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Gilles Laval – Lisières

Accès aux textes liés à Gilles Laval :

A. Gunkanjima par Noemi Lefebvre : Gunkanjima
B. Extrait d’une conversation entre Gilles Laval et Jean-Charles François : Conversation

Access to the English translations:

A. Gunkanjima : Gunkanjima – English
B. Reflections on some walls of misunderstanding between musical practices : Gilles Laval – English
C. Edges – Gilles Laval : Lisières – English

 


 

Lisières : contribution de Gilles Laval

 

Existe-t-il un présent improvisé, à l’instant T instantané ? Quelles sont ses lisières, de l’instant à naitre ou non, ou non-être, l’instantané non figé à l’instant, juste là, hop c’est passé !
Étiez-vous présent hier à cet instant précis, partagé sans lendemain ? Je ne veux pas le savoir, je préfère le faire, sans repasser, vers les commissures des sens. L’improvisation se joue-t-elle d’elle-même ? Sans autre autres est-ce possible/impossible ? Quelle cible, si cible il y a ?
Interpénétrations et projections piquantes instantanées, répliques introspectives morphologiques agglutinantes, jonctions éloignées mouvementées écarlates, combinaisons à l’aise ou niaises, réactions à vif synchroniques, diachroniques, fusions et confusions oxymoristiques habiles. Si bleu est le lieu de mer, hors de l’eau, il se mesure en vert, en lisière c’est arc-en-ciel. Superbe masse d’ondes insaisissables où dedans brillent et foisonnent des lisières de dégradés, des départs sans retours, des arrêts pas nets, des flous roses rougissants, va savoir s’il faut faire taire, se faire terre ou ouï-dire.

J’ai ouï l’hallali sensible aux lisières des improvisalizés, (parfois des gourous courroucés d’envies d’emprises dégringolent en gammes lentes (choisis ta pente), quand d’autres pétillent d’un imprévisible heureux et de surprises survoltées). Invitons-nous de bout en bout aux commissures heuristiques kaïrostiques des espaces et des méandres imaginés, seul ou à plusieurs, à pludames, à plutoustes.

« Commissure : Rem. 1. La majorité des dict. du 19e s. et Lar. 20e enregistrent également l’emploi vieilli du terme en musique pour signifier : Accord, union harmonique de sons où une dissonance est placée entre deux consonances (DG). »
cnrtl.fr

Le principe de bout en bout (en anglais : end-to-end principle) est un principe central de l’architecture du réseau Internet.
Il énonce que « plutôt que d’installer l’intelligence au cœur du réseau, il faut la situer aux extrémités : les ordinateurs au sein du réseau n’ont à exécuter que les fonctions très simples qui sont nécessaires pour les applications les plus diverses, alors que les fonctions qui sont requises par certaines applications spécifiques seulement doivent être exécutées en bordure de réseau. Ainsi, la complexité et l’intelligence du réseau sont repoussées vers ses lisières. Des réseaux simples pour des applications intelligentes. »
Wikipedia, Principe de bout en bout

« Kairos : Concept de la Grèce antique qui correspond au temps de l’occasion opportune, c’est-à-dire qui se rapporte à un moment de rupture, à un basculement décisif par rapport au temps qui passe. »
(L’internaute)
Kairos est le dieu de l’occasion opportune, du right time, par opposition à Chronos qui est le dieu du temps.

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Gilles Laval

Gilles Laval – Trois textes

A. Gunkanjima par Noémi Lefebvre

Texte publié dans la première édition 2016 de paalabres.org : Gunkanjima

Text published in the 2016 edition of paalabres.org : Gunkanjima – English translation

B. Extrait d’une conversation entre Gilles Laval et Jean-Charles François

Réflexions sur quelques murs d’incompréhension entre pratiques musicales : Conversation

Reflections on some walls of misunderstanding between musical practices : Gilles Laval – English

C. Lisières : contribution de Gilles Laval

Version en français Lisières – français

English translation : Edges – Gilles Laval – English

Editorial 2021 – Français

 

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Éditorial 2021 – Faire tomber les murs

Troisième édition – PaaLabRes

Sommaire :

1. Présentation de la troisième édition PaaLabRes 2021 : « Faire tomber les murs »
2. Forme artistique de l’édition 2021
3. Grand Collage – Partie I : Rencontres expérimentales
4. Partie II : L’errance des idées
5. Parties III et V : Aspects politiques
6. Partie IV : Périple improvisé
7. Les lisières
8. Conclusion
 


1. Présentation de la troisième édition PaaLabRes 2021 : « Faire tomber les murs »

Notre monde se définit de plus en plus par la présence de murs qui séparent de manière radicale les groupes humains, qu’ils soient solides entre des frontières politiques déterminées, ou bien seulement conceptuels, notamment dans les domaines de la culture. On est en présence d’un foisonnement de groupuscules qui se constituent en réseaux de communication limités et qui développent des pratiques particulières, souvent alternatives à celles qui sont perçues comme dominantes dans un espace donné. Il s’agit là d’une avancée démocratique donnant à de plus en plus de personnes la possibilité de s’impliquer dans des causes et des pratiques.

L’existence de murs conceptuels est absolument nécessaire à toute constitution d’activité collective significative. Pour se constituer, les collectifs ont besoin de se construire un abri de protection pour fonder une pratique sur des valeurs et librement développer leurs projets. Pourtant, cette manière de se définir peut souvent à la longue tendre à exclure les personnes qui ne correspondent pas aux modes de pensée et de comportement du collectif impliqué. De manière interne ces collectifs peuvent être très ouverts à des activités multidisciplinaires, mais par le développement de langages très spécialisés, ils peuvent par ailleurs ne s’adresser qu’à un très petit nombre d’individus. En conséquence, les possibilités d’ouverture des espaces protégés semblent être au cœur de la réflexion sur les murs.

Il convient de prendre conscience d’une écologie des pratiques : toute pratique potentiellement peut en tuer d’autres et toute pratique dépend de l’existence parallèle d’autres pratiques. Les murs, les clôtures, les abris ne doivent pas faire obstacle au respect de l’existence de l’autre et à des interactions avec elle et lui. L’existence des actions dans un large espace commun est essentielle.

Il faut aussi prendre en compte la possibilité pour toute individualité de se situer aux limites des catégories officiellement reconnues et de travailler sur les paradoxes créés par les lisières. Dans les pratiques artistiques récentes, les projets hybrides entre deux domaines, deux styles, deux genres, ont pris une grande importance. L’appartenance simultanée à plusieurs identités est un phénomène très présent au sein de notre société.

« Faire tomber les murs » ne veut pas dire les effacer en vue d’une conformité généralisée à un ordre qu’on aurait déterminé à partir d’un lieu particulier. « Faire tomber les murs » semble aujourd’hui plus que nécessaire pour non seulement contrer les démarches politiques et culturelles d’exclusion, mais aussi pour créer une réelle possibilité pour toute personne de se mouvoir librement dans l’espace de la diversité. « Faire tomber les murs » nécessite enfin la mise en place de dispositifs particuliers garantissant que la rencontre entre différents groupes puisse se faire sur un pied d’égalité et que les échanges aillent au-delà d’une simple confrontation de points de vue.

 

2. Forme artistique de l’édition 2021 « Faire tomber les murs »

Le site internet du collectif PaaLabRes (paalabres.org) est un espace numérique évolutif d’expérimentation d’une rencontre entre les objets artistiques et la réflexion qui les accompagne, entre le monde des pratiques et celui de la recherche artistique, entre les logiques de présentation scénique et celles de la participation du public, de la médiation culturelle et de l’enseignement. L’édition 2016 s’est basée sur une série de stations de lignes de métro. L’édition 2017 s’est basée sur une série de lieux-dits.

L’édition 2021, « Faire tomber les murs » propose une nouvelle forme artistique :

  1. Une sinuosité, comme une rivière, représentant à la fois une continuité (sans murs) entre les contributions et l’esprit de méandres de la pensée errante ; il s’agit d’un « Grand collage » de toutes les contributions présentées dans un déroulement sans arrêt le long de cette sinuosité (voir le « Mode d’emploi »). Il s’agit de trouver une continuité entre des pratiques diversifiées.
  2. Par ailleurs, chaque contribution sera publiée séparément dans son intégralité. Dans la page d’accueil, les contributions individuelles sont représentées par des « Maisons » distribuées dans l’espace. Des chemins relient ces maisons à la rivière du Grand collage pour indiquer les segments où apparaissent les diverses contributions.

Les visiteurs du site peuvent choisir d’aller voir/entendre un segment du Grand collage (ou sa totalité qui dure à peu près trois heures), d’aller lire une contribution particulière dans une Maison, ou de faire des allers-et-retours entre ces deux situations.

 

3. Grand Collage – Partie I : Rencontres expérimentales

Le Grand collage est organisé en cinq parties, annoncées chaque fois par les « Trompettes de Jéricho » de Pascal Pariaud et Gérald Venturi.

