Interview de Pascal Pariaud

Interview de Pascal Pariaud
Partitions graphiques
Nicolas Sidoroff et Jean-Charles François
Mars 2017

English Abstract


 
Sommaire

Introduction
Les partitions graphiques de Fred Frith
KompleX KapharnaüM
Ecriture de partitions graphiques par les participants eux-mêmes
Le projet autour de l’exposition de tableaux
Réflexions sur les partitions graphiques
Les clochers de Llorenç Barber
Les ateliers d’improvisation
Les partitions graphiques dans les cours de clarinette
Le "Sound painting"
La sonorisation des films

 


 
Introduction :

Le texte qui suit est tiré de l’enregistrement d’une interview de Pascal Pariaud réalisée en novembre 2016 par Jean-Charles François et Nicolas Sidoroff.
Pascal Pariaud est clarinettiste et professeur à l’Ecole Nationale de Musique (ENM) de Villeurbanne. Dans ce cadre, il anime des ateliers où la pratique des partitions graphiques occupe une place importante. Il est membre du trio d’improvisation PFL Traject et du collectif PaaLabRes.

Il y a plusieurs aspects à l’utilisation de partitions graphiques dans le cadre de mon travail pédagogique à l’ENM de Villeurbanne. Lorsque Fred Frith est venu en résidence à l’école, en 1994, cela a donné l’occasion après son départ d’organiser des ateliers d’improvisation. Dans ces ateliers, sur une année, il y avait des périodes où l’on travaillait sur les graphic scores de Fred Frith. En même temps (c’était aussi le début de mon travail au Cefedem Rhône-Alpes) il y avait aussi Individuum Collectivum de Vinko Globokar dont certaines pages nous servaient aussi de support. Dans ces ateliers d’improvisation, petit à petit, les étudiants ont pu imaginer eux-mêmes des graphic scores. Ils apportaient leurs propositions de partition avec leurs propres modes d’emploi. J’en ai retrouvées quelques unes. Donc il y a eu les ateliers d’improvisation qui généraient beaucoup de tentatives de travaux sur les graphic scores. Plus récemment, il y a deux ans, avec une centaine de jeunes élèves, nous avons mené un projet avec KompleX KapharnaüM sur des partitions graphiques, associant des symboles à des sonorités ou à des modes de jeu. Nous avons aussi abordé des créations contemporaines réalisées par les enfants à partir de leurs propres modes de lecture : c’est eux qui déterminaient les sonorités et comment interpréter ces graphismes.

 
Les partitions graphiques de Fred Frith :

Dans les ateliers d’improvisation, on a joué beaucoup de graphic scores de Fred Frith. Les partitions graphiques de Fred Frith sont composées de photos qu’il retraite à l’ordinateur et dont il tire un mode d’emploi.

Prenons par exemple la partition de Fred Frith qui s’appelle Dry Stones : c’est un mur de pierres sèches. Chaque pierre correspond à un solo. Le premier musicien joue un solo représenté par la première pierre ; dès que le deuxième musicien se met à jouer la deuxième pierre, il oblige le premier à mettre en boucle l’extrême fin de ce qu’il est en train de faire. Il faut que ce soit un motif très court, une grappe de sons, ou même un seul son, que le musicien répète en boucle jusqu’à la fin, sur sa propre pulsation. Les solos doivent être assez énergiques et les boucles s’inscrivent dans un diminuendo général sur toute la durée de la pièce. Cette pièce peut être éventuellement dirigée afin de permettre au chef de choisir le matériau qui va être mis en boucle pour chaque solo. Dans ce cas là le geste déclenche la mise en boucle et le départ d’un autre solo. Et dans ce processus, ce qui est intéressant, c’est que tout s’empile et à la fin cela donne la superposition de toutes les cellules en boucle des participants qui s’entrechoquent entre elles, pour finalement arriver à un pianissimo total, et le dernier soliste se met en boucle à son tour. C’est une très belle pièce.

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Dry Stones II de Fred Frith

Dans Dry stones, il faut que le solo soit évolutif et n’utilise pas un seul mode de jeu. C’est-à-dire qu’il ne doit pas être statique, parce que sinon, cela va être la même chose tout au long de la pièce. Ce qui me plait dans cette idée, c’est de profiter du moindre accident, du moindre petit truc, la petite chose qui change de timbre pour déclencher la mise en boucle du solo… Donc, quand je propose cette partition, je donne la consigne qui suit : « essayez de faire un solo qui soit évolutif, qui n’ait pas la même couleur tout le temps et qui permette à celui qui va rentrer d’avoir à choisir un matériau, qui ne soit pas donné au début et qui reste le même jusqu’à la fin ». Et toujours, les phrases seront de plus en plus calmes et de plus en plus pianissimo : « quieter and quieter », donc de plus en plus calme. Parce que la pièce part de façon énergique. En fait, « quieter » cela peut être dans la nuance, mais aussi dans le tempo. Les élèves ont le mode d’emploi, et quand ils ré-écoutent les enregistrements (enregistrer systématiquement les prestations des participants est un des principes importants dans les ateliers), ils sont tous à même de pouvoir dire quelque chose sur ce qui vient de se passer. L’idée c’est vraiment d’imaginer un solo qui évolue.

