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Praxis (English version)

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Today political discourse articulates between the opposing concepts of poiêsis, which refers to the production of an object or a work, and praxis, which entails an action with no other purpose than itself.
According to H. Arendt, modernism is dominated by the created work or object, particularly through an infinite manufacturing of items and tools, where the concealed processes of elaboration are considered a means to an end, the final product taking precedence:

The implements and tools of homo faber, from which the most fundamental experience of instrumentality arises, determine all work and fabrication. Here it is indeed true that the end justifies the means; it does more, it produces and organizes them. (…) During the work process, everything is judged in terms of suitability and usefulness for the desired end, and for nothing else.1

Meanwhile, all practices today have, in one way or another, to confront forms of storage of information provided by electronic technologies, which come to subtly change everything: recordings, disks, electronic memory… the fixity of electronic storage of information has the tendency to create a general reification of both works written on scores and ritualized actions fixed in the collective memory of the participants. A recording definitively fixes a particular moment, but in this very process of solidification of real life, less now than ever before may it pretend to represent the authentic tradition: at a certain moment certain individuals have done this, it is just one example among others of a type of practice. Moreover, the digitalization of memory allows very easily to pirate them and to modify them for one’s own benefit. Recordings fix real events, but they are precarious in their virtuality. In order to escape commoditization, there is no other choice than to use some cunning in making sure that each event would not be the simple exact repetition of a preceding version.

However these technologies also seriously undermine the claim to the exclusivity of traditions and, hence, their aura. They favor the differentiation of practices in all fields, and therefore return to the forefront the processing and collective nature of the praxis.

For Hannah Arendt, the term praxis is replaced by “action” most often related to “speech”. For her, the condition of the action depends upon a cooperative of at once equal and different human beings. In this sense, action and speech characterize political action in its highest form: acting together whilst recognizing our differences:

Action, as distinguished from fabrication, is never possible in isolation; to be isolated is to be deprived of the capacity to act.2

H. Arendt compares the Greek and Roman systems of political interaction. In ancient Greece the laws have the function to allow the subsequent actions of the citizens, “not Athens, but the Athenians, were the polis. »3.

Modern society, more influenced by Rome than by Athens, has completely degraded action. And Arendt notes:

It was precisely these occupations – healing, flute-playing, play-acting – which furnished ancient thinking with examples for the highest and greatest activities of man.4

Rehabilitation of the praxis in the era of electronic globality returns the flutist to his place as actor of his own practice,5 , at play with the irresolute relations with others, the ephemeral character of actions, and unpredictable outcomes.6

Jean-Charles François – 2015

Translation by the author and Nancy François


1. Hannah Arendt, The Human Condition, Chicago, London : The University of Chicago Press, 1958, p. 153. Even though few references are made by the author to the terms poiêsis and praxis, her exposition, supporting three essential elements of the human condition, namely of work, created works and action, provides important keys to the understanding of what is at play in today’s world.

2. Hannah Arendt, op. cit., chapter V, « Action », p. 188.

3. Ibid., p.195.

4. Ibid., p.207.

5. See Marc’O, Théâtralité et Musique, Paris : Association S.T.A.R., 1994: “We have stated that, in a broad sense, the word actor relates more to a produced activity than to a social status (an identity). Ideally, the actor, author of his actions, is an author who verifies and acts. Through his actions, whether it be on the scene of work, social, family or otherwise – he tries to understand what he is lacking. Only action can bring him to understand this lack. And it is that upon which life is founded which he is lacking. All that he needs is to have aims in life and so fix goals. In this way he has a destiny, he contributes to cultural development. He makes history.” (page 86)

6. See Jean-Charles François, “Le Bèlè Martiniquais face aux héritiers de l’art autonome”, Les Périphériques vous parlent, N°36 Web, Paris, 2012. The practice of dance, poetry and traditional Bèlè music in Martinique is a living example of the idea of Praxis as it is defined in this text.


 

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IO + IOU

English reference


Textes Parallèles

I / O de Benjamin Boretz (2001)
IOU – Reconnaissance de dette de Jean-Charles François (2015)

 
Vous pouvez accéder à ces deux textes de deux manières différentes :

1) Une vidéo composée d’un diaporama des textes
accompagné de leur mise en voix par :

  • Dans le rôle de Ben Boretz : Jean-Charles François
  • Dans le rôle de Jean-Charles François : Monica Jordan
  • Titres des œuvres du Boretz : Nancy François
  • Non-titres du François : Dan Haffner

2) Les deux textes en version pdf :

I/O+IOU (en français, 12p, paysage, 175Ko)

Praxis

English


Pour un
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vers…

Aujourd’hui, l’enjeu politique s’articule sur l’opposition entre les concepts de poiêsis, qui renvoie à une fabrication qui produit un objet, une œuvre, et de praxis, qui implique une action qui n’a pas d’autre fin qu’elle-même. L’œuvre, selon H. Arendt, domine la modernité, surtout à travers la fabrication infinie d’objets et d’outils, dans des logiques où le produit final prime sur les processus d’élaboration qui restent cachés comme moyens de parvenir à des fins :

