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Itinéraire entre "EPO" et "Ishtar"

 

Extraits de “L’École par l’Orchestre à l’ENM de Villeurbanne” Gérald Venturi (juin 2012)

Extraits du livret “Treatise” – projet “Sombres précurseurs” – Ishtar

 

L’École par l’Orchestre (EpO) est une nouvelle organisation des parcours d’étude dans l’école de musique. Celle-ci modifie considérablement nombre de rapports et de positions : la place et l’activité de l’élève dans l’école, le temps de l’étudiant, celui de l’enseignant, le rôle du pédagogue, la conception du savoir, les interactions entre individus (professeurs ou étudiants), le rapport théorie / pratique, le statut de la recherche musicale et pédagogique…

En lien direct avec notre expérience, nous développons un travail de l’improvisation à partir des partitions graphiques de Cornelius Cardew. Ces ateliers peuvent prendre plusieurs formes : compte tenu de la forme et de la teneur de la partition, ces moments d’échanges peuvent être, pour le stagiaire, un moyen de se rapprocher ou de s’écarter d’une partition.

 

Chaque élève apprend à jouer de son instrument dans divers contextes esthétiques, il chante, danse, improvise, lit, écrit, invente. Les formats de pratique passent alternativement par la sonate, la petite formation amplifiée ou non, l’orchestre d’harmonie, le big-band de jazz, le chœur ou encore la fanfare, etc. Ils incluent parfois les nouvelles technologies dans les processus d’élaboration ou de production.

Pour un musicien habitué à lire une partition, le graphisme est un moyen de s’écarter de la « nécessité » d’une partition pour jouer. Pour un musicien non habitué et « bloqué » par la lecture d’une partition, le graphisme agit comme une désacralisation de la partition.

 

Toutes les interactions entre les participants d’un groupe sont indispensables à la formation du musicien telle que nous la concevons. Le groupe doit avoir des échanges et des moments de recherche, c’est ce qui doit permettre une « co-construction », une collaboration entre les participants. Le rôle de l’enseignant dans ce cadre est (entre autres) de donner des tâches, des consignes et des ressources au groupe tout en veillant à la participation active de chacun des participants.

C’est aussi un contexte très favorable à la gestion du choix individuel (je vois tel signe, je joue telle matière…) et de sa place dans le collectif (cette matière arrive dans tel environnement sonore… donc…).

 

Notre objectif est de former des musiciens (des citoyens) libres de penser et de choisir. Les pratiques collectives en petits groupes telles que nous les organisons nécessitent la discussion et la confrontation d’idées dans le travail. C’est un enjeu majeur du dispositif EpO.

C’est enfin, nous en avons fait plusieurs expériences, un bon cadre pour réunir musiciens amateurs et professionnels, musiciens valides et musiciens handicapés ayant une pratique musicale régulière. Nous avons également expérimenté des ateliers avec des handicapés mentaux et une « spatialisation » de la partition et donc un travail mi spatial (mouvement) mi sonore.

 

 

Itinéraire entre "Ishtar" et "Saïki"

Extraits du livret “Treatise” – projet “Sombres précurseurs” – Ishtar

Interview de Xavier Saïki

 

Nul besoin de savoir lire la musique pour l’apprécier, Treatise s’adressant à ceux que Cardew appelle les « innocents musicaux ». De durée et d’instrumentation libres, jouables en un seul morceau ou séparément, les 194 pages de Treatise exigent néanmoins une patiente approche, seule à même de conjuguer la spontanéité des interprètes et la cohérence de l’œuvre.

Ishtar est avant tout un collectif d’artistes au sens le plus horizontal possible. Au sein de ce collectif, notre quotidien c’est plutôt l’improvisation : faire naître ce qui sort sur le moment, travailler avec ce qui est là, fabriquer ensemble dans un temps donné. Treatise est arrivé à un moment où on commençait à se questionner sur comment fixer des choses.

 

Loin d’abandonner la posture de l’artiste en état d’improvisation, nous voulons tendre cette posture par la confrontation interne, individuelle et collective induite par la présence des partitions graphiques de Cornelius Cardew.

Dans notre réflexion des pratiques improvisées, on travaille avec ce que le travail personnel et singulier de chacun, avec ce que chacun est, sans imposer un chef ou une direction, un axe venant d’une seule intention. Avec Treatise, certains ont vraiment écrit, fixé des choses, mais pour d’autres, c’était plutôt une globalité. Et à un moment est arrivée cette confrontation-là : « comment, en fixant les choses, rester à l’écoute de ce qui se passe ? ». Cela vient soulever la question de jouer l’écriture : être improvisateur, se donner une ligne, mais être disponible à ce qui se passe.

