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INTER MUROS

Une approche qui déconstruit la pratique d’interprétation de la pièce de John Cage, Four,
en se focalisant sur l’indécidable, l’interpénétration virale et la fusion des domaines.

Clare Lesser

Traduction de l’anglais: Jean-Charles François

Sommaire

Murus
John Cage – Four
Four⁶ – ART : Abu Dhabi, avril 2018
Pharmakoi
… commencer et finir à des points particuLiers de tEmps…

Références

 


Murus

Murus, maceria, moerus, mauer, mur…

Emmuré, mural, au bord…

… mur cellulaire, mur de prison, mur-rideau, mur d’enceinte de la ville…

…mur de soutènement, mur du port, mur de séparation, mur de liaison…

…clôture, partition, écran, séparateur, mur mitoyen, panneau, cloison…

…abris, garde, le mur du jardin, barrage, fortification…

…mur porteur, revêtement décoratif, Four Walls…

…déjanté, hors les murs… 

…mûre, mûr…

… travail de sape…

… avec/sans fondations…

Les murs, choses bien compliquées, et si l’on poursuit cette ligne de pensée, qui sait où cela va nous mener ? Peut-être va-t-on tomber à la renverse, cul par dessus tête … ou bien s’écraser contre le mur ?

Avant de faire sur le champ tomber les murs, il convient plutôt de considérer ce que cela pourrait signifier d’être entre les murs ou à l’intérieur des murs, de les questionner, de se confronter aux fragments de ciment et de sable du mortier qui les composent, de faire un peu trembler leurs fondations, sans doute. Mais comment procéder pour lancer ce processus ? La déconstruction semble être un bon point de départ ; en examinant les jointures, les chaînages d’angle… en pénétrant le tissu même de la question, en initiant le processus d’interrogation, d’affaiblissement, du ‘peut-être’. Donc essayons d’ouvrir nos yeux et nos oreilles au déroulement de la déconstruction à l’intérieur de chaque domaine et à travers les domaines, en s’inspirant de l’œuvre de Derrida et de Bernard Tschumi (je pourrais aussi bien faire appel à Simon Hantaï et Valerio Adami), en se concentrant sur deux terrains d’intérêts : le pharmakon (et l’indétermination) et le virus.

Il y a un certain nombre de contradictions ou d’oppositions qui apparaissent dans la liste d’ouverture  (abris/prison, mur de liaison/mur de séparation, mur porteur/revêtement décoratif). Les murs peuvent apparemment occuper simultanément deux ou plus de fonctions antagonistes, et dans ce cas, ils peuvent être considérés comme des pharmakoi. Considérons alors une œuvre de ‘musique’ dans laquelle ces murs, ces pharmakoi, ces possibilités de saper les fondations et de dissoudre les frontières, ces contradictions apparentes et ces bordures floues, ces exemples d’aporia (ou de perplexité), font partie intégrante de son interprétation, et dans laquelle l’instrumentiste créateur (le ‘joker’) peut s’adonner à déconstruire ou à pousser les ‘règles’ (les murs) du ‘jeu’ au point de rupture.

John Cage – Four

Four (1992) pour quatre performers, plutôt que ‘musiciens’ ou ‘interprètes’ spécifiquement, ou plutôt, disons qu’il s’agit de quatre ‘performers’ sur la couverture de la partition et de quatre ‘interprètes’ sur les parties instrumentales (s’agit-il de jouer à des jeux, à un théâtre, s’agit-il de jouer à jouer ?), est une des œuvres de John Cage basées sur des tranches de temps (entre crochets) [time-bracket], ainsi nommées parce que lors d’une interprétation chaque participant doit :

Jouer par rapport au temps flexible entre crochets. Lorsque les crochets sont connectées par une ligne diagonale elles [les tranches de temps] sont relativement proches les unes des autres. (Cage 1992, p2)

Ainsi, la partie de l’interprète numéro un commence comme suit :

0’00” ↔ 1’15”      0’55” ↔ 2’05”

 2

Cage donne aussi deux sortes d’information sur les types de son qu’il envisage, je dois dire ici qu’il n’y a pas de ‘contenu’ donné pour les représentation des tranches temps entre crochets, c’est ce que l’interprète doit inventer, car l’œuvre est écrite

pour n’importe quelle manière de produire des sons (vocalisation, chant, jeu sur un instrument ou des instruments, sons électroniques, etc.) … (Cage 1992, p1)

Et Cage nous dit en plus de

Choisir douze sons différents ayant des caractéristiques fixes (amplitude, structure des partiels, etc.) (Cage 1992, p2)

 

Ainsi, à l’intérieur des murs constitués par des ‘règles’, à l’intérieur des limites de la pièce, nous sommes en présence de contradictions ou d’opportunités créatives inscrites d’entrée de jeu au sein l’œuvre. Cage nous propose de manière moins évidente un pharmakon dans le fait que les sons sont apparemment à la fois fixés et libres. On peut penser que l’intention de Cage était que chacun des douze sons devait avoir des caractéristiques fixes, mais alors à quoi rime le début de la phrase dans ce cas-là ? Cela est redondant et ouvre la voie à la possibilité de l’aporia. Pourquoi ne pas dire seulement ‘produire douze sons avec des caractéristiques fixes (amplitude etc.)’ ? Cela paraîtrait tout à fait compréhensible pour tout musicien.

Il laisse aussi aux interprètes la complète détermination concernant leur provenance, c’est-à-dire à quel domaine ils/elles appartiennent (si elles/ils en ont un)[1], et tout aussi bien une certaine flexibilité dans la détermination de la ‘structure’ générale, dans la mesure où les tranches de temps (les murs de soutènement) permettent une variabilité dans le début et la fin du temps de chaque ‘événement’. Ces tranches de temps sont évidemment des coquilles vides – qui attendent d’être remplies, elles attendent d’être habitées par des évènements (ce que Derrida appelle « l’émergence d’une multiplicité disparate » [Tschumi 1996, p. 257]. En d’autres termes, leur ‘programmation’ n’est pas fixée. La relation ou hiérarchie entre le compositeur et l’interprète est complètement déstabilisée (un autre pharmakon), pour toute personne qui en fait ici ‘compose’ la réalisation de la performance : le compositeur, les interprète(s), les deux à la fois, ni l’un ni l’autre ? Chaque interprète est indépendant, dans un sens muré par rapport autres… peut-être ?

Le pharmakon peut-il être utile pour dépasser les limites, en changeant (en défiant) la structure du mur et de ses fonctions ? Si une opposition binaire (inclus/exclus, libre/bloqué, etc.) peut être bousculée, par exemple en ayant ses fonctions remises en cause, alors les murs deviennent des seuils, des conduits, des zones de connexion, et non plus des barrières. Le pharmakon est un des concepts majeurs qu’on peut trouver dans le Phaedrus de Platon, ce qui nous amène à considérer les explications de Derrida sur le pharmakon, tels qu’on peut les trouver dans « La pharmacie de Platon » :

Ce pharmakon, ce « médicament », ce philtre, qui acte à la fois comme remède et poison… (Derrida 2004, p75)

et

Ce charme, cette vertu envoûtante, ce pouvoir de fascination, peuvent être – alternativement ou simultanément – bénéfiques ou maléfiques. (Derrida 2004, p75)

et

Si le pharmakon est « ambivalent », c’est parce qu’il constitue un moyen dans lequel les oppositions s’opposent, le mouvement et le jeu qui les lient entre elles s’inversent ou font qu’un côté traverse l’autre (âme/corps, bon/mal, intérieur/extérieur, mémoire/oubli, parole/écrit, etc.). (Derrida 2004, p130)

Ainsi, le pharmakon est un espace dans lequel les oppositions peuvent être démantelées ; un passage ou mouvement de convergence et d’interpénétration, le soit/ou, le ni/ni, le ‘et’. Le démantèlement des oppositions n’est pas seulement confiné à la parole et l’écrit (bien que Derrida s’y réfère ici) : il relève tout aussi bien d’autres champs, comme par exemple l’architecture, le champ par excellence des murs, le bastion de la solidité et des structures apparentes, et en plus un espace de collaboration pour Derrida avec Peter Eisenmann et Bernard Tschumi pendant les années 1980[2]Derrida avait émis des doutes initialement sur ce type de collaboration, en disant à Tschumi « Mais comment un architecte peut-il être intéressé à la déconstruction ? Après tout, la déconstruction est antiforme, anti-hiérarchie, anti-structure, l’opposé de tout sur quoi l’architecture repose. » « « Précisément pour cette raison”, j’ai répondu. » (Tschumi 1996, p. 250). Tschumi a aussi fait remarquer que les stratégies de la déconstruction dans l’architecture s’étaient développées tout au long des années 1970 et 80, lorsque les architectes on commencé à

… se confronter aux oppositions binaires de l’architecture traditionnelle : à savoir, la forme versus la fonction, ou l’abstraction versus la figuration. Cependant, ils ont aussi voulu défier les hiérarchies qui se cachent sous ces dualités, comme par exemple « la forme suit la fonction » et « l’ornement est subordonné à la structure ».  (Tschumi 1996, p251)

Et la pratique pédagogique ‘radicale’ de Tschumi à l’Architectural Association et à Princeton au milieu des années 1970 a exploité la fusion des domaines (par exemple l’architecture et la littérature) d’entrée de jeu :

Je donnais à mes étudiants des textes de Kafka, Calvino, Hegel, Poe, Joyce et d’autres auteurs comme programmes pour des projets d’architecture. La grille de points du Garden de Joyce (1977)… réalisée avec mes étudiants du AA à l’époque comme un projet architectural basé sur Finnegan’s Wake a été consciemment réutilisée comme stratégie d’organisation pour le Parc de la Villette cinq ans plus tard. (Tschumi, 1997, p125)

Ainsi le projet du Parc de la Villette de Tschumi (1982-98), la restructuration et le développement d’un grand espace urbain (les anciens abattoirs au nord-est de Paris), a exploité la programmation transversale, une réévaluation de l’‘événement’, le jeu de la ‘trace’, et des stratégies variées de la déconstruction dans la composition des lignes, des points, et des surfaces. C’est probablement le caractère iconique des folies rouges vives de Tschumi qui a rendu ce projet si célèbre (structures à multiprogrammation ou sans programmation à l’intérieur du parc) : une des folies pouvait être soit un restaurant ou une salle de concert, ni un restaurant, ni une salle de concert, ou bien, un restaurant et une salle de concert. Ainsi les folies sont des pharmakoi, elles restent dans l’indécision ; elles rejettent les ‘murs’, le confinement, la ‘programmation’ prédéterminée. Elles sont des coquilles vides – des tranches de temps entre crochets.

Comment fonctionne cette pluralité des jeux de l’indécidable dans Four⁶ ? Qu’est ce qui est indécidable dans la pièce et quelles implications cela peut-il générer pour renverser les murs dans la pédagogie et la praxis ? Pour continuer cette exploration, je vais me tourner maintenant vers une réalisation récente de Four⁶ dont j’ai été l’instigatrice.

Une liste partielle des éléments d’indécision dans Four⁶ peut se présenter comme suit :

  • Forces – qui peut jouer dans cette pièce ?
  • Contenu – que peut-on inclure dans les tranches de temps entre crochets ?
  • Hiérarchie – qui est le compositeur ?
  • Partition – qui en a la maîtrise ?

 

Four⁶ – ART : Abu Dhabi, avril 2018

La « version art » – c’est le nom que j’ai donné à une performance réalisée en 2018 à Abu Dhabi centrée sur les arts plastiques (un peu comme Step : A Composition for Painting) – a été conçue comme un moyen de se détacher de la musique, tout en reconnaissant encore ses traces à l’intérieur de l’œuvre (figure 1). Chaque exécutant a été appelé à élaborer douze actions ayant des relations avec les arts. L’exécution des tranches de temps entre crochets pouvaient être soit prévue à l’avance et notée sur la partition, ou bien choisie et réalisée en temps réel au moment de l’exécution ‘live’. J’ai demandé aux exécutants d’interpréter le terme d’‘art’ à leur façon, ce qui a donné le résultat d’une mixture de performance art, d’art sonore, d’art plastique, de théâtre, de poésie performée, etc. ; et je leur ai aussi demandé d’élaborer leurs ‘évènements’ individuellement, de façon à ce que l’exécution publique se passe sans répétitions et que toutes les réactions restent spontanées, potentiellement surprenantes pour les exécutants regroupés sur scène et pour le public – (un clin d’œil à la définition de Cage de ‘l’action expérimentale’ en tant que ‘quelque chose dont le résultat n’est pas prévu’) (Cage 1961, p. 39)

Une pièce de toile de 2×1 mètres [6×3 pieds] a été utilisée, montée sur un cadre de bois et surélevée sur des blocs (pour avoir un espace permettant de couper la toile) et posée sur une grande table. Des objets ont été mis à la disposition des exécutants pour être utilisés si nécessaire : des tubes de peinture (acrylique) en blanc, noir et bleu, des tubes de peinture des mêmes couleurs, de la craie, du charbon, des couteaux, un verre d’eau, des bouteilles en verre, des crayons, des tournevis, des pinceaux (de différentes tailles), des taille-crayons (en acier), des chiffons (pour effacer ou peindre, etc.). Une des participantes avait aussi apporté un sabre laser pour faire de la peinture avec. Les interprètes étaient libres d’utiliser n’importe quelle partie de leur corps pendant la réalisation de l’œuvre. Le choix qui a été fait par les exécutants 2 et 3 étaient :

Exécutant 2 – Sons (Actions)

1. Parler, 2. Crayon, 3. Repeindre par dessus, 4. Wood blocks, 5. Blanc, 6. Couteau, 7. Noir, 8. Tournevis, 9. Bleu, 10. Silence, 11. Chanter, 12. Tousser.

Exécutant 3 – Sons (Actions)

1. Tacet, 2. Déchirer la partition et l’ajouter à la toile du canevas, 3. Secouer les pinceaux pour projeter de la peinture, 4. Eclabousser avec les pinceaux, 5. Faire gicler le tube de peinture, 6. Ecrire avec une craie, 7. Eclabousser avec de l’eau, 8 Percussion sur une bouteille et un pot de confiture, 9. Gommer, 10. Aiguiser un couteau, 11. Bousculer un autre exécutant, 12. Lacérer la toile du canevas.

 

Figure 1: portion de la toile du canevas immédiatement après l’exécution publique (avril 2018),
montrant la peinture fraîche et déchiquetée pendant l’exécution (au centre).

 

Pharmakoi

Le premier pharmakon concerne les forces en présence : qui a le droit de jouer cette œuvre ? Est-ce que la pièce est entourée de murs qui empêchent la participation et l’accès à son exécution ? Non, les frontières de l’exécution sont très ouvertes. En d’autres termes, n’importe qui peut jouer Four, on n’a pas besoin d’une formation classique ou formelle dans n’importe quelle tradition. Fourc’est de la musique et ce n’est pas de la musique ; cette pièce peut accueillir des exécutants de n’importe quel domaine artistique, en fait pouvant provenir de n’importe où, qui ont toute liberté de rester dans leur propre domaine (même si ces domaines vont s’entremêler) : artistes, musiciens, scientifiques, acteurs, historiens, philosophes, vétérinaires… la liste est infinie. Le mur de la discipline – le pour ‘qui ?’ est conçue la pièce – est instable et affaibli ; la pièce peut être jouée dans une mixture hybride de domaines, une infection virale à double sens (ou à quadruple sens) à tout moment au cours de l’exécution. On est en présence ici d’implications sociales et politiques ; il n’y a pas de barrières (murs) d’accès, pas de hiérarchie, et pas de fondement pédagogique requis.

C’est-à-dire : le programme n’a pas besoin d’être de la ‘musique’. La version que j’ai esquissée ci-dessus est basée sur un focus approximatif, mais ne requiert pas la présence d’un ‘thème’, il s’agit d’un réceptacle pour permettre à des évènements de se dérouler. Les exécutants appartenaient à différentes disciplines : musique, arts plastiques, psychologie et arabe classique. C’est ainsi que l’œuvre peut être considérée comme de la musique et en même temps n’est pas de la musique. Les tranches de temps entre crochets sont comme les folies du programme de Tschumi, décrites par Derrida comme « un espace d’écriture, un mode d’espacement qui donne lieu à un événement » (Tschumi, 2014, p. 115). Les folies ont un nombre de traits communs avec les tranches de temps entre crochets : une tranche de temps est un mode d’espacement dans le temps, et elle peut être remplie par n’importe quelle chose, par n’importe quel ‘événement’ qui crée du son, tiré de la collection de douze déterminée par chaque exécutant séparément, exactement comme une folie a un ‘programme’ indéterminé et ouvert à partir d’une collection d’évènements possibles[3]. La combinaison des évènements des tranches de temps (programmes) permet aux domaines individuels de fusionner, d’infecter, de réécrire, d’hybrider, comme dans l’exemple de notre folie, qui combine un espace de performance et d’un restaurant. Dans la version ‘art’, les domaines de la musique, du théâtre et de la philosophie occupent tous le même espace de temps.

Les évènements continuent aussi à vivre après coup, comme des cendres si vous voulez. Au fur et à mesure que la toile du canevas se sèche, la version ‘art’ continue de se modifier longtemps après que l’exécution de la pièce est terminée ; elle n’est donc pas confinée dans ces 30 minutes de ‘murs’ temporels. Elle continue d’évoluer à travers des changements de couleur et de texture (figure 2). Le processus de séchage à la fois révèle et dissimule l’écriture (sur la toile et en plus sur les lambeaux de partitions) et les modes d’application et d’addition (les morceaux de charbon dans la figure ci-dessous). Au fur et à mesure que la peinture se fissure et tombe, encore d’autres traces de la propre histoire de l’exécution apparaissent, alors que les parties individuelles peuvent devenir des objets d’art à part entière (figure 3) : une archéologie de la performance. Les cendres se laissent emporter par le flux.

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Figure 2: portion de la toile un mois après la performance (mai 2018),
montrant les modifications apportées à la couleur et la texture,
des parties en lambeaux (en bas à gauche)
et des morceaux de charbon (au centre à droite).

20210311_120558

Figure 3: : la partie de l’exécutant 4,
avec les additions de peinture faites
pendant les 30 minutes de la ‘performance’.

 

 

… commencer et finir à des points particuLiers de tEmps…[4]

Cage explique la structure variable très succinctement, dans la forme d’un mésostiche :

These time-brackets / are Used / in paRts / parts for which thEre is no score no fixed relationship / … / music the parts of which can moVe with respect to / eAch / otheR / It is not entirely / structurAl / But it is at the same time not / entireLy / frEe (Cage, 1993, p35-6)[5].

Il faut noter que Cage dit ‘les parties peuvent évoluer en rapport les unes avec les autres’ (les italiques sont miennes), et non pas qu’elles doivent ou sont dans l’obligation de le faire. Que pourrait vouloir dire ici le mot respect ? Littéralement qu’elles respectent l’espace des uns et des autres, les limites (murs) entre les participants, qu’elles ne doivent pas interférer, réécrire par dessus, gommer, infecter ou de franchir les programmes respectifs ; ou bien au contraire, qu’elles peuvent se frayer un chemin parce que les autres autorisent le libre passage, se permettant d’être infectées, gommées, greffées, hybridées ou réécrites par dessus, qu’elles permettent l’interpénétration parce que il n’y a pas de ‘partition, ni de relation fixe’, pas de mainmise de qui que ce soit ?[6] De nouveau, le mur est affaibli, sa fonction est hétérogène, ouverte au changement, mais sa trace, son fantôme restent présents.

S’il n’y a pas de partition, seulement des parties instrumentales, dans une danse du temps qui résulte d’une collection variable de quarante-huit coups, alors qui est le compositeur ? Qui a le contrôle sur la totalité ? Qui détient la clef qui permet le passage à travers les murs (s’ils existent) de la création de cette œuvre, de sa direction ? Il s’agit d’un autre pharmakon ; John Cage est l’auteur reconnu (son nom apparaît sur la couverture), mais en est-il vraiment l’auteur, l’auteur du contenu ? Nous n’avons que des parties, pas de partition, et nos parties n’ont pas de substance ; jusqu’à preuve du contraire elles sont informelles, sauf en termes de longueurs variables et de leur ordre, par exemple l’exécutant 1 commence avec l’événement sonore 2. C’est comme une pièce de théâtre sans livret unifié, avec des caractères qui ne connaissent pas leurs relations avec les autres caractères (en référence à l’idée de Cage que le terme « expérimental » implique des actions dont on ne peut prévoir l’issue), et avec des dialogues qui sont à la fois secrets et désordonnés. Dans Four⁶ on est en présence d’‘indications scéniques’ (instructions), et on a une ‘chorégraphie’ à temporalité variable qui nous indique approximativement quand nous devons placer les choses que nous avons trouvées en tant qu’exécutants. Mais attention, attendez un peu, n’est-ce pas à nous qu’appartiennent les contenus des tranches de temps ? Après tout, nous les avons trouvés, nous les avons élaborés et nous avons décidé précisément quand et on allait les placer, nous avons décidé que l’événement sonore 12 allait être de tousser ou de lacérer la toile et nous avons décidé quand nous allions tousser ou lacérer la toile à l’intérieur de la tranche de temps – alors ne serait-il pas plus approprié de dire que John Cage est un des auteurs de Four⁶ plutôt que John Cage est l’auteur de Four⁶?