Fred Frith travaille souvent sur ce genre de chose dans ses graphiques, par exemple, Firewood : chacun part fortissimo sur une cellule, cela peut être quelque chose qui dure de deux à plusieurs secondes, qu’on joue en boucle. Il y a des instruments faibles qu’on ne va jamais entendre au départ, mais comme c’est un diminuendo global, à la fin, on entend émerger ces instruments que l’on n’avait jamais entendus jusqu’alors ; les instruments à vent qui sont très forts ont besoin de beaucoup de pression d’air, mais petit à petit, dès qu’il y a moins de pression on ne les entend plus, ce n’est plus que du souffle, cela fait donc émerger le guitariste ou ce genre d’instruments ; cette métamorphose est magnifique. Dans Firewood, les consignes sont assez prescriptives. C’est improvisé dans le sens où les gens choisissent leur matériau, mais une fois qu’on est parti, il convient de suivre les prescriptions. Il s’agit de diminuer pendant à peu près onze ou douze minutes. Il va falloir gérer les paliers et il s’agit là d’une difficulté liée à la technique instrumentale. Dans cette pièce il n’y a aucune interactivité entre les musiciens. Ce qui n’est pas le cas des autres partitions. Cela dépend des graphismes.

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Firewood de Fred Frith

Voici maintenant Screen : tout se déroule dans le temps. Il y a deux mesures à cinq temps (noire égale 60) et chacun doit placer une cellule et la jouer en boucle toujours à la même place dans ces deux mesures (1 cellule toutes les 10 secondes) ; il faut que ce soit tout le temps la même cellule. Les taches blanches sur la partition représentent deux solistes (celui du haut et celui du bas) qui se répondent dans un dialogue évolutif ; ils s’appuient sur ce tapis sonore, lancinant et immuable.

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Screen de Fred Frith

Zürich, de Fred Frith, est un paysage de feuilles sur la neige. On lit de bas en haut. Le bas est dense et le haut est parsemé de feuilles éparses. On part donc d’une masse sonore forte, grave et dense et on opère une métamorphose en quelques minutes vers des sons épars, aigus, pianissimo.

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Zürich de Fred Frith

Souvent, avec les partitions graphiques de Fred Frith, il s’agit plutôt de photos conceptuelles. Avec la plupart des partitions de Fred, c’est le mode d’emploi qui compte le plus. En général, une fois que le concept est édicté, il n’y a pas besoin d’avoir la partition sous les yeux.

Voici comment une séance se déroule lors des ateliers d’improvisation, par exemple avec la partition de Fred Frith Firewood : je lis le mode d’emploi, un texte en anglais qu’on va traduire ensemble et je présente la photo. Tout ce qu’on va faire est enregistré. On enregistre tout et on réécoute tout de suite après. Il peut y avoir ensuite des discussions. Si je prends par exemple Dry Stones, on ne donne aucune consigne autre que celles indiquées dans la partition ; Frith ne donne pas de consignes de contenu. S’il s’agit de gens qui ont peu d’expérience dans l’improvisation, alors ils vont peut-être être tentés de rejouer des choses qu’ils connaissent déjà. Après avoir joué, en réécoutant l’enregistrement, les débats vont porter sur la question de savoir si on est obligé de faire des citations, si on s’en donne le droit de le faire, ou pas, ou dans ce cas là comment cela va influencer l’esthétique. La discussion va porter sur ce qui est faisable ou pas, ce qui est permis ou pas, sur le contenu a donner. Si on ne lit que le mode d’emploi, a priori tout est possible. Après, ce sont des choix esthétiques. Mais cela peut être aussi le cas d’enregistrer une prise unique et rien d’autre. On peut aussi écouter les versions qui ont été faites par Fred – il y a eu des disques de ces graphiques – pour voir comment d’autres musiciens s’y sont pris.