La première partie, intitulée « Rencontres expérimentales », est centrée sur des pratiques artistiques basées sur la rencontre entre deux (ou plusieurs) cultures instituées ou domaines professionnels particuliers, ou encore contextes déterminés. Ces diverses rencontres donnent lieu à des expérimentations plus ou moins longues en vue de créer un contexte où chaque participant représentant sa propre culture puisse à la fois ne pas avoir à abandonner son identité, mais pourtant puisse être capable d’élaborer avec autrui une nouvelle forme artistique mixte ou complètement différente. L’article de Henrik Frisk, « L’Improvisation et le moi : écouter l’autre », peut être considéré dans cette édition comme une référence essentielle concernant les projets interculturels et plus généralement le rapport à l’autre dans le cadre des musiques improvisées. Cet article est centré sur le groupe The Six Tones, un projet artistique entre deux musiciens suédois (Henrik Frisk et Stefan Östersjö) et deux musiciennes vietnamiennes (Nguyễn Thanh Thủy et Ngô Trà My) et les questions relatives à l’apprentissage de l’écoute d’une production étrangère à sa propre culture, tout en continuant à jouer en improvisant. Un texte de Stefan Östersjö et Nguyễn Thanh Thủy « Nostalgie du passé : L’expression musicale dans une perspective interculturelle » (voir the sixtones.net) vient enrichir cet article par des perspectives provenant d’autres membres du groupe.

Le projet expérimental du groupe The Six Tones d’une mise en pratique en commun de deux cultures de tradition très différentes, dans des perspectives d’une rencontre entre l’Asie et l’Europe, peut être comparé dans cette édition aux contributions de Gilles Laval avec son projet de collaboration avec des musiciennes japonaises Gunkanjima et celui du duo DoNo, une rencontre improvisée entre Doris Kollmann, une artiste plasticienne vivant à Berlin, et Noriaki Hosoya, un musicien japonais. Dans ce dernier cas, la rencontre Europe/Asie se double de celle entre deux domaines artistiques très différents, arts plastiques et musique.

Nicolas Sidoroff, musicien, enseignant et chercheur engagé, s’est intégré dans un groupe de musique de l’Île de la Réunion à caractère très familial. Même si tout cela se passe dans la région lyonnaise aux antipodes géographiques du lieu d’origine, la pratique de musiques de cette île ne peut pas être séparée des modes de vie qui les accompagnent. Être accepté dans l’espace culturel (sans en faire pour autant partie) devient alors la condition d’une participation effective à l’expression de ces musiques.

Les rencontres interculturelles ne sont jamais simples, surtout parce que les pratiques sont toujours déjà créolisées dans le sens d’Édouard Glissant :

La thèse que je défendrai auprès de vous est que le monde se créolise, c’est-à-dire que les cultures du monde mises en contact de manière foudroyante et absolument consciente aujourd’hui les unes avec les autres se changent en s’échangeant à travers des heurts irrémissibles, des guerres sans pitié mais aussi des avancées de conscience et d’espoir qui permettent de dire – sans qu’on soit optimiste, ou plutôt, en acceptant de l’être – que les humanités d’aujourd’hui abandonnent difficilement quelque chose à quoi elles s’obstinaient depuis longtemps, à savoir que l’identité d’un être n’est valable et reconnaissable que si elle est exclusive de l’identité de tous les autres êtres possibles.

(Introduction à une poétique du divers, Paris : Gallimard, 1996, p. 15)

Les représentations qu’on a de soi et des autres sont toutes construites géographiquement et historiquement par le phénomène d’hypermédiatisation du monde, elles peuvent varier à l’infini dans un sens très positif ou très négatif, c’est selon. Tout contexte de rencontre doit prendre en compte ces représentations avant de pouvoir développer de réelles collaborations. Le pragmatisme des situations peut très bien primer sur les idées manufacturées. On rejoint là la pensée de John Dewey :

Lorsque les objets artistiques sont séparés à la fois des conditions de leur origine et de leurs effets et action dans l’expérience, ils se retrouvent entourés d’un mur qui rend presque opaque leur signification globale, à laquelle s’intéresse la théorie esthétique.

(L’art comme expérience, Paris : Gallimard, folio essais, 2010 [1934], pp. 29-30)

Les rencontres interculturelles entre pratiques qui existent dans notre voisinage immédiat ne réduisent pas la complexité, car on peut mieux s’entendre entre personnes à statut similaire habitant à des distances très éloignées. La connaissance mutuelle de tous ceux qui cohabitent dans un territoire donné nécessite de développer, dans les domaines de l’enseignement artistique et de la médiation culturelle, des situations qui à la fois reconnaissent la dignité des pratiques vernaculaires et de celles qui sont au centre des préoccupations des institutions. Michel Lebreton, musicien et enseignant, joueur de cornemuse, qui a été Président de l’Association des Enseignants de Musique et de Danse Traditionnelle, est un dynamique partisan de l’intégration des musiques traditionnelles dans le cadre des conservatoires afin d’éviter qu’elles ne soient confinées dans des associations exclusivement centrées sur une seule pratique. Pour lui, la rencontre des pratiques musicales et de leurs modes de transmission prime sur l’illusion de l’authenticité des pratiques séparées :

À l’illusion de transmettre une authentique pratique de tradition populaire, il nous faut dès lors nous engager dans le projet de mettre en jeu, le plus honnêtement possible, les connaissances parcellaires que nous avons au service d’un enseignement de la rencontre et de la confrontation. Les découvertes, partages, chocs, débats et prises de positions réfléchies qui en découlent sont autant d’éléments riches et salutaires dans la formation de tout être humain.

(Michel Lebreton, « Département de Musiques Traditionnelles, CRD de Calais, Le projet de formation », 2012, leschantsdecornemuse.fr)

Dans sa contribution à la présente édition, Michel Lebreton mène une réflexion sur la distinction à faire entre les « murailles » (on a toujours fait comme cela…) et les « lisières » (qui sont les « endroits des possibles ») et il donne des exemples de pratique effective avec des élèves issus de l’enseignement classique, mais aussi des collaborations entre musiciens et musiciennes de parcours différents.

Dominique Clément est un compositeur, clarinettiste et membre fondateur de l’Ensemble Aleph. Il est aussi directeur adjoint du Cefedem Auvergne Rhône-Alpes installé à Lyon. Cette institution, depuis l’année 2000, a développé un programme d’études centré sur la rencontre des diverses esthétiques musicales et cela a suscité le développement de groupes professionnels mélangeant plusieurs domaines de pratique. Sa contribution est constituée d’un enregistrement d’extraits d’une pièce, Avis dexpir, écrite pour l’ensemble de musique contemporaine Aleph et Jacques Puech (voix et cabrette) un spécialiste des musiques traditionnelles du centre de la France. Dans cette pièce les sonorités typiques des deux genres musicaux sont superposées en gardant leur identité et aussi savamment mélangées pour créer une ambiguïté.

Toujours dans le domaine du monde de l’enseignement spécialisé de la musique et de la danse, la démarche de Cécile Guillier, musicienne et enseignante, a été de proposer des situations de création de concerts-spectacles autour de la rencontre entre la musique classique et la danse hiphop. Elle souligne la difficulté d’une telle démarche dans un contexte où la vision du projet n’est pas la même pour tous les partenaires. Surtout, elle note le manque de temps nécessaire au développement des situations de manière significative. En effet, le milieu de l’enseignement artistique ne prend pas en compte la possibilité de mener des projets de recherche dans le cadre des fonctions professionnelles qui y sont définies.

L’originalité de la démarche proposée par Giacomo Spica Capobianco est à la fois, d’une part,

  1. De développer des pratiques d’écriture et de musique avec des jeunes dans les quartiers où – de plus en plus – « rien ne serait possible », en leurs permettant de créer leurs propres expressions artistiques.
  2. D’autre part, d’encadrer ces actions non pas avec un seul spécialiste d’une certaine forme artistique, mais avec un groupe de 8 personnes (à parité femmes-hommes) issues de divers genres artistiques et formant en tant que tel un groupe de pratique artistique travaillant sur ses propres créations.

Sharon Eskenazi enseigne la chorégraphie. Dans une démarche un peu similaire, elle propose aussi la constitution de groupes avec en leur sein des jeunes de milieux très différents (d’origine palestinienne et israélienne – de quartiers défavorisés et de quartiers plus aisés) avec un accent particulier sur la création de chorégraphies dont le style n’est pas prédéfini, élaborées par les membres du groupe composite. Par ailleurs elle a organisé des rencontres dans la région lyonnaise et en Israël regroupant les deux groupes composites travaillant ensemble sur leurs pratiques créatives de la danse.

L’École Nationale de Musique de Villeurbanne, depuis sa création au début des années 1980, est un lieu qui accueille en son sein presque toutes les pratiques musicales en présence sur notre territoire : musique classique, jazz, rock, chanson, musiques urbaines, musiques traditionnelles d’Amérique Latine et d’Afrique, etc. Plus récemment des disciplines (instrumentales et formation musicale) se sont regroupées pour développer un programme en commun pour dépasser leur cloisonnement – instruments chacun dans leur coin, séparés aussi de la formation musicale, genres esthétiques très spécialisés – développer une approche plus collective et diversifier les situations pédagogiques au fur et à mesure des besoins et de l’évolution des situations. Trois professeurs qui sont au centre de ce programme d’études, Philippe Genet, Pascal Pariaud et Gérald Venturi participent, depuis 2019, à un projet de recherche dans une école primaire (l’école Jules Ferry à Villeurbanne) en collaboration avec le sociologue Jean-Paul Filiod. Ils travaillent sur des repérages d’apprentissage de nature musicale (vocabulaire, culture…) et psychosociale (estime de soi, coopération…). Le projet est basé sur la combinaison de l’écoute d’une diversité de musiques et de productions sonores réalisées par les élèves avec la voix ou des objets quotidiens.

Les rencontres interculturelles ne se limitent pas aux seuls domaines artistiques, mais peuvent aussi concerner les rapports entre la pensée philosophique et les arts, entre des situations professionnelles ou sociales et les arts, entre la recherche universitaire et les pratiques artistiques.

