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Gérard Authelain

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A propos d’une question sur l’effondrement

Gérard Authelain

28 août 2018

 

Sommaire

La notion d’effondrement
Le bombardement du Centre culturel de Gaza
Comment réagir
Continuer le travail de musicien intervenant
Donner de l’espoir, poursuivre les actions
 


La notion d’effondrement

Le 20 août 2018 à 18h30, j’écrivais à Ouassem, président de la FNAMI, en réponse à un message téléphonique sur répondeur que je n’avais pu écouter en direct pour des questions de réseau. Il m’interrogeait sur la notion d’effondrement, et notamment sur ce que je pensais, à travers mes séjours en divers pays tels que la Palestine ou la Tunisie, de la façon dont vivaient des populations aux prises avec les difficultés dont on devine l’ampleur. Elargissant le débat, il m’interrogeait sur la façon dont on pouvait se préparer à affronter d’autres effondrements qui nous guettent tous : les conflits en germe avec les fermetures des frontières, les conditions climatiques, etc.  En quoi, ajoutait-il, ces effondrements réels ou en perspective interrogent-ils la profession de musicien intervenant ?

J’ai envoyé quelques lignes très sommaires, disant que même si je n’avais pas particulièrement réfléchi sur le thème de l’effondrement, il est vrai que j’ai pu voir, notamment en Palestine, et tout spécialement à propos de Gaza, comment des jeunes adultes (entre 18 et 30 ans) voyaient tout partir à vau-l’eau, ce qu’ils faisaient, avaient fait, projets qu’ils auraient pu faire. Les nouvelles que j’ai eues récemment dans le contexte de cette marche hebdomadaire du vendredi où il y a eu déjà beaucoup de morts et des blessés encore plus nombreux, confirment qu’ils sont bien dans une situation d’effondrement.

 

Le bombardement du Centre culturel de Gaza

Le 20 août à 20h50 (21 h 50 en France), je recevais un message d’une amie Palestinienne Gazaouie, avec qui nous correspondons par Facebook depuis 2016. Elle confirmait ce que nous avait appris la presse quelques jours plus tôt : le bombardement du centre culturel de Gaza sous le prétexte de traquer des responsables du Hamas, ruinant en une seule opération un bâtiment qui était le lieu où se déroulaient un grand nombre d’activités (conférences, théâtre, musique, danse, arts visuels, bibliothèque, échanges, etc.). Plus qu’un effondrement : un désastre culturel, une catastrophe humaine, l’anéantissement d’un lieu de vie, une brutalité impitoyable.

Je cite l’intégralité du texte qu’a publié cette amie Palestinienne, Huda Abdelrahman Al-Sadi, avec qui nous avons échangé téléphoniquement ou par Facebook, mais n’avons jamais pu nous rencontrer, elle n’ayant pas le visa d’autorisation de sortie de Gaza, et moi n’ayant jamais pu obtenir de visa pour y aller malgré trois demandes régulièrement refusées.

La dernière fois je vous ai écrit sous les bombardements lors de l’assassinat de deux enfants !
Mais cette fois, c’était vraiment difficile de vous réécrire sous les bombes par CHOQUE !

Comme Palestinienne, surtout une Gazaouie, la choque, la mort, les bombes , les pleurs, la peur, la destruction , tout est devenu de notre quotidien.
J’ai dit une fois, la plume, le théâtre, la lecture, la culture sont des armes plus puissantes que leurs armes.

Et ils ont tué le théâtre à Gaza en 8.8.2018.

J’étais au travail, lorsqu’on m’a dit que le centre culturel de Said Al.Mishal a été écrasé ; cinq étages comme un biscuit.

Je ne croyais personne et je ne voulais pas croire je me suis dit peut-être ce n’est qu’un missile qui n’a rien fait, peut-être l’occupant inhumain voulait juste nous faire peur comme d’habitude, peut-être ce n’est pas le centre culturel qui a été ciblé, peut-être une terre vide ; beaucoup de « peut-être » et rien de « certain ».

Les mots se confondent mais ce n’est pas la guerre pourquoi font-ils une telle destruction?
Pourquoi détruisent-ils nous souvenirs, nos rires ?

Ce bâtiment ne représente pas un bâtiment culturel mais plus.
Chaque mur garde dans ses bras les rires après chaque spectacle, les souvenirs de chaque répétition, les idées de chaque pièce, des chansons, nos âmes, nos talents, nos loisirs, notre jeunesse grandit entre ces murs, les rêves des jeunes privés de la vie.
Ce bâtiment pour moi et pour d’autres n’était jamais un bâtiment, il était le monde dont on est comme – gazaouis – privés.

Le monde qu’on n’a jamais vu !

« Un théâtre à Gaza » était une fois un rêve d’études pour moi j’avais l’habitude de dire : « à Gaza il n’y a pas de vrai théâtre, il n’y a que de petites salles », et je rêve de faire revivre le théâtre avec le français.
Maintenant je peux affirmer qu’il n’y a plus de théâtre à Gaza !

Depuis longtemps, je rêvais de vivre la date 8.8.2018[1] .
J’aime ce numéro et je voulais vivre cette date spéciale.

Et malheureusement avoir une date spéciale à Gaza est aussi interdit !
Une annonce a été lancée par le groupe Pal Theater – un groupe de comédiens amateurs qui ont appris à faire le théâtre eux-mêmes et qui ont promis de faire renaître le théâtre sans avoir un vrai théâtre ou de vrais matériels seulement en ayant leur envie de vivre à Gaza.

Pour une pièce de théâtre pour la grande fête et nous on attendait cette pièce avec impatience.
Et maintenant il n’y a plus de théâtre, il n’y a plus de pièce de théâtre.
Il nous reste la fête.

Bonne fête à tous mes amis.
Bonne fête à nous malgré tout.

 

Comment réagir ?