 
KompleX KapharnaüM :

C’était il y a deux ans à peu près, il y a eu ce projet développé en collaboration avec KompleX KapharnaüM, une compagnie « qui réunit des vidéastes, musiciens, techniciens, écrivains, performers, plasticiens, concepteurs constructeurs… autant de compétences indispensables à la création » d’interventions dans la cité. C’était un travail sur un personnage imaginaire qui racontait des histoires. Il y avait plusieurs manifestations dans la ville pour petit à petit cerner un petit peu mieux ce personnage. Il racontait une histoire de l’immigration de l’Algérie à Villeurbanne. Komplex KapharnaüM travaille souvent sur un lien avec la vie des habitants. Il y avait donc une bonne soixantaine d’élèves de premier cycle de l’ENM de Villeurbanne (dans le programme intitulé “EPO” [L’Ecole par l’Orchestre]) qui ont joué dispersés en petits groupes sur un terrain vague à partir de symboles, et c’était une partition qui était minutée. Chaque groupe jouait sa propre partition avec son propre minutage. Le minutage était conçu pour que des évènements se répondent, se juxtaposent ou se superposent. Chaque symbole correspondait à une mélodie ou à une sonorité.

Avec KompleX KapharnaüM, j’ai trouvé que c’était un projet qui était globalement intéressant par cette quête de savoir d’où l’on venait, développée dans la cité. J’ai toutefois regretté qu’il n’y ait pas eu plus d’initiative de la part des élèves dans le projet. Mais musicalement il est possible d’aller peut-être vers quelque chose de plus intéressant pour les élèves, parce que le fait de vouloir aller vite crée la tentation de leur donner des consignes trop prescriptives.

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Projet avec KompleX KapharnaüM

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Projet avec KompleX KapaharnaüM

 
L’écriture de partitions graphiques par les participants eux-mêmes :

Voici des exemples parmi toutes les partitions qu’ont pu écrire les élèves. Je pense à la grande partition qu’ils avaient faite au “Grenier à musique” il y a deux ou trois ans, dans un atelier avec Gérald Venturi (professeur de saxophone à l’ENM de Villeurbanne). Ils avaient élaboré une grande partition qui, par terre, couvrait la totalité du “Grenier à musique”. Les jeunes élèves avaient tout construit, c’était leur langage à eux, leur graphisme, leur truc. Le résultat était une pièce d’à peu près un quart d’heure de musique.


Exemple de réalisation d’une partition graphique écrite par les élèves de l’ENM de Villeurbanne

Pour eux la partition était davantage un outil pour se remémorer ce qu’il y avait à faire. Ils étaient tellement impliqués dans leur création qu’ils n’avaient pratiquement pas besoin de la lire. La partition se construisait de semaine en semaine et mesurait au moins dix mètres de long ; ils se l’appropriaient au fur et à mesure.

Il y avait aussi un groupe qui avait fait une création, ils étaient cinq. Là aussi, ils n’avaient jamais eu besoin de regarder leur partition pendant qu’ils la jouaient, ils l’avaient intégrée.

Ce qui m’a intéressé dans l’élaboration par les étudiants eux-mêmes de partitions graphiques, c’est qu’elles devaient être compréhensibles pour tout le monde, pour tous les autres participants.

 
Le projet autour de l’exposition de tableaux :

Il y a une expérience qu’on est en train de mener en ce moment, avec Gérald Venturi et la professeur de danse Marie Zénobie-Harlay : dans le hall de l’école qui donne sur la cour, il y a en ce moment une exposition de tableaux Delphine Coindet. Ces tableaux ont été exposés au Musée d’Art Contemporain de Villeurbanne. Il y a des tableaux de toutes les couleurs, ce sont des tableaux dont les graphismes sont en tout point identiques, mais chaque tableau a une couleur différente ; ce sont des copies avec des couleurs différentes.

Les élèves ont passé du temps devant ces tableaux pour en dégager les éléments saillants ; ils ont notés notamment le côté griffonnage des tableaux. On s’est dit alors qu’on allait réfléchir à une forme musicale. Nous avons décidé que chaque tableau serait considéré comme un refrain ; dans chaque refrain on retrouvait la matière agitée liée au griffonnage ; cela donnait une matière un peu énergique et rapide ; pour la couleur de chaque tableau il s’agissait de trouver un mode de jeu qui corresponde à tous les instruments. Chaque tableau est un refrain d’une couleur sonore légèrement différente à partir d’un point commun : l’action de gratter.

Des “couplets” s’intercalaient entre les refrains : on a essayé de répertorier avec les enfants tout ce qu’il n’y avait pas dans ces tableaux, par exemple des lignes, des courbes, des points, etc. ; les couplets devaient avoir un matériau différent pour qu’on puisse reconnaître à chaque fois les différentes versions des refrains. Les danseurs ont travaillé à caractériser les éléments graphiques contenus dans les tableaux selon les mêmes principes adoptés par les musiciens : par exemple rechercher des micro-différences pour illustrer les différentes couleurs.

