Musique, recherche et politique

English abstract


Zones de frottement entre le faire artistique et le faire politique, par quelques récits de pratiques
Ce texte est accompagné de 10 vignettes (une vision pleine écran est préférable)
 
« Politique », ici, concerne plus des logiques d'acteurs et d'actions (interactions et coopération, rapport de pouvoirs, domination, etc.), que les systèmes de politique publique ou des questionnements juridiques et administratifs.

Fabriquer de l'art, de la musique par exemple, fabrique du politique.

La délimitation de pratiques musicales coupées de leur dimension sociale constitue une représentation institutionnalisée qu'une entrée par le politique permet de mettre en cause. Ce phénomène n'est pas propre à la musique : nous pouvons tout aussi bien parler de la séparation entre pratiques artistiques et pratiques sociales (avec les notions d'art autonome ou de la tour d'ivoire du créateur, voir même du Créateur - toujours masculin ?), ou des coupures entre des pratiques de recherche et leur dimension sociétale.
Dans l'acception que favorisent certains courants de l'éducation populaire, le politique se trouve là où nous avons le pouvoir collectif de transformer la société. Dès lors, une pratique politique est une manière de faire permettant de mettre en lumière les contradictions et conflits à l'œuvre dans la société et de montrer qu'elle est transformable(a). Pour cela, de telles pratiques s'inscrivent nécessairement dans des réflexions et des discussions collectives, demandent une enquête, (investigation et instruction) sérieuse et rigoureuse de ce qui s'est fait, de ce qui se fait et de ce qui est à faire.

(a)— In : Lettre de la FFMJC, Éducation populaire ou animation socio-culturelle ? Groupe de recherche sur l'éducation populaire et le métier de directeur de MJC avec Luc Carton, n°8 (mars 1996), compte-rendu du troisième séminaire, Cannes 10-11-12-13 juillet 1995, p. 21.


Nous pouvons mettre l'accent sur différents éléments :

1) Les différents faire « musique-et-recherche » (avec les démarches et procédures, les manières de faire de la musique et de la recherche) montrent une grande diversité d'interactions et de coopérations entre acteurs, avec une non moins grande variété de logiques et dynamiques d'actions. En conséquence, elles impliquent des rapports de pouvoir(b)...

(b)— Michel Foucault propose « que le pouvoir qui s'exerce ne soit pas conçu comme une propriété, mais comme une stratégie, que ses effets de domination ne soient pas attribués à une "appropriation", mais à des dispositions, à des manœuvres, à des tactiques, à des techniques, à des fonctionnements ; qu'on déchiffre en lui plutôt un réseau de relations toujours tendues, toujours en activité plutôt qu'un privilège qu'on pourrait détenir [...] Il faut en somme admettre que ce pouvoir s'exerce plutôt qu'il ne se possède, qu'il n'est pas le "privilège" acquis ou conservé de la classe dominante, mais l'effet d'ensemble de ses positions stratégiques - effet que manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont dominés. ». Dans Surveiller et punir (naissance de la prison), Paris : éd. Gallimard, coll. Tel, 1975), p. 35.


2) Le faire « musique-et-recherche permet un travail d'explicitation de possibles, des situations déjà effectivement réalisées dans des actes : ceci afin d'ouvrir les champs des pratiques à des alternatives crédibles, viables et réalistes. Oui la société est transformable ! On peut citer par exemple l'expérience particulière des pratiques artistiques vis-à-vis du droit de propriété (intellectuelle mais pas uniquement)(c), d'autres division du travail, des formes de solidarité et d'autogestion, des formes de communs(d),...

(c)— Sur cette question, voir par exemple l'article de Nicolas Sidoroff : Deux exemples de pratiques musicales au crible de l'éducation populaire, dans le cadre des 12e Journées francophones de recherche en éducation musicales (JFREM) en 2014.
(d)— Sur ces questions (et plein d'autres), voir par exemple le site "le-commun" de Pascal Nicolas-Le Strat, et son livre Une sociologie du travail artistique (artistes et créativité diffuse), éd. L'Harmattan, 1998.


