Yves Favier

Access to the English translation: To Live on the Edges, To Praise the Ecotones

 


 

Vivre en lisières, éloge des écotones

Yves Favier

 

Sommaire :

1. Lisières
2. L’improvisation, pratique sociale
3. Propos libres autour de « Gaya Sapor »

 


Lisières

Évidemment la notion de « lisière » est celle qui titille le plus (le mieux ?) surtout lorsqu’elle est déterminée comme « zone autonome entre 2 territoires », zones musicales mouvantes et indéterminés, pourtant identifiables.
Ce ne sont pas pour moi des « no man’s (women’s) land », mais plutôt des zones de transition entre deux (ou plusieurs) milieux…

En écologie on appelle ces zones singulières des « écotones », des zones qui abritent à la fois des espèces et des communautés des différents milieux qui les bordent, mais aussi des communautés particulières qui leur sont propres. (On effleure ici 2 concepts, celui de Guattari, « l’écosophie » où tout se tient et celui de Deleuze, « l’heccéité = évènement ».

Ces lisières entre prairie, lac et forêt, accueillent des espèces des prairies qui préfèrent les milieux plus sombres et plus frais, d’autres plus aquatiques, et des espèces forestières qui préfèrent la lumière et la chaleur.

N’est-ce pas le cas en improvisation ?…

  1. L’improvisateur serait-il cet « être aux aguets » singulier ?
    Chasseur/cueilleur toujours prêt à capter (capturer ?) les SONS existant, mais aussi « éleveur », afin de laisser émerger ceux « immanents » ? Pas encore manifestes mais déjà en « possible en devenir » ?…
  2. « Le territoire ne vaut que par rapport à un mouvement par lequel on en sort. 
    Dans le cas de la notion de frontière de Hocquard associée à la conception politique Classique, l’improvisateur serait un passeur entre 2 territoires déterminés par avance par convention académique. Exemple : passeur entre LA musique contemporaine (savante sacrée) et LA musique spontanée (prosaïque sociale)… on va dire que c’est un début, mais qui n’aura pas de développement autre que dans et par le rapport aux conventions… ça sera toujours une ligne qui sépare, c’est une « abstraction » d’où les corps concrets (publics inclus) sont de fait exclus.
  3. Quelle LIGNE (musicale), pourrait marquer limite, une « extrémité » (elle aussi abstraite) à une musique dite « libre » à seulement la considérer de l’intérieur (supposé l’intérieur de l’improvisateur).
    Effectivement ôter toute possibilité de sortir de ces limites identitaires (« l’impro c’est ça et pas autre chose  », « l’improvisation aux improvisateurs ») procède du fantasme des origines créatrices et de ses « génies » isolés… pour moi le « no man’s land » suggéré par Hocquard est plutôt ici !

…données mouvantes fluctuantes…ne laissant à aucun moment la possibilité de description d’une situation stable/ définitive…
temporaire…valable seulement sur le moment…sur le nerf…
toucher le nerf, c’est toucher la lisière…
l’improvisation comme un ravissement…un kidnapping temporel…
où l’on serait plus tout à fait soi et enfin soi-même…
…tester le temps par le geste combiné avec la forme…et vice versa…
l’irrationnel à la lisière de la physique des fréquences bien raisonnées…
…bien tempérées…
rien de magique…juste une lisière atteinte par les nerfs…
écotone…tension ENTRE…
entre les certitudes…
entre existant et préexistant…
…immanent attracteur…étrange immanence attractive…
entre silence et possible en devenir
…cette force qui touche le nerf…
…qui trouble le silence ?…
…la lisière comme continuité perpétuellement mouvante

L’inclusion de chaque milieu dans l’autre
Non directement connectés entre eux
En change les propriétés écologiques
Traits communs d’interpénétration de milieux
Terrier
Termitière
Lieu où l’on modifie son environnement
À son profit et à celui des autres espèces

De quel récit la lisière est-elle le vecteur ?…

 

L’improvisation, pratique sociale

Passer de la croyance en la certitude à un travail créatif avec l’incertitude.
Passer d’équilibres figés à des déséquilibres proliférants.
Passer d’objectivités inculquées à des productions intersubjectives ?
Passer des prédictions déterministes (hégémonie) à une conscience des instabilités fondamentales.
Passer de l’horizon indépassable aux possibles/probables.
Passer des savoirs universels (centralisation/hiérarchisation) aux savoirs situés (rhizome/réseaux décentrés).
Passer de la structure supposée objective au mouvement élargi de pensée et de dialogue entre subjectivités…
…la lisière sciences/arts faisant écotone…

Gilles Deleuze et Félix Guattari :

De la couche centrale à la périphérie, puis du nouveau centre à la nouvelle périphérie, passent des ondes nomades ou des flux de déterritorialisation qui retombent sur l’ancien centre et s’élancent vers le nouveau.