 
Réflexions sur les partitions graphiques :

Du côté de ma vie professionnelle de musicien, j’ai joué beaucoup de pièces contemporaines, il s’agissait rarement de graphismes, c’était plutôt de la musique écrite en notation musicale traditionnelle. Avant de rencontrer les partitions graphiques de Fred Frith, j’avais vu la pièce de Cardew, Treatise, mais je n’ai jamais eu l’occasion de la jouer ; en fait, je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de jouer des partitions graphiques. Pourtant j’ai fait partie de Forum, qui était un groupe de musique contemporaine à Lyon dirigé par Mark Foster pendant pas mal d’années, c’était toujours de la musique plutôt écrite de manière traditionnelle. J’ai travaillé avec Ohana et Kagel, c’était aussi des pièces écrites souvent en notation musicale traditionnelle.

Il y avait bien des tentatives de graphismes comme dans les pièces de Crumb, mais cela restait tout de même dans le cadre de la musique écrite conventionnelle ; ces pièces me paraissent différentes des partitions graphiques. Chez Crumb les portées sont simplement présentées dans des formes circulaires ou des formes de ce genre, mais cela reste une partition écrite qui se lit de manière traditionnelle. Les partitions graphiques ne sont pas seulement des partitions qui impliquent des instructions pour jouer, il y a un aspect subjectif qu’il faut peut-être prendre en compte. Si je compare les partitions graphiques de Fred Frith avec Eleven Echoes of Autumn de Crumb, pour violon, clarinette et piano – en fait, les moments où il y a des cercles ou des choses de ce genre – dans cette dernière, tout est prescrit, la moindre nuance, la moindre note, et c’est très précis, alors que dans celles de Fred, il y a beaucoup plus de subjectivité puisque le matériau musical n’est pas défini, il est simplement suggéré. A mon avis, Firewood de Fred Frith se présente de la manière suivante : il y a des creux, il y a des choses qui apparaissent, qui vont disparaître, c’est-à-dire que le concept général de la pièce va être qu’il y a des choses qui vont être au lointain et qui, à un moment donné, vont émerger. Pour moi, c’est vraiment cela, il y a des choses profondes, comme s’il y avait plusieurs plans. Si j’écoute différentes versions du Crumb, celles-ci seront, à mon avis, souvent assez proches, parce que tout est tellement précis et écrit. Alors que, j’imagine que Firewood interprété par deux groupes, ce sera très, très différent.

 
Les clochers de Llorenç Barber :

Il y a une autre expérience que l’on a menée qui utilisait un chronomètre : une partition graphique du compositeur espagnol Llorenç Barber, dans le cadre du festival Musiques en scène à Lyon. Llorenç Barber est un compositeur et percussionniste qui travaille sur des cloches. La pièce consistait à faire sonner ensemble tous les clochers de Lyon avec 150 participants. Et le public déambulait dans la ville : selon l’endroit où les gens étaient placés, leur écoute de la pièce allait être complètement différente. Sur la partition, il y avait différents graphismes pour symboliser les différents modes de jeu, le frapper, le gratter, etc. Et pour que tout le monde parte en même temps il y avait une fusée de feu d’artifice qui déclenchait un chronomètre dans chaque clocher, et à partir de là les groupes réalisaient ce qui était noté dans la partition. Moi, je me rappelle, j’étais dans un clocher pourri, avec un tas considérable de merdes de pigeons, et j’étais avec Llorenç justement dans ce truc, avec des bottes. Au bout d’un moment, tout à coup il y a un policier qui monte dans le clocher et qui nous dit : « arrêtez moi ça tout de suite, il y a des mecs en bas avec des barres de fer qui vont vous péter la gueule ». Alors nous on était là à crier : « Non ! non ! » (déjà les cloches faisaient mal aux oreilles, on avait mis des bouchons) ; on a dit « Non ! On a le droit, c’est un festival, Musiques en scène, on nous a donné l’autorisation ». Alors, après le policier est parti, on avait les jetons quand il a fallu descendre, parce qu’on s’est dit : « s’il y a des mecs en bas qui nous attendent avec des barres de fer, on est mal ». Ils n’étaient pas contents parce qu’on faisait trop de bruit. En plus on était dans une église qui ne sonnait plus ses cloches depuis des années. C’est pour ça qu’il y avait tant de fientes de pigeons toutes sèches, et que nous portions des bottes… En arrivant en bas, on s’attendait à voir des mecs vraiment furieux, et là on voit un petit pépé dans un grand pardessus qui vient : il pleurait. C’était l’ancien bedeau de l’église qui avait reconnu ses cloches ; il était couché dans son lit, il a entendu ses cloches ; alors il s’est vite rhabillé, il faisait un froid de canard, il est venu voir ce qui se passait ; il était tout ému et il a dit « ce sont mes cloches, qu’est-ce qui se passe ? ». Alors on lui a expliqué ; on était content de le rencontrer, lui, plutôt que des vieux fachos qui avaient sommeil. Donc finalement, c’était chouette. Parmi les 150 participants, il y avait des étudiants du CFMI, il y avait plein d’étudiants de l’ENM de Villeurbanne (je coordonnais ce projet au niveau de l’école) et puis on faisait des répétitions dans le “Grenier à musique” avec des casseroles et des ustensiles de cuisine, c’était assez sympathique.