Les outils de l’homo faber, qui ont donné lieu à l’expérience la plus fondamentale de l’instrumentalité, déterminent toute œuvre, toute fabrication. C’est ici que la fin justifie les moyens ; mieux encore, elle les produits et les organise. (…) Au cours du processus d’œuvre, tout se juge en termes de convenance et d’utilité uniquement par rapport à la fin désirée.1

Cependant toutes les pratiques d’aujourd’hui doivent d’une façon ou d’une autre se confronter aux formes de stockage des informations mises à la disposition par les technologies électroniques qui viennent subtilement changer la donne : enregistrements, disques, mémoires électroniques,.. La fixité des mémoires électroniques tend à une réification générale à la fois des œuvres sur partition et des actions ritualisées fixées dans la mémoire collective des participants. L’enregistrement fixe à jamais un moment particulier, mais dans ce processus même de solidification du réel, moins que jamais il ne peut prétendre représenter la tradition authentique : c’est comme ça que à un certain moment des individus ont fait cela, c’est un exemple parmi d’autres d’un type de pratique. Par ailleurs la numérisation des mémoires permet très facilement de les pirater à loisir et de les modifier à son propre profit. Les enregistrements fixent des évènements réels, mais ils sont précaires dans leur virtualité. Pour échapper à la marchandisation, il n’y a pas d’autres choix que de ruser en s’assurant que chaque évènement ne soit pas la simple répétition exacte d’une version qui l’a précédée.

Cependant ces technologies entament aussi énormément la prétention à l’exclusivité des traditions et par là, leur aura. Elles favorisent les différenciations des pratiques dans tous les domaines et donc remettent au premier plan le caractère processuel et collectif de la praxis.

Pour Hannah Arendt, le terme de praxis est remplacé par « l’action », liée le plus souvent à la « parole ». Pour elle, la condition de l’action dépend à la fois d’un collectif d’êtres humains à la fois égaux et différents. Dans ce sens, l’action et la parole caractérisent l’acte politique dans sa plus haute manifestation : faire quelque chose ensemble en reconnaissant également nos différences2

L’action, en tant que distincte de la fabrication, n’est jamais possible dans l’isolement ; être isolé, c’est être privé de la faculté d’agir.

H. Arendt compare les systèmes d’interactions politiques de la Grèce et de Rome. Dans la Grèce antique les lois sont là pour permettre les actions subséquentes des citoyens, « la polis n’était pas Athènes, mais les Athéniens »3.

La société moderne, plus influencée par Rome que par Athènes, a complètement dégradé l’action. Et Arendt de noter :

Ce sont précisément ces occupations, celles du guérisseur, de l’acteur, du joueur de flûte, qui fournissent à la pensée des Anciens les exemples des plus hautes et des plus nobles activités de l’homme.4

La réhabilitation de la praxis à l’époque de la mondialité électronique, remet le joueur de flûte dans la position d’être acteur de sa propre pratique5, dans l’instabilité des rapports à autrui, le caractère éphémère des actes, et l’imprédictibilité des fins6.

Jean-Charles François – 2015


1. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris : Calmann-Lévy, 1961-1983, p. 206. Bien qu’elle ne fait que peu de références aux termes de poiêsis et de praxis, son exposé, portant sur trois éléments essentiels de la condition humaine, le travail, l’œuvre et l’action, donne des clés importantes pour comprendre ce qui est en jeu dans le monde d’aujourd’hui.

2. Hannah Arendt, op. cit., chapitre V, « L’action », p. 231-314.

3. Ibid., p.254.

4. Ibid., p.268.

5. Voir Marc’O, Théâtralité et Musique, Paris : Association S.T.A.R., 1994 : « Nous avons dit que dans son sens large, le mot acteur se rapporte à l’activité produite plus qu’à un statut social (une identité). Idéalement, l’acteur, auteur de ses actes, est un auteur qui vérifie, agit. A travers ses actes, que ce soit sur la scène du travail, sur la scène sociale, familiale ou ailleurs, il essaie de comprendre ce qu’il lui manque d’essentiel. Seule l’action lui fait comprendre ce qu’il lui manque. Et ce qu’il lui manque, c’est cela même qui fonde sa vie. Il lui reste à en faire des buts de vie. Ainsi, peut-il se fixer un dessein. Par là, il a un destin, il contribue à développer la culture. Il fait l’histoire. » (page 86).

6. Voir Jean-Charles François, « Le Bèlè martiniquais face aux héritiers de l’art autonome », Les Périphériques vous parlent, N°36 Web, Paris, 2012. La pratique de danse, poésie, musique traditionnelle Bèlè en Martinique est un exemple vivant de l’idée de Praxis telle qu’elle est définie dans ce texte.


 

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