Après un tel message, il est difficile d’écrire quoi que ce soit. Et pourtant il faut que l’on écrive, que l’on parle, c’est le seul moyen qu’il nous reste pour dire que l’on refuse de se laisser abattre quelle que soit l’ampleur des massacres, où qu’ils soient. Je dois cela à Huda et je l’ai dit à Ouassem qui m’a demandé de poursuivre la réflexion que nous avions engagée téléphoniquement.

Le centre culturel de Gaza a été bombardé : il n’y a plus rien, plus qu’un monceau de gravats : c’est vraiment un effondrement, celui des murs au sens propre, mais surtout l’effondrement d’un avenir qui consistait à donner un peu d’air à tous ceux qui le fréquentaient et avaient engagé des projets culturels de toute sorte.

La question est certes comment rebâtir « quelque chose » alors qu’il n’y aura pas de bâtiments de sitôt. Elle est surtout de savoir quel espoir est possible autre qu’une illusion toujours reportée de croire que la communauté internationale se réveillera et sortira de son incompréhensible mutisme. En d’autres termes, nous, de l’extérieur, que peut-on dire à Huda qui ne soit autre qu’une simple manifestation d’empathie et le témoignage d’une amitié impuissante. Car ma perplexité date de plus longtemps. L’effondrement ne date pas de ce bombardement : en Cisjordanie depuis 2006, j’ai eu l’occasion de travailler dans les camps de réfugiés de Chatila et de Borj El Barajneh au Liban ; je connais bien la famille de Salah Hamouri à nouveau emprisonné sans jugement, et je peux allonger la liste. Chaque fois, avant de partir et en arrivant de l’autre côté du mur en territoire occupé, l’interrogation est la même : quel sens cela a-t-il que je vienne, moi qui n’ai pas à subir ces injustices, ces mépris, ces conditions humiliantes et dégradantes[2] ?

J’ai bien sûr une réponse, mais ne peux l’écrire sans prendre la précaution d’ajouter que cela peut vite donner à méprise, vite fournir une bonne conscience à peu de frais. Je dois simplement dire que si je poursuis une très modeste présence, c’est en fonction d’une conviction qu’il faut envers et contre tout ne jamais oublier la formule qu’avait déjà présentée Péguy : « Ça c’est étonnant, que ces pauvres enfants voient comment tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comment ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin… »[3]

Quand je disais à Ouassem, dans l’échange téléphonique, que je ne pouvais envisager la réalité de toute forme d’effondrement qu’en postulant en contrepartie la recherche de ce qui peut donner espoir, c’était finalement justifier le fait que l’action culturelle, fût-elle minime, est l’un des piliers qui permet de garder une petite flamme fragile dont parlait Péguy à la suite de la citation ci-dessus. Mais je sais qu’il est facile de tenir un tel discours quand l’on est soi-même confortablement installé dans un système où la liberté de circulation, d’expression, de pensée, d’information, permet d’avoir accès aisément à ce dont d’autres manquent cruellement.

 

Continuer le travail de musicien intervenant

Je sais que le mot « résilience » est aisément employé aujourd’hui, mot qui n’avait pas cours il y a une vingtaine d’années. Peu importe la formule, la question est de savoir où et comment trouver la force de se construire (dans une situation normale) et de se reconstruire (dans des situations d’effondrement) pour ne pas se résigner à la fatalité de la condition présente. Car c’est bien cela aussi, au-delà de toute situation tragique dont on a tous les images en tête, Syrie, Iraq, Yemen, Venezuela, Birmanie, etc., et qui nous concerne quotidiennement dans l’exercice professionnel quotidien. Quand je vais dans une classe (je suis toujours musicien intervenant dans des établissements scolaires, et que ce soit en France ou en Palestine, le questionnement est du même ordre), je ne sais rien des enfants ou des adolescents avec qui je fais quelques pas.

J’ai un certain confort, qui est celui de mon âge, de mon expérience passée, des institutions qui me font venir, et de toutes les protections dont je bénéficie, y compris celle d’être rapatrié en cas de problème. Mais ceci ne me donne aucune tranquillité sur le fond de l’intervention. Quels que soient les publics auprès de qui j’interviens, je ne me sens jamais en confort. Si je vais faire une série d’ateliers dans une classe de Segpa [Section d’enseignement général et professionnel adapté] de Vaulx en Velin ou de Saint Etienne, j’ai beau avoir ce que certains appellent les ficelles du métier, cela ne me donne aucune sécurité. Car le problème pour moi n’est pas de réussir une activité, d’aboutir à un résultat qui pourra témoigner que j’ai rempli le contrat pour lequel j’ai été sollicité. Certes il vaut mieux que les mandataires de l’opération aient l’occasion de faire un bilan positif selon leurs propres critères. Mais mon vrai souci est ailleurs.

Chaque fois que je vais dans une classe, mon interrogation première est celle des gamins avec lesquels je suis : quel est le mystère personnel dont chacun est porteur quand je les regarde ? Je ne sais rien d’eux, et ce qu’on pourrait m’en dire n’est qu’une minuscule parcelle, souvent comportementale, de ce qu’ils sont réellement. Le discours d’un adolescent est terriblement ambigu et terriblement trompeur aussi. Je ne sais pas à qui j’ai à faire. Ma position est de pouvoir lui permettre de faire un bout de chemin dont il pourra en tirer quelque chose (et je ne sais pas quoi). Je ne suis pas du tout dans l’esprit d’une « école » dont le terme sous-entend un enseignement à dispenser. Sans doute j’espère apprendre « des choses » au gamin mais ce n’est pas mon souci premier. Ma préoccupation est de savoir comment ce que nous allons faire ensemble va lui permettre de s’inventer une personnalité propre. On peut mettre le mot créativité si l’on veut, ou employer la formule démarche créative. A condition que l’on ne transfère pas l’essentiel de la création dans l’objet créé, mais dans l’épanouissement que cette démarche aura permis pour chacun.

