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Cécile Guillier – Texte 1 – Français

Faire tomber les murs : mûrs ?

Cécile Guillier

 

En Mai de l’année 2018, j’ai participé à un spectacle co-construit par 3 collègues (alto, violoncelle, percussion), un danseur de hip-hop et moi-même, violoniste. En effet, dans le cadre de la saison professionnelle de notre établissement, il est accordé un financement à quelques projets artistiques (environ 3/4 par an) réunissant des enseignants et des artistes extérieurs au CRD [Conservatoire à Rayonnement Départemental]. L’idée venait du professeur de violoncelle, appelons la F., qui avait rencontré V. (danseur et enseignant de hip-hop dans des structures privées). Elle a proposé de monter un trio à cordes (avec A. à l’alto) et d’y ajouter un percussionniste (M.) et de travailler avec V., pour un unique concert à la Chaise Dieu.

Le projet me tentait mais malgré l’ambiance plutôt détendue et le plaisir de jouer ensemble, nous avons eu (selon moi) des difficultés à formuler des enjeux artistiques, à avoir un regard critique sur nos productions, et à mettre en place une démarche de création. Il faut mentionner avant tout des contraintes de financement (nous n’étions rétribués que pour quelques répétitions, un concert et un concert scolaire, et nous avons tous donné bien davantage). Mais nous avions aussi, au moins les trois instrumentistes à cordes, des angles d’entrée et des manières de faire différentes : A. souhaitait travailler plutôt avec une partition écrite devant les yeux, et F. proposait de construire un spectacle original avec mise en scène, mais en utilisant des œuvres classiques. Ses envies allaient plutôt (je crois) vers les performances d’artistes qui interprètent des suites de Bach pendant qu’un artiste hip-hop danse sur cette musique, tout en faisant parallèlement la promotion de la musique de chambre. Cela m’apparaissait à priori comme un pseudo choc des cultures organisé pour un public habitué du classique. J’aurais voulu questionner les rapports et les spécificités du travail des mouvements et de celui des sons, mais je n’avais pas forcément le temps et les moyens pour mener au bout un tel chantier. Et surtout pas l’habileté relationnelle à provoquer un réel travail sur ce sujet, étant donné les mises en causes individuelles qu’il n’aurait pas manqué de soulever : le milieu classique, celui des enseignants encore plus, a tant besoin de légitimer sa compétence que l’exploration, la création, la prise de risque sont parfois extrêmement difficiles entre collègues. Le danseur de hip-hop lui, nous demandait de monter nos morceaux en répétant qu’il inventerait des chorégraphies dessus. A présent que je regarde les rushes de la seule vidéo de répétition que nous avons, il me parait clair qu’il tentait d’adapter sa pratique de la danse à ce qu’il percevait et projetait de notre pratique « classique ». Visionner l’ensemble (se filmer et analyser) aurait été essentiel mais nous ne l’avons pas fait (la seule vidéo est celle d’une répétition que nous n’avons pas pu visionner avant le spectacle). Et la posture du percussionniste a plutôt été de suivre les initiatives des uns et des autres. (Il faut dire que le groupe était vraiment disparate dans ses aspirations, il valait peut-être mieux qu’il n’y ait pas une cinquième ambition différente).

Je pense que chacun a fait des concessions, des efforts, que nous avons fait du mieux possible mais que nos conceptions des enjeux de la création étaient multiples et pas toujours explicites, la cohérence artistique du spectacle n’était pas totale, le travail sur les représentations des uns et des autres un peu ambigu.

J’ai eu la possibilité de glisser dans le spectacle un interlude théâtralisé que j’avais écrit et qui reprenait ce qui me semblait constituer un fil, un lien entre nous, du moins entre la musique et la danse. Le texte de cet interlude est présenté dans ce site :
Interlude.

A travers ce début de réflexion, je souhaitais aussi m’interroger sur la démarche de production artistique. Il me semble que dans d’autres conditions, on aurait peut-être pu organiser un temps d’expérimentation, d’analyse des pratiques des uns et des autres, et de formulation des éléments essentiels que l’on voulait « représenter », et qu’ensuite, le medium, le choix du répertoire, des instruments, la question de la mise en scène, du rapport au public auraient pu réellement être abordés. Peut-être n’est-ce pas un préalable, mais bien un aller-et-retour qu’il faudrait parvenir à installer. Ou peut-être n’est-ce possible que sur un temps long de travail en commun ?