 

Connectivité Plus forts Le centre comme milieu

et vice versa

 

Propos libres autour de « Gaya Sapor »

Août 2020

1/ Avant-propos

Habiter les lieux dans le temps qui nous est imparti, nous engage de fait dans 3 écologies simultanées :
 · Ecologie environnementale
 · Ecologie sociale
 · Ecologie mentale

La société/civilisation contemporaine globalisée/mondialisée, nous aspire dans un « maelstrom » anxiogène particulièrement puissant, augmenté par le moulin compresseur médiatique.

La conjonction de ces courants anxiogènes (crises : de l’emploi, financières, politiques, environnementales, sanitaires, culturelles, etc.) nous pousse, par puissances conjuguées sous la meule de l’injonction à s’adapter à l’inadapté, à la démission, résignation, abdication individuelle ou des luttes collectives alimentées par le désespoir (voire désespérantes) elles-mêmes…

Pour « passer d’une croyance en la Certitude, à une reconnaissance et à un travail créatif avec l’incertitude », émerge la nécessité d’une mise en œuvre « d’antidotes » à cette construction mentale toxique, à « produire » une subjectivité alternative… non conventionnelle… non conventionnée ?

 

2/ Vivre en « lisière de… » ou « Eloge des Ecotones »

La lisière Entre Arts et Sciences (savantes ou incorporées) est un « écotone », un abri précaire, une « skènè » (scène) qui change/bouleverse l’ordonnancement conventionnel « entre » les différents acteurs, habitants (humains et non-humains), publics… Plus rien ne peut rester figé, frontal, tout devient précaire et incertain… tout est en perpétuel mouvement, changement, évolution, émancipation de l’un vers/ pour/ à/ contre/ l’autre… Mais toujours en diversité… bio diversité, en écosystèmes mouvants inter-indépendants (autopoïèse) et interdépendants…

La/les musiques dans les « écotones sociaux », sont des vecteurs majeurs de sensibilités partagées, transmises dans et avec une totale incertitude de la manière ils vont être perçus (si, dans le meilleur des cas, ils le sont) ni par qui ils vont être perçus.
Il est désormais temps de « chevaucher » ces vecteurs de sensibilité active…

 

Toute la suite du propos et sa mise en œuvre pourrait être sous le regard poétique aiguisé d’Italo Calvino… dans Le città invisibili, 1972 :

KublaiKhan :
– Tout est inutile, si l’ultime accostage ne peut être que la ville infernale, si c’est là dans ce fond que, sur une spirale toujours plus resserrée, va finir le courant.
Marco Polo :
– L’enfer des vivants n’est pas choses à venir, s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir.
La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et de savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

J’aime la seconde …elle porte la saveur du/des savoir.s… en perpétuel mouvement. A suivre…

– Félix Guattari, Ecosophie 1968, 1991, Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989.

– Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Seuil, T1 1977, T2 1980.

– Bernard Stiegler, La Société automatique : 1. L’avenir du travail, chap. 5 : "L’accomplissement du nihilisme et l’entrée dans le Néguanthropocène.", Fayard,2015. La Société automatique

– Hans Jonas, Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, 1979 ; trad. française éd. du Cerf, 1990.

– Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter ». Sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, coll. NRF Essais, 2019.

– Ilya Prigogine (La fin des certitudes. Temps, chaos et les lois de la nature, Odile Jacob, 1996) cité par Déborah Bird Rose, Le rêve du chien sauvage, Amour et extinction, La Découverte, Les Empêcheurs de tourner en rond, 2011/2020 (trad. Fleur Courtois-l’Heureux) et Vers les humanités écologiques, Wildproject Editions, 2004/2019 (trad. Marin Schaffner).

Upper course of river Vishera. View to left coast.

Riebener_See3

L’écotone est souvent aussi un corridor, qui selon les saisons développe des fonctions différentes pour des espèces différentes.

fr.wikipedia/Écotone

le-citta-invisibili

 

fr.wikipedia/Autopoïèse

 

fr.wikipedia/Les_Villes_invisibles