Bien sûr, je ne vais pas dire que le résultat ne m’intéresse pas. Mais il ne me captive qu’à la mesure dont j’aurais pu deviner les progrès qu’il aura permis à chacun de faire pour son propre compte. Tant mieux si le public qui assiste à une représentation est enthousiaste, mais la vraie réussite s’évalue ailleurs, en dehors des comptes rendus de presse. C’est d’ailleurs pour cela que je fais beaucoup travailler en petits groupes, tout seuls, et moi pas loin : s’ils ont besoin ils viennent me chercher. S’ils n’ont pas besoin, tant mieux, ils font leur expérimentation, et on en parle après, après les disputes, après les rigolades, après les échecs, après les trouvailles dont ils sont fiers, après les questions nouvelles qu’ils se posent.

Et je ne suis jamais certain que cela va marcher à tous les coups, car je ne sais rien des situations effondrées dans lesquelles se trouvent les uns et les autres. Je continue souvent à travailler avec des adolescents de Segpa. Pour la plupart, je ne sais pas du tout d’où ils viennent. J’ai connu après coup des situations hélas extrêmes mais pas nécessairement exceptionnelles : le père ivrogne battant sa femme, ne sachant pas si son frère était du même père, et je pourrais continuer à peindre une série de tableaux à la manière d’Hector Malot ou d’Emile Zola.

Faire avec eux des activités créatives n’est pas une situation confortable, j’ai beau avoir tout le matériel que je veux et l’habitude de ces groupes aux réactions imprévisibles : cela ne donne aucun confort. Que l’on comprenne bien que mon problème n’est pas une question de savoir comment je vais garder un peu d’autorité, ou un minimum de retour à mon égard. De ce point de vue l’ingratitude propre à cet âge est une excellente médication. Elle renvoie à la seule question intéressante : en quoi notre rencontre a été source de progrès pour eux. Et cela je ne le sais jamais, car il faudrait que je les revoie dans six mois, dans trois ans. Ce n’est pas parce qu’on a fait de bons semis à l’automne dans un jardin qu’on est garanti d’un résultat au printemps suivant. On sait seulement que si l’on ne prépare pas le terrain pour que chacun y pose les graines dont il a envie de se nourrir, il y a peu de chances pour que l’on en voie les fruits ultérieurement.

 

Donner de l’espoir, poursuivre les actions

Quand j’étais au CFMI, je crois n’avoir jamais bercé d’illusions les étudiants sur le métier qui les attendait. Je ne crois pas leur avoir laissé croire que la profession était une situation confortable. Mais qu’elle était intéressante : oui. Pas facile, mais passionnante. Sportive, sans aucun doute. Enrichissante, ô combien. Ceux qui mettent leur sécurité dans des institutions, des méthodes, des ficelles, plutôt que dans une recherche de chaque moment sur ceux auprès de qui ils sont envoyés risquent de se réveiller tôt ou tard avec quelques déceptions, du genre de celles qu’on entend sur « la situation avant » et toutes les litanies sur les valeurs d’antan qui se perdent.

Je ne suis pas contre la didactique, mais je sais que ce n’est pas là où je mets la confiance dont j’ai besoin pour rencontrer des groupes d’enfants et d’adolescents. Pas plus que dans le matériel. Quand on invente, ce n’est pas la richesse du matériel qui détermine la qualité de la production : dans les musées archéologiques, quand on voit la richesse des vases en verre ou les décorations sur des vases en terre dont certains datent de 1000 ou 2000 ans avant JC, on voit que l’inventivité ne se limite pas à la performance des outils.

Ce qui n’empêche pas que je prépare toujours beaucoup les interventions que je vais faire, y compris celles qui concernent des pratiques où j’ai une habitude acquise au fil des années. Mais je prépare en fonction de ce que je perçois à travers le regard de ceux que je vais rencontrer, et où je devrai adapter quand je serai en face d’eux. Je ne vois pas comment on peut faire quelque chose de pertinent sans être dans la créativité permanente. Bon gré mal gré, on est dans la recherche incessante. Et pas pour entonner une énième ode à la création, mais parce que l’on sait que les enfants et les adolescents qui s’en sortiront sont ceux qui auront eu un esprit inventif, ou en tout cas ceux qui auront abordé leur vie d’adulte pour s’en tirer avec tous les moyens du moment : et surtout quelque chose qui donne du sens à ce qu’ils veulent être.

C’est pourquoi je pense véritablement que, malgré les monstruosités de Trump[4], il n’est pas vain ni illogique de poursuivre une action artistique ou culturelle, peu importe le terme, sous toutes les latitudes, dans la mesure où c’est une manière de dire qu’envers et contre tout il y a un avenir de l’homme, un avenir pour l’homme. S’interroger sur la façon dont on peut « donner de l’espoir à quelqu’un », c’est penser à la personne en premier lieu qui seule peut manifester ce après quoi elle tend. Le contenu et les modalités viennent après, et il n’est même pas certain que ce soit la question la plus difficile à résoudre.

 


 

1. Le 8 août était déclaré jour de soutien aux médias palestiniens. Selon l’Association du Club de prisonnier palestinien, le nombre de journalistes palestiniens détenus dans les prisons israéliennes s’élève à 23 journalistes. Ceux-ci ont demandé la formation d’un organe judiciaire international et plus largement sollicité le Conseil de Sécurité de l’ONU pour mener une enquête concernant la possibilité de mener leur travail d’information contrairement aux mesures d’intimidation, d’interrogatoires et de silence forcé qui leur sont imposées. (Note de l’auteur)

2. Et je me pose d’autant plus la question que je ne fais que de courts séjours, alors que des jeunes qui se nomment Alicia, Julie, Rose, Roxane, et d’autres, vont passer un an ou plus dans ces pays au titre de VSC et s’affrontent à ces réalités, et pour qui j’ai une grande admiration, sans compter les Palestiniennes et Palestiniens qui sont aux prises quotidiennement avec ces destructions et attaques permanentes.