Ainsi la hiérarchie reste indécise, il n’y a pas la présence d’un seul contrôle de décision dans l’exécution, il n’y a pas de partition ‘maître’. Les exécutants ont une marge considérable de manœuvre à condition qu’ils respectent les ‘règles’ (car Cage n’a jamais été pour la liberté pour tous sans limites). Même dans ce cas, c’est une façon de composer très généreuse et égalitaire, en se souvenant que les règles peuvent toujours être détournées (tout en restant dans leurs limites), être interprétées de nouvelles manières[7]. Tous ces ‘murs’ hiérarchiques qui peuvent bloquer le passage (ou au moins de le rendre sens obligatoire) de la communication entre les interprètes et le compositeur restent ouverts ; les murs sont perméables (y a-t-il même encore des murs ?), donc ni l’interface compositeur/interprète, ni l’interface interprète/interprète ne sont fixes. Dans la version ‘art’, l’interface public/interprète est aussi plus ouverte – la peinture peut éclabousser n’importe où. L’exécutant est un compositeur/exécutant qui interprète de manière hybride au sein d’une composition, en composant dans le cadre d’une interprétation ; le compositeur (Cage) s’est ouvert à la communication virale de l’interprète ; les interprètes se sont ouverts aux formes indépendantes/non indépendantes de la praxis greffée ; ils sont tous en interaction tout en gardant leur individualité, il peuvent tous réécrire par dessus le travail des autres (produisant des sons et/ou des peintures), il peuvent tous greffer le geste et l’expression, s’ouvrant au virus, menant des conversations dans beaucoup de ‘langages’ traversant les domaines, se permettant d’être pénétrés à un quasi niveau cellulaire.

Comme le dit Derrida :

… tout ce que j’ai fait, pour le résumer de manière très réductrice, c’est de dominer par la pensée du virus ce qu’on peut appeler une parasitologie, une virologie, le virus étant beaucoup de choses… Le virus fait partie d’un parasite qui détruit, qui introduit le désordre dans la communication. Même du point de vue biologique, c’est ce qui se passe avec le virus ; il déraille un mécanisme de communication type, son codage et son décodage (Brunette and Wills, 1994, p12)

Le virus déstabilise les choses, les fait trembler, les secoue, désorganise la communication (les messages sont perdus ou envoyés aux mauvais destinataires, ils peuvent donner lieu à une multiplicité d’interprétations), ouvre un espace pour les interventions imprévisibles, introduit l’aporia. Dans Four⁶  on peut voir l’évidence de ce virus à travers sa trace, la façon dont il laisse des marques (des empreintes) dans la poussière, dans les cendres (charbon), dans la peinture, dans le son. Ainsi on a une fusion virale des actions dans la performance (altérant les actions des autres qui laissent une marque), de ‘personnes’ (interprètes/public/compositeur), et de domaines (art/musique/théâtre, etc.) : dans la version ‘art’ de Four⁶, l’art, la musique et la danse sont tous présents, comme l’est le théâtre[8].

Le virus infecte les moments lorsque la surface de la toile du canevas est créée, lorsque les couleurs se mêlent à de nouvelles couleurs, quand elles s’ajoutent par dessus, se greffent, sont effacées ; il laisse une marque par l’accumulation et la révélation de couches, à travers l’écriture et la réécriture par dessus, à travers la déconstruction quand le couteau entaille la surface, exposant l’autre côté de la toile du canevas qui devient à son tour une nouvelle surface, à travers l’altération intentionnelle d’un ‘événement’ d’un autre exécutant par des interventions physiques – bousculer, gommer, couper et couvrir. Ainsi, le parasite de Derrida détruit (ou devrions-nous dire ‘fixe’ ?) ; mais il ne détruit que la possibilité du moment, un clin d’œil de l’‘histoire’ de cette toile peinte au moment de la performance. Il force à changer, à muter, et qui peut savoir où cela va nous mener ?

Il y a aussi d’autres traces dans les cendres ; ‘il y a là cendre’ (Derrida 2014, p. 3), des traces intertextuelles, des traces hypertextuelles, d’autres œuvres (dans des sens multiples : la propre histoire de la toile du canevas utilisée, son histoire éventuelle telle qu’elle aurait pu être, l’histoire qui est encore à venir et les histoires du domaine auquel maintenant elle s’associe). La collection de 48 évènements sonores constitue un filet de pêche rempli de traces ; celles des muralistes gréco-romains, celles des peintures religieuses baroque (dont l’élaboration collective posera sans cesse des questions pour savoir qui en est l’auteur[9]), celles des Fontana, Kiefer et Hantaï, des situationnistes, du Vienna Action Art, du Fluxus des débuts, d’Heiner Goebbels, de Robert Wilson, de Heiner Müller, les traces du théâtre post-dramatique, du danse-théâtre de Lindsay Kemp, et évidemment d’autres œuvres de Cage. Ces traces font références à d’autres traces, dans des chaînes de résonance infinie. Les traces de nos propres expériences seront aussi toujours présentes dans toute entreprise – comment pourraient-elles ne pas y être ? Les murs sont omniprésents, pour le meilleur ou pour le pire, faites en ce que vous voudrez, mais ils ne sont pas simplement des barrières. Peut-être qu’il vaut mieux reconnaître leur hétérogénéité fonctionnelle plutôt que d’essayer de les faire tomber ; de s’efforcer d’aller vers des versions plus faibles (des filets de pêche moins remplis), pour permettre leur transfiguration, pour embrasser leur indécidabilité, car alors les murs deviennent à peine perceptibles, presque transparents, des mur[mur]es[10].

 


 

1. Ceci s’applique aussi bien aux sons eux-mêmes.

2. Cage a trouvé de nouvelles façons d’apprécier la ville et de contempler ses constructions, ses traces, ses interactions, après avoir marché à travers Seattle en compagnie du peintre Mark Tobey. (Cage & Charles, 1981, p.158)

3. Dans un sens elles peuvent être considérées comme des hétérotopies.

4. Cage, 1993, p34 : « …begin and end at particuLar/points in timE… »

5. « Ces tranches de temps entre crochets / sont Utilisées / dans les paRties / les parties qui ne se réfèrEnt à aucune partition, ni de relation fixe / … / la musique dont les parties peuvent éVoluer par rapport à / les unes / les AutRes / Ce n’est pas complètement / structurAl / Mais en même temps ce n’est pas / compLètement / librE ».

6. Derrida utilise le terme de ‘Animadversions’ dans les textes tels que Glas, Cinders et « Tympan » (Marges de la philosophie) et c’est une autre façon de contempler la présentation tout en les commentant (de manière parfois explicite, parfois implicite, parfois silencieuse), simultanément, des actions séquentielles à travers la même surface, par exemple la toile du canevas.

7. Comme l’a dit Cage : « Nous ne sommes pas libres. Nous vivons dans une société cloisonnée. Nous devons prendre en compte ces cloisons. Mais pourquoi faut-il les répéter ? » (Cage & Charles, 1981, p. 90)

8. En ce qui concerne le théâtre, l’un de mes co-interprètes a presque coupé la toile du canevas en deux à un moment de la performance, et j’en ai été assez choquée – en me demandant s’il restait assez de surface pour pouvoir travailler dessus et si la chose allait complètement se détériorer – mais d’autre part, j’ai pensé que cela était très drôle et j’ai dû réprimer mon envie de rire pendant le reste de la performance, et cela fait entrer une autre trace dans le jeu, celle de la tradition du théâtre qui rend les co-interprètes comme des ‘cadavres’.

9. Dés l’année 1934, Cage a rencontré le travail collectif en groupe, ce qu’il a appelé l’attraction de l’art médiéval et gothique. (Kostelanetz, 1993, p.16)

10. Note du traducteur. Dans la version originale en anglais, Clare Lesser utilise « swallow » (avaler) qui contient « wall » (mur): « for then walls can be barely perceptible, almost transparent, they can be s[wall]owed ».


Références

Brunette, P., & Wills, D., Deconstruction and the Visual Arts: Art, Media, Architecture, Cambridge: Cambridge University Press, 1994.
Cage, J., Silence, Middletown, CT: Wesleyan University Press, 1961.
Cage, J., Four⁶, New York, NY: Edition Peters, 1992.
Cage, J., Counterpoint (1934) in Kostelanetz, R. (ed), Writings about John Cage, Ann Arbor, MI: University of Michigan Press, 1993.
Cage, J., Composition in Retrospect, Cambridge, MA: Exact Change, 1993.
Cage, J., & Charles, D., For the Birds, New York, NY: Marion Boyars, 1981. Edition en français: Pour les Oiseaux, Paris: Belfond, 1976.
Derrida, J., ‘Plato’s Pharmacy’ in Dissemination, trans. B. Johnson, London: Continuum, 2004. Edition en français : La dissémination, Paris, Editions du Seuil, 1972.
Derrida, J., Cinders, trans N. Lukacher, Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2014.
Derrida, J., ‘Points de Folie – Maintenant l’architecture’ in Tschumi, B., Tschumi Park De La Villette, London: Artifice Books, 2014.
Kostelanetz, R. (ed), Writings about John Cage, Ann Arbor, MI: University of Michigan Press, 1993.
Tschumi, B. Architecture and Disjunction, Cambridge, MA: MIT Press, 1996.
Tschumi, B., ‘Introduction’, in J. Kipnis and T. Leeser (eds.), Chora L Works, New York: Monacelli Press, 1997.
Tschumi, B., Tschumi Park De La Villette, London: Artifice Books, 2014.

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Clare Lesser

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Français

 


 

INTER MUROS

A deconstructive approach to performance practice in John Cage’s Four⁶, focusing on undecidability, viral interpenetration and the merging of domains.

Clare Lesser

Summary

Murus
John Cage – Four
Four⁶ – ART: Abu Dhabi, April, 2018
Pharmakoi
…begin and end at particuLar/points in timE…

References

 


Murus

Murus, maceria, moerus, mauer, mur…

Immured, mural, rim….

…cell wall, prison wall, curtain wall, city wall…

…retaining wall, harbour wall, dividing wall, connecting wall…

…enclosure, partition, screen, divider, party wall, panel, bulkhead…

…shelter, guard, garden wall, dam, fortification…

…load-bearing wall, decorative skin, Four Walls

…off the wall… 

…mûre, mûr…

…undermining…

…with/out foundations…

 

Complicated things walls, and if we step into this stream of thought, who knows where we’ll end up? Maybe we’ll be washed off our feet and land on our heads…or crash into a wall?

Rather than immediately breaking down any walls, consider what it could mean, instead, to be between or within walls, to question them, to pick at the mortar, to make their foundations tremble a little, perhaps. But how to go about this process? Deconstruction seems a good place to start; examining the joins, quoins…penetrating the fabric, initiating the process of interrogation, of weakening, of the ‘perhaps’. So, let’s attempt to open our eyes and ears to the unfolding of deconstruction within and across domains, drawn from the work of Jacques Derrida and Bernard Tschumi (I could equally bring in Simon Hantaï and Valerio Adami), focusing on two main areas of concern: the pharmakon (and undecidability) and the virus.

There are a number of apparent contradictions or oppositions in the opening list (shelter/prison, connecting wall/dividing wall, load-bearing wall/decorative skin). Walls can seemingly occupy two or more apparently opposing states simultaneously, and as such, could be seen as pharmakoi. So, let’s consider a work of ‘music’ where these walls, these pharmakoi, these possibilities for foundation shaking and boundary dissolving, these apparent contradictions and blurred edges, these instances of aporia (or perplexity), are integral to the performance, and where the performer/creator (the ‘wild card’) can strive to deconstruct, or push, the ‘rules’ (walls) of the ‘game’ to breaking point.

 

John Cage – Four

Four⁶ (1992) for four performers, rather than ‘musicians’ or ‘players’ specifically, or rather, it is for four ‘performers’ on the front cover and four ‘players’ on the parts (does this play at games, at the theatre, does it play with play?) is one of John Cage’s time-bracket works, so named because during performance each player should

Play within the flexible time brackets given. When the time brackets are connected by a diagonal line they are relatively close together. (Cage 1992, p2)

Thus, player one opens with:

0’00” ↔ 1’15”      0’55” ↔ 2’05”

2

Cage also gives us two pieces of information about the types of sound he has in mind, I should mention here that there is no given ‘filling’ for the time brackets, that is for the performers to provide, because the work is

for any way of producing sounds (vocalization, singing, playing an instrument or instruments, electronics, etc.) … (Cage 1992, p1)

And Cage further tells us to

Choose twelve different sounds with fixed characteristics (amplitude, overtone structure, etc.) (Cage 1992, p2)

So, within the walls of the ‘rules’, within the boundaries of the work, we have creative contradictions or opportunities in the work from the outset. Cage offers us a less obvious pharmakon in that the sounds are apparently both fixed and free. We assume that Cage intended that each of the twelve sounds should have fixed characteristics, but why the first sentence in that case? It is redundant, it opens up the possibility of aporia. Why not just say ‘produce twelve sounds with fixed characteristics (amplitude etc.)’? That would make perfect sense to a musician.

He also gives the performers complete agency regarding where, i.e. from what domain (if any), they come[1], as well as a certain amount of flexibility within the overall ‘structure’, in-as-much as the time brackets (containing walls) allow for variability in start and stop times for each ‘event’. Those time brackets are empty shells of course – waiting to be filled, waiting to be inhabited by events (what Derrida calls ‘the emergence of a disparate multiplicity’ [Tschumi 1996, p257]). In other words, their ‘programme’ is unfixed. The composer/performer relationship or hierarchy is completely unsettled (another pharmakon), for who is actually ‘composing’ the performance here: composer, performer(s), both, neither? Oh yes, and there’s no ‘master’ score either, only parts. Each player is independent, in a sense walled off from the others…perhaps?

Could the pharmakon be useful in overcoming boundaries, changing (challenging) the wall’s structure and function? If a binary opposition (included/excluded, free/trapped, etc.) can be overturned, i.e. have its function cast into doubt, then walls can become thresholds, conduits, zones of connectivity, not barriers. The pharmakon is one of the key concepts to be found in Plato’s Phaedrus, so let’s consider Derrida’s explication of the pharmakon, as found in Dissemination, “Plato’s Pharmacy”.

This pharmakon, this “medicine”, this philtre, which acts as both remedy and poison… (Derrida 2004, p75)

and

This charm, this spellbinding virtue, this power of fascination, can be – alternately or simultaneously – beneficent or maleficent. (Derrida 2004, p75)

and

If the pharmakon is “ambivalent”, it is because it constitutes the medium in which opposites are opposed, the movement and the play that links them among themselves, reverses them or makes one side cross over into the other (soul/body, good/evil, inside/outside, memory/forgetfulness, speech/writing, etc.). (Derrida 2004, p130)

So, the pharmakon is a space where oppositions can be overturned; a passage or movement of conjoining and interpenetration, the either/or, neither/nor, the ‘and’. The overturning of oppositions is not solely confined to speech and writing (although that is what Derrida is referring to here): it is equally relevant to other fields, e.g. architecture, the field par excellence of walls, the bastion of apparent solidity and structure, and yet also an important area of collaboration for Derrida with Peter Eisenmann and Bernard Tschumi during the 1980s[2]Derrida was somewhat dubious about such a collaboration initially, telling Tschumi “But how could an architect be interested in deconstruction? After all, deconstruction is anti-form, anti-hierarchy, anti-structure, the opposite of all that architecture stands for.” ‘“Precisely for this reason,” I replied.’ (Tschumi 1996, p250). Tschumi also remarks that deconstructive strategies in architecture were developing momentum throughout the 1970s and ‘80s, when architects began to

…confront the binary oppositions of traditional architecture: namely, form versus function, or abstraction versus figuration. However, they also wanted to challenge the implied hierarchies hidden in these dualities, such as “form follows function” and “ornament is subservient to structure”.  (Tschumi 1996, p251)

And Tschumi’s ‘radical’ pedagogical practice at the Architectural Association and at Princeton in the mid-1970s exploited the merging of domains (e.g. architecture and literature) from the outset:

I would give my students texts by Kafka, Calvino, Hegel, Poe, Joyce and other authors as programs for architectural projects. The point grid of Joyce’s Garden (1977)…done with my AA students at the time as an architectural project based on Finnegan’s Wake, was consciously re-used as the organising strategy for the Parc de la Villette five years later. (Tschumi, 1997, p125)

So Tschumi’s Parc de la Villette project (1982-98), the redesign and development of a large urban space (the former abattoir complex in north-eastern Paris), exploited cross-programming, a reappraisal of the ‘event’, the play of the ‘trace’, and various other deconstructive strategies in its composition of lines, points and surfaces. It is probably best known for Tschumi’s iconic bright red folies (multi-programme or programme-less structures within the park): one of the folies could be either a restaurant or a music venue, neither a restaurant nor a music venue, or, a restaurant and a music venue. So, the folies are pharmakoi, they are undecidable; they reject the ‘walls’, the containment, of pre-determined ‘programme’. They are empty shells – time brackets.

How does this plurality of undecidables play out in Four? What is undecidable in the work, and what implications might this have for overturning walls in pedagogy and praxis? To explore further, let’s turn to a recent performance of Fourwhich I instigated.

A partial list of the undecidables in Four could include:

  • Forces – who can perform the work?
  • Content – what will inhabit the time brackets?
  • Hierarchy – who is the composer?
  • Score – who is in control?

 

Four⁶ – ART: Abu Dhabi, April, 2018

The art version was conceived as a way of stepping away from music, while still acknowledging its trace within the work (figure 1). Each performer was asked to individually design twelve art related actions. Time bracket execution could be either pre-planned and notated on the score, or chosen/performed ‘live’. I asked the performers to interpret ‘art’ in any way they liked, which resulted in a mixture of performance art, sound art, fine art, theatre,  performance-poetry, etc; and I also asked the performers to devise their ‘events’ in isolation, so that the live performance would be unrehearsed and all reactions would be spontaneous, potentially surprising to executors, co-performers, and the audience  ̶  (a nod towards Cage’s definition of the ‘experimental action’ as ‘one the outcome of which is not foreseen’, Cage, 1961, p39).

A 6X3 foot canvas sheet was used, mounted on a wooden frame and supported on blocks (to allow space for cutting) on a large table. The following items were available to all the performers to use if they so chose: tubes of paint (acrylic) in white, black and blue, tubs of paint in the same colours, chalk, charcoal, knives, glasses of water, glass bottles, pencils, screw drivers, paint brushes (varied sizes), knife sharpeners (steel), rags (for erasing/painting, etc.,). One performer also brought a light -sabre to paint with. Performers were free to use any part of the body during the work’s realisation. The choices made by players 2 and 3 were:

Player 2 – Sounds (Actions)Speak,

1. Speak, 2. Pencil, 3. Overpaint, 4. Wood blocks, 5. White, 6. Knife, 7. Black, 8. Screwdriver, 9. Blue, 10. Silence, 11. Sing, 12. Cough.

Player 3 – Sounds (Actions)

1.  Tacet, 2. Shred score & add to canvas, 3. Rattle brushes, 4. Splatter with brush, 5. Paint tube thrown squirt, 6. Charcoal writing, 7. Water splatter, 8. Bottle & jar percussion, 9. Erase, 10. Knife sharpen, 11. Shove other performers, 12. Slash canvas.

Figure 1: portion of the canvas immediately after the performance (April 2018),
showing wet paint and shredded performance part (centre).

 

Pharmakoi

The first pharmakon concerns the forces involved: who can perform this work? Does the work have walls that prevent participation and access? No, the boundaries of performance are very open. In other words, anyone can perform Four; no classical or formal music training from any tradition is required. Fouris music and is not music; it will accommodate performers from any artistic domain, from anywhere in fact, who are perfectly at liberty to stay within their own domain (although these domains will bleed into one another): artists, musicians, scientists, actors, historians, philosophers, vets…the list goes on. The wall regarding discipline  ̶  the ‘who?’ is the work for  ̶  is unstable and weakened; the performance can be a hybrid, a mixture of domains, a two (or four) way viral infection in every moment of performance. There are social and political implications here; there are no barriers (walls) to access, no hierarchy, and no pedagogical foregrounding is required.

If the players can come from anywhere, any domain, then the ‘content’ or ‘programme’ of the time brackets will be equally open. That is: the programme does not have to be ‘music’. The version I have outlined above has a rough focus, but no ‘theme’ is actually necessary, it is a container for events to take place in. The performers were drawn from the fields of music, visual arts, psychology, and classical Arabic, so we have a work that is music and is not music. The time brackets are like Tschumi’s programme-less folies, described by Derrida as ‘a writing of space, a mode of spacing which makes a place for the event’ (Tschumi, 2014, p115). The folies have a number of shared traits with the time brackets: a time bracket is a mode of spacing in time, and it can be filled with anything, with any ‘event’ that creates sound, drawn from each player’s lexicon of twelve, just like a folie has an undefined and open ‘programme’ with a variable lexicon of possible events[3]. The combination of the time-bracket events (programmes) allows the individual domains to merge, to infect, to overwrite, to hybridise, like our earlier example of a folie, which interbred a performance space and restaurant. In the ‘art’ version, the domains of music, art, theatre and philosophy all occupy the same time space.

