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Faire tomber les murs

Accéder au texte de Guigou Chenevier :  Entretien avec Guigou Chenevier

Access to the English translations : a) Break Down the Walls ; b) Encounter with Guigou Chenevier


 

Faire tomber les murs

Guigou Chenevier

1er Septembre 2018

 

« Faire tomber les murs » … : slogan, revendication, programme artistique et/ou politique ?

Quoi qu’il en soit ce titre générique m’a immédiatement fait penser à Mstislav Rostropovich, jouant une suite de Bach à la mémoire des victimes du communisme, petite silhouette fragile et cependant indestructible assise sur une modeste chaise au pied du mur de Berlin tombé le 9 novembre 1989… Malheureusement, ce moment de fraternité humaine et de grâce artistique hors du commun semble être bien loin de nous aujourd’hui. 30 ans plus tard, les murs n’ont jamais été aussi présents dans le monde. Qu’il s’agisse des murs derrière lesquels meurent à petit feu les Palestiniens de Gaza, qu’il s’agisse du mur érigé par l’épouvantable Donald pour empêcher les mexicains de fuir la misère, qu’il s’agisse plus près de nous, des barbelés hérissés à Calais pour interdire aux réfugiés de rallier l’Angleterre. Partout dans le monde, ce ne sont que prisons, centres de rétentions où croupissent hommes, femmes et enfants en bas âge. La Méditerranée elle-même est devenue un tombeau abyssal pour des milliers d’hommes et de femmes fuyant les guerres, les génocides, les régimes totalitaires ou simplement la misère… Qu’ils viennent d’Érythrée, du Cameroun, du Togo, de Lybie, de Syrie ou d’ailleurs… ce sont pourtant nos frères humains.

Par quel cynisme invraisemblable certains politiques osent-ils évoquer à leur égard de cyniques quotas ? Le procès Eichmann n’aurait-il donc servi à rien ? La Shoa n’aura-t-elle donc pas suffi ? Alors dans ce monde terrifiant, l’Art peut-il encore quelque chose aujourd’hui…  On connaît la célèbre réplique de Picasso à l’ambassadeur nazi Otto Abetz, en 1937 à Paris, lorsque regardant Guernica, celui-ci demanda : « C’est vous qui avez fait ça ? » … À quoi Picasso aurait répondu sans se démonter : « Non, c’est vous ! » …

Malheureusement, Guernica n’aura pas suffi non plus à empêcher d’autres atrocités à venir… Faut-il alors désespérer ? L’Art (et la musique en particulier), n’ont-ils donc aucune vertu thérapeutique contre l’obscurantisme, la violence, le racisme ou plus simplement la peur ? J’ai longtemps cherché… et j’ai fini par me rappeler de ce document incroyable visionné par hasard il y a bien longtemps… ça se passait en 1993, pendant le siège de Sarajevo… Là, au milieu des ruines, ce qu’il restait de l’orchestre philharmonique de Sarajevo continuait à répéter sous la baguette du chef d’orchestre français Hugues Reiner, la Symphonie Héroïque de Beethoven. Pendant des semaines, musiciennes et musiciens croates, serbes et bosniaques répétèrent ensemble, alors que les bombes sifflaient à leurs oreilles… Au cœur de cet atroce hiver 93, ils ne se battaient pas entre eux, mais seulement contre le froid… Leurs doigts engourdis, s’appliquant chaque jour sur le manche de leurs instruments à cordes dans les locaux non chauffés de la radio-télévision bosniaque… Il est à peu près certain qu’à ce moment-là, la radio-télévision bosniaque était l’unique lieu à Sarajevo où croates, serbes et bosniaques continuaient à vivre ensemble… plus encore… à œuvrer ensemble à une création musicale…  une œuvre de paix hautement symbolique… Le concert eu lieu dans les ruines de la Grande Bibliothèque de Sarajevo. Cette histoire incroyable a été retracée dans un documentaire magnifique intitulé « Les Violons de l’Hiver » produit par Envoyé Spécial. On peut visionner aujourd’hui encore ce reportage sur internet. Son réalisateur, Jérôme Bony, est retourné 21 ans après à Sarajevo. Il y a retrouvé un certain nombre de musiciens et musiciennes filmés en 1993. Leurs témoignages sont bouleversants. Ainsi tout n’est donc pas totalement perdu. L’Art peut faire tomber les murs et être plus fort que la haine et la peur. Dans le monde de violences, d’injustices et de guerres que nous connaissons, l’histoire de l’orchestre de Sarajevo fait scintiller une lueur d’espoir. Une braise sur laquelle nous devrions tous nous efforcer de souffler pour que la fraternité embrase enfin l’humanité.