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Marie Jorio

Access to the English translation: Tomorrow, Tomorrow!


Demain, Demain !

Lecture écolo-musicale
Pour réfléchir, rêver, agir

Marie Jorio, 2018

 

Sommaire :

De la musique à l’écologie, de l’écologie à la musique
Exemples de fichiers audios
Extraits de textes du programme
Comment je suis devenue écologiste ?

 


De la musique à l’écologie, de l’écologie à la musique,
pour faire tomber les murs du déni, de la peur, de la colère…

Marie Jorio est urbaniste engagée dans la transition écologique, et a une grande expérience de la scène dans le cadre de spectacles musicaux. Elle s’est retrouvée en situation de (tâcher de) faire tomber les murs, au sens propre comme au figuré, dès ses études d’ingénieur, où sa sensibilité artistique trouvait difficilement sa place, et en tant qu’urbaniste, métier de tisseur de liens physiques et humains.

Dans la proposition Demain, Demain ! elle souhaite inviter les auditeurs à la réflexion, au rêve et et à l’action, pour dépasser le déni ou la sidération qui nous étouffent aujourd’hui face à l’ampleur des questions environnementales.
Accompagnée par le théorbiste Romain Falik, et par d’autres artistes invités selon les lieux, elle met en œuvre une forme originale de sensibilisation qui mêle la lecture de textes d’auteurs de référence sur l’écologie à des textes littéraires et poétiques, et un accompagnement musical sensible convoquant musiques baroques et improvisées.
Considérant que la musique, comme toutes les formes d’art, est une forme de revendication et de mise en application de la sobriété heureuse vers laquelle nos sociétés devraient se tourner, son croisement avec l’écologie devient une évidence.

Donner envie de lire et d’en savoir plus sur l’écologie est un autre objectif du spectacle. Le programme, fruit d’une longue quête bibliographique toujours en cours, donne à entendre des classiques du genre, comme des textes plus rares, fictions, essais ou poèmes, et tente de mêler l’amertume du constat sur l’état de la planète, une réflexion existentielle et un enthousiasme de l’action. La lecture peut se prolonger par un échange sur les livres et des conseils de lecture.

 

Audios (d’autres sont disponibles)

nelevezpaslespieds.blogspot/DemainDemain!

 

Extraits de textes du programme

Pierre de Ronsard, Contre les bûcherons de la forêt de Gastine

« Forêt, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le Cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paitront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du Soleil d’Esté ne rompra la lumière.

Plus l’amoureux Pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette :
Tout deviendra muet : Echo sera sans voix :
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue :
Tu perdras ton silence, et haletant d’effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi. »

Reproduction (Poème de Marie Jorio, extrait du blog « ne levez pas les pieds »)

La ville semble proche de l’effondrement,
Ses habitants fourrés dans des boîtes métalliques,
Comme des petits pains frôlant l’indigestion ;
Le moindre grain de sel fait gripper la machine.
Tout cela est complètement fou
(et pourtant ils pondent).

Mais quoi ! La ville est-elle folle au point
Que l’on construise toujours plus
Sur des lignes pourtant saturées ?
Et 100 000, 200 000, 300 000 mètres carré,
Pour se faire élire, s’ériger une gloire, une fortune.
Les conducteurs de métro sont-ils condamnés
A rouler au pas dans la peur d’arracher un bras ?

 

Comment je suis devenue écologiste ?

Marie Jorio, août 2018

Comment je suis devenue écologiste ? Pourquoi je suis devenue écologiste ? C’est intéressant de se poser la question.

Première réponse, très claire dans ma mémoire : noël 2002, je suis chez des amis à Lyon, leur appartement à Croix-Rousse offre une vue magnifique sur la ville. Ils sont abonnés à Télérama et j’y lis un article de Jean-Marc Jancovici au sujet du réchauffement climatique. Mon esprit cartésien et naturellement inquiet est saisi par le propos. Je passerai les semaines suivantes à dévorer son site internet ; son ton un peu hautain de polytechnicien ne suffit pas à gâcher ses réelles qualités de vulgarisation, notamment quand il illustre les quantités gigantesques d’énergie que nous dilapidons, avec des conversions en nombre d’esclaves. Je réalise de manière irrémédiable que notre mode de vie basé sur la croissance ne peut se poursuivre longtemps dans un monde aux ressources finies. Cette simple lecture change définitivement le regard que je pose sur le monde. Je suis urbaniste débutante, je travaille à la requalification de la gare des Halles, gare centrale de Paris ; ce travail offre un peu de cohérence avec mes toutes neuves préoccupations environnementales, puisqu’il s’agit d’améliorer le réseau de transports en commun de la capitale.