Events have afterlives too, cinders, if you like. As the canvas dries out, the art version continues to change long after the performance is finished; it is not confined within those 30-minute temporal ‘walls’. It continues to evolve through changes of colour and texture (figure 2). The drying process both reveals and conceals writing (on the canvas and the additional shreds of the parts) and the modes of application and addition (charcoal pieces below). As the paint cracks and falls off, yet more traces of the performance’s own history appear, while the pages of the individual parts can become art objects in their own right (figure 3): an archaeology of performance. The cinders are carried along in the flux.

20180508_190209

Figure 2: portion of the canvas one month after the performance (May 2018),
showing changes of colour and texture,
small shreds of parts (bottom left) and charcoal (centre right).

 

20210311_120558

Figure 3: player 4, part with paint additions
acquired during the 30 minutes of ‘performance’.

 

 

…begin and end at particuLar/points in timE…[4]

Cage explains variable structure very succinctly, in the form of a mesostic:

These time-brackets / are Used / in paRts / parts for which thEre is no score no fixed relationship / … / music the parts of which can moVe with respect to / eAch / otheR / It is not entirely / structurAl / But it is at the same time not / entireLy / frEe (Cage, 1993, p35-6).

Note that Cage says the ‘parts of which can move with respect to each other’ (my italic), not that they must or should. And what could respect mean here? Literally that they respect each other’s space, each other’s boundaries (walls), that they do not interfere, overwrite, erase, infect or cross-programme; or the opposite, that they can move because the others allow free passage, permit themselves to be infected, erased, grafted, hybridised or overwritten, that they allow interpenetration because there is ‘no score, no fixed relationship’, no controlling hand?[5] Again, the wall is weakened, it’s function is heterogeneous, open to change, but its trace, its ghost, is still there.

If there is no score, only parts in a timed dance drawn from a variable lexicon of forty-eight moves, then who is the composer? Who has overall control? Who holds the key that allows passage through the walls (if they exist) of this work’s creation, of its direction? It is another pharmakon; John Cage is the acknowledged author (his name is on the front cover), but is he really the author, the author of the content? We only have parts, no score, and our parts have no substance; as yet they are unformed, except in terms of variable lengths and their order, e.g. player 1 starts with sound event 2. It’s like a drama without a unified script, with characters who do not know their relationships to the other characters (back to actions with unforeseen outcomes), and dialogue that is both secret and disordered. In Four⁶ we have ‘stage directions’ (instructions), and we have a variable temporal ‘choreography’ which tells us approximately when to put the things that we, as performers, have found. But wait a minute, aren’t the fillings of the time brackets ours? We found them, after all, we devised the sounds, and we decided precisely when and where we were going to put them, we decided that sound event 12 was going to be coughing or canvas slashing and we decided when we were going to cough or slash the canvas within that time bracket – so perhaps it would be better to say that John Cage is an author of Four⁶ rather than John Cage is the author of Four⁶?

So, the hierarchy is undecided, there is no single controlling presence in the performance, there is no ‘master’score. The performers have a very considerable amount of agency as long as they play by the ‘rules’ (for Cage was never one for a free-for-all). Even so, it’s a very generous and egalitarian way of composing, always remembering that rules can be outmanoeuvred (whilst still remaining within them), interpreted in new ways[6]. All those hierarchical ‘walls’ that can block (or at least make it one way only) the passage of communication between performer and composer are open; the walls are porous (are they even walls anymore?), so neither the composer/performer interface nor the performer/performer interface is fixed. In the art version, the audience/performer interface is also more open – paint can fly everywhere. The performer is a composer/performer hybrid interpreting within a composition, composing within an interpretation; the composer (Cage) has opened himself up to the viral communication of the performer; the performers have opened themselves up to independent/not independent forms of grafted praxis; all interact while retaining their individuality, all can overwrite each other’s work (in sound and/or paint), all can graft gesture and expression, opening themselves to the virus, conversing in many ‘languages’ across domains, allowing themselves to be penetrated at a quasi-cellular level.

As Derrida says

…all I have done, to summarize it very reductively, is dominated by the thought of a virus, what could be called a parasitology, a virology, the virus being many things…The virus is in part a parasite that destroys, that introduces disorder into communication. Even from the biological standpoint, this is what happens with a virus; it derails a mechanism of the communicational type, its coding and decoding (Brunette and Wills, 1994, p12)

The virus unsettles things, makes them tremble, and shakes them up, disorders communication (messages get lost or ‘wrongly’ delivered, they are open to a multiplicity of interpretations), makes a space for unpredictable interventions, introduces aporia. In Four⁶ we can see the evidence of this virus through its trace, the way it leaves marks (imprints) behind in the dust, in the ashes (charcoal), in the paint, in the sound. So we have a viral melding of actions in performance (altering another’s actions which leaves a mark), of ‘persons’ (performers/audience/composer), and domains (art/music/theatre, etc.): in the art version of Four⁶,art, music and dance are all present, as is theatre[7].

The virus infects the moments when the the surface of the canvas is created, when colours blend to become new colours, are overwritten, are grafted, are erased; it leaves its mark through the accretion and revealing of layers, through writing and overwriting, through deconstruction as the knife slashes through the surface, exposing the underside of the canvas which in turn becomes a new surface, through the intentional alteration of another player’s ‘event’ by physical interventions – shoving, scrubbing, cutting and covering. So, Derrida’s parasite destroys (or should one say it ‘fixes’?); but it only destroys a moment’s possibility, an eye-blink of the painting’s ‘history’ (of this performance’s canvas). It forces a change, a mutation, and who knows where that will lead?

There are other traces in the ashes too; ‘il y a là cendre’ (Derrida, 2014, p3), intertextual traces, hypertextual traces, of other works (in multiple senses: the current canvas’ own history, its possible history that could have been, the history that is yet to come, and the histories of the domains to which it now aligns itself). The lexicon of 48 sound events is a net of traces; of the Greco-Roman muralists, of baroque religious painted interiors (whose collective endeavour will always raise questions of authorship[8]), of Fontana, Kiefer, and Hantaï, the Situationists, Vienna Action Art, early Fluxus, Heiner Goebbels, Robert Wilson, Heiner Müller, the traces of post-dramatic theatre, of the dance-theatre of Lindsay Kemp, and other works by Cage of course. These traces refer to other traces, in chains of infinite resonance.  The traces of our own experiences will always be present in any endeavour as well – how could they not be? Walls are omnipresent, for good, for ill, make of them what you will, but they are not merely barriers. Perhaps it is better to acknowledge their functional heterogeneity than to attempt to break them; to strive for weakened versions (as nets), to allow their transfiguration, to embrace their undecidability, for then walls can be barely perceptible, almost transparent, they can be s[wall]owed.

 


 

1. This is equally applicable to the sounds themselves.

2. Cage found a new appreciation for the city and new ways of looking at its constructions, its traces, its interactions, after taking a walk through Seattle with the painter Mark Tobey. (Cage & Charles, 1981, p158)

3. In one sense they could be considered heterotopias.

4. Cage, 1993, p34.

5. Derrida’s use of ‘Animadversions’ in texts such as Glas, Cinders and Tympan (Margins of Philosophy) are another way of looking at the presentation of, and commentary (sometimes explicit, sometimes implicit, sometimes silent) on, simultaneous, parallel and sequential actions across the same surface, i.e. the canvas.

6. As Cage said: ‘We are not free. We live in a partitioned society. We certainly must take those partitionings into consideration. But why repeat them?’ (Cage & Charles, 1981, p90)

7. Regarding theatre, one of my co-performers almost cut the canvas in half at one point during the performance, and I was quite shocked – wondering if there was both enough surface left to work on, and whether the whole thing would unravel-, but on the other hand, I thought it was very funny and had to stifle my desire to laugh for the rest of the performance, and that brings another trace into play, that of the theatre’s tradition of making co-performers ‘corpse’.

8. As early as 1934 Cage found the group endeavour of what he termed medieval or gothic art appealing. (Kostelanetz, 1993, p.16)


References

Brunette, P., & Wills, D., Deconstruction and the Visual Arts: Art, Media, Architecture, Cambridge: Cambridge University Press, 1994.
Cage, J., Silence, Middletown, CT: Wesleyan University Press, 1961.
Cage, J., Four⁶, New York, NY: Edition Peters, 1992.
Cage, J., Counterpoint (1934) in Kostelanetz, R. (ed), Writings about John Cage, Ann Arbor, MI: University of Michigan Press, 1993.
Cage, J., Composition in Retrospect, Cambridge, MA: Exact Change, 1993.
Cage, J., & Charles, D., For the Birds, New York, NY: Marion Boyars, 1981.
Derrida, J., ‘Plato’s Pharmacy’ in Dissemination, trans. B. Johnson, London: Continuum, 2004.
Derrida, J., Cinders, trans N. Lukacher, Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 2014.
Derrida, J., ‘Points de Folie – Maintenant l’architecture’ in Tschumi, B., Tschumi Park De La Villette, London: Artifice Books, 2014.
Kostelanetz, R. (ed), Writings about John Cage, Ann Arbor, MI: University of Michigan Press, 1993.
Tschumi, B. Architecture and Disjunction, Cambridge, MA: MIT Press, 1996.
Tschumi, B., ‘Introduction’, in J. Kipnis and T. Leeser (eds.), Chora L Works, New York: Monacelli Press, 1997.
Tschumi, B., Tschumi Park De La Villette, London: Artifice Books, 2014.

Drastique ou plastique ?

Drastique ou plastique ?
Les liens avec « Musik und Graphik » de Stockhausen, 19591

David Gutkin

Traduction de Jean-Charles François

English Reference


 

Introduction : Capturer le temps
Quelques éléments sur le contexte historique
« Noir et Blanc ? » – Concert et Five Piano Pieces for David Tudor
Action et Dessiner
Matériel cinétique – Transición II et Zyklus
Conclusion : dialectique de la réification

 

Introduction : Capturer le temps

Il est curieux de constater que Earle Brown, John Cage et Morton Feldman invoquent, tous les trois, la photographie ou l’appareil de photo dans leurs exposés sur les notations musicales non conventionnelles, qu’ils ont commencées à développer dans les années 1950. En commentant son œuvre emblématique December 52 – une partition qui consiste en trente-et-un segments de lignes verticales et horizontales disposés sur une seule page – Brown nous rappelle que son idée de départ était de créer une boîte avec des pièces se déplaçant grâce à des moteurs dans une configuration à trois dimensions qui serait disposée devant le ou les interprète(s). Ce projet n’ayant pu être réalisé, la partition éventuelle de Brown était, selon ses propres mots, « comme la photographie d’une situation particulière des relations de ces divers éléments horizontaux et verticaux »2 . Plutôt que de comparer la notation à une photographie, Cage, dans sa conférence sur « La musique expérimentale » (« Experimental Music »), parle d’une technique de notation de son invention – « une moyenne géométrique » – en la comparant à un appareil photo : « le compositeur ressemble à quelqu’un qui fabriquerait un appareil photo permettant à quelqu’un d’autre de prendre une photo »3. Cage compare de nouveau la partition à un appareil de photo et l’interprète à un photographe, dans une conférence plus tardive, intitulée « La composition comme processus » (« Composition as Process »), cette fois en référence à une des premières partitions graphiques de Morton Feldman, Intersection 3 :

La fonction de l’interprète dans le cas de l’Intersection 3 est celle d’un photographe qui s’étant procuré un appareil photo l’utilise pour prendre des photos. La composition permet un nombre infini de celles-ci, et, n’étant pas construite mécaniquement, elle ne va pas s’épuiser. Elle ne peut souffrir que si elle n’est plus utilisée ou si elle a été perdue4.

Beaucoup plus tard, Feldman est revenu sur l’analogie entre l’appareil photo et l’interprète dans ses partitions graphiques du début de sa carrière. Voici ce qu’il dit, en parlant avec Cole Gagne en 1980 de l’interprétation de ses propres pièces en notation graphique :

J’ai constaté des choses auxquelles je ne m’attendais pas. Par exemple, j’ai trouvé que ma notation qui sortait le plus des sentiers battus suscitait plus la répétition de clichés historiques que mes pièces écrites en notation précise. La notation précise, c’est mon écriture personnelle. Ma notation imprécise était une sorte d’appareil de photo se déplaçant au hasard en capturant des images très familières comme un miroir historique5.

Quelles que soient les autres significations qu’on peut tirer de ces analogies entre la notation et la photographie, je pense qu’elles évoquent l’idée que la notation, comme la photographie, est marquée par un ensemble complexe d’intersections avec le déroulement du temps.

Roland Barthes propose dans son livre célèbre, La chambre claire. Note sur la photographie, l’idée que la photographie s’inscrit dans une condition temporelle schizophrène. La « folie » de la photographie est ce « ce-qui-s’est-passé » rendu présent ici et maintenant. Répétant un trope communément utilisé, la photographie pour Barthes est par conséquent imprégnée d’un aspect mortifère, tandis que la sonorité dans sa présence temporelle semble presque vivante6. Mais dans ses rêveries sur la musique – qui d’habitude concernent la musique occidentale écrite sur partition – jamais il ne considère l’idée que ce répertoire puisse dépendre, comme le fait la photographie, d’une disjonction complexe dans le temps et dans l’espace. Ce sont plutôt les corps, la vitalité et la présence temporelle qui constituent les éléments proéminents de sa poétique musicale. Mais les musiques qui sont nécessairement entrelacées avec la médiation de leur notation peuvent aussi inspirer des réflexions sur l’aliénation et la mort puisqu’elles semblent mener, comme la photographie, une double vie temporelle. Theodor Adorno écrit que « l’immortalisation de la musique à travers l’écrit présente un aspect mortel : ce qu’elle contient de manière immédiate devient aussitôt impossible à retrouver » et en tant que telle « toute pratique musicale est une recherche du temps perdu »7. Je ne voudrais pourtant pas mettre uniquement l’accent sur l’élément du temps aliéné dans la notation, et je préfère plutôt observer simplement que l’inscription de la musique a un rapport au temps qui se manifeste de multiples façons. En interprétant les propos des compositeurs cités ci-dessus, seules quelques conceptions temporelles de la notation, parmi d’autres possibles, peuvent être mises en évidence.

Lorsque Cage parle d’une « moyenne géométrique » qui devient effectivement un « appareil photo » offert à l’interprète, il transforme la partition en une technologie d’un temps futur purement potentiel et variable. La liaison profonde entre la notation et l’idée de potentiel, ou de possibilité, est en fait une idée vieille de plusieurs siècles. Dorit Tanay a fait valoir que, alors que la notation occidentale avait été jusque là un moyen de fixer ce qui avait déjà été déterminé par les pratiques performatives, les théories émergentes sur la notation rythmique pendant le quatorzième siècle avec Ars Nova, notamment celles de Johannes de Muris, ont « inversé » cet ordre séquentiel. Avec « les possibilités logiques prenant le pas sur la documentation de données empiriques », un glissement conceptuel a été inauguré dans lequel la notation rythmique est devenue un moyen de réaliser l’idée du haut Moyen-Âge, basée sur la théologie, de « possibilités infinies »8.

Je ne souhaite pas approfondir davantage le lien – certes hypothétique – entre l’idée chez Cage de la partition-appareil photo et la théorie de la musique du quatorzième siècle ; mais il convient néanmoins de constater que la façon dont Feldman caractérise sa notation graphique comme un « appareil photo se déplaçant au hasard en capturant des images très familières semblables à un miroir historique » peut néanmoins être considérée comme une conception de la temporalité notationnelle qui va à rebours de ce lien. La notation ne peut pas être purement au service de la potentialité future, car elle préserve toujours un aspect du temps historique. Dans sa spécificité historique, une partition inscrite pendant une tranche de temps porte en elle-même les contingences éventuelles liées à ses pratiques et ses valeurs, à la fois contemporaines et antécédentes. Même si Feldman accuse les interprètes de produire des clichés historiques pendant qu’ils jouent ses partitions graphiques, son propos suggère peut-être que la notation elle-même, et parfois en dépit d’elle-même, tourne en partie son regard vers le passé.

Finalement, l’analogie que Brown fait entre la partition de December 52 et la photographie d’un processus temporel en marche, représente une tentative pour concevoir la notation comme l’intégration phénoménale du temps et de l’espace. En considérant la possibilité d’une boîte imaginaire en mouvement qui établit une étrange médiation entre pensée et partition musicale, Brown pose implicitement une question fondamentale et qui est seulement en apparence naïve : comment est-il possible de représenter et de réaliser un processus temporel par le biais d’une notation musicale ? Cette question est au centre de mon exposé sur les partitions de Cage, Sylvano Bussotti, Mauricio Kagel et Karlheinz Stockhausen, elle se pose tout au long de cet article.

Brown aborde ce type de question – dans le cadre du contexte particulier de l’ intérêt dans l’Amérique d’après-guerre pour l’« indétermination » – en construisant deux approches non traditionnelles de la notation. La première, il l’a conçue comme « une approche conceptuellement "mobile" d’éléments graphiques fixes » dans laquelle la réalisation par les musiciens d’inscriptions symboliques ambiguës anime le temps latent de la page à travers des processus qui sont bien différents de ceux qui sont à l’œuvre dans la lecture et l’interprétation de la notation soi-disant conventionnelle. Les caractéristiques temporelles uniques de ce que Brown appelle « des stimuli graphiques intentionnellement ambigus » par comparaison avec la notation conventionnelle, ne peuvent pas être examinées sans considérer la notation en relation avec d’autres phénomènes d’inscription : par exemple, l’écriture et le dessin9. La question de la temporalité dans la notation est elle-même liée au problème du rapport entre la signification et l’inscription graphique, ou pour le dire autrement, et comme je vais le proposer plus loin, la signification graphique a comme substrat fondamental la temporalité.

Si Brown tente avec la partition « conceptuellement ‘mobile’ » de faciliter la production de processus temporels indéterminés par des inscriptions « statiques », avec sa seconde approche, la partition « physiquement mobile » – une partition qui tourne littéralement sur elle-même et qui est manipulée de diverses façons – il construit la partition elle-même en un objet cinétique indéterminé, mettant en avant son existence à la fois spatiale et temporelle. Que la notation ne puisse pas être abordée comme un concept abstrait mais qu’elle doive être pensée à travers sa manifestation matérielle spécifique – la « partition » – n’est pas seulement un point théorique important, comme je vais le démontrer, mais, de plus, relève historiquement du statut conceptuel de la notation des partitions dans le contexte de l’après-guerre.

Mais il y a quelque chose d’étrange dans l’histoire des partitions graphiques d’après-guerre : plus les notations expérimentales étaient conçues pour faciliter des prestations musicales non répétables et éphémères, plus elles se mettaient à correspondre au temps apparemment réifié attribué aux photographies et aux dessins. Avec le développement des partitions non conventionnelles par les compositeurs américains et, peu de temps après, par les compositeurs européens dans les années 1950, un nouveau paradigme a été inauguré autour du pictural, de la spatialité et peut-être en fin de compte, d’une espèce raréfiée de fétichisme marchand. Les partitions ont semblé devenir des objets dont la finalité n’était qu’elles-mêmes. Il est vrai qu’au début du vingt-et-unième siècle, il est de plus en plus fréquent de voir des partitions musicales exposées dans des galeries et dans les musées, une tendance qui semble dater de la fin des années 1950. En 1958, Cage a réalisé une exposition de partitions – mises en vente – à la Stable Gallery à New York, suivie en 1959 d’une exposition de partitions par Roman Haubenstock-Ramati au festival de musique de Donaueschingen10.

La même année Stockhausen a donné une série de cinq conférences au Festival de Darmstadt sous le titre « Musik und Graphik » qui avait comme thème récurrent, l’autonomisation croissante de la partition elle-même en tant qu’objet d’art. Même si Stockhausen a insisté sur la « spatialisation » croissante des graphiques « autonomes », il a aussi noté l’attention de plus en plus grande des compositeurs pour les propriétés performatives spécifiquement éphémères et indéterminées promulguées par les partitions non conventionnelles. Cet article est basé sur une sélection d’éléments tirés des conférences de Stockhausen et de partitions spécifiques qui y figurent de Cage, Bussotti, Kagel et Stockhausen lui-même. Ce faisant, je me propose d’explorer les questions évoquées ci-dessus de manière un peu elliptique, liées à la notation et aux partitions – c’est-à-dire, les aspects liés à la signification, à la matérialité, avec la temporalité comme lien thématique – toujours en gravitant implicitement autour de l’antinomie apparente entre réification et performativité.