3. Charles Peguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu. Paris : Nouvelle Revue Française, 1916.

4. On en a les résultats ces jours-ci avec sa décision de supprimer le budget de l’UNWRA dont on sait qu’une grande part de l’activité de l’ONU pour les Territoires occupés est le soutien aux écoles dans les camps de réfugiés. Italie, Hongrie, on ne sait pas mieux où ça va…

Christoph Irmer – Français

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Nous sommes tous étrangers à nous-mêmes

Christoph Irmer (2019)

Pour un musicien improvisateur comme Peter Kowald[1], il était encore naturel de soutenir qu’il fallait au premier abord se préoccuper de soi-même et, dans un deuxième temps, exiger qu’on s’ouvre vers l’inconnu : « Et si l’on jette un regard sur notre monde, sur notre conception du monde aujourd’hui (…), alors il est certainement très important qu’on apprenne à répondre à quelque chose – humblement, en quelque sorte – qui nous paraît sur le moment étrange. Bien sûr on y perd aussi quelque chose. Les normes auxquelles on s’était habitué et dont on avait pris conscience, ne vont plus fonctionner comme avant. Et peut-être que, si l’on se frotte à quelque chose d’étranger, quelque chose de nouveau va se produire, et c’est, évidemment, ce que l’étranger a de mieux à offrir. »[2] Au début des années 1990, Kowald considérait l’étranger ou l’inconnu comme pouvant apporter beaucoup plus qu’un  simple enrichissement à l’expression musicale. Il parlait de friction (« Reibung ») ouvrant la voie à la création de sons. Mais a-t-il pris en considération que l’inconnu en premier lieu constitue le noyau dur de l’ouverture vers le large, le caractère fugitif et fantastique de l’improvisation ? Il se peut que le choc de l’inconnu soit tel que nous ne soyons pas toujours en capacité d’assumer en toute liberté de nous « frotter à quelque chose d’étranger » de façon fertile et heureuse.

À peu près à la même époque, à la fin des années 1980, un livre a été largement débattu qui de manière similaire traitait du thème de l’étranger et de l’autre : Étrangers à nous-mêmes[3] de Julia Kristeva. L’auteure écrit que l’étranger n’est ni « l’apocalypse en mouvement, ni l’adversaire du moment à éliminer en vue d’apaiser le groupe », mais : « Étrangement, l’étranger nous habite : il est la face cachée de notre identité, l’espace qui ruine notre demeure, le temps où s’abîment l’entente et la sympathie. De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même. » (p. 9). Sans être capable d’annuler ces modes d’aliénation – et même, sans offrir la possibilité de ne jamais faire disparaître l’étrangeté – Kristeva suggère qu’il convient de devenir ami avec l’inconnu : « Les amis de l’étranger, à part les belles âmes qui se sentent obligées de faire le bien, ne sauraient être que ceux qui se sentent étrangers à eux-mêmes » (p. 37). Ceci nous amène à ce que Kristeva nomme une « communauté paradoxale » : « faite d’étrangers, qui s’acceptent dans la mesure où ils se reconnaissent étrangers eux-mêmes. » (p. 290)

Kristeva soulève la question de la communauté paradoxale en relation avec la communauté des esprits aliénés. Cela n’a rien à voir avec l’idéal des conceptions communistes et bourgeoises de l’identité. Au contraire, la communauté future en tant que telle s’appuie sur des différences corporelles-physiques qui sont invisibles et imprévisibles (improvisation), co-existantes et se formant en constellations, vulnérables et compliquées. « Il ne s’agit pas simplement – humainement – de notre aptitude à accepter l’autre ; mais d’être  à sa place, ce qui revient à se penser et à se faire autre soi-même. » (p. 25) Bien qu’elle se situe dans ce postulat de l’idée illusoire qu’on peut combler le fossé avec l’inconnu en essayant tant bien que mal d’être capable de « vivre avec les autres, vivre autres » (p. 10) et de se dire : « Si je suis étranger, il n’y a pas d’étrangers » (p. 284) – Kristeva reprend la notion de Freud du « surnaturel » et nous met au défi de « nous dire désintégrés pour ne pas intégrer les étrangers et encore moins les poursuivre, mais pour les accueillir dans cette inquiétante étrangeté qui est autant la leur que la nôtre. » (p. 284)

Dans les années 90 du 20e siècle commence le grand examen critique : qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui a été accompli ? Le système politique qui s’appelait communiste a été détruit. Le soi-disant « Occident libre » est célébré comme étant le vainqueur – ce qui par la suite a donné lieu aux guerres dans les Balkans, au génocide au Rwanda, et à beaucoup d’autres évènements graves. Julia Kristeva avait raison : nous avons besoin de penser notre communauté. À la fin des années 1980, Peter Kowald a élaboré un projet d’ensemble sous le nom de « Global Village », un groupe dans lequel il a intégré des musiciens non-européens. Sa ville d’origine est toujours Wuppertal ; sa deuxième résidence est à New York. La fièvre des voyages le taraude et il voudrait retourner chez lui : nostalgique de sa maison, de la rue où il vit et où vivent ses voisins. Étrange disjonction : d’une part la contrebasse sur son dos, il voyage au Japon, en Amérique, en Grèce, en Suisse et à Tuva (Sibérie), en Turquie, au Portugal, en Espagne, en Italie. Il donne des ateliers, rencontre partout des musiciens. Un CD célèbre sera le « Duos Europe / America / Japan » (FMP 1991), des duos qui ont eu lieu entre 1984 et 1990. D’autre part, il demeure ancré dans son « village », s’implique dans des initiatives citoyennes, en coopération avec le milieu de la danse, en particulier avec Pina Bausch.