3) Les pratiques de musique et de recherche sont hyper-situées(e) : elles s'inscrivent dans des contextes particuliers. Elles sont forcément, obligatoirement, de fait et en force, partielles (aucune ne peut prétendre à une vérité absolue ou universelle), et partiales (elles affirment des hypothèses sur le monde).

(e)— Sur les trois adjectifs qualificatifs : « situé », « partiel » et « partial », on recommande particulièrement l'article essentiel de Donna Haraway « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », in : Manifeste cyborg et autres essais : Sciences – Fictions – Féminismes. 2007. Paris : Exils éditeur (Anthologies établies par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan), pp. 107-142. (éd. originale : "Situated Knowledge : The Science Question in Feminism as a Site of Discourse on the Privilege of Partial Perspective", in Feminist Studies, 14.3, 1988, pp. 575-599).


4) Une recherche artistique impliquée, être praticien en recherche sur sa pratique, être praticiens-chercheurs, a plusieurs dimensions politiques. Elle aide à construire des « nous » en travaillant les pratiques collectives dans leurs corps et leurs chaires. Elle questionne le présent par des « épreuves existentielles »(f) : quand le monde (ce qui arrive) vient confronter les réalités (ce qui se construit, est construit). Elle explicite, travaille et fait travailler dans le même temps, des savoirs précieux, et pour la plupart, pas ou peu reconnus : savoirs de et par l'expérience, de et par l'expérimentation, qu'ils soient d'usage, ordinaires, de périphérie, instituant(g), du quotidien, sensibles etc., ainsi que leurs multiples entremêlements et superpositions.
Pratiquer une recherche impliquée est un positionnement et une revendication politique. Et cela fait aussi quelque chose à la musique. Cela dit des choses et met en actes le pouvoir que nous, tous ensemble, pouvons avoir à prendre du recul et transformer ce que nous faisons.

(f)— Voir Luc Boltanski, De la critique : Précis de sociologie de l'émancipation, (Paris : Gallimard, nrf essais, 2009), notamment les pp. 156-173.
(g)— Toute ressemblance avec Centre et périphérie de Remi Hess (Paris : Economica, coll. Anthropos, 2001, première édition en 1978) est volontaire.