 
Les ateliers d’improvisation :

Les partitions graphiques, dans les premiers temps de l’atelier d’improvisation, permettaient aux élèves de rentrer facilement dans l’improvisation avec des consignes qui étaient assez claires et qui les mettaient sur un même pied d’égalité. Quand il y avait besoin de faire un petit solo, tout le monde était obligé de s’y coller, il n’y avait pas le choix. Si je prends Dry Stones de Fred Frith, tout le monde devait s’y coller, il n’y avait pas de peur vraiment vis-à-vis de ce processus. C’était une entrée qui permettait à tout le monde de rentrer dans l’improvisation assez facilement, sans crainte. Si on dit à un gamin « bon, eh bien vas-y, improvise », il y en a qui vont peut-être être à l’aise, et d’autres vont être complètement paniqués ou n’avoir pas du tout envie de le faire. C’était une entrée parmi d’autres entrées qui n’étaient pas liées aux graphiques, mais qui permettait aussi cela.

Dans les partitions graphiques, il y a un petit côté qui sort de l’ordinaire par rapport à une partition classique, qui permet aussi de se dire : « Eh bien, on peut toujours imaginer que n’importe quel support peut devenir un mode d’accès à une pratique », comme on peut dire par exemple que tout ce qui nous entoure est son. On peut aussi dire que tout ce qui peut être visuel peut être décliné musicalement d’une façon ou d’une autre. Il est aussi possible de considérer n’importe quelle photo comme une partition, on peut en imaginer un mode d’emploi, en vue de produire des sons. Et puis, les partitions de Fred avaient quand même l’avantage de faire travailler les participants sur une matière sonore. Ce qui me gênait parfois quand je demandais à des élèves d’imaginer un moment d’improvisation – surtout chez les petits – c’était souvent qu’ils proposaient des manières d’illustrer un volcan, la mer… C’était ce genre d’illustration anecdotique qui revenait, et au bout d’un moment c’était un peu restreint. Tandis que là, on pouvait rentrer vraiment dans le travail sur les sonorités. Et les pages de Globokar, aussi. Je prends par exemple la page appelée « Circulaire » de Globokar, où quelqu’un donne chacun à son tour des cercles différents, des sonorités différentes, et doit se sentir au centre, donc improviser au centre, mais en se créant son environnement sonore. Voilà, il s’agit ici de travailler sur des sonorités. Voilà ce qui a été tenté.

Au début, quand j’ai créé l’atelier, je n’avais pas des milliers de pistes de travail devant moi. J’aimais bien cette piste des partitions graphiques, parce que je trouvais que c’était une entrée qui était assez ludique pour les élèves : ils se sentaient à l’aise. Petit à petit, on a développé d’autres choses qui n’étaient pas du tout liées à des graphismes.

Je me suis aperçu que la culture du XXe siècle était faible chez les étudiants. On n’entend pas tant que ça de musique contemporaine, j’ai le sentiment que la grande culture du XXe siècle n’est pas assez connue. Je m’étais dit « j’associerais bien à l’intérieur de ce moment-là – l’atelier d’improvisation – plus de relation entre les compositeurs et les improvisateurs ». L’idée était de créer un lieu où les élèves repartent avec un bagage un peu plus large de cette période des années 1950-60 jusqu’à nos jours. Vingt séances d’une heure et demie, ça passe vite. Du coup, les graphic scores ont pris de moins en moins de place. Pas par un rejet, mais aussi parce que je trouvais de l’intérêt d’aborder d’autres manières de procéder. Le fait de travailler dans le cadre de PFL Traject m’a aussi donné des façons de travailler différentes, que j’ai réinjectées dans ces ateliers-là. Le fait d’avoir travaillé sur des protocoles, cela a donné l’envie d’en imaginer d’autres avec les élèves. Cela crée d’autres entrées qui sont assez passionnantes, ce qui fait que les graphic scores ne constituent maintenant qu’une facette d’entrée parmi d’autres. Comme le "Sound painting" peut l’être aussi : il est arrivé aussi qu’on fasse une séance là-dessus, même en considérant les limites que suscitent cette pratique. Mais cela n’empêche pas qu’on puisse l’essayer et en parler.