Si je remonte plus loin dans ma mémoire, je trouve des traces plus anciennes de sensibilité à la fragilité et à la beauté infinie de la nature. Un voyage d’été dans la voiture familiale, l’autoroute du soleil probablement. On croise une carrière en cours d’exploitation ; « papa, comment on fera quand il n’y aura plus de pierres ? ». Je ne me rappelle pas bien de la réponse, qui devait me rassurer sur le fait qu’on en trouverait toujours. Toujours… Jusqu’à quand ? Et puis je découvre et dévore tous les livres de Pagnol, et profite des grandes vacances dans une grande propriété en Provence pour passer des après-midi entières dans la garrigue. J’observe la faune et la flore, invente des chemins, des histoires. Mon enfance et petite adolescence sont marquées par des immersions dans la forêt et la nature, que l’urbaine que je deviendrai oubliera complètement au point d’avoir peur de la moindre épine et du moindre bruit à chaque retour dans la nature.

Que faire de cette sensibilité et de cette conscience inquiète ? Pendant 15 ans, c’est plutôt un poids qu’autre chose, un nuage noir au-dessus de ma tête que j’oublie du mieux que je peux dans mes actions quotidiennes. Je savoure les longues soirées d’été en pensant que ce sont peut-être les dernières… Pratiquant l’autodérision pour ne pas me faire trop remarquer, j’essaie de convaincre et sensibiliser mes collègues et mon entourage à la question climatique et à l’épuisement des ressources. Au début des années 2000, le sujet est mineur, et controversé. Les qualités de logique et de rigueur qui m’ont conduite à faire des études d’ingénieur, sans aucune vocation, sont les mêmes qui m’ont fait reconnaître dans les courbes et les chiffres, brillamment exposés par Jancovici, entre autres, une évidence irréfutable. Ces mêmes études d’ingénieur ont eu pour résultat de me rendre sceptique quant à la validité des modèles scientifiques pour décrire le vivant, ou en tous cas d’en saisir leurs limites. Comprendre que les modèles sont par définition approximatifs au regard de la complexité infinie de la nature, c’était sans doute la manifestation d’une intuition écologique qui s’ignorait à l’époque. En tous cas cette conscience écologique, si elle ne se traduit pas par des engagements politiques – j’ai vu de près les verts du microcosme parisien qui ont parfaitement refroidi l’idée que je pouvais avoir de m’engager – a une conséquence très concrète sur ma vie privée : alors que mes amis ingénieurs ont déjà 2 voire 3 enfants, je me réfugie dans l’idée de ne pas en avoir, accablée par la responsabilité de leur laisser un monde délabré et des lendemains qui déchantent. J’ai cependant assez de sens social pour ne pas balancer tout à trac à mes amis que faire un troisième enfant me semble irresponsable au regard de l’état de la planète.

Et puis, la question environnementale progresse dans les médias, à mesure que les tous les signaux environnementaux virent au rouge. Il devient difficile d’ignorer la question. Mon boulot d’aménageur, qui construit des infrastructures et vend des terrains à des promoteurs ou des bailleurs sociaux, devient lourd à porter. Certes j’ai choisi de travailler sur des projets exemplaires sur le plan écologique. Mais plus les mauvaises nouvelles environnementales s’accumulent, plus je suis convaincue que l’ampleur des changements à apporter est énorme, et que continuer le « business as usual », mâtiné de cosmétique verte, est totalement dérisoire.

La mue est lente et douloureuse. Une immense colère macère en moi. Que faire ? Quelles gouttes d’eau apporter dans l’océan ? Si la légende du colibri, qui porte sa part d’eau pour éteindre le feu, met du baume dans nos cœurs sidérés, elle masque cependant la nécessité de mutations qui dépassent très largement les initiatives individuelles. Comment vivre avec cette lucidité aiguë de l’effondrement à venir ? Avec la mauvaise conscience d’être mieux lotie que beaucoup d’autres ? Comment continuer à respirer, à rire, et trouver le chemin d’action qui donnera un sens à cette vie devenue précaire ? Comment vivre quand on a conscience que la lignée humaine a ses jours comptés ? Quels rabat-joie ces écolos !

Cette colère, combinée avec quelques accidents de parcours, me pousse à changer de voie professionnelle, à me tourner vers l’enseignement et le conseil ; essayer de transmettre des idées nouvelles, si ce n’est radicales, en gardant une certaine indépendance d’esprit. Et surtout ralentir le rythme, chanter, se rapprocher de la nature, pour mieux appréhender les nécessaires changements, et apaiser, peu à peu, un peu, la colère.

Il n’y a pas de réponses, juste des chemins à emprunter. La pratique du chant et du spectacle vivant sont mes bouées de légèreté et de beauté pour supporter le nuage qui est beaucoup plus noir qu’il y a quinze ans. Et puis partager ce poids avec d’autres personnes convaincues, avec qui il n’est pas besoin de « montrer patte verte », m’est absolument nécessaire pour aller de l’avant. La conscience progresse, et nous serons bientôt tous schizophrènes : nous savons qu’il faut tout changer, mais nous ne sommes qu’humains et nous continuons à vivre, à changer de voiture, à découvrir la Thaïlande… Certains en sont à souhaiter un choc violent (mais pas trop) le plus vite possible, qui serve d’électrochoc. Une chose est sûre, être psy est une voie d’avenir. Et être écologiste est une lutte non seulement externe, de plus en plus violente, mais aussi interne, pour tâcher de rester droit dans la tempête d’incertitudes et d’inquiétudes.