 

Composée de deux instruments acoustiques et deux instruments électriques cette formation explore un univers sonore où le jeu est notamment axé sur le croisement des différents timbres. L’association de ces timbres, parfois réunis en une matière sonore épurée, parfois en une matière sonore complexe, contribue à jouer sur les perceptions des auditeurs, et l’amène parfois vers des zones plus « troubles » ou il est plus difficile de déterminer les sources en jeu.

En termes de matière, de matériau sonore, cela nous a emmenés dans des endroits dans lesquels on n’était jamais allé. On n’aurait pas pu les trouver sans cet apport de l’écriture, qui fait que tout le monde est au même endroit à un moment donné. On l’a plus abordé sur un cadrage du temps que sur un cadrage de matériaux sonores, d’harmonie, de timbre. C’est vraiment la question du temps qui nous a centrés et réunis sur cette partition.

 

 

Itinéraire entre "Cardew" et "Saïki"

 

Cardew :
Avant de rejoindre le groupe d’improvisation AMM, Treatise a été un essai élaboré de notation musicale graphique…
Saïki :
Mais c’est vrai que Treatise a un côté, je trouve, très brut, très aride, il n’a pas de couleur…
Cardew :
…après cette expérience au sein d’AMM, la partition est devenue simplement une musique graphique.
Saïki :
C’est très radical aussi dans le trait…
Cardew :
…que je ne peux que définir comme une partition graphique qui produit sur le lecteur, sans aucun son, quelque chose d’analogue à l’expérience de la musique…
Saïki :
Et je pense que ça peut se rapprocher de réflexions, de travaux de musiciens improvisateurs qui prennent un propos, une singularité, quelque chose qui leur appartient et qu’ils développent, affinent, ressentent, travaillent sur cette chose unique.
Cardew :
…un réseau de lignes et d’espaces sans noms qui poursuivent leur propre géométrie sans aucune liaison avec des thèmes ou des modulations, avec des séries dodécaphoniques et avec leurs transformations, avec les règles ou les lois de la composition musicale et toutes les autres inventions de l’imagination musicologique.
Saïki :
Pas mal d’artistes dans ces champs-là se centrent beaucoup sur un mode, une façon de faire, et je pense que, du coup, Treatise peut faire écho à ces fonctionnements-là.

 

 

Encounter with Xavier Saïki – English Abstract

Encounter between Xavier Saïki

and

Samuel Chagnard & Jean-Charles François

2017

 

Discussion about the project developed by the Ishtar Collective on Treatise by Cornelius Cardew

http://collectif.ishtar.free.fr/Sombresprecurseurs.html

English Abstract

The collective Ishtar has evolved from having a large number of members of dancers, performers, musicians, actors (1993-1999) to a more limited group of musicians interested in free jazz and improvisation (2003…). They like to call their activity “noise music” as part of the field of sonic arts : the world of making music with objects and modified instruments. Improvisation for them is a way to question listening, time unfolding, space and public participation. They mix acoustical sources with electroacoustic ones.

The interest of the collective for Treatise by Cornelius Cardew stems, in comparison to other graphic scores, from its radical uncompromising approach to visual layout. They became acquainted with this score at the moment in which they wished to fix certain things in their improvisations. In a first approach to the piece, they decided to play the totality of the 193 pages with a clock, each page having a duration of 2 minutes. Immediately some graphics were more striking than others. They concentrated on very minimal lines. They selected the pages that interested them mostly and they applied their usual modes of playing to the strict temporality of the score.

In their realization of Treatise, the ensemble tried to combine a very strict approach to time organization determined by the layout of graphic elements on the pages, with their usual approach to free improvisation. In the Ishtar collective, each player is independent from the others, there are no decisions in common. For the realization of Treatise, they might have been working on the same page and the same time frame, but each player interpreted the graphics in his own way. Some players strictly respected the signs on paper, others had a more general loose way of translating the visual graphics into sound.

The question of the central line or “time line” has been discussed in relation with Cardew’s Handbook. Difficult choices had to be made between the possibility for the musicians to choose individually what pages to be played and what duration they might last, or on the contrary to use the time line as a common point of time unfolding. The work on Treatise had an important impact a lot on the group’s own practice of improvisation, especially concerning the relation to time.

The collective has also organized workshops for amateur musicians, or young students from music schools and primary schools, in which graphic scores played an important role, and Treatise was often used in this context. The use of graphic scores allows inexperienced players to access improvisation, the score is used as a pathway towards sound production not completely determined by some kind of notation. Pieces like Treatise are at the same time “works” in the traditional sense, and open to modes of playing independent from visual structuring. Treatise is a tool to fabricate possible worlds, to make music in the large sense of the word. But from the graphic point of view, the score presents itself as a sacred object, something fixed, untouchable. There is a very precise continuity in the piece, there is a real graphic development.

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