Clare Lesser est une chanteuse lyrique britannique spécialisée dans la musique contemporaine. Elle vient de soutenir une thèse de doctorat qui met en relation la pensée du philosophe Jacques Derrida avec un certain nombre de productions artistiques de la seconde moitié du XXe siècle, en particulier la démarche de John Cage autour de l’indétermination. Comme dans de nombreux textes de Derrida et de Cage, la forme même de sa thèse et la manière de déterminer sa formulation textuelle se constituent comme un objet artistique autant qu’une réflexion académique. Ainsi, des performances, réalisées par elle-même avec différents collaborateurs des pièces qui sont au centre de ses analyses, font partie de la thèse sous forme de vidéos. Dans l’édition PaaLabRes, un chapitre entier de ce travail de recherche (« Inter Muros ») est publié accompagné d’une performance de Four6 de John Cage.

Guigou Chenevier, compositeur, batteur, percussionniste, a mené un projet collectif en 2015, « L’art résiste au temps », inspiré de l’ouvrage de Naomi Klein La Stratégie du choc. Le groupe qui a été constitué à l’occasion de ce projet a comporté des musiciens et musiciennes ayant des parcours esthétiques différents et a inclus en son sein un philosophe, une artiste plasticienne, et une comédienne metteur en scène. Le projet s’est déroulé sur plusieurs résidences alternant le travail d’élaboration du groupe et d’interactions avec le public extérieur. La plus importante et la plus longue de ces résidences a eu lieu à l’hôpital psychiatrique d’Aix-en-Provence, avec la participation active de toutes celles et tous ceux qui y travaillent et qui y résident et d’un public extérieur, sous la forme d’ateliers d’écriture et de pratiques artistiques. L’idée de résistance est très présente dans la posture artistique et politique de Guigou Chenevier. Le projet a été influencé par le peintre italien Enrico Lombardi qui disait en substance : « de toute façon, le seul lieu de résistance qui reste possible encore actuellement, c’est le temps. »

Chez le compositeur et théoricien de la musique américain Ben Boretz, le caractère hybride de sa recherche s’inscrit de manière interne dans les caractéristiques de sa production musicale et textuelle. Nous publions dans cette édition, la traduction en français d’un texte datant de 1987, « -formant : masse et puissance » (réflexions en temps réel dans une session -formante sur un texte de Elias Canetti, Masse et Puissance). Ce texte se présente sous une forme graphique (couleur, taille et distribution dans l’espace de la page des caractères) mêlant les formes poétiques à des idées philosophiques. Il traite de la nécessité d’ériger des murs qui excluent, mais de les faire tomber, d’ouvrir des fenêtres, vers la présence inclusive des autres. Pour lui, il s’agit toujours de « négocier l’espace entre le Fermé et l’Ouvert à travers les murs ». On est en présence d’une réflexion sur les rapports entre le collectif et les individualités singulières qui en font partie.

Marie Jorio est une urbaniste engagée dans la transition écologiste. Elle « invite les auditeurs à la réflexion, au rêve et à l’action (…) face à l’ampleur des questions environnementales », dans la présentation de spectacles mêlant lectures de textes, chant et musique. Dans le cadre de son travail, elle a été au cœur des conflits sur le développement urbain entre la Défense et la municipalité de Nanterre. C’est dans ce cadre très frustrant qu’elle a développé un certain nombre de textes poétiques et politiques, dont quatre d’entre eux sont présentés dans cette édition par sa voix enregistrée.

Une interview du percussionniste et chef d’orchestre américain Steven Schick relate les belles aventures d’une performance de la pièce Inuksuit de John Luther Adams de part et d’autre du mur de la frontière entre Mexico (Tijuana) et les États-Unis (San Diego) avec la participation de 70 percussionnistes en janvier 2018. On peut voir un extrait de ce concert sur une vidéo du New Yorker (remerciements à Alex Ross, le critique musical du New Yorker pour nous avoir donné la permission). Dans les intentions de Steven Schick, ce projet, malgré son caractère évidemment politique, n’était pas une manifestation anti-Trump, mais était plutôt centré sur l’idée que les « connexions entre les humains et les sons passent facilement à travers les espaces et qu’aucun mur ne peut les en empêcher ».

 

4. Partie II : L’errance des idées

Cette partie met en scène des réflexions plus générales non ciblées sur des actions spécifiques relevant par exemple de la politique ou de l’interculturalité.

Le choix premier du terme d’errance s’est fait avec un arrière-plan poétique : trouver le terme évoquant au mieux, pour nous, un foisonnement de différences et d’expérimentations, de situations paradoxales et ambivalentes par rapport à la remise en cause des divers cloisonnements qu’on peut observer dans notre société, en particulier dans les domaines artistiques et culturels. Cela ne signifie nullement que les personnes concernées ne savent pas du tout où ils mettent les pieds et dans quelles directions elles veulent se diriger.

Ici aussi, on peut se référer à Édouard Glissant :

La pensée de l’errance n’est pas l’éperdue pensée de la dispersion mais celle de nos ralliements non prétendus d’avance (…). L’errance n’est pas l’exploration, coloniale ou non, ni l’abandon à des errements. Elle sait être immobile, et emporter. (…) Par la pensée de l’errance nous refusons les racines uniques et qui tuent autour d’elles : la pensée de l’errance est celle des enracinements solidaires et des racines en rhizome. Contre les maladies de l’identité racine unique, elle reste le conducteur infini de l’identité relation.

(Philosophie de la relation, Paris : Gallimard, 2009, p. 61)

La question de la communauté et de son rapport à l’étranger traverse les inquiétudes liées à l’hyper globalisation des échanges et en même temps l’abandon d’une approche « universaliste » au profit d’initiatives extrêmement localisées par des groupuscules, créant un kaléidoscope de pensées-actions. Christoph Irmer, musicien qui vit à Wuppertal en Allemagne nous a envoyé un texte centré sur Peter Kowald. Ce dernier, contrebassiste improvisateur aujourd’hui disparu, était tiraillé tout au long de sa vie entre, d’une part, être un musicien itinérant, un globe-trotter qui rencontre et joue avec un grand nombre de consorts sans pouvoir développer des rapports plus suivis avec eux, et d’autre part, vivre au sein de sa communauté (Wuppertal) pour y développer, avec les personnes étrangères qui y résident ou avec celles qui sont invitées de l’extérieur, des actions plus significatives. Pour Irmer les grands voyages n’échappent pas à la perception que l’idée de « l’étranger » est en nous, elle est la « face cachée de notre identité ». Il cite alors Julia Kristeva pour qualifier notre époque de communauté paradoxale : « Si je suis étranger, il n’y a pas d’étrangers ». Il parle d’une « relation paradoxale entre l’affiliation et la non-affiliation. (…) … dans ce monde globalisé, nous ne devenons pas frères ou sœurs, ni immédiatement opposants ou ennemis. »

Le rapport à l’étranger, à l’étrange, est aussi au cœur de la réflexion de Noémi Lefebvre, romancière et chercheuse en science politique. Les débats sur les rapports entre êtres humains incluent ici la présence des animaux pour mieux comprendre nos représentations et nos actions. Nous présentons une vidéo produite par le studio doitsu, « Chevaux Indiens », que Noémi Lefebvre a réalisée en collaboration avec Laurent Grappe, musicien lyonnais. À partir de l’idée du couple âne-cheval, une multiplicité de niveaux signifiants est présentée entre texte et collages de vidéos. L’intégralité de cette vidéo est présentée au sein du Grand collage.

Il ne suffit pas de mettre en présence les pratiques antagonistes pour créer les conditions d’une coexistence plus ou moins pacifique, d’un vivre ensemble véritable ou d’une collaboration significative. Dans l’absence de disposition particulière, les différents modes d’action et d’identité se superposent en s’ignorant superbement, même au sein des institutions les plus ouvertes à la diversité du monde. Très influencé par la recherche menée avec l’équipe du Cefedem AuRA depuis 1990, notamment en collaboration avec Eddy Schepens, chercheur en Sciences de l’Éducation, Jean-Charles François, musicien et ancien directeur de cette institution, mène une réflexion sur la nécessité dans le cadre des pratiques improvisées de la présence de protocoles ou de dispositifs particuliers pour s’assurer qu’au sein d’un collectif hétérogène une démocratie vivante puisse avoir lieu dans l’élaboration de matériaux mis en commun.

L’improvisation est une pratique sociale. Le rapport entre l’individualité et le collectif est un des problèmes très présent dans la réflexion sur l’improvisation. Vlatko Kučan est un musicien improvisateur, compositeur, enseignant, thérapeute musical, qui travaille à la Musik Hochschule de Hambourg. En faisant appel à la psychanalyse, il tente de définir les obstacles qu’il convient de surmonter chez ceux et celles qui débutent dans la pratique de l’improvisation. Il base son exposé sur des citations d’improvisateurs très connus dans le domaine du jazz, qui tous font état de la nécessité d’oublier, au moment de la prestation sur scène, les connaissances durement acquises et de se laisser aller à des mécanismes relevant de l’inconscient ou du dépassement de la conscience de planification. Pour lui, trois catégories de murs se présentent : a) la conscience de soi, les psychodynamiques individuelles ; b) la dynamique de groupe ; c) la production du matériau, les attitudes vis-à-vis des idiomes et du langage musical.

Henrik Frisk, dans son article, aborde, lui aussi, longuement la question du rapport de l’individu avec les autres membres d’un groupe hétérogène, autour de la question de l’ego et de la liberté :

En se concentrant sur son propre droit à l’individualité, on peut finir par utiliser sa propre liberté pour prétendre contrôler la situation au détriment de la liberté des autres.

