Cécile Guillier – Texte 2 – Français

Interlude

Cécile Guillier

 

Texte écrit par Cécile Guillier et interprété par Cécile Guillier et « M. » le percussionniste.

Le 25 Mai 2018 à l’auditorium de la Chaise-Dieu

 

Etape n°1

Cécile seule sur scène 

C. :
Prenez un corps, plutôt docile (sortir un pupitre pliable).
Les pieds sont écartés à la largeur du bassin (écarter les pieds du pupitre).
Les genoux ne sont pas raidis (faire coulisser le pupitre).
Basculer le bassin pour faire circuler l’énergie entre le haut et le bas (faire bouger le haut du pupitre).
Les épaules sont relâchées (baisser les épaules), les bras s’éloignent du corps selon un angle semblable (écarter les branches) mais dans deux directions différentes (finir d’ouvrir le pupitre).
Prenez un violon et un archet (attraper mon violon et mon archet).
Le violon doit être soutenu et posé en équilibre (accrocher le violon au pupitre par la crosse).
Il ne faut en aucun cas « serrer » le violon ou l’archet (accrocher l’archet à une vis).
Le petit doigt repose sur la baguette avec une forme arrondie (accrocher le coussin au rebord du pupitre).
La tête est posée sur la mentonnière, droite et sans tension (poser une partition).

 

Etape n°2

M. vient tenir le violon et fait l’élève

C. :
Attention l’étape n°2 ne doit être abordée que quand l’étape n°1 est entièrement acquise. Si ce n’est pas le cas, rester le temps qu’il faut, voire indéfiniment à l’étape N°1.
Une fois le corps et le violon bien placés, faîtes des gestes. Beaucoup de gestes, des tas de gestes.
M. :

Même des gestes indigestes, votre majesté ?

C. :

[…]

M. :

J’en ai fait beaucoup et pourtant il en reste…

C. :

[…]

M. :

Jusqu’à réussir mes tests ou bien aurez-vous la main leste ?

C. :

[…]

M. :

La peste soient ces gestes !

C. :

[…]Monsieur l’élève, avez-vous eu oui ou non des rapports gestuels quotidiens avec votre violon cette semaine ? » (M. fait oui de la tête) Avez-vous eu, avec votre instrument, des rapports gestuels que l’on pourrait qualifier de mal placés ? (M. fait non de la tête)

 


 

Cécile seule :

C. :

Je suis spécialisée dans le geste violonistique. C’est à dire le déplacement de ma main droite sur un axe nord-est et sur une ligne régulière, selon des combinaisons de sens, hauteur, longueurs, vitesses, poids, différentes, et le déplacement plus restreint de ma main gauche sur un axe nord-ouest selon des principes semblables (mimer les gestes sans violon, imaginer une gamme).

M. revient, et suit une discussion entre lui et C.

C. :

Le geste est le moyen du son, le musicien est en quête du meilleur son possible et sans cesse retravaille son geste pour y parvenir. Le musicien, tâtonne pour trouver le geste parfaitement adéquat au son qu’il ambitionne.

M. :

Et le plaisir du geste ? Passer tant de temps à faire des gestes sans qu’il soit questionné en soi ? Le geste du musicien, c’est comme les chercheurs quand ils ont inventé le microscope : tu crois aller explorer un truc insignifiant tellement c’est petit et tu découvres qu’il y a un univers dans un grain de sable, ou qu’il y a un monde de sensation et de mobilisation dans un petit geste. Il y a de l’infiniment petit, mais il y a aussi de l’infiniment grand dans les gestes : il faut expérimenter des forces de la physique, la gravité, l’équilibre, le mouvement de balancier, l’énergie cinétique. Et puis les gestes c’est sensuel, et la sensualité c’est une fin.

C. :

Pourtant l’affaire du musicien, ce sont bien les sons. Et le propos des danseurs, ce sont bien les gestes. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées.

M. :

Je ne sais pas. On peut considérer les sons comme des ondes qui prolongent des mouvements ou des gestes. Le geste du musicien serait le passé du son : on essaye bien de reconstituer les évènements du passé en remontant le fil des bruits dans l’espace. Mais ça veut dire que le son serait le futur du geste ! Il faudrait juste arriver à produire des sons assez puissants pour sortir de l’atmosphère ou des machines assez perfectionnées pour récupérer l’écho des sons anciens. On pourrait connaître le passé, et envoyer des messages au futur. Mes gestes un jour vont disparaître, mais mon son, est-ce qu’il me survivra ?

C. :

Dans le geste il y a aussi du politique. Si depuis ta naissance, on t’a montré le geste comme le moyen d’un résultat déjà connu, il n’y a plus de place pour la création. Une fois que les gestes sont ainsi incorporés, c’est plus difficile à changer, on est plus très plastique une fois qu’on est discipliné.

M. :

Alors il faut faire les deux, il faut aussi explorer le geste pour le geste, le son pour le son et les rapports entre les deux.

C. :

Mais alors, si on expérimentait toute une série de gestes pour créer de nouveaux sons ? et de nouveaux sons pour créer de nouveaux gestes ?

M. :

Si on regardait les musiciens comme on regarde un danseur ?

C. :

Si on écoutait un danseur comme on écoute un musicien ?

M. :

Qu’est-ce que mon son fait à son geste ?

C. :

Qu’est-ce que son geste fait à nos sons ?

M. :

Et si je faisais de mon son un geste artistique révolutionnaire ?

C. :

Et si on dansait ?

C. danse avec son violon et M. danse avec le pupitre en sortant
 


 

Access to the three texts (French and English)

Texte 1a, Mûrs pour murs tomber      Français

Text 1b, Walkabout Wall Falling [Mûrs pour murs tomber]      English

Text 2b, Interlude      English

Texte 3a, L’art-mur de la liberté : murmures      Français

Texte 3b, Free Immured-Art: Murmurs      English