Peter Kowald aurait eu 75 ans cette année (2019). Dix-sept ans après sa mort, d’autres constellations d’aliénation ont apparu aujourd’hui qui ont réduit le profil du globe-trotter en un voyageur romantique. Il est possible que, pour Kowald, ceci n’aurait pas été facile à vivre. La relation paradoxale entre l’affiliation et la non-affiliation dans la société joue un rôle important dans les conceptions modernes de manières de vivre au début du 21e siècle : jusqu’à la désintégration du public plutôt qu’à son renforcement.  Les idéaux qu’on avait eus jusqu’ici sur les formes de vie en commun sont en phase d’être dissous ; nous vivons à l’âge de la distraction politique et sociale. Julia Kristeva avait en partie prévu ce qui allait se passer aujourd’hui politiquement et culturellement – plus que Kowald. La notion d’altérité implique aujourd’hui une aliénation qui apporte avec elle un sens de non affiliation avec chacun de nous – dans ce monde globalisé, nous ne devenons pas frères ou sœurs, ni immédiatement opposants ou ennemis. Dans l’improvisation, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans les arts, nous essayons de nous faire une idée de ce qu’on pourrait appeler un désastre politique. Nous sommes juste au tout début de commencer à comprendre notre nouveau monde à travers l’improvisation : comme une communauté paradoxale – et de commencer à apprendre comment pouvoir vivre ensemble au moyen de l’improvisation dans le futur.

(Le 16 juin 2019)

 


 

1. Le contrebassiste allemand Peter Kowald (1944-2002) a été un des représentants les plus importants de la musique improvisée libre. Il a commencé à jouer avec Peter Brötzmann à Wuppertal au milieu des années 1960 et plus tard il est devenu le co-fondateur du label FMP avec Alexander von Schlippenbach, Jost Gebers et Detlef Schönenberg.

2. Citation de Noglik, Bernd dans Fähndrich, Walter : Improvisation V, Wintterthur 2003, p. 170f.

3. Kristeva, Julia. Étrangers à nous-mêmes. Paris : Gallimard, Collection Folio essais (n° 156), 1988.

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Christoph Irmer

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We are all strangers to ourselves

Christoph Irmer (2019)

 

For an improvisation musician like Peter Kowald[1] it was still natural in an argumentation to see oneself in the first position and later on to postulate the opening to the unknown: “And if we look at our world, our world view today (…), then it is certainly very important that we learn to respond to something – humble, so to speak – which may seem strange to us at the moment. Of course you also lose something. Standards that you got used to, that you unserstood, do not work anymore. And perhaps friction with something foreign will make something new happen, and that, of course, is the big chance that the foreigner offers.”[2] Around 1990, Kowald saw in a foreigner or stranger more than just an enrichment of his musical expression. He talked about friction (“Reibung”) to create sound. But he did not see that the stranger in the first place constitutes the core of openness, the fleeting and the amazing of improvisation. He could have found out that the stranger shocks against us rather than it lies in our power and freedom of choice to perform the role “friction with something foreign” sovereignly and confidently.

In the same time, in the late 1980s, a book was widely discussed that dealt in a similar way with the theme of the stranger / the other: Strangers to Ourselves[3] by Julia Kristeva. The author writes that the stranger is neither “the apocalypse on the move nor the instant adversary to be eliminated for the sake of appeasing the group”, but: “Strangely, the foreigner lives within us: he is the hidden face of our identity, the space that wrecks our abode, the time in which understanding and affinity founder. By recognizing him within ourselves we are spared detesting him in himself”(p. 1). Without being able to undo these modes of alienation – even without a chance to ever dissolve the strangeness – Kristeva suggests to become friend with the stranger: “The foreigner´s friends, aside from bleeding hearts who feel obliged to do good, could only be those who feel foreign to themselves.” (p. 23). What comes our way Kristeva calls a “paradoxical community”: “made up of foreigners, who are reconciled with themselves to the extent that they recognize themselves as foreigners.” (p. 195)

Kristeva raises the question of the paradoxical community that concerns the community of alienated spirits. It has nothing in common with an ideality of communist or bourgeois ideas of identity. Instead, the future community within is supported by bodily-physical differences that are invisible and unpredictable (improvisational), co-existent and constellative, vulnerable and complicated. “It is not simply – humanistically – a matter of our being able to accept the other, but of being in his place, and that means to imagine and make oneself other for oneself.” (p. 13) Although in this postulate, the illusory idea that one can fill the gap with the stranger by somehow trying to be “able to live with the others, to live as others” (p. 2) and to say: “If I am a foreigner, there are no foreigners” (p. 192) – Kristeva updates Freud’s notion of the “uncanny” and challenges us “to call ourselves disintegrated, in order not to integrate foreigners and even less so to hunt them down, but rather welcome them to that uncanny strangeness, which is as much theirs as it is ours.” (p. 192)

In the 90s of the 20th century begins the great review: what has changed, what has been achieved? The political system that called itself communist has dissolved. The so-called “Free West” is celebrating as winner – what follows: wars in the Balkans, genocide in Rwanda and elsewhere. Julia Kristeva was right: we need to think about community. At the end of the 80s, Peter Kowald launches a project band called “Global Village”, a group in which he regularly integrates non-European musicians. His home town is still Wuppertal; his second residence is in New York. Traveling fever plagues him and he likes to return home: homesick for his house, for the street he lives in and where his neighbors are living. Strange disjointedness: On the one hand the double bass on his back, he is traveling through Japan, America, Greece, Switzerland and Tuva (Siberia), Turkey, Portugal, Spain, Italy. He gives workshops, meets musicians everywhere. A famous CD recording will be the “Duos Europe / America / Japan” (FMP 1991), duos which happened between 1984 and 1990. On the other hand, he remains anchored in his “village”, is involved in citizens’ initiatives, in cooperation with the local dance scene, especially with Pina Bausch.

