Cécile Guillier : Texte 3

L’art-mur de la liberté : murmures

Cécile Guillier

 

Une des expériences les plus agréables de jouer de la musique qu’il m’a été donné de faire a été l’improvisation libre. Après avoir dépassé un blocage qui m’en a empêché pendant de nombreuses années (toutes celles de ma scolarité au conservatoire et encore quelques autres après), c’est devenu pour moi une expérience réjouissante. Sur l’initiative d’un professeur de piano jazz, avec quelques collègues volontaires et des élèves adultes en jazz, nous jouions quelques minutes, avec ou sans consigne (quand il y en avait c’était parfois des contraintes de structure). Mon grand plaisir était dans cet enchaînement de jeu et de discussion ensuite. La discussion était gratuite, c’est à dire pas orientée vers un progrès ou une évaluation, c’était seulement le moment de parler du chemin qu’on avait parcouru, de la manière dont chacun l’avait entendu, de ce qui l’avait surpris, intéressé, décontenancé, laissé de côté… Et j’étais assez à l’aise pour jouer ou chanter, j’avais l’impression que l’on y jouait directement avec de la matière sonore (idiomatique ou pas) et avec des rapports humains (qu’est-ce que j’entends des autres, est-ce que je leur réponds…). Je crois que j’étais la seule à voir les choses comme cela, et les autres étaient surpris de mon enthousiasme. J’ai été frappée par la puissance de l’improvisation libre sur un groupe, pour relier les individus et créer une culture commune. Le collègue qui avait organisé cela prenait bien garde à ne pas formuler de jugement de valeur sur le résultat sonore et les choix des uns et des autres. Je garde une sorte de nostalgie d’avoir aperçue ce que j’aimerais faire beaucoup plus souvent, et avec des gens bien plus divers, déjà musiciens ou non. Cela dit, il faut un certain courage pour dépasser les règles de jeu musical habituel, et je ne l’ai pas toujours. Quand on parle de murs, c’est surtout là que je les vois, dans nos têtes (comme un dessin que j’avais étudié en cours d’Allemand au collège et qui disait « le mur est encore dans les têtes »). J’ai l’impression de devoir franchir un mur semblable les fois où je joue dans la rue, donc en dehors d’une salle de concert : le moment où je passe d’une personne qui marche avec un violon, comme tout le monde, à une personne qui se prépare à jouer devant les autres. Cela constitue un petit mur psychologique à franchir.

Une autre expérience, différente, de la notion de mur : durant mon apprentissage du violon au conservatoire, mes professeurs me signifiaient souvent mes défauts, mes manques. Je les imaginais comme des murs à franchir et à force d’efforts et de volonté, j’espérais y parvenir. Mais je crois que les efforts et la volonté m’ont focalisé sur les murs à franchir plutôt que sur l’intérêt à les franchir. Je crois que si mes profs m’avaient dit plutôt, voilà ce que j’ai plaisir à faire, voilà pourquoi je trouve de l’intérêt à le faire, j’aurais peut-être trouvé plus rapidement comment franchir ces murs. Le plaisir et l’intérêt à être musicien, la nature de ce qu’est un musicien, reste souvent non questionné, non partagé. C’est souvent un monde de fantasmes et de projections individuelles, alors que ça pourrait être un monde d’expériences partageables.

 


Accéder aux trois textes (français et anglais)

Texte 1, Faire tomber les murs : mûrs ?      Français

Texte 1, Walkabout Wall Falling [Faire tomber les murs : mûrs ?]      English

Texte 2a, Interlude      Français

Texte 2b, Interlude      English

Texte 3b, Free Immured-Art: Murmurs [L’art-mur de la liberté : murmures]      English