« Faire tomber les murs », ce spectacle en avait l’ambition mais j’en garde un souvenir ambivalent : à la fois un moment où l’on a voulu sincèrement explorer nos domaines artistiques, mais un moment où l’on a aussi pas mal évité de prendre ce risque.

 


Accéder aux trois textes (français et anglais)

Text 1, Walkabout Wall Falling [Faire tomber les murs : mûrs ?]      English

Texte 2a, Interlude      Français

Text 2b, Interlude      English

Texte 3a, L’art-mur de la liberté : murmures      Français

Texte 3b, Free Immured-Art: Murmurs [L’art-mur de la liberté : murmures]      English

Cécile Guillier – Text 1 – English

Walkabout Walls Falling [Faire tomber les murs : mûrs ?]

Cécile Guillier

In May 2018, I participated in a performance jointly created by 3 colleagues (viola, cello, percussion), a hip-hop dancer and myself, a violinist. As part of the professional season of our institution, funding is granted to a few creative artistic projects (about 3 to 4 per year) bringing together teachers from the conservatory and artists from outside. The idea came from the cello teacher “F.”, who had met “V.” (a dancer and hip-hop teacher in private structures). She suggested setting up a string trio (with “A.” on the viola) and to add a percussionist (“M.”) and to work with V., for a single concert at Chaise Dieu.

I was tempted by the project, but despite the relaxed atmosphere and the pleasure of playing together, we had (in my opinion) difficulties in formulating artistic issues, in looking critically at our productions, and in setting up a creative process. Above all, there were funding constraints (we were only paid for a few rehearsals, a concert and a school concert, and we all contributed much more). But we also had, at least the three string players, different approaches and different ways of doing things: A. wanted to work with a written score in front of his eyes, and F. suggested building an original performance with staging, but using classical works. Her idea was more (I think) towards performances by artists who perform Bach suites while a hip-hop artist dances to this music, while at the same time promoting chamber music. This seemed to me at first sight like a pseudo culture shock organized for an audience used to classical music. I would have liked to question the relationships and specificities of the dance movements and the sounds, but I didn’t necessarily have the time and the means to carry out such a project. And especially not the relational ability to provoke a real exploration of this subject, given the individual challenges that it would not have failed to raise: the classical world, that of teachers even more, has so much need to legitimize its skills, that exploration, creation, risk-taking are sometimes extremely difficult between colleagues. The hip-hop dancer asked us to put our pieces together, insisting that he would invent choreographies for them. Now that I’m watching the rushes from the only rehearsal video we made, it seems clear to me that he was trying to adapt his dance practice to what he perceived and projected from our “classical” practice. Watching the whole thing (filming and analyzing ourselves) would have been essential but we didn’t (the only video is of a rehearsal that we couldn’t watch before the performance). And the position of the percussionist was more to follow the initiatives of each other participant (It must be said that the group was really disparate in its aspirations, it was perhaps better that there was not a fifth different ambition).

I think that everyone made concessions, made an effort, we did the best we could, but that our conceptions regarding the issues at stake in the creation were multiple and not always explicit, the artistic cohesion of the performance was not quite consistent, the work on the representations of each participant was a little ambiguous.

I had the opportunity to insert into the performance a theatricalized interlude that I had written, and which took up what seemed to me to be a thread, a link between us, at least between music and dance. The text of this interlude is included on this site:
Interlude – English.

Through this initial reflection, I also wanted to question the artistic production process. It seems to me that under other conditions, we could perhaps have organized a time for experimentation, for analyzing each other’s practices, and for formulating the essential elements that we wanted to “represent”. Then, the medium, the choice of repertoire and instruments, the question of staging, and the relationship with the audience could really have been addressed. But perhaps, this is not a prerequisite but a back-and-forth process that we need to be able to implement. Or maybe this is only feasible over a long period of time of working together?

Our performance project “Breaking down the walls” had the ambition to do so, but I have a mixed recollection of it: both a time period when we sincerely wanted to explore our artistic domains, but also a moment when we avoided taking that risk.

 


Access to the three texts (French and English)

Text 1, Faire tomber les murs : mûrs ?      French

Text 2a, Interlude      French

Text 2b, Interlude      English

Text 3a, L’art-mur de la liberté : murmures      French

Text 3b, Free Immured-Art: Murmurs      English