Mon analyse des partitions tirées des conférences de « Musik und Graphik » se développe souvent à partir des questions soulevées par Stockhausen au cours de ses conférences, et cela accentue le caractère historique de cet article, en espérant que cela soit justifié par le fait que ces conférences particulièrement intéressantes n’ont pratiquement pas été examinées par les chercheurs. (Je me suis servi des enregistrements des conférences qui sont aux archives de Darmstadt et aussi de l’adaptation que Stockhausen a publiée de sa première conférence). Dans « ‘Noir et Blanc?’ », j’examine les aspects visuels de la partie de piano du Concert for Piano and Orchestra de Cage et, avec plus de détail, les Five Piano Pieces for David Tudor de Bussotti. Cette analyse sert de point de départ pour aborder des questions théoriques sur la notation dans la section « Action et Dessin ». Dans « Matériel cinétique » je me tourne vers les possibilités de manipulation physique des partitions en examinant Transición II de Mauricio Kagel et Zyklus de Stockhausen. Finalement, je conclus en recontextualisant la dialectique réifié/performatif qui hante l’histoire.

Quelques éléments sur le contexte historique

Feldman a été l’un des premiers compositeurs dans la période d’après-guerre à employer de manière radicale des formes de notation non conventionnelle, en commençant par sa première pièce « graphique » – littéralement dessinée sur du papier millimétré – Projection 1 pour violoncelle solo qui date de décembre 1950. L’histoire qu’il n’a pas cessé de raconter sur les origines de Projection 1 concerne un dîner au domicile de John Cage où Feldman a commencé à dessiner sur du papier millimétré pendant que John Cage finissait de préparer un plat de riz sauvage : « Et ce que j’ai griffonné était des dessins sur une page de papier millimétré – et ce qui émergea consistait dans des catégories d’aigu, de moyen et de grave. C’était une écriture complètement automatique. Je n’en avais jamais parlé avant cela, vous savez, je n’en avais jamais discuté »11. Deux ans après Projection 1 de Feldman, Brown a commencé à utiliser extensivement de nouvelles formes de notation qui vont plus tard constituer la partition de Folio (1952/53), dans laquelle est inclus December 1952. Les collègues compositeurs de « l’Ecole de New York » (New York School), Christian Wolff et Cage ont suivi Feldman et Brown dans l’utilisation de notations non traditionnelles avec pour le premier des partitions basées sur des « repères » et pour le deuxième le Concert for Piano and Orchestra (1958) et d’autres partitions d’assemblages mobiles comme les Variations I (1958).

Les premières notations graphiques de Feldman ont été examinées en Europe par Pierre Boulez dès 1951, et Boulez les a probablement montrées à d’autres compositeurs européens ou les a discutées, bien que je n’aie pas pu trouver d’éléments qui documentent ce fait12. Mais si Cage et Boulez ont correspondu de manière régulière au début des années 1950, un réel échange entre les avant-gardes américaines et européennes n’a pas eu lieu avant 195413. Cette année-là, Cage et le pianiste David Tudor ont fait leur première apparition en Allemagne, en jouant et donnant des conférences aux Donauschingen Musiktage et dans d’autres villes d’Allemagne. Sans nécessairement impliquer que cela en soit la cause directe, c’est pourtant dans les années qui ont suivi 1954 que plusieurs compositeurs européens ont commencé à développer des œuvres « ouvertes », les exemples les plus célèbres étant le Klavierstücke XI (1956) de Stockhausen, la Troisième sonate pour piano de Boulez (1956-7) et Mobile pour deux pianos de Henri Pousseur14. Tout en défiant les propriétés unilinéaires de la notation traditionnelle, ces partitions européennes, contrairement à celles des compositeurs américains mentionnés ci-dessus, ont surtout continué à utiliser les signes de la notation conventionnelle15.

Avec le retour de Cage et de Tudor à Darmstadt en 1958, l’intérêt émergent en Amérique pour « l’indétermination » [« indeterminacy »] et avec cela pour de nouvelles formes variées de notation, a trouvé une réception européenne plus large. Friedrich Cerha a rappelé que la conférence de Cage en 1959, « Lecture on Nothing » (Conférence sur le rien), avait été reçue de manière « explosive à ce moment-là à Darmstadt »16. Des compositeurs un peu plus jeunes que Stockhausen et Boulez ont été particulièrement impressionnés par Cage, y compris trois compositeurs dont les partitions ont figuré dans les conférences de Stockhausen en 1959 : Kagel, Bussotti et Cornelius Cardew. Cerha continue pour dire que « le choc de Cage » et « l’efficacité de la personnalité dominante de Cage » se sont surtout « manifestés en 1959 »17.

L’impact du Concert for Piano and Orchestra de Cage en termes de raffinement graphique, dont la première européenne a eu lieu en 1958, a été probablement un facteur important dans la décision de Stockhausen de se lancer dans ses conférences sur « Musik und Graphik »18. Accompagnant le Concert de Cage, les partitions que Stockhausen a choisies ont été son propre Zyklus pour percussion solo – écrit pour le concours d’interprétation Kranichstein 1959, organisé chaque année – Transición II (1958-59) de Mauricio Kagel pour pianiste, percussionniste (jouant à l’intérieur du piano) et magnétophone, Two Books for Two Pianists (1959) et Piano Piece ’59 de Cardew, et finalement les Five Piano Pieces for David Tudor (1959) de Bussotti, faisant partie de l’œuvre de musique de chambre dramatique Pièces de Chair II19. S’il est difficile de déterminer quels ont été les critères utilisés par Stockhausen dans la sélection de ces œuvres, il faut noter que, en 1959, il n’y avait pas encore beaucoup de partitions graphiques non conventionnelles à disposition – au moins en ce qui concerne les compositeurs européens. Le Concert, parce qu’il était l’œuvre graphique la plus ambitieuse de Cage, était un choix évident. Kagel avait travaillé avec Stockhausen sur la musique électronique à Cologne et il avait aussi aidé à diriger l’œuvre à trois orchestres de Stockhausen, Gruppen. Enfin, de 1957 à 1961, Cardew a été l’assistant de Stockhausen, aidant à la réalisation de pièces électroniques et de partitions20.

L’histoire liée à la sélection des Five Pieces for David Tudor de Bussotti est un peu plus compliquée. En commentant la partition de Bussotti, Stockhausen a écrit au directeur du Festival de Darmstadt, Wolfgang Steinecke, la chose suivante : « Maintenant passons aux partitions. En ce qui concerne le Bussotti je peux seulement dire ceci sans avoir les instructions de jeu de la partition : j’ai rarement lu une partition avec autant de plaisir et d’amusement [Vergnügen] »21. Initialement, Stockhausen avait voulu programmer l’œuvre de musique de chambre avec chanteur Pièces de Chair II (dont les Five Pieces for David Tudor font partie) dans un concert, mais, n’ayant pas réussi à le faire, il a écrit à Tudor :

Pourriez-vous jouer les nouvelles pièces de Bussotti ? Personne n’a voulu le faire, mais je les trouve bonnes et j’ai demandé à Steinecke de les inclure dans le programme. Il n’en est pas tout à fait sûr, ainsi j’ai décidé d’inclure quelques pièces pour piano de Bussotti – si vous acceptez de les jouer – dans une conférence-concert lors du dernier studio concert qui s’adresse seulement à ma classe de composition ; Bussotti sera là je l’espère22.

Bussotti, plus tard, a dit que Steinecke avait sans doute «"peur de l’aspect quelque peu expérimental de certaines des pièces"»23. Cela a été peut-être le cas, mais il est aussi possible que Steinecke ait été inquiet de programmer l’œuvre de Bussotti à cause du texte homo-érotique des Pièces de Chair II. En effet, dans une lettre écrite plus tard à Tudor, Stockhausen a déclaré :

J’ai entendu que Bussotti ne sera pas programmé ni à Köln, ni à Darmstadt ; mais je voudrais, si vous les avez travaillées, inclure quelques pièces dans mes 5 conférences publiques. La difficulté concernant Bussotti a été le texte dans les deux endroits ; personne ne voulait les inclure dans le programme24.

Voici l’ordre et le contenu des conférences :

Mercredi 26 août – MUSIK UND GRAPHIK I – Prémisses de composition

Jeudi 27 août – MUSIK UND GRAPHIK II – Commentaires sur les partitions nouvelles
Partitions : Zyklus – Stockhausen, Two Books of Study for Pianists – Cardew
Interprète : Christoph Caskel – percussion

Vendredi 28 août – MUSIK UND GRAPHIK III – Commentaire sur les nouvelles partitions
Partitions : Piano Piece 1959 – Cardew, Concert for Piano and Orchestra – Cage
Interprète : Cardew – piano

Samedi 29 août – MUSIK UND GRAPHIK IV – Commentaire sur les nouvelles partitions
Partitions : Five Pieces for David Tudor tirés de Pièces de Chair II, numéros 3 et 4 – Bussotti ; Transición II (page d’introduction à la partition) – Kagel
Interprètes : David Tudor – piano, Caskel – percussion, et Kagel – magnétophone.

Lundi 31 août – MUSIK UND GRAPHIK V – Commentaire sur les nouvelles partitions
Partition : Transición II – Kagel
Interprètes : les mêmes que ceux du 29 août

« Noir et Blanc ? » – Concert et Five Piano Pieces for David Tudor

La conférence inaugurale de Stockhausen, le 26 août 1959, a été adaptée dans son essai intitulé « Musik und Graphik » et publié dans une forme un peu modifiée dans les Darmstädter Beiträge l’année suivante. Selon ses propres paroles elle « contient tout ce qui va être expliqué dans les séminaires suivants »25. Stockhausen commence par déclarer que le compositeur et l’interprète sont devenus de plus en plus autonomes l’un par rapport à l’autre, depuis l’avènement de la notation musicale. Parmi tous les arts, c’est selon lui seulement dans la peinture que la division entre l’auteur et l’interprète n’a pas encore été effectuée, bien qu’il voit ce phénomène remis en cause par l’importance croissante des fabricants et de la technologie reproductive en général26. L’idée lumineuse de Stockhausen – une des plus intéressantes de son essai – est que le développement contemporain du compositeur en tant qu’illustrateur et de la partition en tant que tableau est le résultat naturel de la division des rôles de production à l’origine de la notation :

Le travail du compositeur est ainsi celui d’écrire. L’émancipation de la notation musicale de sa réalisation a étendu cela à un art graphique complexe et le développement est actuellement en plein essor. Ce n’est pas simplement par snobisme que depuis quelques années les amateurs de musique achètent des partitions pour les accrocher au mur en tant qu’art graphique ; que beaucoup de musiciens – même des compositeurs – disent (ou osent dire) de certaines partitions : ‘je ne comprends pas ce que cela veut dire, mais cela est d’une grande beauté’ ; ou bien qu’à New York, John Cage organise une exposition de partitions et les propose à la vente comme œuvres d’art graphique27.

Stockhausen poursuit en considérant, entre autres, la signification de la notation qui code l’action plutôt que le son – ce qui note-t-il a existé depuis longtemps sous la forme de la tablature – la différence entre des codes transparents et l’autonomie picturale, la relation entre les partitions graphiques et les œuvres électroniques, l’utilité de la notation non-traditionnelle pour ceux qui sont musicalement illettrés, et tout au long du texte, la connexion entre entendre et voir.

Un thème qui revient constamment dans la conférence/essai d’introduction est la séparation croissante de l’image et du son. Stockhausen écrit que « l’émancipation du graphique par rapport à l’acoustique a atteint son degré extrême chez Cage et Bussotti. L’image [Bild] devient autonome »28. La conception de Stockhausen de l’autonomie picturale tient au changement dans les pratiques de la notation dans lequel un code jusqu’ici presque transparent, relié implicitement à une certaine conception de la temporalité, devient visuellement et spatialement calcifié par l’accent mis sur sa plasticité graphique :

Le script notationnel [Notationsschrift] n’a pas de signification graphique en tant que tel [Eigen-Sinn : il s’agit d’un jeu de mot sur Eigensinn (obstination, entêtement) et eigen (propre, approprié) Sinn (signification, sens)]. Le musicien le comprend instantanément comme un symbolisme spatial pour représenter le passage du temps. Le caractère temporel des partitions notées n’est pourtant pas compris par les amateurs qui ne lisent pas la musique. En conséquence, il n’y aurait pas de sens à accrocher au mur une telle image et de la révéler à l’œil. Dès que le cours temporel de la musique est congelé dans une image pour faire en sorte que les connexions temporelles deviennent spatiales, pour faire en sorte que les évènements séquentiels, leur qualité, dans les relations structurelles soient transférées à une impression optique, la communication de la musique y gagne simultanément un attrait extra musical. L’expérience temporelle se transpose en une expérience spatiale29.

En effet, les deux partitions du Concert for Piano de Cage – la partie de piano qui fait l’objet de l’analyse de Stockhausen – et les Five Piano Pieces for David Tudor de Bussotti sont visuellement étonnantes. La partie de piano du Concert de Cage consiste en une collection de quatre-vingt-quatre différents types de notation, ou, comme le dit Stockhausen lorsqu’il s’y réfère, « structures graphiques », qui sont, il ajoute, « toutes, notons au passage, inventées et innovatrices30. » Concernant la diversité des notations, Tudor, d’après Stockhausen, aurait dit à Cage que « jusqu’à maintenant personne n’avait posé le problème d’unifier dans une seule composition les méthodes les plus diverses et contradictoires » allant du « chant grégorien jusqu’à Feldman31 ». Stockhausen lui-même continue en qualifiant la partition comme étant « un premier essai pour parvenir à la complexité la plus extrême des principes de la notation musicale32. »

Les fragments discrets de ces structures sont distribués sur soixante-deux pages. (Pour toute réalisation, n’importe quel nombre de pages peut être sélectionné et ensuite arrangé dans n’importe quel ordre, avec ou sans l’addition des parties d’orchestre qui sont séparées). Pourtant, les quatre-vingt-quatre notations ne sont pas complètement indépendantes les unes des autres, mais plutôt des variations d’un nombre beaucoup plus restreint de tropes conceptuels et visuels. Des portées et des têtes de notes sont utilisées dans beaucoup de formes de notation, mais pas dans toutes, cependant ces représentations traditionnelles de séquences linéaires et de hauteurs spécifiées sont fréquemment complexifiées ou subverties. Les têtes de note sont souvent connectées de façons variées à l’aide d’un répertoire visuel qui inclut des lignes tracées à la règle, des configurations géométriques, des cercles imprécis et ce qui apparaît comme des stylisations comiques en formes d’amibes. Des lignes supplémentaires s’étendant bien au-dessus et au-dessous de la portée, visuellement suggestives mais totalement impossibles à déchiffrer à vue, sont en interaction avec un nombre de règles qui gouvernent la sélection par l’interprète de la clef et de la distribution des hauteurs. En plus, la partition inclut des notations qui se démarquent de la manipulation visuelle des portées et des têtes de note, y compris la notation « BB », une collection de points et de lignes, inscrites dans un rectangle, qui, comme dans les feuilles transparentes de Variations I de Cage, définissent des paramètres du son à travers les relations de distance entre les éléments graphiques (Exemple 1).

DGFig1

Exemple 1 : John Cage – Concert for Piano and Orchestra

Copyright ©, renouvelé en 1988, par Henmar Press Inc. Permission de C. F. Peters Corporation. Tous droits réservés.

 

Bien que Cage clarifie la signification de toutes les structures notationnelles du Concert à travers un document qui explique les règles et les fonctions de chaque structure, il reste néanmoins intégré à l’œuvre un degré considérable d’ambiguïté d’interprétation. En tant que dispositif permettant l’indétermination de l’interprétation, cette ambiguïté consiste essentiellement en un jeu sur les relations vagues ou multiples qui peuvent exister entre une instruction spécifique pour interpréter une notation et l’image placée sur la partition33. Mais il y a un niveau d’ambiguïté plus subtil qui, de même, a à voir avec l’aspect de ces structures graphiques. Si les notations de Cage utilisent des dérivations de signifiants conventionnels arbitraires – par exemple, les portées, les têtes de note – et en même temps des structures analogiques dans lesquelles la constitution graphique spécifique de certaines figures est significative (par exemple dans les relations de distance et de position), il semble qu’il y ait une dimension simultanée d’excès graphique. La force vitale des figures dessinées [vibrantly drawn figures] par Cage semblent pousser leur visualité ludique sur le devant de la scène. Elles communiquent une signification non articulée qui peut être comprise comme connotative, ou, comme Barthes le dit des peintures de pseudo-écriture gribouillée de Cy Twombly, comme une exploration du « champ allusif de l’écriture34 » (Exemple 2). Que signifie ce niveau « allusif » ou connotatif par rapport à la question de savoir comment ces figures déterminent ou stimulent le déroulement des sons dans le temps ? C’est cette qualité graphique qui a dû être une source d’inspiration pour Stockhausen lorsqu’il parle d’« autonomie » picturale, d’« émancipation » et de « sens autosuffisant » du graphique dans les partitions de Cage, pourtant, malgré cela, dans sa conférence sur le Concert, il trouve étrangement très peu à dire sur la stylisation elle-même. L’allusion principale que fait Stockhausen au caractère graphique [graphicality] proéminent des notations de Cage se trouve dans sa remarque où il fait observer que « dans cette œuvre le temps n’est pas composé, c’est seulement l’arrangement des marques inscrites sur le papier qui l’est35.

DGFig2

Exemple 2 : John Cage – Concert for Piano and Orchestra

Copyright © 1960, renouvelé 1988, par Henmar Press Inc. Permission de C. F. Peters Corporation. Tous droits réservés.

Les tendances picturales de Cage soulèvent un question subsidiaire qui est de la même manière presque complètement omise dans l’exposé de Stockhausen sur la partition, et trop fréquemment dans les considérations sur l’œuvre de Cage en général : comment le plaidoyer de Cage en faveur de la production des « sons en eux-mêmes », dans leurs aspects non intentionnels, hors culture et hors histoire, peut-il être compris étant donné ses formes de notation clairement personnelles et stylisées, nulle part mieux mises en évidence que dans le Concert ? Bizarrement, alors que les ruminations sur la philosophie non intentionnelle de Cage constituent une portion considérable de la conférence de Stockhausen sur le Concert, il n’examine jamais de manière critique comment cela s’articule avec l’aspect des structures graphiques. Bien que Stockhausen exprime des réserves par rapport à la non intentionnalité de Cage en général – étant partisan plutôt d’une dialectique qui « apporterait le chaos de l’absence de médiation dans l’ordre issu de la médiation36 » – il accepte implicitement que les notations de Cage soient en cohérence avec un projet anti-subjectif. Cela est démontré le plus clairement du monde lorsque, en citant Tudor, Stockhausen fait part de la manière dont Cage, après avoir élaboré les structures notationnelles de base et leurs variations subséquentes par des méthodes basées sur le hasard, a trouvé qu’il pouvait maintenir le caractère indéterminé sans avoir à soumettre toutes les collections de lignes et de points à des opérations de hasard. Stockhausen dit :

La pensée et l’action de [Cage], ses actions sur le papier, les actions de sa main, n’ont jamais été aussi proches de l’indéterminé, des conditions de l’indéterminé37.

De son côté, Tudor, qui apparemment aurait dit que les « structures graphiques existaient sur le papier comme si elles étaient des formations existant dans la nature38 », a élaboré une méthode pour utiliser les structures de Cage dans leur particularité précisément graphique, tout en supprimant largement leur potentiel d’être porteuses d’une signification picturale subjectivement connotative. En réalisant ces graphiques par un processus de mensuration des figures et en utilisant ces mesures en conjonction avec les stipulations de Cage de créer une version notée de manière conventionnelle – c’est-à-dire, en procédant au remplacement de la partition visuellement suggestive de Cage – Tudor a tiré du sens de la spécificité des graphismes tout en réprimant et rationalisant les éléments apparemment subjectifs de la notation39.

Bussotti ne s’est pas beaucoup préoccupé de l’éventualité d’une contradiction entre la notation ayant un style personnel très marqué et l’idéal d’une anti-intentionnalité, car il avait déjà répudié cette dernière idée. Erik Ulman observe qu’en fait, tandis que Bussotti a été profondément influencé par les innovations notationnelles de Cage et par l’aspect de ses partitions, il s’est constamment méfié de la philosophie anti-subjective de Cage :

Aux mains de Bussotti, la notation indéterminée a largement été une tentative d’éviter la médiation de la ‘composition’, pour plutôt établir une communication passant directement de la personnalité du compositeur à l’interprète, et à travers lui au public : l’intention était fondamentalement magique et égocentrique40.

Néanmoins, comme je vais le démontrer, avec ses Five Pieces for David Tudor, Bussotti s’est montré ouvert à des pratiques d’interprétation hautement individuelles et dans beaucoup de cas il a essayé de ne dicter aucun phénomène sonore spécifique. En effet, les Five Piano Pieces constituent dans une certaine mesure l’expérimentation la plus explicitement radicale dans le domaine de la notation depuis Folio and Four Systems (1952-1954) de Brown. Si Bussotti a dû faire face initialement à la censure de la scène musicale européenne à cause des aspects de politique sexuelle au cœur du choix de ses textes, l’audace visuelle de ses partitions purement instrumentales a aussi causé pas mal d’agitation à Darmstadt, encourant par exemple la critique quelque peu ironique du futur directeur de Darmstadt Ernst Thomas41.