György Kurtag est un musicien et chercheur en musique électronique et expérimentale, coordinateur art/sciences au SCRIME de Bordeaux. Lui aussi fait référence à la psychanalyse par le biais de Daniel Stern. Sa pensée, en se concentrant sur le moment présent, met en jeu les rapports inconscients/conscients des connaissances implicites/explicites. L’improvisation peut être vue comme « un moment d’interaction intense parmi ceux qui n’apparaissent pas sans une longue préparation préalable ».

Yves Favier, musicien improvisateur et directeur technique, met l’accent sur l’incertitude du moment présent, sur la prise de conscience de ses instabilités fondamentales, sur l’importance des savoirs situés dans des contextes décentralisés et l’horizon des possibles/probables qu’ils suscitent à travers les dialogues intersubjectifs. Pour lui la notion de lisière est fondamentale (voir ci-dessous) : « … la lisière science/art faisant écotone… »

 

5. Partie III et V : Aspects politiques

La grande partie « Aspects politiques » a été partagée en deux (troisième et cinquième partie du Grand collage).

Les pratiques artistiques ne peuvent pas échapper aujourd’hui aux défis politiques posés par la multiplication des conflits, des murs (à la fois matérialisés et inscrits dans les mentalités), directement liés aux questions qui se posent quant à l’avenir de la planète et à celles liées à la mondialisation économique et culturelle. L’idée d’autonomie de l’art par rapport à la vie quotidienne et à la vie en société n’est pas forcément remise en cause comme force critique différente du politique, mais elle est fortement mise en tension par la nécessité d’adapter les pratiques artistiques aux réalités de la situation des humains présents sur un territoire donné. Dans ce cadre, il est certain que les rencontres interculturelles et les idées exprimées dans les deux premières parties (et de la quatrième partie), ne sont pas moins « politiques » que celles regroupées sous la rubrique des parties III et V, même si les contextes décrits restent fortement colorés par la notion d’espaces artistiques et culturels préservés des conflits externes, en envisageant en même temps une vie quotidienne bien différente que celle définie par la politique «  politicienne ».

Deux pôles coexistent et très souvent s’entremêlent dans la façon d’envisager aujourd’hui les rapports entre l’artistique et le politique. Dans le premier cas, l’activité artistique garde un certain degré d’autonomie envers les vicissitudes de la vie quotidienne et de l’organisation de la vie sociale. L’espace de création dans le domaine des arts est pensé comme alternatif au monde terre-à-terre et doit donner l’occasion au public de découvrir un univers rempli de nouveaux possibles. Cette approche implique des espaces dédiés à ces exigences, dont le caractère de neutralité doit être affirmé, même si toutes les contingences peuvent bien démontrer le contraire. Le statut de l’acte créatif est ici considéré comme indépendant des traditions et de toutes expressions esthétiques, qui deviennent alors récupérables en tant que matériau détaché de ses fonctions sociales. Le concert public, la scène professionnelle, les institutions d’enseignement qui y correspondent, restent ici les structures privilégiées, ce vers quoi toutes les actions sont orientées. La politique dans ce cadre-là s’exprime soit par le biais d’actions entreprises séparément du champ artistique, ou bien doit se manifester dans les messages textuels ou autres attachés aux œuvres présentées ou à travers une liaison entre performance et manifestations politiques.

Dans le deuxième cas, on porte une attention importante au fait que toute interaction sociale est l’expression d’une posture politique implicite ou explicite. Cela s’applique aussi aux situations où l’activité artistique se manifeste et s’élabore. L’accent n’est plus dès lors mis sur la primauté de la qualité de l’œuvre ou de la performance en laissant anonymes les moyens pour y parvenir, mais sur la manière avec laquelle les différents acteurs vont interagir et collaborer à la construction des objets artistiques. Le public en tant que tel peut être considéré comme partie prenante de cette interaction et être invité à participer dans une certaine mesure à cette élaboration. L’espace de la scène, du concert, des institutions d’enseignement qui y préparent, ne sont plus les éléments exclusifs qui dictent tous les moyens à mettre en œuvre. Les divers domaines de la médiation (enseignement, animation culturelle, accompagnement des pratiques, organisation et administration, etc.) deviennent des éléments majeurs dans le caractère politique des actes artistiques. Souvent, chez les personnes impliquées, il subsiste une forte distinction entre les prestations artistiques sur scène et les rôles de médiation, mais la jonction intime entre l’acte artistique et l’acte de médiation sociale devient de plus en plus une posture politique importante qu’on peut aujourd’hui observer dans notre société.

Malgré l’existence de murs tendant à séparer le monde du premier pôle (par rapport aux capacités à se produire sur scène) de celui du deuxième (par rapport à une remise en compte de l’exclusivité du concert sur scène, ou plus pragmatiquement par une difficulté à accéder à la scène), beaucoup d’artistes aujourd’hui oscillent allègrement entre les deux situations, changeant la spécificité de leurs postures selon les exigences des différents contextes particuliers qui se présentent à eux et elles.

Guigou Chenevier, parallèlement à ses activités de musicien, est engagé politiquement, notamment en menant des actions en faveur de l’accueil des migrants. Concernant les nombreuses personnes réfugiées qui se retrouvent sans abris dans la région où il habite, on peut constater l’absence de toute action des pouvoirs publics au niveau national et local, et aussi de la part des autorités du diocèse catholique, pour prendre en compte leurs problèmes de survie. Un collectif à Avignon s’est créé pour mener des actions en vue de pallier cette situation avec tous les moyens du bord à disposition. Dans sa démarche, Guigou Chenevier évite de mêler l’aide qu’il apporte à ces familles avec sa pratique artistique, parce qu’il lui paraît important de ne pas leur imposer d’emblée des postures culturelles qui leur sont étrangères. Par ailleurs, la logistique technique liée à la qualité des prestations auxquelles il participe lui semble aussi peu compatible avec le caractère plus spontané des manifestations politiques qui ont lieu la plupart du temps à l’extérieur. Cela ne l’empêche pas, comme on a pu le lire ci-dessus, de développer par ailleurs des projets artistiques dans lesquels les interactions sociales avec des groupes humains qui lui sont étranges-étrangers tiennent une place prépondérante.

Céline Pierre est une réalisatrice artistique dans les domaines de l’électroacoustique, le multimedia et la performance. Elle aussi s’est préoccupée de la situation très précaire des migrants se trouvant près de Calais avec l’espérance de pouvoir passer en Grande Bretagne. La pièce TRAGEN.HZ, dont on peut voir des extraits dans le Grand Collage, est constituée de « voix et vidéos enregistrées sur un campement de réfugiés à la frontière franco-anglaise et séquence de cris, altérations et itérations instrumentales et vocales enregistrées en studio ».

Pour Giacomo Spica Capobianco (déjà mentionné ci-dessus), la situation des populations habitant les quartiers défavorisés est en train de se dégrader très fortement par rapport aux trois décennies passées. L’accès aux institutions culturelles est très fortement remis en cause par plusieurs phénomènes :

  1. Lorsque les institutions sont à cheval entre deux secteurs, l’un riche et l’autre pauvre, la tendance est de refuser l’entrée à celles et ceux qui appartiennent au secteur pauvre, de refuser d’accueillir des projets qui s’adressent à ces populations.
  2. La création – grâce à des financements en faveur des quartiers défavorisés – d’institutions bien dotées d’équipement attirent les foules qui vivent à l’extérieur et par là excluent les populations locales qui ne se sentent pas concernées.
  3. Malgré l’ouverture de l’enseignement supérieur artistique à une diversité des pratiques, incluant les musiques populaires et urbaines, ceux et celles qui en sortent avec un diplôme ne se sentent pas concernés par les pratiques à développer là où il n’y a rien d’autre qu’une « zone de non-droit ».
  4. Le secteur de l’animation culturelle se trouve souvent en contradiction avec les actions menées par des artistes dans ces quartiers, car il y a une tendance à orienter les pratiques dans des directions qui ne favorisent pas l’expression personnelle des jeunes et tendent à les renforcer dans leur ghetto culturel.

Giacomo Spica est plus optimiste aujourd’hui vis-à-vis de la volonté de la représentation politique élue de s’adresser sérieusement aux problèmes sociaux et culturels liés à la pauvreté. C’est grâce à cette évolution dans les attitudes des politiques, qu’il arrive à mener des actions avec succès. Il préfère le terme de « fossé » à celui de « mur » : avec le fossé on est capable de voir ce qu’il y a de l’autre côté, alors que le mur est un obstacle au regard sur les possibles. Le fossé donne la possibilité d’observer une distance qu’on peut mesurer de manière réaliste et donc de mieux l’appréhender en vue de la réduire. Face à un mur, on est plutôt devant une surface infranchissable, le potentiel d’un ghetto.

Sharon Eskenazi (déjà mentionnée ci-dessus), dans ses projets autour de la création chorégraphique dans des logiques de rencontre entre les communautés, offre une vue plus optimiste sur le rôle que jouent les institutions culturelles locales. Une part importante de son action concerne à la fois la participation des jeunes à des créations au sein par exemple du Centre Chorégraphique National à Rillieux-la-Pape ou à la Maison de la Danse à Lyon, et l’attention centrale qu’elle porte à la rencontre dans la pratique de la danse. Toute une vie sociale se développe autour de ses projets (repas en commun, débats, accueil dans les familles, voyages en commun, etc.).

