

Dès le début, Carole Rieussec, seule à jouer d’un “instrument” électro-acoustique a pris le parti de réaliser cette ligne. Ce qui a permis aux autres de se positionner par rapport à elle.

Nous avons interprété les chiffres comme nombres de répétition d’un accord, donc cela a conditionné certaines durées. Pour certaines pages, des proportions spatiales nous ont semblé mériter d’être respectées et nous avons fixé des unités de temps.