Archives du mot-clé Eddy Schepens

Itinéraire entre "Cefedem" et "Trio"

Dispositif musical en groupe [pour travailler autour des notions de procédures et de contexte] dans le cadre de la FDCE (Formation Diplômante en Cours d’Emploi) du Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes, en janvier 2017 [proposé par Nicolas Sidoroff].
au départ de Treatise (1963-67) de Cornelius Cardew
Deux groupes, indépendants, choisissaient une page différente de cette partition et partaient avec les consignes suivantes :
-1) En 1h30 (pause comprise), vous avez à construire votre interprétation de cette page. Tout au long du travail, vous devez tenir une sorte de « journal de bord » régulier afin de garder une trace écrite de « comment vous vous y êtes pris ». Parmi des entrées possibles pour tenir ce journal : les idées que vous avez gardées (ou pas) et pourquoi, les choix que vous faîtes, leurs arguments, les temps de jeu musicaux, avec quelles consignes, les discussions, sur quoi, comment sont apparu·es et ont été traité·es les problèmes et/ou les questions, les ressources individuelles et/ou communes que vous mobilisez, celles qui aident (ou pas), etc.
Puis jouez cette interprétation à l’autre groupe, explicitez vos manières de faire ; discutons.

Eddy Schepens :
D’abord, toute production musicale est dépendante de ce qu’on nommera ici, en première intention, un contexte.
: Etienne Lamaison
Dans l’interprétation des partitions graphiques, la collaboration conditionne le choix de ses partenaires : s’assurer que ceux-ci sont dans un volontariat, un désir de réaliser jusqu’au bout le projet qui sera défini entre les participants, se compromettant à respecter les règles. Dans l’instant du jeu, l’attitude doit être une attitude éminemment sociable, sans laquelle il n’y a pas de jouer ensemble possible : ne pas imposer aux autres, être avec soi-même et avec les autres en même temps, ne pas prendre le pouvoir mais décider sans cesse pour et avec les autres, ne pas se perdre soi-même, s’effacer quand on a rien à dire, oser prendre la parole, écouter constamment.
E. Schepens :
Un contexte est ce qui a rassemblé ou rassemble des musiciens, des instruments (y compris électroniques), des procédés de diffusion spécifiques (en temps réel, par Internet, via les CD ou DVD…), un public (fût-il non présent en temps réel), les pactes d’audition/réception de ce ou ces publics (pactes eux-mêmes travaillés par l’histoire de l’édition phonographique ou écrite, etc.), des modes de coopération entre les musiciens, bref une foule de médiateurs au sens que donne Antoine Hennion à ce terme, c’est-à-dire agissant, et non simple intermédiaires-réalisateurs d’une intention – d’une « œuvre » – première.
: E. Lamaison
Il s’agit d’acquérir une expérience commune : jouer le plus possible ensemble, passer du temps pour se comprendre et partager à travers la parole ou à travers le jeu paraissent des conditions indispensables à la réalisation de partitions graphiques.
E. Schepens :
Insistons encore sur l’apport des travaux de Howard Becker en reformulant l’importance qu’il accorde aux « conventions » : il les décrit très précisément comme ce qui permet aux artistes de « faire [leur] monde de l’art », c’est-à-dire de le produire.

Dans une deuxième phase :
-2) Décidez de deux « styles » (chanson française de la Renaissance italienne, prélude piano de Debussy pour un salon littéraire, worksong de pénitencier au début du siècle dernier, be-bop très mais très rapide, afro-beat façon Fela Kuti façon Egypt’80, ambient-rave de lever de soleil sur la mer, etc.) dans lesquels vous allez faire une interprétation de cette même page de Treatise. Un de ces styles doit être « suffisamment connu » par au moins quelques personnes dans le groupe (c’est-à-dire qu’on peut faire l’hypothèse qu’il y a déjà suffisamment de connaissances en présence pour commencer à travailler). L’autre doit être « suffisamment méconnu » par l’ensemble du groupe (hypothèse qu’il y ait besoin de chercher et construire des références pour commencer à travailler).
En 1h30 (pause comprise), préparez une interprétation de cette même page dans chacun des deux styles choisis, en tenant un « journal de bord ». Vous devez être capable d’argumenter les relations entre votre réalisation et le « style » correspondant.
Puis jouez ces interprétations à l’autre groupe, explicitez vos manières de faire ; discutons.

: E. Lamaison
Si aucune restriction ne vient empêcher la mise en œuvre d’une partition graphique, le groupe qui s’apprête à travailler ensemble doit être en mesure de créer et maintenir des liens qui lui permettront de pouvoir s’exprimer en toute confiance, en sachant qu’on sera soutenu tant au niveau musical humain, en sachant également que chacun apporte au groupe des éléments indispensables.
E. Schepens :
Les modes de coopération élaborés et utilisés par les artistes sont donc bien autant de pratiques que des musiciens élaborent et partagent pour pouvoir produire leurs musiques (dans tous les sens de ce terme), et ce à l’intérieur d’une enveloppe déterminée par le système de « conventions » qu’ils ont en commun, ou qu’ils décident de partager l’espace d’un moment pour une production musicale particulière. Il est donc plus que pertinent de donner aux musiciens l’occasion de repérer divers systèmes de coopérations et de conventions, de manière au passage à réfléchir les siens propres.

Cornelius Cardew, Treatise
par Pedro Branco (percussion), José Leitão (piano)
et Etienne Lamaison (clarinette).

 


Le texte d’Eddy Schepens est tiré de son article “Différences de genres musicaux ou différences de pratiques ? Une voie pour renouveler les pratiques pédagogiques en musique”, dans les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, Volume 15, N°1, « L’apprentissage et l’enseignement de la musique : Regard francophone international », printemps 2014. Ce numéro reprend des communications présentées à l’occasion du colloque international « L’apprentissage de la musique : son apport pour la vie de l’apprenant du XXIe siècle » tenu au Centre des congrès de Québec, du 22 au 24 septembre 2012.

Des extraits de cet article ont été distribués aux étudiant·es de la Formation Diplômante en Cours d’Emploi (FDCE) du Cefedem AuRA au cours d’un travail sur Treatise de Cornelius Cardew en janvier 2017.

Le texte d’Etienne Lamaison est tiré de sa thèse de doctorat
L’interprétation des partitions graphiques non-procédurales,
Université d’Evora, Portugal, avril 2013.