Dans les Pieces 1, 3 et 4 – ce sont les deux dernières qui ont été analysées par Stockhausen – Bussotti joue avec la tension conceptuelle émergente entre la notation comme code dont la signification tend à s’effacer et la notation comme présence graphiquement autonome, principalement à travers la manipulation du signifiant le plus conventionnel du temps musical : la portée. La Piece 1 présente trois systèmes, chacun commençant avec une portée standard qui ensuite explose dans des angularités chaotiques et, dans un cas, des gribouillis qui ressemblent à des tentacules lorsque les lignes individuelles se rebellent pour mettre fin à leur parallélisme (Exemple 3). Avec la désintégration des portées, ce qui apparaît d’abord comme des signifiants arbitraires – têtes de note qui peuvent être traduites de manière conventionnelle en hauteurs – deviennent de plus en plus ambigus et opaques. Des points et de minuscules cercles sont éparpillés traversés par des lignes et forment ainsi un jeu de joindre-les-points. Mais chaque système est tenu par le contrôle d’une indication de temps – 30″, 15″, et 45″ – placée respectivement à leur extrémité. En effet si la partition est une sorte de dessin au sujet de la notation, elle continue d’être conçue comme moyen de créer des sons dans le temps.

DGFig3

Exemple 3 : Pièce 1, Five Piano Pieces for David Tudor – Bussotti

DGFig4

Exemple 4 : Pièce 4, Five Pieces for David Tudor – Bussotti

Avec la Piece 4, Bussotti s’adresse à la dialectique entre code musical et autonomie picturale de manière encore plus évidente. A travers cinq portées, Bussotti étale une composition visuelle consistant en des lignes angulaires pointues accompagnées de formes courbes et rectangulaires bien empaquetées dans un motif à damier (Exemple 4). Sous le titre, Bussotti a écrit « disegno del 1949, adonioze pianistica : 27.3.1959 ». En fait, Bussotti qui a fait des études d’arts plastiques en même temps que de des études de composition, a pris simplement un dessin à l’encre qu’il avait fait dix ans plus tôt et il l’a superposé à un système de portées musicales. Ces cinq portées ne font pourtant pas que spécifier les hauteurs et les durées, mais aussi ces paramètres empruntés au vocabulaire du sérialisme élargi comme la séquence, le timbre et l’intensité, et aussi les techniques instrumentales variées – glissando, harmoniques, battuto muto42. Alors que l’attribution des portées est plus ou moins spécifiée, la signification de l’image superposée est presque comique tant elle est peu claire. En étudiant l’image, Stockhausen décrit à la fois « un élément linéaire – les lignes à suivre » et « un élément plan – fait de petits espaces remplis de noir, situés entre les lignes d’intersection43 ». Mais quelles sont les unités ou les inscriptions de signification sémantique et comment entrent-elles en interactions avec les portées pour engendrer ou permettre une réalisation temporelle ? Tudor, d’après Stockhausen, a réduit les deux questions à leur substrat littéral :

Tudor s’est demandé : « Eh bien, quelle est la relation entre le noir et le blanc ? » Est-ce qu’on n’interprète que le noir, c’est-à-dire les lignes et les petits espaces ou aussi les espaces entourés de noirs ? Alors il faut pratiquement tout interpréter…. Ainsi on ne suit pas seulement les lignes, mais aussi ce que les lignes encerclent, en tant que figures44.

Lorsque Tudor a posé cette question à Bussotti – « doit-on donc interpréter tout dans le graphique ? » – Bussotti a expliqué qu’il avait conçu l’image comme une sorte de gestalt totale :

Bussotti a répondu que tout d’abord il ne voulait pas permettre une interprétation partielle ou fragmentée [Ausschnittsinterpretation] dans laquelle on saisit un détail particulier, parce que, pour lui, ce qui était en question c’était la forme, la figure, donc la structure dans laquelle il y avait de nombreux éléments qui se répètent qu’il faudrait toujours interpréter d’une nouvelle manière. On rencontre bien des petites structurations [Strukturale] dans le détail de la figure, mais pris dans son ensemble elle [la figure] a un profil, une silhouette [Umriss] qui suggère une forme, une figure unifiée45.

Bussotti avait apparemment imaginé l’exécution [performance] de sa pièce non pas dans les termes de la spécification d’une séquence linéaire ou d’une réalisation consistant en une série d’unités discrètes, mais plutôt comme une vue d’ensemble sonore qui, en quelque sorte, réassemblerait dans une temporalité la forme « unifiée », totale, de l’image dans sa présence statique.

Dans la troisième pièce, Bussotti continue de s’interroger sur ce qui relève de la codification et ce qui relève du pictural par l’emploi de la portée musicale et simultanément de sa subversion. La composition visuelle de Bussotti consiste en un rectangle formé par plus de cent lignes horizontales imparfaites. Parfois ces lignes s’entrecroisent, fusionnent, ou disparaissent (Exemple 5). Cette « portée » ressemble beaucoup à celle de Earle Brown dans November 1952, une comparaison que Tudor a évidemment remarquée lors d’une discussion avec Stockhausen, bien qu’il n’y ait nulle mention de la possibilité que Bussotti ait pu voir cette partition. Avec la partition de Brown, une méga-portée de quatre-vingt-huit lignes – le nombre de touches sur un piano – sert de cadre pour des têtes de note traditionnelles. Tandis que dans November l’abondance de lignes rend déjà peu claire ce que représentent les têtes de note, Bussotti se débarrasse complètement des symboles de la notation conventionnelle. A la place, il inscrit une collection clairsemée de formes dans les interlignes et à travers les lignes : des arcs qui mesurent de 2 à 7 cm [1 to 3 inches], des essaims de points minuscules, et, surtout entre les lignes, de petites grappes [clusters] de formes triangulaires et rectangulaires.46

DGFig5

Exemple 5 : Pièce 3, Five Pieces for David Tudor – Bussotti

Stockhausen raconte que Bussotti a construit sa partition « sans se préoccuper d’applications musicales spécifiques ou de possibilités d’exécution, mais plutôt – lorsqu’il a dessiné la partition – à partir d’une conception assez inconsciente des symboles sonores [Klangzeichenvorstellung]47 ». Curieusement, tandis que la Piece 4 dans l’édition publiée n’est pas accompagnée d’instructions, Bussotti a apparemment fourni initialement, selon les mots de Stockhausen, « des règles supplémentaires pour l’exécution du graphique ». En fait, ces instructions, que Stockhausen a lues lors de sa conférence, apparaissent comme des dispositions assez générales concernant l’interprétation :

[Il y a] des lignes horizontales qui doivent représenter des fréquences jouées sur un piano s’inscrivant dans le temps. Le nombre de lignes est plus grand que le nombre de touches sur un piano (c’est-à-dire 88) et plus petit que le nombre de cordes sur un piano. La hauteur de chaque ligne indique la fréquence, la longueur sa durée dans le temps. Dans la dimension verticale de la notation [Aufzeichnung], donc de haut en bas, on lit le registre de soprano à basse ; dans la dimension horizontale, le temps d’exécution [Ausführung]. Le nombre de lignes n’est pas égal à tous les endroits. A travers cette irrégularité un élément de flexibilité est introduit dans les mensurations… Le cas échéant, beaucoup de lignes peuvent correspondre à la même fréquence48.

D’après ces directions pour l’exécution de la pièce, Bussotti procède en général dans le cadre d’une représentation conventionnelle du sens spatial dans laquelle la dimension verticale représente les hauteurs et la dimension horizontale dicte les durées49. Mais, comme dans la Piece 3, Bussotti fournit une série de règles qui ne peuvent en aucune façon réguler le caractère indiscipliné du matériau graphique.

Alors, que représentent les graphiques ? Qu’est-ce que l’interprète en fait ? Tudor se pose les mêmes questions que celles qu’il a posées au sujet de la Piece 4 : Est-ce que tout doit être interprété ? Le noir et le blanc ? Seulement le noir ? Seulement le blanc ? Toutes les lignes50 ? ». Comme Stockhausen le fait remarquer, Bussotti, par ses instructions indique que l’interprète n’a pas besoin d’utiliser tous les graphiques mais seulement ceux que son œil rencontre au moment de l’exécution. Bussotti a écrit que la « totalité des lignes de fréquence/temps est une représentation d’une présence silencieuse, seulement imaginaire, c’est-à-dire virtuelle, dessinée [la représentation] au travers de la page pendant la totalité de la pièce », et que la « totalité de ces lignes n’[est] qu’une entité sonore [Klanglichkeit] imaginée et non présente » qui n’est « matérialisée dans des évènements sonores, des formes, des suspensions musicales et des articulations qu’au moment où l’œil rencontre des figurations51… » N’étant pas d’accord avec la conception de Bussotti, Tudor a déclaré que, après une étude détaillée de la partition, il avait décidé qu’en fait « toutes les lignes doivent être des sons52 ». En notant cet échange, Stockhausen explique la différence significative d’opinion entre Bussotti et Tudor concernant le sens de la partition. Alors que Bussotti comprenait les lignes dessinées comme des sons « imaginaires », qui ne devaient être activés qu’au moment expérientiel d’être « lus » et exécutés, Tudor concevait les figures graphiques comme nécessairement, selon Stockhausen, « la condensation de ce qu’on entend déjà effectivement53 ». Ou bien, comme l’exprime aussi Tudor : « La pièce est constituée par les lignes et les surfaces sur le papier54 ».

Ainsi, pour Tudor, le problème était de savoir comment réaliser toutes les subtilités de l’image – les lignes qui devenaient plus épaisses ou plus minces – sur le piano. Dans sa prestation pendant la conférence de Stockhausen, Tudor utilise une collection de techniques hors du champ du jeu normal – des attaques percussives sur le corps du piano, glissando sur les cordes du piano. En même temps, Tudor continuait de croire dans les prémisses d’une exécution indéterminée, et à cette fin, apparemment, il a enfilé des gants55. Il est intéressant de noter que la partition de Bussotti a suscité pas mal d’anxiété même parmi ses partisans comme Stockhausen lui-même. A un moment pendant le séminaire, après que Tudor ait joué, un membre du public lui a demandé de répéter sa prestation pour voir s’il pouvait la répéter de la même manière. Stockhausen a interdit à Tudor de le faire et il a conseillé au membre du public de conduire cette expérimentation en privé56.

Action et Dessiner

Dans une critique des partitions graphiques radicales, le futur directeur de Darmstadt Ernst Thomas mentionne le désaccord entre Bussotti et Tudor concernant le sens de la Pièce 3 en se demandant : « Où est l’autorité compétente ici 57?! » Comme s’il avait anticipé cette question, Bussotti a écrit dans un de ses mouvements de sa Pièce de Chair II, dans laquelle est incorporé les Five Piano Pieces, « Keinerlei Verantwortung » (« aucune responsabilité »). En effet, avec ses notations de cette période, Bussotti semble poser des questions fondamentales, sans pourtant y répondre complètement : Comment une notation musicale peut-elle déterminer un processus temporel si elle ne représente pas une série spécifique de sons ou une séquence ? Est-ce toujours de la notation ? Quelle est la différence entre la notation musicale et un dessin de toute façon ?! Je ne suis pas capable de répondre de manière adéquate à ces questions, mais je voudrais les prendre en considération brièvement afin de proposer une interprétation qui justifie le potentiel performatif d’une surface picturale.

Dans un essai écrit à la fin de sa vie, « Sur quelques relations entre la musique et la peinture », Adorno nous dit que de la même façon que l’écriture (verbale ou musicale) « fixe le temporel », elle est « traduite en retour dans le temps à travers l’acte de la lire58 ». Avec la notation musicale, il semble que « lire » peut aussi devenir musicalement « exécuter, jouer ». Mais lorsqu’on est confronté avec l’ambiguïté et l’opacité picturale des partitions mentionnées plus haut de Cage et surtout de Bussotti, « lire » est devenu un verbe inadéquat, même si c’est par analogie qu’il est utilisé. De plus, si elle est « lue » ou bien si elle est soumise à un autre processus, une inscription verbale ou notationnelle ne « fixe » pas en soi le temporel ; quelque chose doit être signifié ou au moins stimulé pour que cela « arrive » effectivement. En comparant le langage écrit et la notation musicale, Adorno fait la proposition plutôt traditionnelle que dans les deux cas, même si cela se fait de manières très différentes, il s’agit de représenter des sons. Il déclare que « l’analogie entre l’écriture musicale et l’écriture verbale » est basée sur leurs relations au « niveau du matériau acoustique59 ». Alors que la position de Saussure à ce sujet, que l’écriture constitue un système de méta-signes subordonné à l’image sonore de la parole, a été longuement interrogée dans les domaines de la linguistique et de la philosophie60, l’idée que la notation musicale représente des sons continue à procéder du sens commun. Mais, comme l’indique Bussotti, lorsqu’il parle de ses Five Piano Pieces, la représentation du son n’est ni une simple propriété des partitions musicales, ni même une nécessité.

En effet, dans sa conférence d’introduction, Stockhausen fait référence à l’émergence récente de ce qu’il appelle « Aktionsschrift » – une notation qui prescrit ou représente une action corporelle plus qu’un résultat sonore :

Les signes d’action [Aktionsschrift] se sont développées au cours de ce siècle – des précédents plus anciens peuvent être trouvés dans la tablature ou ‘notation de doigté’ : la notation qui décrit le son est remplacée par des inscriptions qui indiquent au musicien comment produire le son. Il semble qu’il n’y a plus de raison à déterminer le son jusqu’au moindre détail, si cela va surcharger l’interprétation. Plus la réalisation du texte est imprécise, plus grande est la contradiction entre le texte et ce que l’auditeur entend. La musique n’est plus écrite exclusivement comme un phénomène sonore. / Ce développement tend vers une esquisse (dessin, plan, configuration) – une inscription que l’interprète transforme en une idée de la musique plutôt qu’une inscription de régulation. Dans leur utilisation, les signes/caractères ne décrivent pas les phénomènes sonores eux-mêmes, mais plutôt la direction que l’interprète peut prendre. Cette notation, qui contient des signes pour des occurrences formelles aussi bien que pour des processus formels, n’est plus confinée à des ondes sonores définies, mais permet l’utilisation à plaisir d’instruments et de techniques de jeu, à condition qu’ils soient en accord avec les critères relationnels et différenciés qui ont été définis61.

Par exemple, dans une des notations du Concert, Cage représente une vue aérienne d’un piano. En suivant les signes écrits sur cette image, il est demandé à l’interprète de donner des coups sur le cadre du piano à divers endroits (Exemple 6)62. Avec Transición II, Kagel rend la corrélation entre l’action corporelle et la notation de manière plus explicite que ne le fait Cage, en montrant des images représentant le corps même du musicien63. L’action corporelle est représentée à travers une iconographie notationnelle qui inclut des dessins stylisés des mains, donnant instruction à l’interprète d’utiliser soit le bout des doigts, la paume fermée, la paume ouverte, le bord de la main ou le poing. De plus, Kagel emploie des symboles non mimétiques pour indiquer l’utilisation de l’avant-bras (sans la main) et l’avant-bras (avec, en plus, la paume ou le bord de la main). Finalement, des flèches directionnelles représentent le mouvement que l’interprète doit faire en enfonçant et en relâchant les touches du piano avec le poignet et le coude.

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Exemple 6 : John Cage – Concert for Piano and Orchestre

Copyright © 1969, renouvelé 1988, par Henmar Press Inc. Permission de C. F. Peters Corporation. Tous droits réservés

Mais ne faut-il pas appréhender toute notation musicale – pas seulement celle de certaines partitions d’avant-garde ou celle des tablatures –comme prescription d’actions plutôt, ou au moins autant, que comme codification des sons ? Même si la notation ne représente pas toujours les mouvements physiques en tant que tels de manière mimétique ou analogique, les inscriptions graphiques significatives dans le domaine culturel ne sont uniquement opérationnelles que comme impératifs à faire des actes. Les surfaces d’inscription régissent des actions non seulement dans la réalisation d’une partition, mais aussi dans la lecture du langage écrit – à haute voix ou silencieusement – et en « lisant » silencieusement une partition. (En effet l’activité mentale est une action, et elle est évidemment fondamentalement physique). Bien qu’il y ait probablement des différences qualitatives entre ces actions en tant que telles et les expériences qu’elles suscitent, tout montre que le substrat de la signifiance de la surface d’inscription est la manière avec laquelle il organise le temps perceptuel et productif, d’où l’idée d’un temps actionnel.

Mais si des formes variées d’écriture et de notation peuvent être considérées comme prescrivant une série d’actions physiques et mentales dans le temps à travers des règles culturellement déterminées, comment cette conception peut-elle s’appliquer à une partition comme la Piece 3 de Bussotti qui ressemble à un dessin ? En fait, il existe une vieille idée que la signification dans la peinture et le monde des images est d’une façon ou d’une autre atemporelle. Dans son traité sur les arts multiples, le Paragone, Leonardo da Vinci écrit que la peinture est supérieure à la poésie (prise comme forme parlée) et à la musique parce que dans la peinture tout est perçu instantanément64. Et comme nous l’avons noté auparavant, en commentant la notation graphique de Cage dans le Piano Concert, Stockhausen déclare que « ici aucun déroulement temporel n’est composé ». Le propos de Da Vinci est sûrement hyperbolique : même si les éléments de la peinture sont présents dans une simultanéité, clairement il faut prendre du temps pour les examiner. Stockhausen semble assimiler la signification linéaire d’unités discrètes – quelque chose comme l’aspect syntagmatique du langage – avec le temps lui-même. Mais peut-être le niveau le plus fondamental de toute signification de la surface d’inscription est constitué simplement par un engagement avec l’économie temporelle en général. En d’autres termes, la surface d’inscription facilite une série d’actions, que le processus de la vision soit stipulé de façon linéaire ou successive ou bien qu’il permette d’être interprété assez librement, comme c’est le cas lorsqu’on a devant soi une image.

Bussotti lui-même a semblé considérer ses notations picturales dans les Five Piano Pieces comme une chose qui stimule des actions, qui n’est reliée activement au son empirique que dans la conjugaison du présent – le « maintenant » de l’exécution. Dans cette perspective, la Piece 3, par exemple, peut être comprise comme une nouvelle forme d’action-notation. Elle représente moins les sons, elle prescrit (ou effectue) plutôt des actions qui vont produire des sons. Néanmoins, à cause de l’ambiguïté extrême de la notation, Bussotti n’influence les actions que de manière indéterminée. Dans la version publiée de la partition, les seules directions que Bussotti nous donne se lisent comme suit :

Les indications musicales [Aufzeichnungen] réalisent un continuum entre la notation connue et celle qui est inconnue : signes/dessins [disegno/Zeichnung]. Dans un cas [La Pièce pour piano 4], un dessin autonome réalisé par l’auteur dix années auparavant est adapté pour piano. De tels signes/dessins devraient permettre aux mains du pianiste de produire une multiplicité d’évènements sonores65.

Cependant, Bussotti a aussi inclus dans l’édition publiée un curieux commentaire : « L’expression dans le titre "For David Tudor", n’est pas une dédicace, mais plutôt une indication instrumentale ». Si Bussotti fait preuve ici (de manière caractéristique) de beaucoup d’humour, il est aussi en train de manière inattendue de qualifier conceptuellement l’indétermination extrême. Pour Bussotti, une personne historique concrète devient la solution à l’ambiguïté sécrétée par la notation et, par là, le corps et l’esprit de Tudor deviennent le lieu idéal de l’action, se substituant à l’absence d’instructions guidant l’exécution. En plaçant Tudor « dans » la partition, Bussotti trouve un moyen bizarre de proposer que les actions d’un corps constituent la clé d’une notation qui s’apparente à une image.

L’aspect pictural de non linéarité et l’ambiguïté de sens des inscriptions de Bussotti sont en étroite relation. S’il y a une tendance historique à privilégier les signes linéairement discrets et disjoints comme matérialisation de la temporalité dans l’écriture, cette tendance s’accompagne d’une distinction traditionnelle entre « lire » et « regarder », entre ce qui est codé et ce qui ne l’est pas. Sur le concept du langage écrit et d’opacité visuelle, l’égyptologue Jan Assmann écrit :

Non seulement un signe doit prendre une forme physique pour se manifester, mais cette forme physique… doit aussi être diminuée dans son importance ; c’est-à-dire, elle doit être sémantiquement neutralisée. La participation de l’aspect matériel du signe n’est jamais catégoriquement sans signifiance mais toujours plus ou moins co-signifiante de manière latente66.