Gilles Laval (aussi mentionné ci-dessus) note un phénomène inverse d’incommunicabilité dans les institutions artistiques les plus prestigieuses : dans les temples de la musique classique, le langage utilisé dans les formes artistiques qui y sont non reconnues comme digne de considération n’a que peu de chance d’y être compris. Les langages liés aux pratiques qui s’inscrivent dans des réseaux autonomes deviennent des langues complètement étrangères les unes aux autres. Les mondes impénétrables de part et d’autre, sont appelés à s’ignorer de plus en plus.

Gérard Authelain, lorsqu’il était directeur du Centre de Formation des Musiciens Intervenants de Lyon, avait développé toute une série d’échanges avec les pays du Maghreb en vue d’organiser de part et d’autre de la Méditerranée des pratiques musicales s’adressant à tous et appropriées aux contextes des écoles de l’enseignement général. Depuis quelques années, il est allé régulièrement en Palestine pour aider au développement des pratiques musicales à l’école dans ce contexte politique particulier. Après chaque voyage, il a écrit une Gazette Palestinienne pour rendre compte de son action et de la situation dans laquelle vivent les personnes avec qui il a travaillé ou qu’il a rencontrées. Nous publions l’une de ces Gazettes, « À propos d’une question sur l’effondrement » (août 2018). Elle porte notamment sur le bombardement du centre culturel de Gaza et du désarroi que cet évènement suscite dans la population attachée à la présence des arts, du théâtre, de la culture, de la lecture dans leur vie quotidienne. Face à ce type de catastrophe absolue, Gérard Authelain se demande quel sens donner à son engagement : « Chaque fois, avant de partir et en arrivant de l’autre côté du mur en territoire occupé, l’interrogation est la même : quel sens cela a-t-il que je vienne, moi qui n’ai pas à subir ces injustices, ces mépris, ces conditions humiliantes et dégradantes ? » Pour lui la réponse à cette préoccupation consiste à constamment ré-envisager sa pratique de musicien intervenant, quel que soit l’endroit de l’exercice de cette profession, dans l’inconfort de l’inconnu que constituent les représentations et les attitudes des élèves à qui il faut faire face, non pour leur imposer des savoirs manufacturés, mais les aider à inventer leur propre personnalité.

Le pianiste américain Cecil Lytle a été le Provost du collège Thurgood Marshall à l’Université de Californie San Diego. Dans cette fonction très influente, pour répondre à la disparition en Californie des programmes de discrimination positive envers les minorités, il a créé sur le campus un lycée s’adressant exclusivement à des enfants issus de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec comme but – avec l’aide des ressources de l’université – de les faire réussir leur entrée dans les universités de prestige. Il a ensuite réussi à réunir les parents d’élèves d’un lycée à San Diego, dans un quartier défavorisé, pour élaborer le projet de le transformer en s’inspirant du lycée existant sur le campus. Cette action associant étroitement les habitants du quartier a abouti malgré les fortes réticences des autorités locales et ce lycée sert maintenant de modèle pour la transformation d’autres écoles aux États-Unis. Un des problèmes auquel il doit faire face, étant donné les succès rencontrés, est celui qu’il a lui-même vécu dans son adolescence : l’acquisition de la culture de l’élite (pour Cecil, il s’agissait du piano classique) entre en conflit direct avec la culture populaire du milieu d’origine.

 

6. Partie IV : Périple improvisé

La quatrième partie est centrée sur l’improvisation. Les contributions, qui en font partie, de Christoph Irmer, Vlatko Kučan, et György Kurtag ont déjà été mentionnées ci-dessus.

Le pianiste, improvisateur et artiste plasticien Reinhard Gagel a été à l’origine avec Matthias Schwabe de la création de l’Exploratorium Berlin. Ce centre en existence depuis 2004 se consacre à l’improvisation et à sa pédagogie, à l’organisation de concerts, de colloques, de publications et d’ateliers. Il a organisé de nombreuses rencontres entre les domaines de l’improvisation et de la recherche artistique portant sur des réflexions sur cette pratique musicale et sur les méthodes d’enseignement à proposer pour y parvenir. Par exemple, il a organisé en 2019 un symposium sur le trans-culturalisme dans le domaine de l’improvisation, les différentes manières d’envisager la rencontre entre musiciennes et musiciens issus de cultures très différentes, tel que c’est le cas dans une ville comme Berlin. Dans l’entretien avec Jean-Charles François, toutes les questions concernant cette idée de trans-culturalisme sont débattues. Par ailleurs, Reinhard Gagel se pose beaucoup de questions sur son enseignement à l’Université de Musique et d’Arts de Vienne s’adressant à des personnes issues de la musique classique : est-ce que l’improvisation est l’occasion de mettre en application des savoirs déjà acquis, transposés maintenant dans un contexte libéré des contraintes des partitions écrites ? Ou bien faut-il considérer l’improvisation comme une pratique ayant ses propres moyens pour envisager la création de nouveaux sons et de leur articulation dans le temps ? Dans le premier cas, on serait en présence d’une sorte de thérapie qui viendrait soigner les excès du formalisme excessif de l’enseignement classique et qui pourrait ouvrir la voie au plaisir d’une certaine liberté ou à une meilleure compréhension des enjeux créatifs de l’interprétation des répertoires. Dans le second cas l’improvisation serait considérée comme une pratique ayant des supports et des médiations très différentes de l’univers des partitions, surtout dans la manière d’envisager individuellement ou collectivement la production des sonorités.

Christopher Williams est un musicien américain vivant lui aussi à Berlin. Dans un entretien avec Jean-Charles François, il soulève le problème de la participation du public, de l’accès de tous et de toutes aux décisions des situations improvisées. Prenant modèle sur l’action de l’architecte américain Lawrence Halprin, auteur des RSVP Cycles (R pour Resources, S pour Scores/partitions musicales, V pour Valuaction, P pour Performance) et des contradictions qui sont inhérentes à ses projets d’architecture développés avec la participation directe des populations locales. En effet, à la fin de ces projets, les promoteurs immobiliers (et aussi peut-être les promotrices ?) n’ont pas manqué de récupérer et de modifier ces projets à des fins de profits commerciaux. Williams reste assez sceptique sur les réalités de telles démarches participatives dans le domaine des pratiques artistiques. Pour lui l’improvisation n’est pas éloignée des logiques de la composition, où une personnalité impose ses manières d’envisager les choses. Par exemple, l’improvisation peut parfaitement s’accommoder d’une dialectique entre un compositeur et un groupe d’instrumentistes. Par ailleurs dans cet entretien, il parle de la manière avec laquelle il envisage les séries de concerts qu’il organise à Berlin autour de la rencontre de groupes très différents et en y invitant aussi des publics diversifiés. Par rapport à ce travail de curator, il est très critique du fait que l’organisation de concerts est trop souvent dominée par des personnes non impliquées dans les pratiques musicales qui constituent la raison d’être des lieux qu’elles contrôlent. Il souligne l’importance d’initiatives locales développées avec les moyens du bord par des collectifs qui sont proches des productions matérielles de ceux et celles qui sont invitées à y participer. Les murs d’incompréhension qui souvent séparent le secteur de l’organisation de concerts et celui des pratiques musicales effectives sont ainsi remis en cause.

 

7. Les lisières

En avril 2019, György Kurtag est venu à Lyon (en visite de Bordeaux) pour préparer avec Yves Favier les rencontres du CEPI, le Centre Européen Pour l’Improvisation, créé à l’initiative de Barre Phillips. Cette année-là, les rencontres du CEPI ont eu lieu en septembre à Valcivières en Haute-Loire, deux membres de PaaLabRes y ont activement participés, Jean-Charles François et Gilles Laval. Le 26 avril 2019 a eu lieu à Lyon une rencontre entre György Kurtag, Yves Favier (alors directeur technique de l’ENSATT), et les membres du collectif PaaLabRes, Jean-Charles François, Gilles Laval et Nicolas Sidoroff. Le format de cette rencontre a été d’alterner des moments d’improvisation musicale avec des discussions au départ du parcours des différents participants.

Pendant cette rencontre, Nicolas Sidoroff a proposé de travailler sur le terme de « lisière » pour réfléchir à la manière de faire tomber les murs. Il a été décidé ensuite de développer une sorte de « cadavre exquis » autour du concept de « lisières », chacun des participants écrivant des textes plus ou moins fragmentés en réaction aux écrits qui s’accumulaient petit à petit. En outre les cinq personnes avaient aussi le droit de proposer des citations de textes en liaison avec cette idée de lisières. C’est ce processus qui a donné lieu, dans le Grand collage (la rivière) de cette édition « Faire tomber les murs », à 10 collages (L.1 – L.10) de tous ces textes accompagnés de musiques, de voix enregistrées et d’images, avec en particulier des extraits de l’enregistrement des improvisations réalisées lors de cette rencontre d’avril 2019.

La référence à la définition du mot « lisière » est empruntée à Emmanuel Hocquard et son travail sur la traduction. Par exemple, voici ce qu’il écrit dans son livre Le cours de Pise développé en lien avec ses ateliers d’écriture à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux :

La lisière est une bande, une liste, une marge (pas une ligne) entre deux milieux de nature différente, qui participe de deux sans se confondre pour autant avec eux.

(Paris : P.O.L., 2018, p. 61)

La notion de lisière est plus intéressante que celles de mur et de frontière qui séparent abruptement des entités différentes. Elle permet d’envisager à la fois la spécificité des mondes entre lesquels elle se place et de les combiner dans son espace de transition. La lisière a sa vie propre, qui procède de l’écologie de deux mondes en interaction.

L’idée de lisière prolonge les concepts de créolisation chez Édouard Glissant, de métissage chez François Laplantine et Alexis Nouss, d’écotone dans le domaine de la biodiversité improvisée chez Yves Favier, de « écosophie » chez Felix Guattari, de bricolage selon Claude Lévi-Strauss, de kairos, ce « moment intense d’interaction » selon Daniel Stern, de la peau chez Jean-Luc Nancy, etc.