Kowald seeks the foreigner nearby as well as in the distance, one after another, somehow simultaneously. In the mid-1990s he remains in Wuppertal for one year, the project is called “365 days in town”. He moves no further away than at a bicycle ride away from home, working and playing with artists from various disciplines, they come along for a visit. He plays for friends and residents from his neighborhood. Finally, a documentary is produced in which his impressive artistic and musical, ecological and social commitment is captured. But then Kowald had to head back to the world and sees himself again as globetrotter, a wanderer through countries and cultures. Looking back on the 60s and 70s, free jazz does not fare well in every way. From the encounters with Peter Brötzmann remain legendary recordings such as “For Adolphe Sax” (with Brötzmann and Sven-Ake Johansson) and “Machine Gun” (1968), but no friendship at all. Too different are the paths that everyone follows in the 90s. Today, the utopian designs of the period after 1968 are finally a matter of the past. But at the end of the twentieth century, no new political paradigm emerged – except the mechanisms of inclusion and exclusion caused by brutal neo liberalism and its excesses until the 2008 financial crisis. But Kowald had already passed away….

Peter Kowald would have turned 75 this year (2019). Seventeen years after his death, other constellations of alienation appear today that make the type of globetrotters a romantic wanderer. Maybe this would not have been easy for Kowald to experience. The paradoxical relationship between affiliation and non-affiliation in society plays into our modern attitudes of life in the early 21st century: right down to a disintegration of the public rather than its strengthening. Previous ideals of collective forms of living together are going to get dissolved; we live in the age of political and social distraction. Julia Kristeva knew something of what is going on politically and culturally today – more than Kowald. Otherness today means an alienation that brings with it a sense of non-affiliation to each of us – in this globalized world, we do not become brothers or sisters, nor immediate opponents or enemies. In improvisation, whether in everyday life or in the arts we try to get an idea of ​​what we could call a political disaster. We are just at the very beginning of understanding our new world in an improvisational way: as a paradoxical community – and to learn how to live together in an improvisational mode in future.

(June, 26th, 2019)

 


 

1. The German double bass player Peter Kowald (1944 – 2002) was one of the main representatives of free improvised music. He started playing with Peter Brötzmann in Wuppertal in the mid-sixties and later became co-founder of the label FMP together with Alexander von Schlippenbach, Jost Gebers and Detlef Schönenberg.

2. Quoted after Noglik, Bernd, in: Fähndrich, Walter: Improvisation V, Winterthur 2003, p. 170f.

3. Kristeva, Julia: Strangers to Ourselves (1988), Columbia University Press, Publisher: Harvester Wheatsheaf, Hertfordshire / England 1991.

Journées PaaLabRes à la MLIS, 2e édition

du 22 février au 16 mars 2013

à la MLIS (Maison du Livre, de l’Image et du Son) de Villeurbanne.

Exposition « L’objet artistique hybride »

 

Le dépliage du tract présentant ces journées-exposition

Vous pouvez cliquer sur chaque pour voir les images HD :
la couverture (env. 1150x2450px, 2Mo), l’intérieur (env. 3500x2450px, 6Mo) et le dos (env. 2300x2450px, 4Mo).

 

Vous pouvez télécharger en pdf ce même dépliant :
(3p, tract tiers de A4 portrait, 8Mo)
 

 

Journée PaaLabRes
à la MLIS, 1ère édition

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Journée PaaLabRes
à la MLIS, 3e édition

 

Journées PaaLabRes à la MLIS, 3e édition

le 17 janvier 2014

à la MLIS (Maison du Livre, de l’Image et du Son) de Villeurbanne.

Co-Loc/Actions

 

Le recto-verso du tract de présentation

Vous pouvez cliquer pour voir l’image HD (env. 2350x2450px, 3.3Mo).

 

Le programme de la journée

Vous pouvez télécharger en pdf le programme
distribué pour la journée :
(4p, A5 portrait, 150ko)
 
 
(FR)

 

Journée PaaLabRes
à la MLIS, 2e édition

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Journées PaaLabRes à la MLIS, 1ère édition

les 19, 20 et 21 janvier 2012

à la MLIS (Maison du Livre, de l’Image et du Son) de Villeurbanne.

Signatures d’un acte de naissance

 

Le recto-verso du tract de présentation

Vous pouvez cliquer pour voir l’image HD (env. 2300x2400px, 4Mo).

 

Le livret des 3 jours

Vous pouvez télécharger en pdf le livret
distribué pendant ces 3 jours :
(4p, A4 portrait, 500ko)
 
 
(FR)

 

 

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Journée PaaLabRes
à la MLIS, 2e édition.


 

Guide 2017

English Guide


Guide de la Carte « Partitions graphiques »

Cette nouvelle édition se présente sous forme d’une carte s’inspirant du plan de métro (Édition 2016), à partir de la photo d’un tableau de l’artiste lyonnais Christian Lhopital (merci pour sa généreuse contribution). Nous avons profité de la présence de lignes de failles sur ce tableau pour positionner des « lieux-dits » et organiser leurs connexions. La carte est constituée de contributions regroupées en régions (Treatise, films, documentation). Elles représentent deux grandes catégories :

 

Réalisation artistique

Une réalisation artistique (audio ou vidéo) d’une partition graphique se déclenche au « clic » sur le lieu-dit, c’est-à-dire sur le nom de la contribution.

Un texte explicatif, théorique ou poétique, apparaît lorsqu’on passe d’un lieu-dit à l’un de ses voisins immédiats, sous la forme d’un collage avec le texte de la contribution voisine.

 

Des contributions sous forme de textes

Il s’agit de textes de références, d’interviews ou de documentation concernant les partitions graphiques.

 

Vous pouvez vous déplacer librement dans la nouvelle carte en cliquant sur les noms des divers lieux-dits. Mais l’esprit de notre démarche est définitivement tourné vers le paarcours en suivant les lignes de faille : la balade d’un lieu-dit à son voisin fait apparaître un collage de textes ou de paroles, réalisé par PaaLabRes à partir d’éléments fournis par les contributeur·ices. Nous vous encourageons vivement à suivre un itinéraire le long d’une ligne de faille.