En plus, Assmann observe que le « regard qui lit » ne peut pas « voir ce qu’il y a derrière » la matérialité si la forme est trop élaborée : « ‘Lire’ devient ‘regarder’67 ». Dans les Five Piano Pieces de Bussotti ou le Concert de Cage, le regard menace toujours de submerger la lecture. Mais en face de telles partitions subliminales, la distinction de Assmann est trop proche de la binarité pour être utile. De la même façon que les artistes et musiciens du vingtième siècle ont tenté de compliquer l’idée d’une distinction naturelle entre l’art et le non art, Bussotti et d’autres compositeurs de notations non traditionnelles ont semblé suggérer qu’il n’y a pas de distinction absolue et immédiate entre les diverses formes d’inscriptions signifiantes. Lire et regarder ne peuvent pas être complètement séparés. Dans certaines des notations de la Pièce de Chair II, Bussotti intercale non seulement des figures graphiquement élaborées dans sa notation musicale, mais aussi des fragments multi-alphabétiques du langage écrit. Pris dans leur ensemble, ces signes et figures forment une composition picturale, comme si Bussotti suggérait que toutes les inscriptions sont pénétrées de la résistance sémantique d’un dessin. Si, comme Derrida dans sa jeunesse l’a soutenu de manière controversée, il y a toujours dans la parole une écriture qui dérange par sa présence, une arch-écriture, peut-être en plus y a-t-il toujours dans l’écriture une sorte de dessin68. Le dessin, en tant que trace iconique, apparaît à la fois comme la nécessité et le surplus d’une pure signification illusoire, comme le niveau graphique qui ne peut jamais arriver à réaliser une pure coïncidence avec la signification. En interprétant, au sein de l’approche temporelle de la signification « économie/action » que j’ai esquissée, l’élément du regard, même lorsqu’on est en train de lire le signe apparemment le plus transparent, enregistre la trace de la non identité du graphique et du sémantique comme un décalage mince comme une feuille de papier dans le temps du décodage. C’est cet aspect, au moins présent de manière minimale, du dessin déjà inclus dans l’écriture et la notation qui rend possible les cas limites (comme ceux des partitions de Bussotti) qui semblent à la fois se présenter comme des dessins et des notations.

L’obstination graphique contrarie la transparence (déjà illusoire) de l’inscription et dérange le flux temporel régulier des signifiants. Mais en créant des partitions sémantiquement peu claires ressemblant à des images ou des tableaux, il semble que Bussotti et Cage ne souhaitent pas geler le temps mais au contraire cherchent à faciliter une temporalité plus dynamique – une notation d’action qui ne permet pas de prévoir clairement les évènements à venir. Si les notations dans les Five Piano Pieces et le Concert sont comme des images ou tableaux, s’ils invitent à regarder, cela ne les empêche pas d’être des incitations à l’action et au processus temporel. C’est simplement parce que ces inscriptions, surtout dans la partition de Bussotti, suscitent des actions – par l’œil, par les mains – à travers une relation au format spatial relativement non linéaire et avec une signification qui reste indéterminée. Paradoxalement, en raison de la semblance d’autonomie picturale, de telles partitions sont tout ce qu’on veut sauf autonomes. Si tant est que celles-ci soient véritablement des notations musicales, l’opacité accentuée des inscriptions et le manque relatif d’autorité signifiante rend indispensable leur exécution.

Matériel cinétique – Transición II et Zyklus

Stockhausen dans ses conférences, en plus de la sélection de partitions dont les conventions de la signification notationnelle sont bousculées par les propriétés graphiques présentées sur une seule page, a choisi des partitions dans lesquelles les pages sont elles-mêmes souvent assujetties à divers principes non traditionnels concernant leur ordre et d’autres manipulations physiques. En jouant avec le caractère manipulable et tactile des partitions, Cage, Kagel et Stockhausen ont tous les trois attiré l’attention sur la nécessaire corporalité physique de la notation tout en soulignant les dimensions temporelles de cette matérialité. La signification – ou, d’après le schème général que j’ai proposé, l’organisation temporelle de l’action – n’est pas seulement déterminée par des inscriptions, mais aussi par les surfaces sur lesquelles s’inscrivent les signes et les usages auxquelles elles sont soumises.

Lorsque Stockhausen dit que dans le Concert de Cage « le temps n’est pas composé » il ne parle pas seulement de la disjonction perceptible entre « l’arrangement des signes écrits » et la structuration du temps, mais aussi de la liberté donnée à l’interprète de sélectionner n’importe quel nombre de pages et de les arranger dans un ordre correspondant à son désir. :

La partition entière, soit les 62 pages, est adaptable comme un réservoir de matériel accumulé. En tant que réservoir, un réservoir de matériau véritablement d’une ampleur sans égal, allant du minimum, qui implique que rien n’est utilisé, au maximum, où toute la partition est interprétée, tout ceci pouvant être réalisé simultanément et en succession. On ne peut prescrire une utilisation plus radicale du matériau69.

L’idée de Stockhausen que le Concert ne comporte pas de temporalité « composée » ressemble quelque peu à ce que déclare Bussotti quand il dit que sa Piece 3 ne représente pas des sons « réels » mais plutôt des sons « virtuels » et « qui n’existent que dans l’imagination ». Ne pas composer le temps et ne pas représenter des sons dans leur réalité sont deux façons d’invoquer les partitions en question comme des potentialités qui n’ont qu’un lien minime avec l’intentionnalité d’un auteur. Mais, contrairement au temps réel du processus perceptuel que Bussotti propose pour sa partition, le pianiste de la partition de Cage réalise un degré significatif de potentialité avant de se mettre à l’exécuter, même s’il ou elle ne va pas aussi loin que Tudor dans la préparation d’une version re-notée, et se contente simplement de réarranger l’ordre des pages avant l’exécution.

Dans Transición, Kagel joue avec la potentialité à la fois en demandant à l’interprète de déterminer l’ordre des pages avant l’exécution de la pièce comme chez Cage, et, ce qui est plus frappant, en utilisant la dimension matérielle cinétique de la partition elle-même – c’est à dire à même le papier – qui au moment de l’exécution va déterminer les contours du dessin70. Kagel ne fait pas qu’attirer l’attention sur les actions à réaliser sur les instruments pendant l’exécution, comme nous l’avons fait remarquer ci-dessus, mais sur la partition elle-même, soulignant son existence matérielle et tactile, comme élément structurel de l’organisation temporelle. Comme dans le Concert de Cage, la partition de Transición consiste en une série de grandes pages volantes et écrites sur une seule face. Mais alors que le Concert comporte une logique matérielle/temporelle très ouverte, dans Transición, Kagel met en place un système complexe qui comprend des choix et des régulations. A l’intérieur de spécifications de jeu remarquablement volumineuses, qui elles-mêmes s’étendent sur quatorze pages, Kagel explique que chaque page de la partition est un membre d’une structure A, B ou C, et ensuite il fournit une série élaborée de règles stipulant pour l’interprète la manière de combiner ces structures, complétée par une série additionnelle d’exceptions aux règles71.

Les notations de Kagel sont gravées en caractères d’imprimerie plutôt que dessinées à la main, employant des figures empruntées à la notation conventionnelle – modifications de portées, têtes de note, clefs – aussi bien que des notations qui ressemblent à celles de Cage : des collections éparpillées de points à l’intérieur de boîtes pour indiquer des densités approximatives d’attaques et/ou de hauteurs. Ce qu’il y a de plus intéressant chez Kagel, je pense, c’est sa façon de présenter des configurations d’espaces circulaires et rectangulaires avec des inscriptions en marge de la périphérie. Après la dernière page de la partition, il y a six pages de figures circulaires avec des combinaisons de points, de zigzags et autres formes de figures, et aussi des figures rectangulaires remplies d’autres signes empruntés à la notation traditionnelle72 (Exemple 7). Ces formes doivent être découpées et insérées dans le corps principal de la partition comme c’est spécifié par un nombre qui lie la forme avec un cercle vide ou un rectangle vide dans la partition. Les cercles doivent être fixées à la partition en plaçant des épingles ou punaises dans la croix placée en leur centre. Les rectangles, qui ont des onglets attachés, doivent être insérés dans des fentes découpées dans la partition. Cela permet aux cercles de faire des rotations et pour les rectangles d’être glissés ou « transférés » horizontalement. En manipulant la position de ces formes avant et pendant l’exécution, l’interprète permet à un grand nombre de relations graphiques de se manifester entre les inscriptions inclues dans les formes mobiles avec celles fixées dans la partition73.

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Exemple 7 : Mauricio Kagel : Transición II für Klavier, Schlagzeug und 2 Tonbänder Copyright © With kind permission by Universal Edition A.G., Wien/UE 13809

Kagel a exposé les grandes lignes théoriques de ces techniques dans un article contemporain de la pièce, « Traduction – Rotation », écrit entre novembre 1958 et décembre 1959 et publié dans Die Reihe. Cet essai qui laisse le lecteur un peu perplexe, qui se lit souvent comme une parodie d’un traité de géométrie, indique clairement que, pour Kagel, l’émergence des « graphiques musicaux » rend possible une dynamisation des techniques quasi sérielles à travers des actions performatives réalisées en temps réel. Pour le dire autrement, la conception essentiellement sérielle d’identité et de dérivation rationnelle des paramètres musicaux – hauteur, durée, timbre, intensités – est intégrée dans un schème d’interprétation « actif » par la manipulation physique de la partition : « Les formes qui permettent des interprétations multiples requièrent une multiplicité (une multivalence) de supports matériels ; une ambiguïté de forme ne pourra être réalisée sans la présence d’une ambiguïté directement correspondante dans la constitution du support matériel74 ».

Au cours des années 1950, Stockhausen a constamment soutenu que les compositeurs devaient employer des procédures sérielles non pas de manière arithmétique (comme dans le sérialisme intégral, par exemple, des Structures I de Boulez) mais de manière logarithmique pour prendre en compte les propriétés acoustiques du son comme point de départ, et non en utilisant des principes constructifs abstraits et en fin de compte arbitraires. En concevant la pensée sérielle « géométriquement », Kagel la force à engager le médium physique dans l’élaboration de son support graphique et matériel, et simultanément à engager l’interprète qui interagit sur et avec la matérialité de la partition.

Stockhausen, lui aussi, a exploré la spécificité matérielle de la partition en dérivant les caractéristiques physiques des pages de ses investigations sonores75. Zyklus constitue un exercice dans lequel une analyse sonore initiale détermine l’organisation de l’activité corporelle telle qu’elle est présentée dans la structuration matérielle particulière de la partition. La pièce est écrite pour un percussionniste soliste, qui joue sur treize instruments de percussion. Chaque instrument est représenté par une simple icône en caractère d’imprimerie qui souvent ressemble vaguement à l’instrument qu’elle représente. Ces icônes sont éparpillées à travers les pages, qui, en combinaison avec un tableau préliminaire représentant la disposition des instruments, transforment la partition en une sorte de plan d’actions chorégraphiques. Cet élément de chorégraphie est renforcé par une rigueur temporelle prescrite. A la place d’indications symboliques conventionnelles de durées, une forme de notation approximative de l’espace-temps est utilisée en conjonction avec l’axe horizontal du temps – un alignement de rectangles à intervalles réguliers, qui s’inscrit à travers chaque page. Sur certaines pages, l’axe du temps est agrandi pour former des lignes de rectangles multiples, qui elles-mêmes forment un type de portée pour inscrire les évènements. Plus communément cependant, les actions sont notées à l’intérieur de rectangles ou triangles à bordures épaisses qui entourent chaque côté de la ligne de l’axe temporel76. Occasionnellement l’interprète peut déterminer localement l’ordre d’évènements spécifiques, mais même quand c’est le cas la séquence dans son ensemble doit correspondre aux durées indiquées.

Le titre Zyklus (cycle), trouve son sens dans l’interaction entre cette notation régulée temporellement et les spécificités matérielles de la partition. Zyklus consiste en seize pages inscrites sur huit pages double face reliées par une spirale. La partition peut être jouée soit dans un sens soit dans l’autre (en la retournant), ce qui rappelle les partitions physiquement mobiles plus anciennes de Brown comme December 1952 ou de Feldman comme Intermission 6. Pour faciliter cette lecture bidirectionnelle, chaque occurrence d’une clef est accompagnée par la même clef renversée. En plus, les icônes désignant les instruments sont toutes symétriques si on les partage en deux, ainsi elles gardent leur forme basique quelle que soit la position de la partition. Dans les instructions de jeu de la partition, Stockhausen déclare que l’interprète peut commencer avec n’importe quelle page et procéder ensuite à jouer toutes les pages dans l’ordre en lisant de gauche à droite, et de s’arrêter lorsque la première page qui a été jouée est de nouveau atteinte. Si l’interprète va dans une direction, la notation va devenir de plus en plus indéterminée, et s’il va dans l’autre direction elle devient progressivement de plus en plus déterminée.

La logique qui gouverne cet arrangement matériel spécifique est liée aux expérimentations d’analyse du son que Stockhausen a faites, à partir desquelles il a pu développer des compositions basées sur les propriétés acoustiques de sonorités spécifiques. De manière théorique, les pages de Zyklus représentent l’inscription d’une seule sonorité complexe rallongée dans le temps. Conceptuellement, même si ce n’est peut-être pas le cas dans l’expérience auditive réelle, les diverses libertés octroyées à l’interprète ne devraient pas permettre une exécution complètement individuelle de la pièce, mais elles sont d’une façon ou d’une autre programmées pour recréer la source sonore originale. Zyklus est en fin de compte une tentative métaphysique pour coaguler ensemble concepts, supports matériels et actions dans le paradoxe d’une origine qui se renouvelle elle-même constamment.

Dans les deux cas, Transición et Zyklus, la temporalité est encodée non seulement dans le répertoire des inscriptions qui guide les actions de l’interprète mais dans les objets qui demandent eux-mêmes à être manipulés et déplacés dans le temps. A l’encontre du linguiste Roy Harris qui écrit que c’est « le critère cinétique… qui distingue la communication écrite de la communication gestuelle, comme elle distingue de la même façon toute forme d’art statique (par exemple la peinture) de toute forme d’art cinétique (par exemple le ballet) » et que la « forme écrite en tant que telle n’a pas de dimension cinétique », je soutiens que toute inscription, dans la mesure où elle se manifeste matériellement, est, à des degrés divers, un phénomène cinétique77. Les éléments matériels se déplacent, ou sont déplacés, ou bien ne sont pas déplacés de différentes manières, et cela a à voir avec comment ils prennent sens dans le temps et à son sujet. Dans le cas d’actes signifiants qui passent par la médiation de formes spatiales, l’organisation temporelle, en tant qu’impératif de produire des actions, ne peut pas être proprement théorisée si elle est seulement considérée abstraitement comme un système de signes ou comme une conception imaginaire d’inscriptions. Ces formes ne promulguent des actions dans le temps – soit de manière déterminée soit potentiellement – que dans la mesure où elles existent, matériellement et temporellement. L’existence matérielle est vitale non seulement en tant que principe ontologique (abstrait en tant que tel) mais, comme cela est démontré dans les partitions étudiées ci-dessus, dans sa spécificité comme un facteur déterminant du temps actionnel.

Conclusion : dialectique de la réification

A travers mon exposé sur les partitions de Cage, Bussotti, Kagel et Stockhausen, j’ai essayé de démontrer que le postulat de la présence de différences fondamentales entre la spatialité des graphiques « autonomes » et la temporalité des codes impose une fausse binarité, alors qu’il s’agit phénoménologiquement d’un continuum complexe. Les inscriptions matérialisées favorisent des formes de temporalité se présentant comme sites d’actions culturellement prescrites, tout en étant simultanément assujetties au temps comme condition de leur existence. Mais dans ma tentative de réconcilier le matériel et le pictural avec le performatif, je n’ai pas eu l’occasion de considérer de manière adéquate la dimension historique de cette tension. En dépit de mon affirmation en faveur de leur non autonomie, les partitions graphiques n’ont pas seulement été employées comme des dispositifs pour réaliser des prestations indéterminées, mais à certains moments comme des fins en elles-mêmes. Après tout, comme l’observe Stockhausen, certaines partitions de cette période ont été vendues comme des tableaux. Les partitions non conventionnelles avaient pour objectif le présent éphémère, non répétable, dynamique et temporel, tout en facilitant et participant simultanément à leur propre réification spatiale et même à leur marchandisation. Le processus et l’objet entrent en contradiction sinon de manière phénoménologique et ontologique, du moins de manière idéologique. Pour conclure en m’adressant spéculativement à la possibilité historique de cette dialectique étrange entre le réifié et le performatif, je vais aborder un concept que j’ai jusqu’à maintenant ignoré : “l’œuvre”.

Dans son article « Improvised Music After 1950 : Afrological and Eurological Perspectives » (« La Musique improvisée après 1950 : Perspectives afro-logiques et euro-logiques »), George E. Lewis a observé que durant les années 1950, les compositeurs expérimentaux ou d’avant-garde américains et européens ont incorporé la création de structures en temps réel dans leur musique de tradition « euro-logique » pour la première fois depuis 150 années78. Cette priorité croissante donnée à la détermination des sons en temps réel (qu’on peut appeler « improvisation ») représente ce que j’ai appelé un glissement accentué de l’attention vers le « maintenant » performatif. Il est significatif que la disparition initiale de l’improvisation dans la plupart des musiques de l’art occidental coïncide avec ce que Lydia Goehr a identifié comme la codification du « concept d’œuvre » aux environs de 1800. Dans sa thèse bien connue, Goehr propose l’idée suivante : alors que la musique avait été comprise avant cela comme « un art performatif plutôt que productif », le paradigme esthétique du Romantisme qui a émergé à la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième siècle a nécessité pour la musique, si elle voulait rejoindre le rang des beaux-arts, de produire des « produits durables », donc des « œuvres »79.

Le concept d’œuvre suscite une perception simultanée d’insuffisance et de nécessité, et je pense qu’il s’agit là d’une des anxiétés majeures ayant motivé le développement à la moitié du siècle de la notation non conventionnelle et de la réification de l’objet-partition qui l’a accompagnée. A peu près à la moitié du vingtième siècle le concept d’« œuvre musicale » fermée a été désavoué par beaucoup de compositeurs d’avant-garde européens et américains. La thèse développée au dix-neuvième siècle qui a imputé à l’œuvre une « permanence et autosuffisance qui va la séparer de toute contingence mondaine ou historique80 » ne pouvait pas être réconciliée confortablement avec le désir d’une musique éphémère, indéterminée et non répétable. En gros, le caractère irréconciliable suggère deux conceptions incompatibles du temps et de l’espace : le conceptuel et l’empirique. Si l’« œuvre » dans l’esthétique romantique est « permanente », elle est pourtant tenue comme étant, pour ainsi dire, hors du temps et à l’abri des regards. Par conséquent, alors que la partition avait acquis une plus grande autorité avec l’émergence du concept d’œuvre, le lieu de l’ « œuvre musicale » paradoxale n’était pas à trouver dans son inscription matérielle mais dans son idéalité. (Pourtant, l’émergence de l’œuvre musicale a été liée à l’idée de propriété, de droit d’auteur et plus généralement de la marchandisation de la musique). Cependant, des compositeurs comme Cage et Bussotti ont semblé mettre l’accent sur une esthétique de l’impermanence et du transitoire, dans laquelle la musique n’existe que par sa « présence » sonore.

Mais pourquoi ce tournant vers l’éphémère et la présence temporelle correspond-t-il à l’accentuation de la partition elle-même – en tant qu’objet ? Il semble que le concept d’œuvre continue d’être profondément enfoui dans la conscience musicale occidentale. Après avoir noté l’introduction à la moitié du siècle de la création de structures incorporant le temps réel et le performatif dans la musique d’avant-garde européenne et américaine, Lewis observe pourtant la peine que se sont donnés beaucoup de ces compositeurs – en particulier John Cage – pour prendre leur distance vis-à-vis de toute comparaison avec le jazz et, bien sûr, avec l « improvisation » dans leurs manières de formuler leurs discours sur la musique. Il cite Anthony Braxton à ce sujet : « Les termes d’aléatoire et d’indétermination ont tous les deux été fabriqués… pour éviter le terme d’improvisation et par là l’influence de la sensibilité non blanche81 ». A l’argument de Lewis, je voudrais rajouter qu’en plus de la sélection judicieuse de la terminologie, les compositeurs américains et européens ont pris eux-mêmes leur distance, de manière intentionnelle ou pas, avec le concept d’improvisation en en mettant particulièrement l’accent sur la présence de la partition – un objet qui a traditionnellement distingué la musique occidentale de bien d’autres cultures musicales. À travers cette importance accordée à la partition, un objet est employé presque littéralement comme une frontière physique entre une tradition et une autre82. (Ceci n’est pas pour dire que les musiciens de jazz n’ont pas utilisé la notation musicale sous la forme de lead sheets et de partitions, mais elles n’étaient pas considérées au même degré comme des objets significatifs en tant que tels). N’étant plus un idéal d’identité, le concept de permanence implicite à l’idéologie du concept d’œuvre est littéralement réifié et devient la surface concrète de la page83.