Au début des ateliers, je me suis servi assez fréquemment des partitions graphiques de Fred Frith. Cela fait quelques années que je ne m’en suis presque plus servi. Disons que c’est une des facettes de l’atelier d’improvisation : sur une année, on va aborder cela pendant une séance ou deux. En fait, l’atelier d’improvisation – cette année ils sont à peu près huit ou neuf participants – est un lieu ou l’on va un peu essayer de voir les apports qu’ont eu les compositeurs et les improvisateurs entre eux. C’est-à-dire, on va voir un peu ce qui s’est passé aux Etats-Unis, on va par exemple regarder des DVD sur Cage, comment il traitait les instruments, sur Harry Partch, comment il a construit ses instruments, comment il a trouvé de nouvelles échelles, sur la manière avec laquelle le piano a évolué. Il y a une femme pianiste, Margaret Leng Tan, qui a fait un DVD là-dessus (sur Cowell, Cage et Crumb) de grande qualité, qui montre un peu l’évolution de la façon de toucher le piano. Donc il s’agit d’un lieu où l’on va aborder un peu la culture du XXe siècle, à travers des compositeurs, pour voir comment une partition peut être traitée : comme une matière sonore qui se déplace, comme c’est par exemple le cas de certaines partitions de Ligeti. Il s’agit d’établir un lien entre la musique écrite et la musique improvisée, de voir les apports de chacun dans l’évolution des pratiques. Le graphic score n’est donc abordé qu’un moment dans l’année, cela ne va pas prendre une place énorme, il s’agit juste de montrer qu’il y a aussi cette façon de procéder. Il faut aussi profiter des compétences des gens qui sont là : par exemple, cette année dans mon atelier, il y a une flûtiste dont le métier est de faire du dessin animé ; ainsi nous profitons de ses compétences comme prétexte pour travailler sur un dessin animé (Voir le lieu-dit Bois). Avec vingt séances dans l’année, ce sera vite rempli. On travaille aussi sur d’autres choses : cette année nous allons travailler sur un Lied de Schubert et chacun va donner sa version du Lied de Schubert pour le groupe ; l’idée est de voir comment s’approprier une musique déjà existante.

Faut-il alors appeler l’atelier « atelier d’improvisation » ? En fait, je l’appelle ainsi parce qu’on improvise beaucoup dans cet atelier. Mais quand je présente l’atelier, je fais un préambule pour expliquer ce qu’on va y faire. Je parle un peu de tout ce qu’on va faire, de comment on va développer soi-même un matériau musical, comment on va co-construire une sonorité, comment on va travailler éventuellement sur le film, toutes les facettes qu’on va faire à l’intérieur de cet atelier, c’est très large. Je ne saurais pas en conséquence le définir. Je sais seulement que l’improvisation y est présente. C’est vraiment un atelier où l’on va beaucoup improviser, mais avec plein d’entrées différentes. Et puis lié à une connaissance un peu de la culture du XXe, qui me semble un peu laissée sur le côté.

En ce qui concerne le protocole de réécoute des enregistrements réalisés pendant l’atelier, on ne parle pas beaucoup pendant la réécoute. Quand il s’agit de petites plages, comme par exemple chercher une sonorité, essayer d’imiter une sonorité, on peut tout de suite réécouter. Mais il y a parfois des plages qui sont très longues, et si à la fin on termine par un quart d’heure d’improvisation, le cours est fini au moment où l’on s’arrête de jouer. C’est pour cette raison que je leur envoie sur internet des plages qu’ils vont réécouter seuls. Je mets tous les enregistrements dans mon ordinateur que je leur envoie le jour même. Ils établissent un dossier « atelier d’improvisation » et c’est à eux de réécouter. En conséquence il y a des choses dont on ne rediscute pas ; parce que quand je leur envoie un fichier-son, ils l’écoutent (ou pas!), mais on sait que cette archive existe.

 
Les partitions graphiques dans les cours de clarinette :

Il est arrivé d’aborder les graphic scores dans mes cours de clarinette, quand je regroupe mes élèves, parce qu’il faut être un certain nombre pour faire cette activité.

Nous avons souvent joué avec mes élèves clarinettistes la pièce dont la consigne est : « Faites comme vous voulez » (de Fred Frith). Il s’agit dans cette pièce de suivre une personne qui joue un son sur une expiration ; elle respire ; tout le monde reprend le premier son et cette personne rajoute un deuxième son ; alors, il faut que les autres trouvent la bonne note ; ainsi il y a les élèves qui vont regarder le doigté (on pourrait dire comme consigne qu’on ferme les yeux) ; la personne ajoute ensuite une troisième note, tout le monde se greffe sur sa deuxième note, et ainsi de suite. Donc cela développe la mémoire et puis aussi le sens de gérer son expiration pour que tout tienne, et c’est arrivé que des élèves arrivent à aller jusqu’à quinze notes à la suite. Moi, au bout de la septième, je n’ai plus de mémoire, moi, ça commence à partir en « live » ! C’est une pièce très reposante et calme. Je l’ai fait souvent au cours de clarinette, quand je les regroupe tous, parce que si c’est réalisé avec trois élèves, cela n’a aucun intérêt. Ce qui est beau c’est d’avoir ce son global, d’avoir cette masse de musiciens qui font la même chose.

