Transversal : culture au pluriel


Une échappée transversale : culture au pluriel

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Culture au pluriel :

Notre époque se caractérise par une multiplication des sources de données et champs de savoirs accessibles, donc augmente de façon exponentielle les chances et possibilités de croisements, rencontres, détournement, transformations, etc. Ce qui nous contraint àla complexité : sa prise en compte devient absolument nécessaire, en commençant par les trois principes travaillés par Edgar Morin dans son « paradigme de complexité » (voir Introduction à la pensée complexe, éd. ESF 1990, pp. 98-101). :

  • dialogique, c’est-à-dire deux logiques antagoniques et contradictoires mais indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité
  • de récursion ou d’influence réciproque, c’est-à-dire à la fois et dans le même temps causes et effets, produit et producteur
  • hologrammatique, présenté contre le « paradigme de simplification », c’est-à-dire le tout est dans les parties, les parties sont dans le tout.

L’exploration des principes de complexité développés par Edgar Morin nous amène à l’idée de confort inconfortable. Plus on connaît et pratique un terrain de jeu musical en finissant par s’y sentir tranquillement à son aise, en terme de maîtrise notamment, plus on connaît, en fait, ses zones d’ombre et ses frontières-lisières avec les moyens d’aller s’y frotter, premières sources d’imprévus et de surprises : le confort peut donc être source facile d’inconfort. Et réciproquement, être en position délicate d’inconfort peut être l’amorce de la construction d’un nouveau confort. Une double dynamique fructueuse permet de mieux saisir le type de « confort » intéressant à chercher et à construire.

C’est ainsi qu’on peut saisir les spécificités des pratiques artistiques nomades et transversales. Elles proposent une conception de l’art qui ne se réduit pas à l’analyse des œuvres et à la discussion sur leur valeur, mais qui met en relation interactive le matériau, les gestes qui permettent le traitement de ce matériau, les modalités d’utilisation des matériaux, la distribution des fonctions et des rôles des participants, les rapports collectifs au sein des groupes d’artistes, les relations au public, les logiques de transmission, d’appropriation, de médiation, d’éducation et d’enseignement, jusqu’au rapport plus large au social et au politique. En somme tout ce qui constitue la fabrication d’une pratique. Il s’agit aussi de mettre en relation les pratiques dans leurs diversités, de les comparer, de les confronter et éventuellement de les combiner. Cette interactivité des divers éléments d’élaboration des pratiques et des pratiques diversifiées noue les conditions d’une nouvelle définition de la recherche tant dans ses aspects de ce qui permet aux pratiques d’exister, que de ce qui constitue un regard critique et réflexif sur les pratiques.

Dans un ouvrage annonçant de façon prémonitoire la très grande diversité culturelle à laquelle nous avons à faire face aujourd’hui en l’absence d’une fondation universelle solide, (La culture au pluriel, Paris : Christian Bourgeois, 1980), Michel de Certeau notait la chose suivante :

« Ce qui devient central, c’est l’acte culturel propre au « collage », l’invention de formes et de combinaisons, et les procédés qui rendent capable de multiplier les compositions. Acte technique par excellence. L’attention se porte donc vers les pratiques. » (p.108).

Pour lui, l’intérêt se porte non plus sur les « produits », mais sur les « méthodes de production ». Il ne s’agit donc plus, dans l’enseignement supérieur, de se contenter d’exposer les résultats d’une recherche, mais, « à travers une praxis collective », d’expliciter les manières de les obtenir.

Avec la disparition des principes universels qui caractérise la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, les modèles théoriques dominants ne permettent plus de « penser le pluriel de systèmes imbriqués et sédimentés ». Nous n’avons aucun autre choix de procéder par tâtonnements face à des situations particulières dans lesquelles s’inscrivent des actions (voir p. 187). C’est ainsi que, concernant « l’espace des pratiques », il note qu’il y a un malaise persistant : « la culture, c’est le mou » (p. 233). Les actions des usagers ne correspondent pas du tout aux intentions ceux qui rationnellement planifient le monde. La face dure est constituée par la technocratie qui tente de coloniser le monde en rentabilisant la « fabrication des signifiants » (p. 234). La société de consommation transforme le peuple en public. Toutes les voix minoritaires du monde sont entendues projetées par les médias, mais elles tendent à être instantanément classifiées et répertoriées dans des musées ou dans des écritures figées : elles « cessent alors de parler et d’être parlées ». Il parle d’une frontière qui ne fait passer que ce qui est déjà mort :

« Cette frontière circonscrit ce que nous pouvons dire et faire du lieu où nous parlons. Rien des autres ne traverse cette limite sans nous arriver mort. La pratique et la théorie de la culture accèdent à l’honnêteté quand nous renonçons à la prétention de surmonter par des généralités la coupure qui sépare entre eux les lieux où s’énonce une expérience. Du savoir scientifique, lorsqu’il est exclusif, jusqu’aux discours indigents sur les « valeurs » ou sur l’humanisme, il y a mille manières d’éliminer d’autres existences. Elles ont pour caractéristique commune la volonté d’instaurer l’unité, c’est-à-dire un totalitarisme. La culture au singulier impose toujours la loi d’un pouvoir. A l’expansion d’une force qui unifie en colonisant, et qui dénie à la fois sa limite et les autres, doit s’opposer une résistance. Il y a un rapport nécessaire de chaque production culturelle à la mort qui la limite et à la lutte qui la défend. La culture au pluriel appelle sans cesse un combat. » (p. 241)

Contributions du collectif PaaLabRes — 2015

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