Le refus d’appartenir à une seule et unique identité, afin de pouvoir assumer tour à tour des rôles différents dans plusieurs contextes, tout en restant attaché à la somme des allégeances qui constitue sa propre personnalité, est un élément important dans le choix de la notion de lisière pour faire face à des conflits identitaires. (Voir les textes d’Aleks A. Dupraz et de Nicolas Sidoroff dans le collage et la maison « Lisières ».)

Pour Jean-Charles François, la pensée des lisières paraît appropriée à notre monde éclaté en groupuscule, mais peut faire aussi l’objet d’une dérive qu’on qualifierait de « tourisme intellectuel ». En mettant l’accent sur les lisières qui enserrent ou séparent les pratiques, l’approfondissement de ces dernières risque de passer au deuxième plan au profit de l’illusion d’un espace de médiations infinies sans contenu. La biodiversité des lisières dépend directement de la présence de germes dans les champs qu’elles bordent.

Selon Michel Lebreton, « les lisières sont les endroits des possibles ». Pour Yves Favier, « l’improvisateur serait un passeur ». Emmanuel Hocquard : « Les lisières sont les seuls espaces qui échappent aux règles fixées par les grammairiens d’État ». Pour Gilles Laval, on est en présence de « l’instantané non figé à l’instant ». Pour Nicolas Sidoroff, « je dirais aussi : créer du possible. »

 

8. Conclusion

En lançant le projet d’édition autour de l’idée de « Faire tomber les murs », nous n’avions pas anticipé un tel foisonnement d’idées, de débats et de pratiques correspondantes. Cela montre sans doute que ce sont des questions absolument cruciales dans les manières d’envisager aujourd’hui les pratiques et recherches artistiques, mais cela veut peut-être aussi dire que c’est un concept « passe-partout » qui risque de manquer d’une substance clairement établie.

En ouverture de cet éditorial, nous avons mentionné la question de l’écologie des pratiques. Cette édition fait apparaître la nécessité de lui adjoindre une écologie des attentions au sens que lui donne Yves Citton (Pour une écologie de l’attention, Paris : Le Seuil, 2014). Ce qui pose question, c’est la nécessité de porter une attention fine aux personnes certes, mais aussi aux objets, aux outils, aux dispositifs, aux choses, aux explicitations, aux imaginaires, aux mots et aux concepts, etc. Ainsi, il est sans doute possible de pratiquer des ouvertures en jouant contre les murs, avec à la fois le contre de l’expression « serrer contre » (le mur qui abrite et qui fait refuge) et de celui de « lutter contre » (le mur qui exclut et met dehors). Est-il possible d’habiter collectivement des lisières, sans s’empêtrer dans des lisiers ?

En tout cas, il ne faut pas regretter le processus que cet appel a suscité. C’est bien là la raison du temps très long qui a été nécessaire à la complétion de cette édition. Mais entre le moment de l’appel à contribution et celui de la publication effective, l’emmurement du monde a continué de manière inquiétante entre les angoisses du réchauffement planétaire et des catastrophes naturelles qui en découlent, le confinement des sociétés face à un virus imprévisible, et l’affirmation de plus en plus généralisée d’aberrantes contre-vérités en vue de disqualifier ceux qui nous entourent.

Il faut souhaiter que cette édition puisse donner des pistes de travail et de réflexion fécondes dans le domaine des pratiques artistiques – et bien au-delà ! – à toute personne prête à continuer à résister à la sinistrose ambiante et à œuvrer pour laisser ouverts les mécanismes démocratiques du faire-ensemble.

Le collectif PaalabRes : Samuel Chagnard, Jean-Charles François, Laurent Grappe, Karine Hahn, Gilles Laval, Noémi Lefebvre, Pascal Pariaud, Nicolas Sidoroff, Gérald Venturi.

Réalisation de l’édition « Faire tomber les murs » : Jean-Charles François et Nicolas Sidoroff, avec l’aide de Samuel Chagnard, Yves Favier, Gilles Laval et Pascal Pariaud.

Traductions : Jean-Charles François. Merci à Nancy François et Alison Woolley pour leurs relectures des traductions en anglais. Remerciements à Gérard Authelain, André Dubost, Cécile Guillier et Monica Jordan pour leurs relectures des textes traduits de l’anglais en français.

Remerciements à Ben Boretz, Vlatko Kučan, György Kurtag, Michel Lebreton et Leonie Sens, pour leurs retours constructifs et leurs encouragements.

 

Michel Lebreton

Access to the English translation :
English

 


 

Murailles et lisières traversant
le temps et l’espace du conservatoire

Michel Lebreton

Sommaire

1. Espaces clos… temps immobile / Espaces ouverts… temps des possibles
2. Paroles suspendues, paroles retrouvées
3. Lisières
4. Il suffit de passer le pont
5. Co-construction
6. Un être parlant, un être social
7. Une maison des musiques
8. Le pas de côté

1. Espaces clos… temps immobile / Espaces ouverts… temps des possibles

La muraille. Elle s’impose par sa masse, sa capacité à délimiter une frontière. Elle induit une permanence dans l’espace, une fixité, une impression d’intemporalité qui concourt à l’oubli de sa présence. Nous pratiquons, nous pensons dans l’ombre de murailles. Elles donnent un cadre, et donc un périmètre, permettant d’organiser nos activités. Mais à parcourir toujours les mêmes plans,  les mêmes volumes, elles nous apparaissent bientôt, dans une illusoire évidence, parées d’intemporalité. Elles nous mettent en bouche des aphorismes tels que : « on a toujours fait comme ça ! », « de tous temps… », « il est évident que… »… qui sont autant d’expressions qui les cimentent encore davantage. Et qui découragent le débat, puisque… l’on a toujours fait comme cela.

Les murs le long de la frontière américano-mexicaine tentent d’enfermer les mexicains dans leur pays. Ils enferment, dans un mouvement parallèle, les américains dans une enclave que certains souhaitent protectrice. Il y a un désir de muraille qui va de pair avec une peur de l’altérité malencontreusement liée à un besoin de sécurité.

Une muraille est faite pour défendre. C’est donc qu’une attaque est redoutée. Le mur d’Hadrien se dresse contre la menace d’invasions barbares. Mais au fil du temps, il est délaissé, les soldats abandonnant leurs postes pour s’établir paysans aux alentours. Il devient une réserve de pierres pour construire maisons, églises… La muraille devient ici matière à d’autres pratiques. Celles-ci ouvrent sur de nouveaux espaces.

Comment ouvrir espaces et temporalités, quelles pratiques développer qui permettent de percevoir la muraille et d’oser sortir de son ombre, de laisser cette sécurité illusoire, de mettre les peurs en suspension? Et de mettre en lumière les évidences assénées par les pouvoirs en place?

 

2. Paroles suspendues, paroles retrouvées

J’ai eu l’occasion de prendre en charge un atelier d’écriture à destination d’étudiants de l’ESMD (Ecole Supérieure Musique et Danse Hauts de France) avec l’objectif de les aider dans la rédaction de leurs mémoires. La toute première séance a révélé un désarroi chez certains de ces étudiants, tous adultes et ayant un poste d’enseignement et de l’expérience. Leurs premières réactions furent: « Je n’ai rien à raconter », « Je fais cours, c’est tout », « Il ne se passe rien d’extraordinaire dans mes cours »… Ils renvoyaient des réponses fermées et coupant court à toute perspective de questionnement. Plus encore, ils affirmaient de façon sous-jacente qu’il n’y avait rien à observer, banalisant ainsi leurs pratiques d’enseignement, pratiques dont nous devions découvrir par la suite les nombreux pôles d’intérêts.

Afin de dépasser cet état de fait, j’ai fais appel à des expériences hors du cadre des conservatoires. Des expériences mettant en jeu leurs capacités à accompagner, aider, éduquer mais dans un contexte où ils ne soient pas évalués par le prisme du musical.

Pour l’une, ce fut une série de remplacements en milieu hospitalier qui l’ont amenée à pratiquer le travail en équipe, l’écoute des patients, la résolution de conflits… démarches qu’elle a pu par la suite décrypter dans sa pratique enseignante. Pour une autre ce fut d’apporter une aide auprès de sa sœur qui était en difficulté pour une épreuve de baccalauréat. Cette dernière était en demande et cela se passa facilement. Le frère avait les mêmes difficultés mais était réticent face au travail scolaire, de surcroit chapeauté par sa grande sœur ! Celle-ci ne trouva pas de situations opératoires mais réalisa plus tard, lorsque son frère se réorienta avec succès dans une branche différente et qui lui plaisait, que la motivation ne s’enseigne pas mais (je cite un extrait de son mémoire) « que le rôle d’un enseignant est de développer des situations ouvertes au plaisir d’apprendre (manipuler, explorer, construire…) afin que la motivation puisse advenir, s’accroitre ». Pour une troisième enfin ce fut une expérience d’auxiliaire de vie scolaire auprès d’enfants autistes avec pour objectif une intégration dans le cursus scolaire standard. Elle indique dans un de ses écrits : « Cette expérience d’une année est très certainement la plus marquante et une des plus belle de ma vie, j’ai compris l’importance de se faire accepter sans attendre quoi que soit en retour, j’ai une autre vision de cette maladie et surtout  j’ai pu acquérir un certain nombre de compétences… » (S’ensuivent des compétences telles que patience, curiosité, capacité d’adaptation, écoute de l’autre…).