Dans un cours d’instrument, il peut se passer aussi des tas de choses liées à l’improvisation mais qui vont être peut-être de nature différente que dans l’atelier d’improvisation où l’intérêt est d’avoir la présence d’une variété de timbres. Quand il y a trois ou quatre instruments identiques, on ne va pas faire les mêmes exercices d’improvisation qu’il est possible de faire avec des instruments différents. Parce que s’il s’agit d’imiter le timbre d’un autre instrument, il faut le faire avec des instruments qui sont divers, mais si c’est pour ne le faire qu’avec des clarinettes, cela n’a aucun intérêt. L’improvisation peut se décliner de différentes façons selon les contextes.

 
Le "Sound painting" :

Associer des symboles écrits – comme ce qu’on a fait avec « KompleX » – ça ressemble un petit peu au "Sound painting", parce que, que ce soit un signe qui est écrit, ou que ce soit un chef qui donne des indications, à mon avis, c’est très proche.

Il m’est arrivé d’utiliser le "Sound painting" pour que les élèves prennent en main un petit peu le groupe, c’est-à-dire oser être en mesure d’imaginer des sonorités. Cela les met en situation d’être responsables devant tout le monde. Mais j’ai vu les limites que cela peut avoir. J’ai assisté une fois à un concert de "Sound painting<" ici, à Villeurbanne dans la salle Duhamel, avec quelqu’un de très connu, comment il s’appelle ce saxophoniste de jazz ? Je crois que c’était François Jeanneau. J’avais été très déçu, parce que des élèves de l’atelier d’improvisation y participaient et que je les observais dans cette situation particulière. Cela m’avait fait un peu mal au ventre de voir qu’en fait ils n’avaient aucune initiative. C’était lié un peu au jazz, et ces étudiants-là qui faisaient partie de mon atelier d’improvisation et qui venaient du secteur classique, avaient eux les yeux rivés sur le chef et il ne se passait absolument rien en interaction entre tous les étudiants. Cela m’avait un peu mis mal à l’aise de les voir ainsi tétanisés, et puis les seuls moments où l’on commençait à improviser, c’était forcément fait par des gens qui venaient du jazz ; eux seuls avaient le droit de le faire. Et puis on en avait souvent discuté, et un jour un étudiant qui était pianiste, dans un programme de DEM, qui avait choisi de participer à l’atelier avait fait des stages de "Sound painting" et il avait envie d’essayer une expérience dans ce sens. Donc on lui avait laissé tenter cette expérience, qui avait été assez concluante dans le sens où il embarquait bien les élèves dans des processus intéressants. Justement, cela avait été une source de débat entre nous : il s’agissait de prendre conscience des limites qui pouvaient exister dans le fait que les participants restent quand même des exécutants, et du coup, ont peu d’initiative. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en faire, mais il faut en connaître les limites. J’utilise assez peu cette manière de procéder, mais il m’est arrivé de m’en servir pour que les gens puissent la connaître. Ne pas avoir envie de faire quelque chose ne veut pas dire qu’il ne faut pas la montrer aux élèves : si cela existe, c’est de cela qu’il s’agit, et voilà ce que cela peut produire. Mais justement, si l’on sent qu’il y a des limites dans le fait que ça ne communique pas, que les élèves ne communiquent pas entre eux, on peut imaginer justement des symboles qui vont faire qu’ils puissent communiquer entre eux. On peut toujours trouver des moyens d’arriver à des objectifs.

J’ai parfois parlé du "Sound painting" avec des gens qui le pratiquaient et qui me disaient que ce que j’avais vu c’était peut-être une très mauvaise expérience, mais qu’il y en avait de très bonnes. Alors, je demande à voir ; je n’ai pas assisté à beaucoup d’expériences de ce genre, j’imagine que cela peut être différent.