Karine Hahn et Nicolas Sidoroff – février 2016


Je suis sur scène, face au public. C'est grisant.
Bon, d'accord, je ne suis pas complètement seul sur scène - et puis, aussi, je suis bien obligé de me mettre bien avec les techniciens ; mais quand même, malgré tout, malgré eux, c'est très excitant. Cela me donne une telle impression de puissance ! Je veux impliquer mon public. D'abord, cela se fait, maintenant ; si je ne le sollicite pas, je vais avoir l'air ringard. Ensuite, je lui dois bien cela, au public, avec toutes les sensations qu'il me permet d'avoir !
Bon, je vais diviser la salle en trois.
Je vais leur montrer quel son faire, sur quel geste - il y en a bien une majorité qui arrivera à la reproduire. Plusieurs gestes, pour que je puisse contrôler un peu le volume, la durée, l'intensité... Si je m'y prends bien, je peux même avoir une base harmonique qui tienne la route pour déployer mon discours...
Ça y est, là, je le sens, ils y sont, j'y suis !
Wahoo, comme ça sonne, quelle classe ! Un instant de communion...
Ce n'est pas qu'une sensation de puissance, c'est de la puissance, de la toute -puissance. Des enjeux de domination, là-dedans, vous croyez ? Moi, je n'y vois que de l'Art...
Je cherche une forme pour inviter le public à débattre sur ce qu'il vient d'entendre, après notre spectacle.
Je suis dans un groupe ; on est une dizaine, pour la plupart des musiciens. On a fait des choix, dans les procédures de fabrication musicale, pour que chacun puisse apporter sa pierre à l'édifice, mais aussi ses contradictions. On a cherché à ce que chaque parole puisse être exprimée, respectée, débattue, malmenée, étirée dans plein de sens, plein de formes, reformulée collectivement.
D'accord, on a beaucoup palabré ; on y a passé pas mal de temps, on s'est offert le luxe d'en perdre, de ne pas produire, mais au final, vraiment, c'est chouette, c'est plein de sens, et le rendu est vraiment intéressant - collectivement, et individuellement, on s'y retrouve.
Mais bon, malgré tout, j'ai des doutes. Je ne sais pas bien si cela s'entend, la manière dont on s'y est pris. Je ne voudrais pas que les gens pensent, en voyant le spectacle que, forcément, comme on est une dizaine, il y a dû nécessairement y avoir un leader. J'ai peur que ça ne s'entende pas, musicalement, qu'on a réfléchi sur notre engagement politique, dans notre manière de fabriquer l'ouvre. Vraiment, cela m'embêterait de penser que notre engagement politique dans la fabrication musicale ne s'entende pas.
Alors j'invite le public à prendre par à une discussion sur nos procédures de fabrication du musical. Tentons l'informel, tentons le formel. Un buffet, avec le public, le temps d'une verre à partager, c'est toujours bon à prendre ; mais difficile, pour les personnes du public comme pour les musiciens, de ne pas rester dans un entre soi. Alors un temps de débat, à l'issue du spectacle. Mais comment lancer la discussion, comment impliquer les participants? Certains nous signifient que ça, c'est notre sauce, que eux viennent pour le spectacle ; mais qu'ils sont contents qu'on leur parle, après, cela démystifie un peu l'artiste ; mais de là à savoir comment on s'y est pris. non, cela ne les concerne pas vraiment. D'autres, au contraire, semblent s'intéresser à nos manières de faire, et celui-là pose des questions vraiment précises : chouette, on échange ; mais lui aussi est un musicien...
Si je trouvais comment faire, j'aurais l'impression d'avoir réussi à relier engagement artistique et engagement politique. Si j'essaie de trouver comment faire, c'est déjà un acte politique. Et qui modifie ma musique.
Sortie de scène, en se dirigeant vers le bar,...
- Je peux te poser une question ?
- Oui, bien sûr.
- Il m'a semblé, dans ce que j'ai vu ce soir en tout cas, que les rôle de décideur et d'exécutant était plutôt flous voir changeant, pas fixé dans le marbre, je ne sais pas comment dire,
- Oui, c'est un de nos principes : les rôles tournent et on partage, on est compositeur un moment, mais pas tout le temps, et aussi interprète, improvisateur, régisseur, logisticien pour les déplacements, créteur de contenu de comm' et ainsi de suite,
- On essaye de faire pareil dans l'association qui tient le magasin bio au bout de la rue avec l'atelier vélo, on ne va pas se laisser faire par la division du travail qui crée des dominations [...]
Les personnes qui lisent et analysent de tels sous-textes et logiques de production, sont déjà alertées et sensibles à ces questions ; et les autres ?
Ce petit mail pour vous remercier de m'avoir fait participer à vos ateliers, lors de votre résidence de création. Une matinée sur deux, c'était un rythme assez soutenu ! Cela m'a demandé pas mal de concentration et aussi d'organisation, mais cela restera un moment qui m'a beaucoup marqué.
Je voulais vous faire part d'une sensation bizarre, comme un sentiment ambigu... C'est un peu complexe, je ne sais pas trop quels mots choisir pour exprimer cela, ne m'en veuillez pas si je suis maladroite. J'aurais voulu venir en discuter avec vous, en fin de spectacle, mais ce n'était pas si simple : vous étiez tous entre vous, et je n'ai pas osé...
Voilà ; lors de votre spectacle, j'ai mieux cerné le lien entre les ateliers que vous nous avez proposés les matins, et votre propos. J'ai vraiment eu l'impression de voir émerger le sens de ce que nous avions construit ensemble, et c'était quelque chose d'assez fascinant. Vous entendre reprendre des mots que j'avais écrit sur un bout de papier découpé, en les faisant accéder à une dimension artistique... cela m'a vraiment impressionnée. Et en même temps, comment dire... je me suis sentie utilisée, et je me suis sentie toute petite. J'étais fière, et émue de votre reconnaissance, mais dans le même temps, j'ai senti que moi, j'avais eu le droit de manipuler des objets, des mots..., mais c'était vous les artistes, c'était vous, les idées ; c'est vous qui aviez le droit à la parole, même si vous pouviez me faire croire, le temps d'un spectacle, que c'était la mienne...
J'aime le silence de fin... fin d'improvisation, fin de spectacle, fin de film, fin de récit, le moment devant un tableau où l'on va s'écarter pour aller voir ailleurs, ou pas. Ce silence pose des questions, quand les mots et les gestes ne viennent pas immédiatement, comme en suspens, en suspension... C'est qu'il y a des possibles ! C'est un moment rare, dense et épais, de cristallisation possible des différentes alternatives, on n'a pas encore choisi ni lancé une impulsion qui lance une suite...
Supposons une convention de jonglage, c'est-à-dire un rassemblement de jongleurs de tous horizons et profils, généralement un week-end. Il y a souvent une soirée, même une nuit, dans un grand gymnase pour que tout le monde pratique avec tout le monde et échange des "trucs". Une sono est présente. Il se crée alors, de fait, des discussions sur la musique à diffuser ou pas : celle-ci va concerner tout le monde. C'est beaucoup moins le cas des figures des uns ou des autres : on peut se tourner, fermer les yeux, trouver un endroit où, un angle de vue qui etc. Les figures peuvent cohabiter plus facilement. De telles discussions sur le son peuvent aboutir à ne rien diffuser, par exemple si certains ont besoin d'entendre les différents bruits des objets avec lesquels ils jonglent. Le "silence" est obligatoirement collectif. Se déplacer à un endroit pour bien, mieux ou pas voir telle ou tel, ne l'est pas de la même façon... La musique, le son et le bruit emplissent tout l'espace, se mixent, se rencontrent et se superposent, donc leur fonctionnement est, de fait, éminemment politique !