Tandis que ce développement peut apparaître en cohérence avec le désir d’extirper la musique de l’idéalité et de la placer dans le présent empirique, il s’agit aussi d’une tentative de jouer et de gagner sur les deux tableaux. La multiplicité, la potentialité et le transitoire temporel de la prestation indéterminée est implicitement comprise comme ne s’inscrivant pas dans une cohérence avec l’identité et la stabilité du concept d’œuvre, tandis que la qualité d’œuvre [work-ness] dans le domaine de la musique est simultanément et bizarrement affirmée en étant poussée à converger avec son modèle historique – le produit des arts plastiques. Bien que la complète réconciliation de cette contradiction me paraisse impossible, les caractéristiques que j’ai présentées dans les partitions citées ci-dessus indiquent une détermination mutuelle du performatif et de ce qui apparaît comme réifié. Comme j’ai déjà tenté de le démontrer, une partition, en ressemblant à ce qui, en terminologie traditionnelle, a été considéré comme un objet « autonome » – par exemple, un dessin – peut simultanément faciliter les enjeux renforcés d’un « maintenant » performatif grâce à des conventions actionnelles picturales moins codées et linéairement plus libres si on les compare avec les schèmes de la notation traditionnelle. De la même façon, la matérialité et l’objet-ité [object-ness] de la partition elle-même peut être accentuée, sans contredire l’idéal d’errance transitoire, en se situant cinétiquement dans la temporalité du performatif. Mais pour dépasser pleinement la menace de réification de la musique, une synthèse plus globalisante doit être envisagée. Stockhausen se soumet à cette requête en proposant que les partitions graphiques insolites soient considérées comme ayant fait naître finalement une forme sans précédent de Gesamtkunstwerk théâtral, qui unit la vision, l’audition, l’imagination et l’action :

De percevoir la connexion immédiate entre l’écrit et le son n’était pas jusqu’à présent accessible à l’homme ordinaire parce qu’il ne pouvait pas lire les notes. Les graphiques indépendants sont des illustrations qui parlent aussi aux non musiciens, créant véritablement une image des évènements sonores en tant que tels, mais se repliant encore sur eux-mêmes par le fait qu’ils sont ambigus, symbolisant les règles de connexion plus qu’une réalisation déterminée. En revanche, l’action elle-même est le véhicule du son : entendre et voir se rejoignent, les évènements qu’on entend étant compris comme les conséquences immédiates d’actions [c’est-à-dire d’évènements actionnels]. C’est le point de départ d’un théâtre musical, ou art-théâtre [kunst-theater]… La musique qu’on entend (et qu’on voit simultanément) est mise en relation avec la musique qu’on lit (qu’on est simultanément capable de « voir » et d’entendre intérieurement) à travers l’action musicale84.

La position de Stockhausen a sans doute été confirmée par le champ d’activité de plus en plus « théâtral » à la fois constitué et influencé par les cercles de l’avant-garde musicale de la fin des années 1950 aux années 1970. Pourtant il est difficile de déterminer le statut conceptuel des partitions et notations de ces théâtralités d’après-guerre, partiellement en raison du regard fétichisant de ceux qui ont tendance à tenir des discours a posteriori et à vouloir tout conserver dans des musées. Les objets à qui on a pu accorder ou pas une signification autonome au moment de leur production semblent tous se trouver au même niveau de pétrification lorsqu’ils sont placés dans la vitrine d’une exposition. Mais avant de sonner le rappel d’une nostalgie imaginaire pour le « maintenant » perdu à jamais au profit de « alors en ce temps-là », il convient de se demander si l’avant-garde qui s’est tournée vers une esthétique de la performativité indéterminée n’était pas déjà une fétichisation paradoxale de l’éphémère en tant que tel et donc déjà une sœur jumelle de la réification de la musique dans un objet fétiche. Tout au long de cet article, je suis peut-être tombé dans le piège de la valorisation irréfléchie de l’éphémère et du performatif – pour faire court, en prenant fait et cause pour quelque chose que Carolyn Abbate a appelée de façon frappante la dimension « drastique » de la musique85. En effet, j’ai semble-t-il éperdument cherché le drastique dans les inscriptions et les objets – dans leur économie temporelle, dans leur action latente. Mais le désir de l’expérience du « moment » transitoire, sans médiation ni délai, n’appartient-il pas une métaphysique suspecte ? Si auparavant j’ai suggéré que la signification pure et le flux temporel se dérobe à l’écriture par sa dimension nécessairement liée au dessin, est-ce qu’il n’y a pas la présence de cette non identité dans toute tentative de penser et de faire l’expérience de l’éphémère dans toute sa plénitude ? En tant que tel, l’essor historiquement contradictoire de la partition schizo-autonome ne serait pas seulement l’indication de l’ubiquité de la logique marchande, mais aussi la représentation de quelque chose d’autre : un retour du réprimé, la trace qui est à l’intérieur du temps mais qui rend le moment à jamais perdu.

 

–Je voudrais remercier le Internationales Musikinstitut Darmstadt pour m’avoir donné accès aux bandes audio des conférences de Stockhausen, et aussi Kári Driscoll et Peter van Suntum pour leur aide dans la transcription de ces bandes.

 

[Gutkin]

 


1. Note du traducteur. Cet article a été publié en anglais dans Perspectives of New Music, Volume 50, N° 1 & 2, Hiver et Eté 2012, pp. 255-305.

2. Earle Brown, “On December 1952”, American Music 26 (1) (Printemps 2008) : p. 3.
Brown écrit : « Mais la conception originale envisageait une boîte posée sur le piano et ces choses seraient propulsées par des moteurs dans différentes directions et différentes vitesses, et ainsi de suite, de façon à ce que les éléments horizontaux et verticaux puissent physiquement se déplacer devant le pianiste… J’avais réellement l’idée qu’il y avait la possibilité que l’interprète réagisse en jouant de manière très spontanée, tout en étant intimement connecté au mouvement physique de ces objets dans une boîte mécanisée à trois dimensions… Je n’ai jamais réalisé cette idée, n’ayant pas été capable de me procurer des moteurs et n’ayant pas été suffisamment intéressé pour construire la boîte. »

3. « Des moyennes géométriques employant des superpositions spatiales qui varient dans le temps lors de la prestation finale peuvent être utilisées. Le champ total des possibilités peut être approximativement divisé et les sonorités à l’intérieur de ces divisions peuvent être indiquées par leur nombre tout en laissant à l’interprète ou au monteur d’en choisir la nature. Dans ce cas-là, le compositeur ressemble à quelqu’un qui fabriquerait un appareil photo permettant à quelqu’un d’autre de prendre une photo. » John Cage, « Experimental Music », in Silence (Middletown, CT : Wesleyan University Press, 1961), pp. 10-11).

4. Cage, « Composition as Process », in Silence, p. 36.

5. “Morton Feldman Talks to Cole Gagne », Morton Feldman, Morton Feldman Says : Selected Interviews and Lectures 1964-1987, ed. Chris Villars (London : Hyphen Press, 2006), p. 170. Ma traduction (Jean-Charles François).

6. « La mort est l’eidos du Photographe. Il s’ensuit que la seule chose que je puisse tolérer, que j’aime, qui m’est familière, lorsque je suis photographié est le son de l’appareil de photo. Pour moi l’organe du photographe n’est pas son œil (ce qui me terrifie) mais son doigt : ce qui a un lien avec le déclenchement de l’objectif, du déplacement des plaques de métal… J’aime ces sons mécaniques d’une manière presque voluptueuse… leur clic abrupt faisant une percée dans la couche mortifère de la Pose. Pour moi ce bruit du temps n’est pas triste : j’aime les cloches, les horloges, les montres… » Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris : Gallimard, 1980.

7. Theodor W. Adorno, Towards a Theory of Musical Reproduction : Notes, a Draft, and Two Schemata, ed. Henri Lonitz, trans. Wieland Hoban (Cambridge : Polity Press, 2006), pp.172-13. Les mots en italiques sont en français dans le texte. Ma traduction (Jean-Charles François).

8. Dorit Tanay, Noting Music, Marking Culture: The Intellectual Context of Rhythmic Notation, 1250-1400 (Holzgerlingen: American Institute of Musicology Hänssler-Verlag, 1999), p. 195. Ma traduction (Jean-Charles François).

9. Earle Brown, « Prefatory Note » Folio and 4 Systems (New York et Londres : Associate Music Publishers, 1961). Ma traduction (Jean-Charles François).

10. L’exposition de Cage a reçu l’attention de la critique dans des publications importantes. « [Cage] expose des partitions autographes de ses propres compositions comme des œuvres d’arts plastiques. Et elles le sont… Elles rappellent toutes par leur économie de moyen, l’idéal de la prose chez Stendhal, une simplicité vigoureuse et directe, dont l’usage est son expressivité et en conséquence crée une nouvelle esthétique et une nouvelle beauté ». J.S., ARTnews 57 N° 3 (mai 1958) : p. 12. « Dans tous les manuscrits il y a un sens délicat du dessin qui opère et transcende la matière purement technique de la fixation de la musique. » Dore Ashton, « Cage, Composer, Shows Calligraphy of Note », The New York Times (le 6 mai 1958) : p. 33. Ces deux extraits sont cités dans Rebecca Y. Kim, « In No Uncertain Musical Terms : The Cultural Politics of John Cage’s Indeterminacy » (Thèse de Ph.D., Columbia University, 2008), p. 140. Kim écrit que « la critique du [ARTnews] indique que Cage a inclus des pages de son Concert [for Piano], Water Music (1952) et Seven Haiku (1952).

11. Feldman a aussi dit : « Mais le concept initial de quadrillage… Oh, on ne se rend pas compte combien une telle idée puisse prendre après coup une telle signification. Je n’ai aucune idée de comment c’est venu. » Feldman ajoute que plus tard il s’est montré préoccupé par la trop grande facilité à simplement griffonner de jolis dessins : « Un des problèmes auquel j’ai dû me confronter avec les premiers essais avec le papier quadrillé, c’était qu’il y avait une tendance à être trop orienté vers le dessin. C’était pour moi très facile de faire des dessins merveilleux sur la page ». (« An Interview With Morton Feldman, Jan William, 23 avril 1983 » in Morton Feldman Says, p. 153.) L’abandon évident de la notation occidentale traditionnelle inauguré par la série des Projections se trouve principalement dans la liberté de choix des hauteurs par l’interprète. Les seules spécifications de hauteur concernent les registres – aigu, moyen, grave – indiqués par un quadrillage en trois parties. Le temps est représenté par un quadrillage dans lequel chaque boîte représente une durée métronomique spécifique. Dans une interview donnée en 1972, Feldman mentionne les expérimentations qui ont eu lieu dans les arts plastiques comme un précédent possible à ses pièces « graphiques » : « C’était dans l’air du temps pendant une longue période dans le champ des arts visuels – Duchamp, et même Arp qui a créé de belles sculptures, dans lesquelles il a utilisé une goutte : peu importe où elle tombait, il la fixait à cet endroit. Dans un sens, mon travail a été fait en parallèle avec un précédent historique dans le domaine des arts plastiques. »
« Morton Feldman Talks to Paul Griffiths, August 1972 » in: Morton Feldman et Chris Villars, Morton Feldman Says : Selected Interviews and Lectures 1964-1987 (Londres : Hypen Press, 2006).

12. Pierre Boulez, The Boulez-Cage Correspondence, ed. et réuni par Jean-Jacques Nattiez, trans. Robert Samuels, (Cambridge : Cambridge University Press, 1993), pp. 116-117. Lorsque Cage a envoyé à Pierre Boulez des copies de quelques partitions de Feldman basées sur des graphismes en 1951, Boulez a d’abord répondu en critiquant les pièces et ensuite en comparant de manière défavorable Mondrian à Klee : « On n’a pas idée combien ses [Mondrian] œuvres sont complètement dénuées de mystère… C’est contre la facilité d’un Mondrian que je m’élève ». Feldman citait lui-même l’influence de Mondrian sur son travail : « Les premiers Mondrian ont été très importants pour moi en termes de leur rythme asymétrique… Il y a eu une grande exposition Mondrian en 1950. Mondrian m’a beaucoup influencé ». « Studio International Interview, Fred Orton et Gavin Bryars, 27 mai 1976 » in : Morton Feldman Says, p. 68.

13. Les relations entre les avant-gardes musicales américaines et européennes, tout au moins leur interaction en Allemagne, ont été documentées par Amy C. Beal, New Music, New Allies : American Experimental Music In West Germany From The Zero Hour To Reunification (Berkeley : University of California Press, 2006).

14. Dans une interview, Brown prétend qu’il peut affirmer de façon « assez positive » que Twenty Pages a influencé les œuvres ouvertes en Europe, en mentionnant le Klavierstück XI de Stockhausen et la Troisième sonate pour piano de Boulez. Amy C. Beal, « An Interview with Earl Brown », Contemporary Music Review 26, (3/4) (juin/août 2007) : p. 343. A ce sujet Kurt Schwertsick a écrit : « Je sais que j’ai été trompé par le Klavierstück XI de Stockhausen parce que Stockhausen avait dit qu’il l’avait rêvé. J’ai appris que ce n’était pas complètement vrai. Peut-être l’avait-il rêvé, mais après avoir étudié un certain Cage et un certain Wolff. » Markus Grassl et Reinhard Kapp (eds.) Darmstadt-Gespräche : Die Internationalen Ferienkurse für Neue Musik in Wien (BöhlauVerlag : Vienne, 1996, p. 48, traduction en anglais de l’auteur.

 

15. Friedrich Cerha note : « Dans la terminologie utilisée il y avait une différence entre aléatoire [voulant dire parmi d’autres choses les œuvres ouvertes], qui était toujours guidé, avec des régions contrôlées et définies, et les choses improvisées, qui étaient en partie ou bien complètement ouvertes, comme dans les graphismes musicaux et autres expériences similaires. » Grassl and Kapp, Darmstadt-Gespräche, p. 92. Les premières partitions européennes font partie de la première catégorie. Dans le Klavierstück, le pianiste regarde une page géante avec dix-neuf extraits de musique, allant d’un extrait à l’autre plus ou moins au hasard, comme le lui dicte son œil, l’exécution de la pièce se terminant lorsque le même fragment a été joué pour la troisième fois. La Troisième Sonate de Boulez consiste en une série de mouvements, qu’il appelle « formants », qui peuvent être arrangés dans des ordres différents. Avec les formants, l’interprète a des degrés variables de liberté de choix de parcours. Boulez a comparé sa partition à la carte d’une ville qui offre des routes multiples mais qui restent bien délimitées. Comme pour le Klavierstück de Stockhausen, les pages sont énormes, plus larges que hautes, et notées en encre verte et rouge pour indiquer des parcours différents. Les pages peuvent être alignées horizontalement pour former une présentation remarquable de multiplicité temporelle. Malheureusement, aucun piano ne pouvait avoir un pupitre assez grand pour permettre cela. Finalement le Mobile de Pousseur, comme la sonate de Boulez permet l’interpolation de sections spécifiées dans d’autres sections, formant un texte changeant et interactif. Mobile permet aussi à l’interprète plus de libertés que le Klavierstück et la Sonate avec ses exemples de libre choix des durées. Une caractéristique de toutes ces formes ouvertes est la manipulation d’éléments et la tactilité du matériel – même si ce n’est que virtuel dans le cas du Klavierstück de Stockhausen.

16. Grassl et Kapp, Darmstadt-Gespräche, p. 89.

17. Ibid., pp. 92-93.

18. Le Concert for Piano and Orchestra a été interprété par David Tudor à Cologne le 19 septembre 1958. Des lettres de Stockhausen à Wolfgang Steinecke, alors directeur de Darmstadt, sont la preuve de l’importance donnée par le premier au Concert de Cage. Stockhausen insiste, en dépit des soucis d’organisation logistique, sur la nécessité de programmer le Concert pour le séminaire final. Il cite non seulement son désir pour obtenir une période maximale de répétitions pour cette pièce, mais il écrit aussi : « cela ne convient pas à mes plans de travail, et cela crée un désordre total de jouer le Cage avant le Boulez. » Il s’est en fait avéré que Boulez n’a pas été programmé dans le cadre du séminaire, et le Concert de Cage n’a pas non plus été joué dans le cadre du séminaire final. [Lettre datée du 6 septembre 1959 – ici et toutes les lettres qui ont suivi de Misch et Bandur sont écrites en utilisant le système d’écriture de dates européen.] Imke Misch et Markus Bandur (collecteurs et commentateurs), Karlheinz Stockhausen bei des Internationalen Ferienkursen für Neue Musik in Darmstadt 1951-1996 : Dokumente und Briefe (Kurten, Allemagne : Stockhausen-Verlag, 2001), p. 244. Traduction en anglais de l’auteur.

19. L’instrumentation de Pièces de Chair n’est pas très claire, bien que Bussotti ait écrit dans la page de titre : « Pour Piano, Baryton, Une Voix de Femme, Instruments ».

20. Je ne vais pas traiter des deux partitions de Cardew présentées lors des conférences de Stockhausen, parce qu’aucune des deux n’est ici particulièrement pertinente par rapport aux préoccupations qui concernent cet article. (Bien qu’elles soient toutes les deux très intéressantes !)

21. Misch et Bandur, Dokumente und Briefe, p. 236 (le 5 octobre 1959).

22. Ibid. 241. (Le 30 juin 1959 – l’original est en anglais. Lorsqu’il écrivait à David Tudor, Stockhausen utilisait l’anglais).

23. Beal, New Music, New Allies, p. 110.

24. Misch et Bandur, Dokumente und Briefe, p. 247. (Le 12 juillet 1959 – Original en anglais).

25. Ibid. p. 259. (Le 5 septembre 1959).

26. Karlheinz Stockhausen, Text zur Musik vol.1, ed. Dieter Schnebel (Köln : DuMont Buchverlag, 1963), p. 176. Bien que l’essai ait été publié à l’origine dans les Darmstädter Beiträge, je me réfère à la pagination de la version réimprimée dans les Texte, car c’est une publication plus facile à trouver (toutes les traductions en anglais sont de Gutkin). Tandis qu’il traite brièvement de la poésie, de Mallarmé aux premières œuvres concrètes des années 1950, Stockhausen n’a jamais expliqué de manière satisfaisante comment cette économie des rôles, supposée omniprésente, fonctionne dans l’écrit.

27. Ibid., p. 177. Gutkin donne le texte original allemand. Ce n’est pas reproduit ici.

28. Ibid., p. 182. L’auteur donne l’original en allemand.

29. Ibid., pp. 180-81. L’auteur donne l’original en allemand.

30. Ce commentaire, et toutes les énonciations de Stockhausen qui vont suivre qui ne sont pas attribuées à un texte servant de source, proviennent des enregistrements de ses conférences, que le Darmstadt Institute a mis gracieusement à ma disposition (les traductions en anglais sont de Gutkin). Je donne le numéro de la conférence pour chaque citation et aussi la date et le numéro d’archive IMD (International Musikinstitut Darmstadt) pour la première occurrence pour chacune. [Texte original en allemand de la citation]. Conférence 3, 28.8.59, IMD n° 12995/59.

31. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 3.

32. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 3.

33. Par exemple, pour la notation « E », Cage écrit : « Jouer avec les mains indiquées. Si les clefs sont divergentes, une note est soit à la basse ou à l’aigu », en laissant le choix dans ce cas (basse ou aigu) à l’interprète. Presque toutes les formes de notation contiennent des aspects indéterminés de ce genre.

34. Roland Barthes, « Non multa sed multum », in Yvon Lambert (éd.), Catalogue raisonné des œuvres sur papier de Cy Twombly, vol. VI, 1973-1976, Milan, Multipha, 1979, p. 7 [rééd. in L’obvie et l’obtus, Paris, Seuil, 1982, p. 145-162 ; Kalejdoskop, n° 6, 1983, p. 13-29 ; Roland Barthes, The Responsibility of Forms : Critical Essays on Music, Art, and Representation, trans. Richard Howard (New York : Hill and Wang, 1985), p. 155].

35. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 3.

36. En répondant à la maxime de Cage « laissez les sons être eux-mêmes », Stockhausen dit : « [phrase en allemand] ». Conférence 3.

37. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 3.

38. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 3.