 
La sonorisations des films :

Nous avons souvent abordé la sonorisation d’un film avec les ateliers d’improvisation. A l’époque (2000-2012) il y avait un festival de « musique et image » organisé au sein de l’école et donc les ateliers d’improvisation jouaient souvent dans ce contexte. On essayait toujours de ne pas trop aller dans l’illustration, de ne pas trop coller à l’image, mais d’avoir plutôt une lecture un petit peu plus globale. Parfois c’était difficile, car cela dépendait du film : si c’était vraiment un film genre dessin animé avec de l’action, il était difficile de ne pas tomber dans l’illustration. Alors on demandait le plus possible des films expérimentaux, avec des images qui se déforment et des choses plus abstraites, mais on ne tombait pas forcément tout le temps sur ce type de film. Je trouvais que c’était plus facile pour nous quand c’était des films de ce genre.

L’année dernière il y a eu un étudiant du Cefedem, Alvin, qui est venu faire six semaines de résidence avec un atelier d’enfants (dans le programme EPO), sous la supervision d’Adrien, un ancien étudiant, et de moi-même. Ce qu’il a fait était assez passionnant, parce qu’il a montré aux élèves plusieurs films différents ; il a demandé aux élèves d’essayer de dégager tout ce qui concernait la musique dans un film, quel type de musique il y avait dans un film. Alors, les élèves ont pu comparer de la musique vraiment illustrative sur des gestes précis, de la musique plus globale, les ambiances, etc. Les élèves avaient une grande capacité de vraiment bien capter les différentes strates qui pouvaient exister, et les différentes fonctions de la musique. C’était un atelier vraiment très bien mené.

Et du coup, après cette expérience, les élèves ont choisi de travailler sur un des films proposés. Ils n’avaient jamais écouté la musique de ce film-là car la piste audio ne leur avait pas été donnée. Et ils ont créé leur univers en faisant vraiment tout : ce qui était plage, plage globale, et puis rajouter les choses sonores spécifiques correspondant à des évènements précis, etc. Le résultat était vraiment remarquable. Alvin les faisait travailler par petits groupes, ils se mettaient dans les coins de la salle par petits groupes, un groupe s’occupait de la musique globale, d’autres qui intervenaient sur différents trucs, et le résultat était franchement enthousiasmant. Et les enfants voyaient souvent des choses que moi, par exemple, je ne voyais jamais. Ils captaient des trucs incroyables, des détails, des petites choses, ils comprenaient souvent le film mieux que moi. Ils comprenaient vraiment bien ce qui se passait dans le film. Et donc de savoir que dans mon atelier, il y a cette année une étudiante qui fait des films d’animation, (Lucie Marchais, qui sort de l’école Emile Cohl), je trouve que c’est chouette, parce que ça va être vraiment riche, je suis donc bien content ! (Voir le lieu-dit Bois).

En ce moment, j’ai une amie instit’, une super institutrice, qui travaille avec des méthodes vraiment très chouettes, qui a un vrai respect pour les élèves et qui encourage la communication dans sa classe. Je vais dans cette classe une matinée par semaine pour travailler avec ces élèves, à la sonorisation d’un film expérimental. Dans ce projet qui concerne toute l’école – c’est ça que je trouve intéressant – chaque élève va se retrouver avec un bout de pellicule de 35 millimètres d’une durée d’une seconde. Donc ils auront une pellicule chacun d’une seconde à griffonner ou à gratter. Soit ils “javelliseront” cette pellicule afin de la rendre vierge, et ensuite ils colleront, mettront de l’encre, dessineront, etc… Chacun va faire son petit bout, ça correspond à une seconde, il y a 24 images. Il y a cinq cent élèves à peu près dans toute l’école, donc il y aura à peu près quatre minutes de film avec de la musique à fabriquer. C’est la classe de Delphine qui est chargée de réaliser la bande sonore. Toutes les semaines, j’y vais avec des pailles, et autres objets, on fait des enregistrements, on co-construit des matières. Cela va donner un film expérimental, enfin, qui n’aura pas d’histoire, qui ne va rien raconter. L’autre jour on a enregistré toutes les sonorités possibles qu’on pouvait faire avec une paille et un verre d’eau. Je suis allé acheter des pailles beaucoup plus grandes pour pouvoir travailler avec des volumes plus gros, avec des sons plus intéressants. On va aussi travailler sur la voix, sur les rires, sur les sons vocaux, parce qu’il n’y a pas d’instruments (Voir le lieu-dit École Zola).

En rapport avec les relations entre les arts plastiques et la musique, le fils d’un de mes amis qui a fait l’école de design à Saint-Etienne, est en ce moment à Rotterdam chez un artiste qui fabrique des hyper grosses structures. Et lui, qui n’a pas fait spécialement de musique, il s’occupe uniquement du son. Et il fabrique des sons avec d’énormes tuyaux, des ventilateurs, enfin tout un tas de choses. Il a une idée de la matière sonore. Je pense qu’il y aurait matière à travailler avec des plasticiens. On a quelquefois des envies communes, et eux ont des représentations de ce que peut être l’univers sonore.

 


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