Par exemple, voir l'article de Paul Faure : « Une minute de silence », dans la première page du journal Le Populaire (de Paris), journal socialiste du matin, n°757, le mercredi 18 octobre 1922.
C'est la fin d'un concert qui a été beaucoup apprécié. Un chanteur, qui a passé quelques temps par chez nous, avant d'avoir une chanson remarquée qui est devenue un tube, et qu'il soit monté à Paris. Salle comble, enjouée, ados séduits par cette star qui lève la salle seul sur scène avec sa guitare.
Un bœuf fait suite au concert. On change de lieu, pour pouvoir faire de la musique et du bruit tard dans la nuit. Profs de l'école de musique, parents d'élèves, élèves, musiciens locaux, amis, public peu praticien envieux de participer à cette fin de soirée... une trentaine de personnes de tout âge, tout horizon, toute pratique musicale, se rassemblent pour faire la fête en jouant ensemble.
Le chanteur arrive un peu tard, le temps qu'il plie ses affaires dans la salle de concert ; il n'a pas ramené sa guitare. Un jeune lui prête la sienne, assez fier de voir son nouvel idole jouer sur son instrument, à lui.
Alors, évidemment, le jeune ne peut plus jouer ; mais sans doute devrait-il ressentir avant tout une forme d'honneur.
Au bout d'une vingtaine de minutes, le coordinateur de l'école de musique vient demander au chanteur de rendre sa guitare au gamin, pour que lui aussi, puisse jouer.
Cela fait bientôt cinq longues années qu'il joue de la trompette dans la fanfare.
Il ne joue jamais en place, rythmiquement. En plus, il joue fort, cela s'entend.
Tout le monde est exaspéré, et tout le monde lui donne des coups de main, se place à côté de lui en répétition, essaie de lui donner des "trucs". La répétition suivante, un autre s'y colle. L'exaspération est toujours là, elle n'a pas laissé place à la résignation, et tout le monde cherche des solutions.
C'est un concert, en extérieur, il y a du monde, il y a des professionnels : la fanfare locale a été invitée pour l'anniversaire d'un groupe réputé. Il veut faire un solo. La tourne rythmique est très complexe. Il avance pour faire un solo. Il y a vraiment du monde qui écoute, et pas n'importe qui. Il entame son solo, concentré, heureux. Ce qu'il joue a du sens, pour lui. Il est pleinement dans son jeu, il n'écoute pas vraiment les autres. Il est complètement à côté, rythmiquement, de ce qui aurait été attendu d'un solo de trompette à ce moment-là, les professionnels vous le diront – et même les autres. Il a le droit à la parole. Il s'éclate. On l'écoute. Il est dans le groupe.
Supposons un espace... Qui ? les gens qui sont là. Quoi ? de l'énergie et des sonorités. Comment ? il nous faut une, ou des manières de s'y prendre pour commencer et continuer, plusieurs sont même plutôt bienvenues, pour se sortir au mieux de toutes les situations, des fois que,...