Ces récits qu’elles ont couchés sur le papier et qu’elles ont échangés, discutés, ont joué le rôle du révélateur photographique. Elles s’y sont vues actrices de situations d’accompagnement, parfois d’enseignement. La parole s’est faite plus facile, le désir d’écoute s’est davantage affirmé. Et avec ces situations, la certitude « qu’il se passe quelque chose ». Et que cela mérite d’être conté, observé, analysé. Ce regard ethnographique s’est emparé de la sphère professionnelle. Elle est devenue source d’autres récits, également échangés, discutés, analysés. Chacune d’entre elles avait commencé à contourner la muraille des évidences pour commencer à assembler les pierres des possibles. Et se réapproprier le temps et l’espace de leurs expériences en en évoquant les épaisseurs et mouvances humaines. Sur quels terrains s’engage-t’on alors pour faire advenir ces mises en lumières ?

 

3. Lisières

La lisière est une bande, une liste, une marge (pas une ligne) entre deux milieux de nature différente, qui participe des deux sans se confondre pour autant avec eux. La lisière a sa vie propre, son autonomie, sa spécificité, sa faune, sa flore, etc. La lisière d’une forêt, la frange entre mer et terre (estran), une haie, etc. Alors que la frontière et la limite sont des clôtures, la lisière sépare et réunit en même temps. Un détroit est une figure exemplaire de lisière : le détroit de Gibraltar sépare deux continents (l’Afrique et l’Europe) en même temps qu’il fait communiquer deux mers (Méditerranée et océan atlantique).
Emmanuel Hocquard, Le cours de PISE, POL, Paris 2018, page 61.

Les lisières sont les endroits des possibles. Les limites n’en sont définies que par les milieux qui les bordent. Elles sont mouvantes, sujettes à érosions, sédimentations: elles n’ont rien de l’évidence. Enseignants et apprenants, tous deux habités d’expériences musicales nourries de leurs parcours respectifs, se retrouvent de prime abord évoluant dans les sols souples des lisières. Ils ne se connaissent pas mais se réunissent autour d’un objet « musique » qu’il conviendrait d’ailleurs d’écrire au « singulier – pluriel » : la Musique – mes musiques / Les musiques – ma Musique. L’enseignant s’est construit au fil du temps un paysage où les représentations sociales et donc musicales se sont construites et édifiées plus ou moins solidement, plus ou moins en conscience (par exemple, « qu’est ce qui est ‘musique’ ? », « qu’est ce qui fait le ‘musicien’ », « qu’est ce qu’enseigner ? », « quelle est la place de l’élève dans ce processus ? »…). L’apprenant vient également avec un bagage de représentations sociales et musicales.  Mais lorsqu’il pénètre pour la première fois dans ce lieu appelé « Conservatoire », les premières lui rappellent qu’il entre dans « un haut lieu d’expertise » et les secondes que les musiques enseignées y sont majoritairement « des grandes musiques ». Il est à la fois disponible, motivé et sur la réserve, éventuellement impressionné. Il est dans les lisières, terrains inconnus, mais attirants, pour y concrétiser ses désirs (tout au moins on l’espère). En l’occurrence, la pratique d’un instrument dans la plupart des cas. La question est alors : l’enseignant va-t-il le rejoindre dans ces lisières mouvantes, mais seul terrain qui les réunit à ce moment premier ? Et tenter de débroussailler un espace et un temps commun d’apprentissage mutuel ? Ou va-t-il emmener l’apprenant à l’ombre de sa muraille afin d’y dérouler un programme prédéfini et solidement maçonné ? Va-t-il laisser les barrières ouvertes aux vagabondages et bricolages[1], allant même jusqu’à les encourager ? Ou va-t-il circonscrire toutes pratiques à l’enclos qu’il a construit au fil du temps?

Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.
Marcel Proust, La Prisonnière, page 762.

Dans une reformulation très réductrice de ma part (pardon aux Marcels), à tout le moins mettre à jour « sous les pavés, la plage! ». Car à quoi bon être en présence d’autres paysages sonores si nous les plions inlassablement à notre habitus ? Créons plutôt des situations ouvertes à nos imaginations, lisières propices à passer les objets étranges au sein d’échanges improbables. Laissons une part d’improvisation dans les « faire de la musique », ou encore les « construire collectivement des échafaudages sonores », ainsi que les « tenir atelier ouvert ». Ouvrir les yeux autres qui sont en nous et tout cela par le pouvoir de la confrontation et de l’échange avec l’autre.

 

4. Il suffit de passer le pont

La rencontre de musiciens autour de pratiques ouvertes (exemple: « dans le groupe, chacun prendra la parole en réaction à ce qu’il perçoit des autres propositions: en complément – aller vers- ou en opposition -s’éloigner- ») et d’objets peu ou pas connus (ex: « accumulons des nappes sonores par timbres de plus en plus granuleux ») met en jeu des relations aux objets et aux sujets qui différent de ceux développés dans une formation qui se centre encore souvent sur de l’interprétation de répertoires esthétiquement repérés. Les comportements, savoir-faire habituels ne se suffisent plus pour participer aux récits sonores que l’on est appelé à construire, seul ou en groupe. Il y a alors deux voies possibles : sauter dans le train en partance sans en connaître l’itinéraire et faire advenir un nouveau récit ou laisser passer le train (certains peuvent même être tentés de le dynamiter !).

Une telle situation s’est révélée lors d’un projet avec un ensemble de cordes (huit violonistes et trois violoncellistes). Il s’agissait, dans un premier temps, de mettre sur pieds un répertoire de musiques traditionnelles à danser issues du Berry ainsi que de compositions dans le style. L’approche de ces répertoires, inconnus des musiciens en présence, se faisait par le chant et la danse; s’ensuivait la transposition par oralité sur instruments et en petits groupes. Les musiciens étaient invités à chercher collectivement cette transposition, puis à confronter leurs trouvailles en grand groupe. Des jeux d’improvisations sur la quinte de structure et les bourdons de certaines mélodies complétaient cet atelier. Précisons que la technicité requise pour l’interprétation était acquise par tous les participants.

L’une des musiciennes âgée de 16 ans était sur la réserve et ce à la fois sur le fait de danser et sur celui d’improviser sur les règles proposées (elle avait déjà pratiqué de l’improvisation sur grille harmonique mais dans un autre cadre). Elle était venue s’inscrire à un cours d’ensemble à cordes et s’attendait à travailler du répertoire « classique » alors qu’une information avait été faite, définissant le projet particulier de cet atelier. Mais là où elle s’attendait, en dépit de la présentation du projet, à travailler en ensemble des œuvres écrites dans le but de les interpréter collectivement sous la direction du professeur de cordes, elle s’était retrouvée dans une logique d’atelier où chacun est appelé à bricoler. Ajoutons le peu de « prestige » apparent des matériaux proposés: simplicité apparente des mélodies, improvisation sur cinq notes, accompagnements basés sur des bourdons rythmiques, danse populaire au pas répétitif au premier abord… ainsi que le fonctionnement proposé: travaux et recherches collectives, confrontations et débats sur les trouvailles, recherche d’une construction collective finale… qui l’ont rebutée. C’étaient là autant d’éléments qui déplacent les enjeux plus habituels tels que se confronter à des répertoires ardus et prestigieux et se fondre dans  un jeu et un son d’orchestre avec pour références de nombreux enregistrements professionnels. Je n’ai pas réussi à l’aider à questionner cet état de fait, elle n’a pas souhaité échanger avec moi.

 

5. Co-construction

C’est le statut même du musicien apprenant/enseignant qui est ici en jeu.

Ce musicien apprenant est il à même d’enfiler différentes peaux (interprète, improvisateur, orchestrateur…), différents scénarios (orchestre, musique de chambre, groupe de musiques actuelles, soliste…) et différentes esthétiques comme il le ferait en fouillant librement la malle aux vieux vêtements dans le grenier de ses grands parents pour jouer à être un autre ?

Ce musicien enseignant est il en volonté et capacité d’accompagner cet apprenant afin que ces peaux n’en fassent plus qu’une, souple et adaptable aux choix et nécessités du moment ; que ces scénarios soient autant de mises en relations humaines et musicales variées ; que ces esthétiques soient des occasions de humer les diversités culturelles ?

Cet apprenant est il à même d’accepter qu’un cours repéré comme ensemble à cordes soit le lieu de ces différents cheminements ?

Cet enseignant est il à même de créer les conditions pour que cela advienne ?

Il est ici important de prendre en compte plusieurs aspects qui façonnent la tradition des conservatoires. Ils nous permettront de mieux définir le bâti et son architecture à un moment où il tente de se redéployer en regard de l’évolution de la société française. Les quelques remarques ci-dessous sont à prendre en compte pour qui veut traverser les murailles.

Ces murailles…

… sont en partie dans l’institution qui cloisonne plus ou moins différents territoires en « cours », « orchestre », « musique de chambre », « pratiques collectives »… et permet / empêche, plus ou moins, que les enseignants et les apprenants avancent, selon les projets, par porosité entre les différents statuts du monde musical occidental.

Elles sont aussi en partie dans la segmentation des enseignements qui a cours dès le collège et nous renvoie à une conception de la formation construite comme une succession de domaines de connaissances que l’élève parcourt d’heure en heure: un gigantesque open-space parsemé de cloisons à mi hauteur qui isolent tout en laissant filtrer un brouhaha institutionnel qui peine à faire sens.

Elles sont dans la représentation dominante de l’enseignement en conservatoire qui focalise le parcours d’apprentissage sur l’instrument et son professeur et conçoit les pratiques collectives de groupes comme une mise en œuvre de ce qui est appris dans le cours instrumental. Un supplément en quelques sortes.