 


Voir l’éditorial de cette édition, la liste des contibuteur·ices de l’édition 2017

Aller à l’ÉDITORIAL général | à l’ÉDITORIAL Plan PaaLabRes (2016)

Guide 2016

English Guide


 

Guide du Plan PaaLabRes (2016)

mini-Plan PaaLabRes, édition 2016  
L’Édition 2016 se présente comme un plan de métro, composé de cinq lignes.
Chaque ligne représente un aspect important des préoccupations du collectif PaaLabRes :  Cartographie PaaLabRes ,  Politique ,  Improvisation ,  Recherche artistique  et  Compte-rendu de pratiques .

L’Édition 2016 comporte 18 textes (parfois des voix parlées enregistrées, parfois des textes animés sous forme de vidéos). On peut y accéder en cliquant sur chacune des 18 stations du métro.

Et l’édition 2016 comporte 72 extraits d’objets artistiques (enregistrements audio, vidéos, images, textes animés) réalisés par 36 artistes. Ces objets artistiques, que nous appelons « Itinéraires-chants », se trouvent placés entre les stations de la ligne centrale  Cartographie PaaLabRes . Pour y accéder il faut cliquer sur une des stations de cette ligne centrale et lire (ou ne pas lire) le texte. Sur la droite du texte (ou en dessous du texte) se trouve un plan de la ligne centrale bleue. On peut cliquer sur n’importe quelle station sur ce plan et un Itinéraire-chant apparaîtra qui vous mènera agréablement vers la station sélectionnée. Un générique décrivant l’itinéraire-chant apparaît à la fin de l’extrait avec le titre et le nom (ou les noms) des artistes. Il y a 9 stations sur cette ligne, ce qui donne 72 possibilités de parcours entre deux stations.

Voir la liste des itinéraires-chants et la liste des contributeur·ices 2016.

 


 

Aller à l’ÉDITORIAL Plan PaaLabRes (2016),
à l’ÉDITORIAL Carte « Partitions graphiques » (2017)

Aller à l’ÉDITORIAL général

 

English Guides

On this page:

GUIDE “PaaLabRes’ Map” (2016)


GUIDE “Graphic Scores” (2017)

GUIDE “Break down the Walls” (2021)

 


Guide “PaaLabRes’ Map” (2016)

mini-Plan PaaLabRes, édition 2016  
This Edition is presented in the form of a subway train map, with a central circular line and four other lines. Each line represents an important aspect of the collective PaaLabRes’ concerns:  PaaLabRes Cartography  (central line),  Political ,  Improvisation ,  Artistic Research  and  Projects and Actions .
Here are the directions for use of the map:

The 2016 Edition is composed of 18 texts (sometimes recorded spoken words, sometimes videos of animated texts). One can access them by clicking on each of the 18 metro stations.

The 2016 Edition is also composed of 72 extracts of artistic objects (audio recordings, videos, images, animated texts) realized by 36 artists. These artistic objects, we call them “Itineraries-Songs” can be found in between the stations of the central line  PaaLabRes Cartograpy . To access them you have to click on one of the stations of the central line and read (or not) the text. On the right side of the text (or underneath the text), there is a map of the central line in blue. To access an Itinerary-Song you have to click on any one of the stations of the central line placed on this map. An Itinerary-Song will lead you nicely towards the selected station. Credits appear at the end of the Itinerary-Song with the title and the names of the artists. There are 9 stations on this central line, which results in 72 possibilities of connection between stations.

See the list of the Itineraries-Songs and the list of this Edition’s contributors.
Go to the “PaaLabRes’ Map” EDITORIAL (2016)

 


Guide “Graphic Scores” (2017)

mini-Carte 'Partitions graphiques', édition 2017 This new edition is presented in the form of a roadmap, reminiscent of the metro map of our first formal proposition (2016 Edition), taking as basis a photograph of a painting by Lyon artist Christian Lhopital (we thank him for his generous contribution). We took advantage of the presence of seismic “faults” on this painting to use them as lines for connections between what we call “known places” [“lieux-dits”] in a meaningful way. Some contributions are grouped together on the map in regions (Treatise, films, documentation).

The map consists of two big categories:

Artistic realizations

  1. An artistic performance (audio or video) of a graphic score, which can be triggered by clicking on the “known place”, that is the name of the contribution. An explicative, theoretical or poetical text appears when one goes from one “known place” to either of the two neighboring “known places”, in the form of a collage with the text of the neighboring contribution.
  2. Performances of Cardew’s Treatise, which are clustered in one part of the map and are presented in the same format.
  3. Three musical illustrations of films.

Contributions with texts

These are reference articles, interviews or documentation pertaining to the question of graphic scores.

You can move freely in the new map by clicking on any of the names of the known places. But the spirit of our approach is definitively on the side of taking a path following the lines, or seismic “faults” (as in “San Andreas fault”): the strolling from one known place to its neighbor reveals a collage of texts or spoken words provided by the contributors. We strongly encourage you to follow a pathway along on a fault line.

Go to the “Graphic Scores” EDITORIAL (2017)

 


Guide “Break Down the Walls” (2021)

The home page can be seen in light or dark green. It works as follows:

Image d'accueil Home page
Break down the Walls, edition 2021
  • The river represents the video of the Grand Collage. The river flows from left to right.
    • The river is divided in five parts, indicated I – V.
    • There are 10 “Lisières” (Edges), indicated by L.1 – L.10.
    • The river (the Grand Collage) is divided in 26 sequences.
  • The Houses are represented by 27 bubbles. Inside each bubble is the name of a contributor (or contributors) to the edition. Each house contains the complete contribution corresponding to the displayed name (or names).
  • Pathways that lead from the houses to the river. They indicate the places in the Grand Collage where extracts from the corresponding contributions are included. The pathways lead to where one of the 26 sequences starts in the Grand Collage.