Supposons une table de conversation... Qui ? il nous faut des invitations : qui viendra donc qui ne viendra pas. Quoi ? il nous faut un sujet, au moins : de quoi va-t-on parler donc de quoi ne va-t-on pas parler. Comment ? il nous faut une, ou des manières de s'y prendre pour instruire et conduire la conversation, plusieurs sont même plutôt bienvenues, pour se sortir au mieux de toutes les situations, des fois que,...
Un scénario marchand simplifie la tâche en allégeant l'ordre du jour. Un scénario autoritaire simplifie la tâche en excluant des invités et ne laissant les choix qu'à une autorité. Seul un scénario démocratique d'élargissement de toutes les dimensions de cette tablée ouverte et inconnue est à la hauteur de notre réalité complexe... Aller chercher ceux qui manquent, apprendre à exprimer et analyser les contradictions, paradoxes et conflits de nos situations humaines, multiplier et adapter les dispositifs possibles et mobilisables pour en délibérer.


Supposons un espace... Qui ? les gens qui sont là et ceux qui ont répondu aux invitations. Quoi ? de l'énergie et des sonorités, mais qu'en est-il de l'énergie de ceux qui ne sont pas encore là... Comment ? il nous faut une, ou des manières de s'y prendre pour commencer et continuer, plusieurs sont même plutôt bienvenues, pour se sortir au mieux de toutes les situations, des fois que,...


Concernant ces différents scénario, on peut renvoyer à une vidéo : Actualités de l'éducation populaire de Luc Carton [voir à 45'31]. Ainsi qu'à la page 24 du rapport d'étape Le travail de la culture dans la transformation sociale, de l'Offre Publique de Réflexion sur l'avenir de l'éducation populaire (Franck Lepage, 2001).
Je suis là, à une fin de soirée, avec quelques bons amis.
Je suis musicienne, formée dans les institutions les plus prestigieuses ; j'ai été diplômée, écoutée et applaudie, et j'adore jouer. Je suis de nature curieuse, de parcours universitaire ; je sais frapper à des portes quand j'ai des questions.
Ce soir-là, on aurait bien joué un peu, ensemble, mais on n'a pas les instruments sous la main, et les enfants dorment à l'étage, il ne faut pas les réveiller.
Alors on est là, à boire un verre devant la porte de la maison, à discuter de notre envie de jouer. Et l'un lance une tourne rythmique, avec sa bouche et quelques frappes sur son corps, très doucement, très peu de choses, et un autre ajoute une autre rythmique avec des timbres différents, et l'autre se met à improviser, très finement, du presque rien, sur le bout des lèvres, jouant avec le silence, la force de l'intention musicale avec le minimum d'éléments musicaux joués, et moi, et bien moi... j'ai écouté, j'ai adoré, je me suis tue. Ils n'ont pas bien compris, d'ailleurs, que je ne participe pas ; ils ont cru que je les prenais de haut.
Moi, j'aurais pu faire un relevé rythmique de cette impro.
Je ne suis pas formée pour pouvoir parler avec des étrangers de ma musique.
Je suis formée pour pouvoir noter ce qu'ils disent.
Je suis formée pour ne pas savoir parler aux étrangers. On ne parle pas aux inconnus.
Je ne dois pas mélanger mon artistique avec n'importe qui ; ce serait dégoûtant. Et immoral.