39. Dans sa thèse (chapitre six) John Holzaepfel a analysé brillamment et avec grand soin le processus suivi par David Tudor dans sa réalisation du Concert for Piano / « Piano Solo » de Cage. Comme Holzaepfel l’a appris, Tudor en fait a fait deux réalisations distinctes de la partition – une qu’il a utilisée lors de la création de l’œuvre au Town Hall en 1958 jusqu’en 1960 ; l’autre utilisée de 1959 jusqu’à la fin de sa vie. (De plus, chaque réalisation a été l’objet de variations d’une prestation à une autre). Pour la première réalisation, Tudor a sélectionné soixante-trois des quatre-vingt-quatre notations. Holzaepfel écrit : « Une fois sélectionnés, les graphiques dans le Texte 1 devaient être lus en respectant les instructions données par Cage dans sa préface. Tudor a fait ses sketches de contenu, a pris des mesures des dimensions des graphiques qu’il avait sélectionnés, et il a transcrit les résultats dans des feuilles séparées avec du papier comportant des portées de taille miniature, en les rassemblant dans un petit carnet relié avec un anneau. Ce format a permis à Tudor de varier à la fois l’ordre interne et la durée totale de ses exécutions ultérieures de la réalisation, simplement en ajoutant, en supprimant et en réarrangeant les pages du petit carnet (p. 214-15) ». Pour la deuxième réalisation, Tudor a élaboré « une nouvelle approche pour lire la notation de Cage en sélectionnant seulement les graphiques qui de son point de vue "avaient la possibilité d’être lus en une seule phrase [icti]", c’est-à-dire ces graphismes dont le contenu pouvait être joué comme des séries d’attaques discrètes et séparées. » (p. 234) Tudor décida de prendre cinquante-trois notations. (Voir dans la thèse de Holzaepfel le processus arithmétique plutôt compliqué utilisé par Tudor pour convertir ses mensurations notationnelles en structure de temps ou de durée.) Finalement, en nuançant un petit peu ma critique de la pratique de réalisation de Tudor, je dois noter que pour sa seconde réalisation du Concert, Tudor apparemment n’a pas toujours converti la partition de Cage en notation standard. Holzaepfel écrit : « Si à la lecture une notation se présentait sous une forme graphique ou verbale, Tudor pouvait alors se passer aussi de lignes et d’espaces. La notation standard sur une portée devenait alors simplement un moyen parmi d’autres mis à disposition pour déterminer quelle notation utiliser dans la réalisation » (p. 243). En plus, Tudor, dans sa réalisation de la partition, a trouvé le moyen de préserver un degré d’indétermination, permettant de prendre des décisions au cours de la prestation publique. Holzaepfel nous dit : « Tudor a placé une nouvelle restriction à sa connaissance consciente de ses propres actions : en déterminant le contenu de sa réalisation, il savait quelles actions seraient réalisées lors de la prestation, mais pas à quel moment exact il devait les jouer. Et pour maintenir cet aspect hors de son contrôle, il a méthodiquement fait en sorte de créer une structure temporelle à la fois imprévisible et déterminée » (pp. 304-306). John Holzaepfel, « David Tudor and the Performance of American Experimental Music 1950-1959 » (Thèse de Ph.D., City University of New York, 1994).

40. Erik Ulman, ”The Music of Sylvano Bussotti” in Perspectives of New Music 34 (2) (Eté 1996) : p. 192.

41. Dans une mise en boîte mordante et humoristique des Five Piano Pieces, Thomas écrit : « Une expérience et la fin de ce qui autorisé : la valeur de la représentation univoque et répétable de la musique n’est plus beaucoup de mise. Pour la réalisation singulière des évènements sonores supposée être dérivée de la feuille de papier, Tudor a essayé de résoudre cette énigme pendant une semaine. Une idée lui est venue à l’esprit : Glissando sur les cordes du piano. Sylvano Bussotti, qui est aussi un peintre et un dessinateur, a donné son accord. Il ne veut pas donner à l’interprète la moindre instruction mais plutôt rendre possible des idées-sons. Est-ce là le sommet de la liberté pour les deux ? Ou bien aussi les fondations d’un conflit ? Bussotti lui-même ne se préoccupe pas de savoir si tous les symboles de sa feuille doivent être réalisés, si tous doivent être joués. Tudor dit que les ornements ne peuvent avoir leur effet que s’ils sont tous joués. Où est l’autorité compétente [Kompetenzen] ici ? [L’auteur donne le texte original en allemand.] Ernst Thomas, « Klänge für Auge ? Gefährliche Doktrinen auf den Darmstädter Ferienkursen », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 1er janvier 1959. Cité dans Gianmario Borio et Hermann Danuser (eds.), Im Zeit dre Modrene : Die Internationalen Ferienkurse für Neue Musik Darmstadt, 1946-1966, vol. 2, (Freiburg im Breisgau : Rombach Verlag, 1997), p. 182.

42. Comme c’est indiqué dans la marge de gauche, chaque portée représente à la fois la tessiture des hauteurs, stipulée par l’utilisation de cinq clefs différentes, et aussi les paramètres individuels du son et les techniques instrumentales. Dans son analyse de la pièce, Stockhausen explique que la portée supérieure donne l’instruction au pianiste de produire soit des harmoniques, soit des hauteurs étouffées, ou encore des pizzicato ; le deuxième système, marqué battuto muto « indique toutes les procédures sonores qui sont jouées sur le couvercle du piano , ou bien les touches, sans faire ressortir aucun… spectre sonore des cordes du piano » ; le troisième système (de manière plutôt ambiguë) représente « séquences » et « groupements » de hauteurs, timbres, durées, et dynamiques – chacun de ces paramètres étant indiqués par une ligne de la portée ; le quatrième système signale la production de glissandi « qui doivent être réalisés directement sur les cordes soit avec l’ongle ou le bout du doigt » ; finalement le cinquième système est, comme le dit Stockhausen, un « système supplémentaire pour, comme me l’a dit Bussotti, le la au-dessus du do du milieu du clavier qu’il aime beaucoup ». Stockhausen continue : « Il [Bussotti] avait le graphisme et s’est aperçu que cette ligne allait jusqu’à la ligne inférieure de la portée, ou plutôt au-delà de cette ligne, alors il a décidé que cela permettait maintenant de considérer que c’était le la au-dessus du do du milieu du clavier [rires] ». Bussotti ajoute en plus la stipulation que la fonction de n’importe lequel de ces systèmes – à l’exception du cinquième, la portée du « la » – peut être échangée avec n’importe quel autre. Conférence 4, le 29 août 1959, IMD n° 12996a/59.

43. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

44. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

45. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

46. Stockhausen raconte que Tudor a trouvé plus facile d’établir des liens avec la partition de Bussotti qu’avec celle de Brown : « [Tudor] a dit qu’il avait gardé cette partition [Brown] dans ses tiroirs pendant des années et qu’il ne l’avait jamais interprétée ; il n’avait pas réussi à établir des rapports avec elle. Pourquoi … ce qi lui demandé. Parce que dans ce graphique, l’objet sonore a déjà été spécifié. Il faut jouer sur les touches, il faut jouer des durées spécifiées… Avec le graphisme de Bussotti, c’est tout le contraire, on a la condition d’un graphique qui reste en deçà de l’étape de la détermination des objets sonores. » L’auteur donne le texte original en allemand. Conférence 4.

47. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

48. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

49. Pourtant, Bussotti note que l’interprète peut se sentir obligé(e) de lire pas seulement de gauche à droite mais aussi de temps en temps de droite à gauche. Conférence 4.

50. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

51. Les instructions de Bussotti telles qu’elles ont été lues par Stockhausen énoncent : [suit le texte original en allemand] Conférence 4.

52. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

53. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

54. L’auteur donne l’original en allemand. Conférence 4.

55. Comme le raconte Kurt Schwertsick : « Lorsque quelqu’un lui a demandé pourquoi, il a répondu : ‘pour pouvoir garantir un degré approprié d’indétermination’ » Grassl et Kapp, Darmstadt-Gespräche, p. 48.

56. Citation en allemand de Thomas, « Klänge für das Auge ? » Cité dans Im Zenit des Moderne, p. 182.

57. Voir la note 40.

58. Theodor Adorno, « On Some Relationships Between Music and Painting », trad. Susan H. Gillespie, Musical Quarterly 79 (1) (printemps 1995), p. 70.

59. Adorno, Theory of Musical Reproduction, p. 168.

60. Par exemple par Roy Harris dans le champ de la linguistique et Jacques Derrida du côté de la philosophie.

61. Stockhausen Texte, p. 179. L’auteur donne l’original en allemand.

62. L’instruction exacte donnée par Cage est que l’image représente « l’endroit où il faut jouer par rapport au piano ». John Cage, Concert for Piano and Orchestra : Solo for Piano. New York : Editions Peters, 1960.

63. Plus généralement, les écrits de Kagel sur la notation des années 1950 et début 1960 s’accordent avec la notion de Stockhausen que la notation s’inscrit dans un processus qui s’éloigne progressivement de la description des sons en tant que telle. Voir Mauricio Kagel, « Komposition – Notation – Interpretation » in Notation Neuer Musik : Darmstädter Beiträge zur Neuen Musik, volume 9 (Mayence : Schott, 1965).

64. « La peinture présente l’impression que l’artiste a voulu communiquer tout au même moment et donne autant de plaisir aux sens les plus nobles que toute œuvre créée par la nature… La peinture te présente ses sujets en un seul instant à travers le sens de la vue, à travers le même organe qui transmet les objets naturels à l’esprit… La poésie transmet le même sujet à travers un sens qui est moins noble et qui imprime dans l’esprit les formes et les objets qu’elle décrit plus lentement et avec plus de confusion que celui de l’œil ». Leonardo da Vinci, Paragone A Comparison of the Arts, trans. Irma A. Richter (Londres : Oxford University Press, 1949), pp.60-61).

65. Sylvano Bussotti, Five Pïano Pieces for David Tudor : Extraits de Pièces de Chair II (reproduction du manuscript de l’auteur). (Londres : Universal Edition, 1959).

66. Jan Assmann, « Ancient Egypt and the Materiality of the Sign » in Hans Ulrich Gumbrecht et Karl Ludwig Pfeiffer ed., Materialities of Communication (Stanford: Stanford University Press, 1994), p. 24.

67. Ibid.

68. Ceci amène à soutenir que l’écriture ne doit pas être comprise comme l’aliénation dans la parole, mais qu’on peut aussi lui attribuer une dimension de signification idéale qui lui est propre, minée par sa propre Altérité nécessaire : le dessin.

69. L’auteur donne le texte original en allemand. Conférence 3.

70. Note du traducteur : il s’agit de disques de papier dont le centre est fixé à la partition et qui peuvent tourner, modifiant ainsi la disposition des notations dessinées sur le papier (voir plus loin dans le texte et l’exemple 7).

71. Il est difficile de savoir si les pages d’instructions très longues constituent une parodie voulue ou non de la complexité formelle de l’avant-garde. Bien que la suite de sa carrière impliquerait que c’est plutôt le cas, les déclarations de Kagel lui-même suggèrent que la complexité de sa notation et de ses directions, si elle était une sorte de jeu, devait en même temps être prise au sérieux. Il écrit : « Avec la composition de cette pièce, j’ai été graduellement forcé de développer un système étendu de signes, de symboles et de nouvelles procédures de notation pour pouvoir transcrire précisément mes idées ». Mauricio Kagel, « Komposition – Notation – Interpretation » in Notation Neuer Musik : Darmdtädter Beiträge zur Neuen Musik, vol. 9 (Mayence :Schott, 1965). Sur cette question, voici ce que Björn Heile écrit : « le déséquilibre évident entre les moyens et les fins dans la pièce [Transición II] peut ainsi être considéré comme une parodie de la théorisation lourdement exagérée du sérialisme intégral en général. Pourtant… il ne fait aucun doute que Kagel se regardait « sincèrement » comme faisant partie lui-même du cadre du sérialisme intégral et s’attelait à le développer plus avant. Plus spécifiquement, considérer que Transición II et ‘Traduction – Rotation’ sont des parodies pose problème il me semble : de telles considérations tendraient à confirmer de nouveau la dichotomie traditionnelle entre le sérieux et l’humour, ce qui ne rend pas justice à la manière particulière qu’avait Kagel de penser. » Björn Heile, The Music of Mauricio Kagel, (Aldershot : Ashgate Publishing, 2006), p. 30. Heile donne aussi une bonne description de la partition de cette œuvre : « La pièce est pour un pianiste, un percussionniste (qui ne joue qu’à l’intérieur du piano, c’est-à-dire sur les cordes, le cadre et la caisse de résonance) et deux magnétophones. Une des bandes peut être enregistrée et diffusée pendant l’exécution, une innovation importante pour la musique électronique vivante… Les deux bandes contiennent exclusivement du matériel tiré de la même pièce : la partition spécifie quelles parties peuvent être enregistrées et diffusées respectivement ; une des bandes peut être aussi modifiée électroniquement, par exemple en utilisant un modulateur à anneau. En ce qui concerne le matériau sonore, le résultat sonore est sans doute le plus varié et le plus complexe jamais produit sur un seul instrument, une sorte de super-piano » (p. 25).

72. Kagel appelles ces figures « Dreh Scheiben » ou « disques (en rotation) », en anglais « (revolving) disks », (Verschreibungs) Leisten » ou « (Traduction) Bordure ». Kagel Transición II (Londres : Universal Edition Ltd. 1963), p. 15.

73. En fait ; les disques peuvent faire des rotations pendant l’exécution, mais les bandes rectangulaires doivent être positionnés avant l’exécution et ne sont ensuite plus bougés. Je voudrais remercier Björn Heile pour m’avoir aidé à clarifier cet aspect. De plus, Heile a porté à mon attention une qualification intéressante : à la page 5 des instructions, Kagel écrit que « Dans le cas de pages extrêmement complexes – comme la page 26 – chaque interprète devra écrire une transcription de la version qu’ils ont décidée ». Page 26 contient une notation dans un disque et ainsi, la « rotation » en temps réel ne peut évidemment pas avoir lieu au cas où les interprètes utiliseraient une réalisation complètement écrite par eux-mêmes. Sans avoir examiné les archives Kagel, je ne sais pas si cette instruction avait été donnée avant la création, mais il semble que ceci porte la trace de la pratique de David Tudor.

74. Mauricio Kagel, « Translation-Rotation », trad. Theodor Presser Co., Die Reihe 7 (Edition allemande 1960, Edition anglaise 1965) : p. 32. En dépit des aspects techniques impénétrables de l’article l’argumentation fondamentale de Kagel est claire : si les compositeurs s’intéressent à un concept de multiplicité et d’« interprétation active », ils doivent s’efforcer de trouver une notation adéquate à ces objectifs. Son approche géométrique est une tentative d’aller à fond dans la pensée de cette question. En repensant les implications linéaires et temporelles de la page d’inscriptions, Kagel écrit : « Monter et descendre dans la direction d’une série de notes sont les éléments d’une géométrie à deux dimensions ; les lignes de connexion entre des directions combinées de plusieurs notes créent des surfaces qui peuvent être articulées de manière temporelle et dynamique… Si nous menons une investigation sur les figures en les séparant de la portée musicale, la distance entre les notes n’est maintenant plus une expression d’une séquence temporelle ; le périmètre, accentué par quatre points, est libre de toute fonction temporelle et par conséquent ne peut pas nous forcer à porter notre attention sur un quelconque mouvement directionnel » (p. 33). Concevoir les inscriptions de cette manière permet les types d’opérations géométriques dont Kagel trace les contours dans le reste de l’article.

75. En plus de Zyklus, Refrain de Stockhausen est un exemple de son attention aux dimensions physiques de la page, avec son utilisation exceptionnelle d’un matériel de feuilles transparentes mobiles.

76. Les évènements insérés dans les triangles peuvent être joués dans n’importe quel ordre, mais doivent pourtant en général rester dans le cadre de la position de la base du triangle vis-à-vis de la ligne de l’axe temporel.

77. Harris, Writing, p. 42.

78. George E. Lewis, « Improvised Music After 1950 : Afrological and Eurological Perspectives », Black Music Research Journal 22, Supplement : Best of BMJR (2002) : p. 215. Publié à l’origine dans BMRJ 16 (1) (1966). Lewis emploie des « adjectifs connotatifs », « afro-logique » et « euro-logique » comme des « termes [qui] se réfèrent métaphoriquement à des systèmes musicaux de croyance et de comportement qui… exemplifient des types de « logique » musicale particuliers, en soulignant que la race d’un interprète ou d’un compositeur n’est pas le standard pour déterminer si une pratique est « afro-logique » ou « euro-logique » (p. 217).

79. Lydia Goehr, The Imaginary Museum of Musical Works : An Essay in the Philosophy of Music (Oxford ; New York : Oxford University Press, 1992), pp. 151-2).

80. Ibid., p. 161.

81. Lewis, « Afrological and Eurological », p. 223. La phrase de Braxton provient de : Anthony Braxton, Tri-Axium writings, volume 1 (San Francisco : Synthesis Music, 1985), p. 366.

82. La très grande taille des partitions à partir des années 1950 peut être citée dans ces perspectives.

83. Comme le dit David Tudor de la Pièce 3 de Bussotti, cité dans la Conférence 3.

84. Stockhausen, Texte, p. 185. L’auteur donne le texte original en allemand.

85. Dans son essai « Music – Drastic or Gnostic ? » Carolyn Abbate lance une polémique pour une approche qu’elle appelle « drastique » de la pensée sur la musique qui se confronte à son caractère éphémère – son être en tant qu’événement – contre ce qu’elle appelle le « gnostique » : c’est-à-dire, l’herméneutique traditionnelle de la musicologie qui néglige la performance au profit du paradigme rationnel de « l’œuvre ». Carolyn Abbate, « Music –Drastic or Gnostic ? », Critical Inquiry 30 (3° (Printemps 2004) : pp. 505-536.

 


 

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[Gutkin]

 

Collage Cardew

English Abstract


Collage Treatise

Introduction

Le présent document est un collage de textes écrits à propos de Treatise de Cornelius Cardew. Deux textes sont originaux et écrits en vue de ce collage :

Christopher Williams, “Treatise, comment et pourquoi : un court exposé empirique”.

Jean-Charles François, “Texte pour le Collage Cardew”.

On peut avoir accès à ces deux textes dans leur intégralité dans des versions pdf que vous trouverez à la fin du collage.

Tous les autres textes sont tirés de publications existantes. Les contributions de Cardew et de Wittgenstein sont des citations tirés des articles sur Treatise inclus dans le collage. Le texte de John Tilbury est tiré de son livre Cornelius Cardew, A Life Unfinished, Copula, 2008 (une traduction d’une partie du chapitre sur Treatise est aussi disponible en pdf). Les contributions de Arturos Bumsteinas, Laurent Doileau, Jim O’Rourke, Keith Rowe, Matthieu Saladin et Marcus Schmickler sont tirés du numéro 89 de Revue&Corrigée (septembre 2011). Le texte de David Gutkin est tiré de son article “Notation Games : On Autonomy and Play in Avant-Garde Musical Scores”.
Toutes les traductions de l’anglais sont de Jean-Charles François.

Le collage est organisé en chapitres :

  • La légende (avec les sources et références associées).
  • Prologue : description des circonstances de l’élaboration de la partition Treatise.
  • Wittgenstein : le rapport que Cardew avait avec la philosophie de Ludwig Wittgenstein, notamment au sujet de l’élaboration de Treatise. Cette référence revient régulièrement, les "chevrons" > et < permettent un itinéraire qui la suit.
  • Cage/Cardew : une comparaison entre la démarche de John Cage par rapport à celle de Cardew concernant Treatise. De même que pour Wittgenstein : > et < permettent de suivre cette comparaison tout au long du texte.
  • Image du son / Image indépendante du son : une réflexion sur la notation musicale, sur les représentations graphiques de Treatise.
  • Interprétations : analyse des diverses interprétations suscitées par la partition de Treatise.
  • Vers l’improvisation : la découverte par Cardew de l’improvisation au sein du groupe AMM, pendant la période où il a écrit Treatise.
  • Vers une implication politique plus affirmée : l’évolution de Cardew à l’époque de l’élaboration de Treatise vers des projets à caractère d’engagement politique plus affirmé, comme le Scratch Orchestra et l’implication par la suite de Cardew dans le parti maoïste.

Ont participé à l’élaboration de ce collage : Samuel Chagnard, Jean-Charles François, Pascal Pariaud, Nicolas Sidoroff et Gérald Venturi.

 


 

 
Légendes, sources et références

R&C89, A. Bumsteinas

R&C89, A. Bumsteinas

R&C89, L. Doileau

R&C89, L. Doileau

R&C89, J. O'Rouke

R&C89, J. O'Rouke

R&C89, M. Schmickler

R&C89, M. Schmickler

R&C89, K. Rowe

R&C89, K. Rowe

R&C89, M. Saladin

R&C89, M. Saladin

D. Gutkin

D. Gutkin

D. Gutkin

C. Williams

C. Williams

 

 
Prologue



 
Wittgenstein >

Cage/Cardew >

< W(ittgenstein) >

< C(age)/C(ardew) >

 
Image du son / Image indépendante du son >

< W(ittgenstein) >


< C(age)/C(ardew) >

< W(ittgenstein) >

< C(age)/C(ardew) >

< W(ittgenstein)< Image

< C(age)/C(ardew)




 
Interprétations










 

 
Vers l’improvisation






 
Vers une implication politique plus affirmée





 

 


 

 


 

Vous pouvez télécharger ci-dessous en pdf, différents documents ayant permis ce collage-montage.

 

 

 

« Comment et pourquoi Treatise : un bref exposé empirique »,
par Christopher Williams (trad. Jean-Charles François).
(9p, A4 portrait, 240Ko)
 

 

« Treatise 1963-67 » de John Tilbury,
traduction d’une partie du Chap. 6 de Cornelius Cardew (1936-1981), a life unfinished par Jean-Charles François.
(20p, A4 portrait, 425Ko)