Elles sont également incluses dans la division du travail qui s’est développée depuis le XIXe siècle et l’hyperspécialisation qui lui a fait suite jusqu’à aujourd’hui: à chacun sa place et sa tâche.

Elles sont enfin dans la relation enseignant-apprenant qui est imprégnée de cette structuration de la société.

Cloisonner, segmenter, diviser… l’organisation et les pratiques dans les lieux de formation, dont les conservatoires, sont encore traversées par ces constructions plus ou moins closes. La création des départements, pour prendre cet exemple, n’a fait que déplacer cette réalité dans un cercle un peu plus grand, mais entre partenaires de même famille se structurant sur les mêmes fondements. Nombre de réunions de départements sont d’ailleurs axées sur le choix des répertoires à jouer dans l’année à venir, sans que ces choix ne soient la conséquence d’un projet plus global centré sur les musiciens apprenants, territoires à explorer et qu’il convient de peupler de musiques.

 

6. Un être parlant, un être social

Les murailles délimitent un terrain et permettent de se développer dans un cadre protecteur. Elles enferment également à la mesure des règles qui régissent la vie individuelle et collective sur ce terrain. Les lisières sont ces brèches en friche, ces landes ouvertes aux expérimentations non prévues par les régulations des jeux emmurés. Elles peuvent dérouter mais aussi devenir des terrains riches de plantations variées et cultivées collectivement. Et là est l’une des clés permettant de reconsidérer les buts et organisations de l’enseignement : la parole exprimée et partagée collectivement, mise au service d’expérimentations et de réalisations de projets individuels et de groupes. Une parole acceptant de livrer aux regards des autres ce qui fait sens dans les pratiques de chacun. Une parole accueillie dans le respect des convictions de chacun et dans le projet de construire un projet d’établissement qui ne soit ni l’addition de projets personnels ni l’empilement de projets de départements. Une parole qui laisse entendre que l’enseignant ne sait pas tout et que la coopération est nécessaire pour construire.

Florence Aubenas, journaliste, a recueilli des paroles souvent inaudibles. En voici un extrait paru dans un article du journal Le Monde du 15/12/2018 sous le titre « Gilets jaunes : la révolte des ronds-points » :

Depuis des mois, son mari disait à Coralie : « Sors de la maison, va voir des copines, fais les magasins. » Ça a été les « gilets jaunes, au rond-point de la Satar, la plus petite des trois cahutes autour de Marmande, plantée entre un bout de campagne, une bretelle d’autoroute et une grosse plate-forme de chargement, où des camions se relaient jour et nuit…
…L’activité des « gilets » consiste ici à monter des barrages filtrants. Voilà les autres, ils arrivent, Christelle, qui a des enfants du même âge que ceux de Coralie, Laurent, un maréchal-ferrant, André, un retraité attifé comme un prince, 300 chemises et trois Mercedes, Sylvie, l’éleveuse de poulets. Et tout revient d’un coup, la chaleur de la cahute, la compagnie des humains, les « Bonjour » qui claquent fort. Est-ce que les « gilets jaunes » vont réussir à changer la vie ? Une infirmière songeuse : « En tout cas, ils ont changé ma vie. »
Le soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça. Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Il le lui a dit. Un soir, ils ont invité à dîner les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé le mari. Coralie distribue des tracts aux conducteurs. « Vous n’obtiendrez rien, mademoiselle, vous feriez mieux de rentrer chez vous », suggère un homme dans une berline. « Je n’attends rien de spécial. Ici, on fait les choses pour soi : j’ai déjà gagné. »

 

7. Une maison des musiques

« On fait les choses… ». Voilà une situation de départ prosaïque, complexe mais prometteuse : un groupe de musiciens (apprenants et enseignants) et qui agit (se rassembler pour un projet commun). Un terrain d’expression (rond-point ou conservatoire). La mise en route du projet par une démarche de co-construction qui redessine les parcours. Situation semée d’embûches mais mobilisante.

Sensoricité, interprétation, variabilité et improvisations invitent à créer un enseignement par ateliers pris en charge par des collectifs d’enseignants à géométrie variable. Ils peuvent s’appuyer sur l’expression vocale et corporelle par des règles collectives insistant sur l’intention partagée dans la production sonore. L’apprentissage du code écrit peut s’intégrer dans la séquence « imitation, imprégnation, transfert, invention » comme un outil complémentaire ouvrant, notamment à la composition. Celui de l’instrument est traversé par des face à face et des travaux de groupes…

 

8. Le pas de côté

C’est la deuxième année (2018 et 2019) que je propose un stage de 2 jours et demi à des étudiants en CEPI [Cycle d’Enseignement Professionnel Initial] des Hauts de France. Cette année, huit musiciens se sont réunis, dont certains déjà venus l’année précédente. Venant de pratiques des musiques actuelles amplifiées, classiques et jazz, ils ont écouté des collectes de chants traditionnels du Berry et du Limousin enregistrés entre les années 60 et 80. De simples monodies chantées dans une cuisine, à la maison par des gens du pays, des paysans. Pas d’harmonies ni d’accompagnements. Seulement des voix qui sculptent à leur manière des mélodies aux tempéraments et inflexions inconnues de ces jeunes musiciens.

Entre le relevé à l’oreille, le chant par imitation, le transfert sur l’instrument et les règles d’improvisations proposées par mes soins, une énergie constante s’est déployée. Le plus bel exemple à mes yeux étant l’intensité avec laquelle ils se sont investis dans la réalisation de « bourdons vivants ». De notes tenues mécaniquement sur les 1er et 5e degrés, ils sont peu à peu passés à un écosystème accueillant les variations de timbres, le passage du continu à l’itératif, les entrées et sorties par variations d’intensités… et tout cela dans une belle écoute collective. Ces bourdons portent les improvisations et l’on serait tenté de les prendre pour quantité négligeable. Ce ne fût pas le cas, une conscience collective émergeante leur ayant offert un territoire à habiter. Ils en sont tous ressortis avec la sensation d’avoir vécu une expérience individuelle par la grâce du groupe et une expérience collective par la présence active de chacun.

Je vous laisse sur quelques extraits de leurs improvisations : il ne s’agissait évidemment pas de se former à l’interprétation des musiques traditionnelles du Berry ou du Limousin, mais plutôt de se saisir de caractéristiques de ces musiques et d’autres pour explorer d’autres voies d’improvisations.

Un paysage sonore, inséré dans un conte plus long, termine la vidéo. Il est mis en jeu par les musiciens d’un ensemble à cordes pris en charge par une professeure de violon classique, Florence Nivalle. Nous avons proposé, en plus d’autres parties du conte, de se pencher sur la musicalité d’une forêt :

      • Écoute d’un enregistrement en forêt et échanges.
      • Écoute dirigée. Repérer s’il y a:
            – une trame permanente dans le paysage ;
          – des événements répétés avec plus ou moins d’espacements ;

– des événements marquants, en rupture.

  • S’approprier ces éléments par une imitation vocale. Définir des caractéristiques du son.
  • Transposer cela sur son instrument en ne retenant que les enveloppes et textures du son et en laissant de côté l’imitation.

La trame (sauterelles) est jouée/chantée tutti. Les événements répétés (moustiques et bruits d’animaux dans les fourrés) sont pris en charges par plusieurs duos (un moustique et un fourré). Quelques oiseaux apparaissent, solitaires. Des démarches de déplacements sont inventées par chaque duo pour amener la production sonore. Les deux productions sont au choix, tuilées, juxtaposées ou avec une respiration intercalée.

Il est à noter qu’une violoniste, Clémence Clipet, étant à la fois en formation de violons classique et trad. a été sollicitée par Florence et moi-même pour transmettre la bourrée finale avec les coups d’archet. Nous en sommes à 13 séances au moment où cette première restitution s’est déroulée. Et le premier bilan est très positif : tous les participants ont le sentiment de construire un véhicule pour un voyage à inventer.

Enfin, un ensemble de cornemuses de cycle 1 (2 à 4 ans de pratiques selon) nous a proposé un jeu d’improvisation se basant sur un relais entre les deux premières incises d’une bourrée : SOL la si DO et RE mi FA. Le passage se fait en tuilage. Un jeu simple mais qui a mobilisé chez chacun une énergie et une concentration parfois insoupçonnées. Une découverte « engageante » pour la plupart.

Michel Lebreton, mars 2019

 


 

1. « Le bricoleur est celui qui utilise des moyens détournés, obliques, par opposition à l’homme de l’art, au spécialiste. Le travail du bricoleur, à la différence  de  celui  de  l’ingénieur,  se  déploie  dans  un  univers  clos,  même  s’il  est diversifié. La règle est de faire avec les moyens du bord. Le résultat est contingent, il n’y  a  pas  de  projet  précis,  mais  des  idées-force  :  “ça  peut  toujours  servir,  ça  peut fonctionner”.  Les  éléments utilisés  n’ont  pas  un  emploi  fixe,  encore  moins  prédéterminé : il sont ce qu’ils sont, à cet instant-là, tel qu’il est perçu, désiré, en relation avec  d’autres  éléments,  opérateur  d’une  opération  particulière.  Pour  le  bricoleur,  un cube de bois peut être cale, support, socle, fermeture, coin à enfoncer, etc. Il peut être matière  simple  ou  instrument,  son  utilité  dépend  d’un  ensemble.  L’adéquation  d’un bricolage peut évoquer le hasard objectif des surréalistes. »
Ruse et bricolage (Liliane Fendler-Bussi)