It is possible to:

  1. Click on the river in the space corresponding to one of the 26 sequences. The corresponding sequence will be played from the start and at the end of the sequence an arrow will allow to continue to the next. The Grand Collage can be stopped at any time by clicking on a house (small bubble) on the right side of the screen, or on the miniature map representing the 2021 edition home page.
  2. During the course of the Grand Collage, the name of a contributor will appear in a bubble (house) on the right side of the screen, when an extract will be played corresponding to this name. By clicking on a name, you will be able to access the full contribution corresponding to that name. By clicking on the miniature map you will be able to return to the home page of the edition.
  3. Click on a house on the map will give access to the full contribution corresponding to the name. When passing the curser on the house, a bubble will appear describing the content of the contribution. The contributions always appear in their original language (English or French). At the top of the article a link (or sometimes several links) allows access to the translation in the other language.

Go to the “Break down the Walls” EDITORIAL (2021)

 

Culture in the Plural

Culture in the plural

1. Extract from Culture in the Plural by Michel de Certeau

2. Slam by Jean-Charles François inspired by Michel de Certeau’s text

 

Michel de Certeau (Culture in the Plural, trans. Tom Conley, Minneapolis, London: The University of Minnesota Press, 1997, pp. 133-139) :

“A first impression, a persisting malaise: culture is soft. Analysis slips everywhere over the uncertainty that proliferates in the gaps of prediction as soon as the certainty of the illusory statistics of objective signs (behavior, images, etc.) slips away. Thus the styles or ways of practicing space flee the control of city planners. Able and ready to create a composition of places, of full and empty areas that allow or forbid passage, city planners are incapable of imposing the rationality of reinforced concrete on multiple and fluid cultural systems that organize the living space of inner areas (apartments, stairways, and the like) or public domains (streets, squares, etc.) and that innervate them with an infinite number of itineraries (…)

The same is true for ways of living time, reading texts, or seeing images. What a practice does with prefabricated signs, what the latter become for those who use or receive them – there is an essential point that still remains, for the most part, unknown. (…)

In fact this soft region is silently exploited by its opposite, the hard. Culture is the battlefield of a new colonialism; it is the colonized of the twentieth century. Contemporary technocracies install whole empires on it, in the same way that European nations occupied disarmed continents in the nineteenth century. Corporate trusts rationalize and turn the manufacture of signifiers into a profitable enterprise. They fill the immense, disarmed, and almost somnolent space of culture with their commodities. All forms of need, all the rifts of desire get “covered,” that is, inventoried, dealt with, and exploited by the media. (…)

From then on, culture appears as the field of a multiform battle between the forces of the soft and the hard. It is the outrageous cancerous symptom of a society divided between the technocratization of economic progress and the folklorization of civic expression. It makes manifest an inner dysfunction: the fact that the appropriation of productive power by privileged organisms has as a corollary a political disappropriation and regression of the country, that is, the disappearance of the democratic power to determine the organization and representation of the labors that a society exerts on itself. (…)

The theory and practice of culture accede to honesty when we cast away the pretention of overcoming, by way of generalities the rift that separates the places where an experience or an event can be uttered. From scientific knowledge (when it is exclusive), all the way up to indigent discourses on “values” or on “humanism”, countless ways of eliminating other existences can be named. The common trait is that of the drive to establish unity, that is, a totalizing vision. Culture in the singular always imposes the law of a power. A resistance needs to be directed against the expansion of a force that unifies by colonizing, and that denies at once its own limits and those of others. At stake is a necessary relation of every cultural production with death that limits it and with the battle that defends it. Culture in the plural endlessly calls for a need to struggle.”

 

 

Jean-Charles François, slam inspired by Michel de Certeau’s text:

Culture in the singular always imposes the law of a power

Culture in the singular always imposes the law of a power

Culture in the regular always imposes the flaw of a power

Culture in the best regularity always imposes the good coleslaw on a pauper

Sanctified culture always imposes its claw on some flower

Culture with the secular arm imposes its credo in a tower

Culture with the secular arm implodes its credo in a shower

A vulture with the regular arm Interpol its paw on some order

A sculpture with the angular arm interposes its blows against older laws

A scripture with the interfering arm exposes its gloves on polder lawns

The capture of the arm in her offering reposes in hundred days lost in lone Lombard

The structure of the Barthes-signified reposes straight out on syntagm and wombat

The suture of the farthest ignited bona fides imposes some turns “salsa and rumba”

The capture of the Roland-enrolled (modified-modifier, ratified-retriever,

falsified-salsify fryer, satisfied-sadist flyer, defied-deft ire, mystified-misty feel air, petrified-

petty fire, humidified-humiliated midfielder, simplified-sample amplifier) imposes facing the

exemplum, persuasive mode by induction, the group of modes by deduction: the argumenta.

 

The rupture of the tortured arm, exposed by Foucault, decomposition of the global gesture

The rapture of the spied out frolics, exported by Foucault, the right arm should be away from

the body by about three fingers, caramba!

The body, upright, should in three steps accomplish the act of the right arm

The boldly bright shoulder in three biceps accomplice to the fact of the tight arm

The boarding bored stiff dig the bock beer at the derby three times “diddlediddledee”

The upright body grips tightly the old bolshie bobby high alright bowing deep

 

Not so sure that Ferdinand, tongs on each foot, was semio-astigmatic

 

Note the sauce sour and sweet, colored tongue that labio-masticates

Know about the post future throng creating immediately labo-massive stakes

Know the posture of the wrong good guy

Know the posture of the trounced hard good cat in combat

Know the curly tune of the trembled cumquat

Now, the pure prude plump gal handles the mess of a crumbled quell

The sulfur tumbles out of the scar, and blesses us nonetheless with a grumble yell

The sepulture in the thunder al Dantesque (O hell!) scolds with a lurid gurgle

Crude failure in subliminal sudden slumber endlessly (Oh well!) calls for a bid to stumble

Cult texture in frugal lumps less friendly chokes on a bit of Strudel

Cruel lure in the rural dead end lastly in essence leads us all to a struggle

Culture in the plural endlessly calls for a need to struggle

Culture in the plural endlessly calls for a need to struggle

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